Page 12 :
À quoi le comte répond : « Vous n'y êtes pas, chevalier. Je pense au drame de Coëtlogon et à notre chef, Tinténiac. »
Le nom est tombé comme une pierre dans un puits profond. Les visages sont rigides. Coëtlogon. L'arrivée, deux mois avant, de leur armée de chouans drôlement attifés des tuniques rouges de soldats anglais. [...] puis les cris, les coups de feu, le combat contre les bleus, et la terrible nouvelle que leur chef, le chevalier de Tinténiac, considéré comme invulnérable, toujours follement exposé au danger, a été tué.
|
Page 52 :
Un jeune lieutenant de vaisseau, Vincent de Tinténiac, issu de l'une des plus anciennes et valeureuses familles bretonnes, dut également démissionner parce qu'il était devenu l'amant d'une très jolie femme. [...] Tinténiac devint l'aide de camp de La Rouërie et son émissaire intrépide dans tout l'Ouest. [...] Vincent était le petit-fils du marquis François Hyacinthe de Tinténiac et d'une demoiselle Marie-Rose de Tréouret de Kerstrat [...]
Tinténiac émigra à Londres ; il rejoignit la société qui fréquentait la maison des Kerstrat, les Bot du Grégo, le comte de Guernisac, le chevalier Du Brieuc et beaucoup d'autres.
|
|
|
Page 89 :
Jean fit la connaissance d'un personnage qui lui fut présenté par son oncle Joseph :
- Jean, voici un autre de mes neveux, le chevalier Vincent de Tinténiac. Je n'ai pas besoin de rappeler qu'un Tinténiac s'est distingué au XIVe siècle près de Josselin lors du combat des Trente ; il y avait été publiquement comme « le mieux faisant de la journée » ! Le grand-père de Monsieur a épousé une demoiselle de Kerstrat, ce qui fait de lui votre cousin.
§ Jean lui fit bon accueil et l'observa ...
Jean lui fit bon accueil et l'observa. C'était un bel homme, jeune, de petite taille, aux manières exquises et aux mains blanches et fines. Il était habillé avec une certaine recherche. Il boitait très légèrement. Il montrait l'esprit le plus fin et raconta avec verve quelques-unes de ses aventures. Il avait servi d'aide de camp et d'agent de liaison au marquis de La Rouërie et couru toute la Bretagne ainsi que le Maine pour transmettre des informations aux conjurés. La traversée à la nage d'une rivière ne lui faisait pas peur lorsque le pont était tenu par les républicains. On n'eût jamais deviné, à le voir faire le galant cavalier devant les dames, qu'il eût connu déjà auparavant une vie aussi aventureuse. Jean examina attentivement son visage carré, aux traits énergiques, entouré d'une brune et raide chevelure. Il avait un nez crochu qui l'apparentait à un oiseau de proie. Son regard sombre restait vigilant même lorsqu'il plaisantait et semblait se laisser aller. L'oncle Joseph glissa à Jean en aparté que le gouvernement anglais avait choisi M. de Tintinéac comme agent de liaison avec l'armée vendéenne. Jean se fit la réflexion qu'il aurait été souhaitable de ne pas divulguer une telle information - si tant était qu'elle fût vraie. Il osa dire à mi-voix : « Il vaudrait sans doute mieux que cela ne soit pas su ; on prétend que les républicains ont des espions même ici en ville. » Le chevalier hocha la tête, l'air un peu gêné.
|
Page 160 :
Tinténiac se trouvait dans le groupe de tête des poursuivants, au milieu de l'avenue de Logon, Julien sur ses talons, lorsqu'il vit plusieurs chouans qui s'apprêtaient à tirer sur un grenadier. Celui-ci avait tardé à fuir et progressait par bonds d'un arbre de l'avenue à l'autre. Tinténiac cria à leur intention : « Ne le tuez pas ! Je lui fais grâce ! » tout en s'approchant de l'homme. Celui-ci le regardait venir, l'arme baissée. Tinténiac continuait à suivre plus calmement les fuyards sans plus s'occuper du grenadier immobile. Lorsqu'il ne fut plus qu'à trois ou quatre mètres de lui, le Bleu releva le canon de fusil qu'il pointa vers la poitrine du chef chouan en grande tenue et tira sans viser. Le hurlement des paysans qui virent l'arme se relever se confondit avec la déflagration.
§ Ar Gwenn Bleiz avait reculé...
Ar Gwenn Bleiz avait reculé sous l'impact en pleine poitrine et était tombé comme un arbre. Julien le rattrapa entre ses bras. Le grenadier n'eut pas le temps de fuir ; un paysan de Saint-Pierre-Quiberon, Joseph Madec, capitaine de la compagnie deCarnac, l'avait aligné avec son fusil et foudroyé quelques secondes après qu'il eut tué Tinténiac.
Les Bretons allaient faire de la mort du chevalier une chanson en dialecte vannetais, Ar Chouanted, la Marche des Chouans, que l'on se répèterait longtemps aux veillées :
- Julian bleu-ru a lare d'he vamm goh ur mitin :
- — Me ia me ged Tinteniak, po monet a blij d'ein.
- — De deu vreur dez me losket, ha te me losk eue !
- Mes mar plij d'id de vonet, ra de renai Doue! —
Julien aux cheveux roux [1] disait à sa vieille mère, un matin : — Je m’en vais, moi, rejoindre Tinténiac, car il me plaît d’aller. — Tes deux frères m’ont abandonnée, et toi tu m’abandonnes aussi ! mais, s’il te plaît d’aller, va-t’en à la garde de Dieu ! —
- Pe zeie er chouanted, ez a bob korn a Vreih,
- A Dreger hag a Gerne, hag a Wenned ileih,
- Er re c'hlaz digoueh get-he, e maner Koatlogen,
- Ez a gosteeu Bro-c'hall, tri mil enn ur vanden.
Comme les chouans arrivaient de chaque partie de la Bretagne, de Tréguier, de Cornouaille, et surtout de Vannes, les Bleus venant du côté de la France les joignirent, au manoir de Coatlogon, au nombre de trois mille.
- [...] Ken n'hen gwelez kel mui tamm, hag hen gwelez endro,
- Hag hen tennet a goste didan ur ween dero,
- E ouilein leih he galon, chouket get hon he benn,
- Enn eutreu Tinteniak por a-drez ar he varlen.
Et je cessai de le voir, et puis je le revis, il s’était retiré à l’écart sous un chêne, et il pleurait amèrement, la tête inclinée, le pauvre monsieur de Tinténiac en travers sur ses genoux.
Pour l'heure, c'était la désolation à Coëtlogon. Louise de Pontbellanger répétait à l'envi que M. de Tinténiac était son cousin et elle pleurait sur cette mort injuste. [...] Julien le Barde [1] , le visage ruisselant de larmes, chantait des gwerzioù, ces chants en mode mineur, qui retrace la vie tragique d'un personnagae ancien. Mais la gwerz qu'il commença à la fin, fut un mélange de récit et de chant consacré au pauvre an eutrou Tinteniak, « Le » monsieur Tinténiac, son maître. Les chouans, qui revenaient du combat, défilaient le grand chapeau à la main. Ils laissèrent couler leurs larmes en contemplant le noble visage aux yeux renfermés.
|
|