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[modifier] Enterrement pour une mort suspecte

08.01.2022 - En fin d'année 2021 les Archives Départementales du Finistère ont numérisé et mis à disposition la collection communale des actes BMS (Baptêmes, Mariages, Sépultures) pour les années 1629-1752, comblant les années lacunaires du second exemplaire départemental déjà numérisé, notamment cet acte de décès de janvier 1728 traitant de la mauvaise réputation des suicidés et fêtards et de leurs inhumations hors des cimetières.

« Appelé pour sonner à une noce », c'est-à-dire jouer du biniou ou de la bombarde pour le grand plaisir des danseurs d'un mariage, Hervé Riou, après avoir bu plus que de raison, s'enferme dans un four à pain encore chaud. La mort étant considérée comme un suicide, il est enterré dans une fosse « hors les lieux saints », près du calvaire de Kergaradec, et non dans le cimetière.

Hervé Riou, né aux environs de 1668, est veuf en première noce de Marie Monfort. Huit enfants sont nés dont Hervé, témoin à l'enterrement de son père. Hervé Riou épouse en seconde noce Josèphe Jourdren le 28.01.1723 à Ergué-Gabéric et un enfant est né de ce mariage.

Plusieurs mariages ont eu lieu en ce début 1728, mais la présence de Maurice le Barz comme témoin lors de l’inhumation incite à croire que les faits se sont déroulés durant les réjouissances de son mariage avec Françoise le Meur, le 26.01.1728 à Ergué-Gabéric. Il est le fils de Mathieu le Barz et de Marie Lozeach, et son père est qualifié de « Messire » lors des naissances à Kernaon de certains de ses 12 enfants.

À Kernaon, il y a toujours un très vieux cellier qui possède à son extrémité nord un four à pain dont l'accès se trouve à l'intérieur : est-ce le lieu du drame de 1728 ? Un doute subsiste, car l'acte du recteur précise qu'il s'agissait du « four du village » et selon les anciens il existait autrefois un four plus important dans le jardin au sud de l'habitation principale.

Quant à l'inhumation, « attendu son genre de mort extraordinaire », le recteur Jean Edy estime qu'elle ne peut se faire qu'en dehors des lieux saints de l'église paroissiale et de son cimetière. Il choisit de faire creuser « une fosse faite exprès et bénite » (et non une fosse commune) au bord du chemin à proximité du calvaire de Kergaradec. Outre la mort "volontaire", il lui reproche également « l'abus et le mépris qu'il a fait pendant les dernières années de sa vie des principaux devoirs de la religion », malgré les remontrances de son prédécesseur l'abbé François-Hyacinthe de la Haye, recteur d'Ergué-Gabéric de 1722 à 1726.

Il faut dire qu'au XVIIIe siècle la question du lieu d'inhumation génère de multiples conflits à Ergué-Gabéric : ainsi, suite à l'interdiction de 1719 par le Parlement de Bretagne des tombes à l'intérieur des églises au profit des cimetières extérieurs, des femmes gabéricoises organisent en 1742 une inhumation illégale dans l'église St-Guinal à laquelle le recteur Edy doit s'opposer.

 
(Archives Départementales du Finistère. Référence 1049 E DEPOT 2. Voir la transcription textuelle réactualisée dans l'article.)

À cette même époque les prêtres ont la latitude de refuser l'accès au cimetière aux décédés de mort violente et aux protestants. Avec la déclaration du 9 avril 1736, signée par le chancelier d'Aguesseau et Louis XV, les enterrements de morts suspectes sont tolérés moyennant l'ordonnance d'un juge criminel. Ici, en 1728, le desservant ecclésiastique d'Ergué-Gabéric exécute une mesure intermédiaire : il ne diligente pas d'enquête, il organise une inhumation à minima à l'écart du bourg et relate les circonstance dans l'acte de sépulture.

Dans un article publié par l'association Arkae de janvier 2003, Yves-Pascal Castel utilise l'expression d'« inhumations foraines » pour ce type d’obsèques et cite quelques exemples d'autres lieux d'enterrements civils et/ou épidémiques près de calvaires en Finistère (Bourg-Blanc, Locmaria-Plouzané).

* * *

Depuis quelques années déjà, à la fin de l'année scolaire et juste avant la période estivale, un jeu et une balade bilingues sont organisés autour du bourg d'Ergué-Gabéric par le service patrimoine de la commune sous la forme d'une enquête sur la mort suspecte (« Enklask war dro maro an den kevrin ») d'Hervé Riou et son inhumation à Kergaradec. Versions française et bretonne proposées par Gaëlle Martin et Jean Billon. Rien ne vaut un jeu de piste pour mieux comprendre le contexte de cette affaire.

Image:square.gifImage:Space.jpgEn savoir plus : « 1728 - Inhumation hors des lieux saints suite à une mort tragique dans un four à pain » et « Enklask war dro maro an den kevrin ~ Enquête sur la mort d'une personne mystère »