Blog 12.11.2016
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[modifier] Un peu seule dans un petit palais
Billet du 12.11.2016 - « Cette carte représente l'usine et notre maison, j'ai fait une croix sur ma fenêtre et un point sur celle de ma lingerie », Mathurine
Depuis cette publication tout le monde affirme que la prise de vue date précisément de 1881. Mais certains faits nous inclinent à croire que la vue photographiée d'une part et la publication en carte postale Villard d'autre part sont un peu plus tardives. Tout d'abord, à gauche du cliché, la grande cheminée à la fumée abondante et sa chaudière nécessitent un débit d'eau important. Or la chaudière produisant la vapeur nécessaire aux rouleurs sécheurs ne sera en fonction qu'en 1886-88, le cadastre de la commune d’Ergué-Gabéric indiquant une « machine à vapeur » en tant que construction nouvelle achevée en 1886 et déclarée aux impôts l’année 1889. Le canal amenant l'eau à l'usine a été creusé dans les années précédentes en remplacement du cours d'eau du Bigoudic qui n'était plus suffisant.
Ensuite la production des cartes postales Villard a sans doute commencé dans 1880-1890, mais sous la forme de photos contrecollées sur cartons. Ici il s'agit d'une édition imprimée, avec le titre en surimpression « Papeteries de l'Odet - Environs de Quimper » et sur le côté « Collection Villard, Quimper ». Il n'y a pas de numéro comme sur les séries des années 1910 (cf Kerdévot, Lenhesk, Stangala-Meil-Poul). Il nous semble plus probable que la carte a été éditée au plus tôt dans les années 1890-1900.
Enfin les quelques cartes en circulation sont datées des années 1906 à 1910 avec leurs timbres de couleur orange-rouge à 10 centimes représentant une semeuse. Ce timbre est sorti en 1906, et sur les deux cartes ci-dessous l'année oblitérée à deux chiffres (par ex. 06 pour 1906) est difficilement lisible, hormis le premier 0.
La carte Villard nous permet de repérer un peu plus chaque bâtiment de l'époque, les routes et cours d'eau (dont le ruisseau central Bigoudic), et de comprendre l'orientation nord-est sud-ouest, le long de l'Odet. Au milieu de la photo Villard on distingue nettement le grand bâtiment dénommé par la suite « Keromelette » et qui servait de logement aux cadres, directeurs et personnel. Le manoir et la petite chapelle sont non visibles, car cachés à droite derrière la pente boisée.
La première carte a circulé entre Quimper et Scaër dans les années 1906-1909, un 28 décembre. Elle est écrite par Léon Bolloré, frère du René Bolloré décédé en 1904 et oncle du nouveau patron René Bolloré, et adressée à Jean-Pierre Rolland, originaire d'Odet et contremaitre de fabrication à l'usine sœur de Cascadec. Le contremaitre a déjà adressé ses vœux, et son patron lui répond dans un style qu'on hésite à qualifier soit de condescendant, soit de familier et chaleureux : « Merci de vos vœux Rolland », « Je vous retourne les miens sincères », « Sentiments fidèles ».
La relation de Jean-Pierre Rolland avec Léon Bolloré était proche car il a été embauché très jeune par les Bolloré en 1868 (il avait 13 ans), et a il participé avec lui à la mise au point de la fabrication des papiers minces. En 1913, en voyage à Paris et en Allemagne il écrit au nouveau patron René Bolloré, neveu de Léon, qu'il a fait une visite à son oncle : « Nous avons diné hier au soir chez Monsieur Léon. Je suis très content de l'avoir vu. Je l'ai trouvé très bien, un peu maigri mais très bonne mine. »
La deuxième carte a circulé entre Quimper et Nantes avant les années 1910. Prénommée Mathurine, la lingère employée par les Bolloré explique à son amie d'enfance les conditions de travail et de séjour à Odet, « dans mon trou, ici on a guère de distractions » dit-elle.
Elle y indique où est sa chambre de bonne qu'elle marque d'une croix sur la photo, une mansarde dans la grande maison de logements qu'on a appelée par la suite « Keromelette » quand elle servit aussi de cantine : « cette carte qui représente l'usine et notre maison, j'ai fait une croix sur ma fenêtre et un point sur celle de ma lingerie ».
Quant aux patrons, elle les décrit comme très compréhensifs : « Monsieur est très gai et me fait toujours rire », « mes patrons sont tout à fait bons pour moi ». Son malheur est la solitude : « je suis un peu seule dans mon petit palais ».
En savoir plus : « Vue des papeteries de l'Odet, carte postale Villard, 1881-1906 »