Blog 08.09.2018 - GrandTerrier

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[modifier] Suppression de penntis et de tipis

Billet du 08.09.2018 - « La situation de Jean-Marie Déguiguet relève encore d’une autre logique. Il embrasse la carrière de mendiant et de vagabond comme un métier parmi d’autres : "Quelques temps après tout cela, c’est-à-dire au printemps de 1844 une vieille bonne femme ..." », Jean-Jacques Yvorel

Dans ses « Mémoires de paysan bas-breton », Jean-Marie Déguignet a abordé les sujets de la misère et la pauvreté en milieu rural au 19e siècle.

À l'âge de 9 à 14 ans, il a exercé le métier de mendiant entre 1844 et 48 dans la campagne gabéricoise. Et toute sa vie durant, il a pu observer les causes et les effets du paupérisme dans les classes sociales les plus défavorisées de basse-bretagne, à savoir les mendiants et les journaliers agricoles.

Jean-Jacques Yvorel a aussi évoqué les observations de Déguignet dans son article « Errance juvénile et souffrance sociale au XIXe siècle d’après les récits autobiographes » dans l'ouvrage collectif « Histoires de la souffrance sociale: xviie-xxe siècles » publié en 2015 aux Editions PUR.

L'enquête sociologique de Jean-Jacques Yvorel porte sur 8 récits de jeunes ramoneurs, ouvriers, sourds-muets, le monde paysan étant représenté par les « Mémoires d’un paysan Bas-Breton » de Jean-Marie Déguignet. Contrairement aux autres expériences, l'activité de mendiant et de vagabond à Ergué-Gabéric est vécue comme un métier normal et honorable nécessitant un sérieux apprentissage.

Sa mère approuve l'idée des tournées de mendicité durant 3 jours par semaine et lui confectionne une besace. Il suit pendant 6 semaines son professeur : « Cette bonne femme était une mendiante professionnelle; elle se chargeait de m’apprendre l'état. ».

Les résultats ne se font pas attendre : « Pendant trois jours consécutifs, le temps nécessaire pour faire le tour de la commune, j'apportai à la maison plein les deux bouts de ma besace de farine d'avoine et de blé noir. »

«  Jamais données au nom de l'humanité, chose inconnue chez les Bretons, mais seulement au nom de Dieu », les aumônes face à la mendicité juvénile sont généreuses : « une prière dite par moi, enfant chétif et humble, valait pour elles cent prières radotées machinalement par les vieilles mendiantes ».

Par contre il existe aussi des mauvais mendiants qui éclaboussent la noble profession : « des mendiants de tout âge, de véritables bandits, lesquels quand ils rencontraient un malheureux seul avec sa besace pleine, ne se gênaient pas pour la vider dans la leur ».

 
Les mendiants entrant dans la vie adulte, « pour gagner leur pain », doivent exercer le métier de journalier, c'est-à-dire louer leurs bras aux cultivateurs qui leur « faisaient faire leurs travaux au marché, ou par grandes journées. Autour de chaque ferme, il y avait toujours deux ou trois penty qu'on louait à ceux-ci, que le propriétaire trouvait sous la main quand il en avait besoin ».

Ce pennti est littéralement un « bout de maison », désignant la bâtisse, composée généralement d'une seule pièce, où s'entassait avec sa famille l'ouvrier agricole.

Or en cette moitié du 19e siècle « grâce aux machines agricoles perfectionnées, les cultivateurs n'ont plus besoin de journaliers ». Ils ont donc ont transformé leurs penntis en étables, et refoulé les journaliers dans la ville.

L'analogie faite par Déguignet est effrayante : « Quand les abeilles veulent supprimer ces gros parasites qui les ruinent, elles leurs refusent simplement le domicile et 24 heures après la question sociale est résolue ; plus d'êtres nuisibles ni inutiles dans la société. »

Il fait donc cette suggestion cynique : « Que les riches de la ville et la municipalité fassent comme ces insectes ainsi que les paysans l'ont déjà fait et la plus difficile de toutes les questions sociales humaines sera aussi résolue. » Mais il faut prendre cette proposition au second degré, comme une démonstration par l’absurde.

La fin du texte se veut une défense de ses compagnons de misère, avec une évocation du sort des indiens d'Amérique. « Pour être misanthrope et anti-humain je ne le suis pas. J'ai trop pleuré et je pleure toujours sur les misères de l'humanité, et je voudrais de tout mon cœur les voir finir ».

Mais bien sûr autrement qu'en supprimant les penntis des bretons et les tipis des indiens.

En savoir plus : « Le métier de mendiant et la lutte contre le paupérisme selon Déguignet »