1929 - Conflit entre l'instituteur de Lestonan et la municipalité au sujet d'une pompe - GrandTerrier

1929 - Conflit entre l'instituteur de Lestonan et la municipalité au sujet d'une pompe

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§ E.D.F.
En 1929 la municipalité d'Ergué-Gabéric demande le départ du directeur de l'école publique de Lestonan suite à une demande de réparation d'une pompe à eau défaillante.

Lettres et délibérations conservées aux Archives Départementales du Finistère. L'inspection académique et l'association Solidarité font leur enquête et prennent la défense de l'instituteur auprès du préfet.

En savoir plus : « Espace Instits » ¤ « Judicaël Gloaguen et épouse, directeur et institutrice de 1926 à 193x » ¤ « 1929 - Carnet B et enquête sur un instituteur aux idées anti-militaristes » ¤ « 1927-1929 - Tentative de fermeture de l'école communale de Lestonan par René Bolloré » ¤ « Jean-Louis Le Roux, maire (1925-1929) » ¤ « AC'H François et RAULT Roger - Les écoles publiques de Lestonan, 1880-1930 » ¤ « J.M.C. Borrossi, née Le Bellec, institutrice de 1923 à 1936 » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

Le préfet Charles Vatrin [1], pour son dernier poste dans le Finistère avant sa retraite, est sollicité pour raisonner les protagonistes de ce conflit :

  • La municipalité et le maire [2] sont agacés contre les requêtes de l'instituteur, « vu les exigences continuelles de M. Gloaguen et les ennuis occasionnés par lui depuis son arrivée dans la commune », lui demandent de « réparer à ses frais les dégâts occasionnés à cette pompe », et suggèrent son transfert dans une autre commune.
  • L'instituteur, « un maître consciencieux, travailleur, qui conduit son école avec allant et qui prend à cœur l'intérêt de ses élèves », voudrait améliorer les conditions d'hygiène de son école.
  • L'inspecteur académique prend fait et cause contre ce qu'il ressent comme une injustice : « cette délibération du Conseil municipal est un acte d'ingratitude qui très sincèrement me fait de la peine ».
  • Le président de l'association mutualiste « Solidarité du Finistère » demande l'annulation de la délibération municipale formulant des « appréciations injustifiées ».

En fait ces échanges sur le conflit autour de la pompe à eau, apporte des informations intéressantes sur les conditions d'hygiène et d'organisation à l'école de Lestonan en cette première moitié de 20e siècle :

  • Le poêle, assurant le chauffage de chaque classe, fonctionne au charbon. En 1928 M. Gloaguen obtient de la mairie un nouveau poêle, mais par contre le 10 février il essuie un refus de réapprovisionnement de charbon, car les conseillers ont estimé que 200 kg par an et par classe étaient suffisants, aussi bien à Lestonan que pour les classes de Mme Borrossi au bourg.
  • La propreté de l'école passe par le renouvellement de peinture et la « désinfection » des classes et du logement de l'instituteur. Le conseil municipal parle de « luxe », lésine sur le nombre de couches de peinture et se plaint des dépenses engagées.
  • Une pompe permet d'amener de l'eau aux robinets affectés à la toilette des enfants : ce n'est pas une simple pompe à main car la dernière panne est due à « à un mauvais état de la soupape du piston ». Elle est sensible au froid car l'instituteur doit faire « un grand feu » pour la dégeler, ce qui fait fondre le « le tuyau de plomb ».
  • Le rapport de l'inspecteur stipule que « l'eau est nécessaire à la toilette des enfants, à Lestonan peut être plus qu'ailleurs car les épidémies y sont fréquentes ». Ce point, souligné au crayon bleu, est sans à imputer à un quartier où la pauvreté est plus marquée que dans le reste de la commune.
  • La volonté de bien faire son métier d'instituteur sans se mêler « de questions politiques » [3] est notée également par l'Inspecteur qui ajoute qu'il « ignore d'où en est venue l'initiative », ne croyant pas en celle du maire républicain de gauche, lequel est normalement un défenseur de l'école laïque.
 

Il faut dire que ces années 1927-29 sont troublées par un autre dossier, celui de la création de l'école confessionnelle de Lestonan par René Bolloré. Les Gloaguen sont bien sûrs opposés à cette nouvelle école [4], ainsi que Mme Lazou, directrice de l'école des filles de Lestonan.

Au delà de considérations politiques, les critiques à l'égard des Gloaguen sont sans doute issues de simples considérations personnelles, avec peut-être la mésentente avec son instituteur adjoint Jean Lazou.

In fine, M. Gloaguen ne sera pas transféré ailleurs, malgré le désir de la municipalité. Le maire républicain Jean-Louis Le Roux ne sera pas réélu, étant battu par des opposants conservateurs. En 1931 les Gloaguen seront nommés à l'école des garçons du Bourg en remplacement des Le Coant et le couple Lazou prendra la direction de l'école communale de Lestonan.

[modifier] 2 Transcriptions

10 mars - Conseil municipal

Département Finistère. Arrondissement Quimper. Mairie Ergué-Gabéric.

Objet : Demande de changement de M. Gloaguen, Directeur d'école à Lestonan.

Extrait du registre des délibération du conseil municipal.

L'an mil neuf cent vingt neuf le dix mars à huit heures du matin, le Conseil Municipal convoqué, s'est réuni en session extraordinaire, à la Mairie, sous la présidence de M. Jean Louis Le Roux, maire.

Conformément à l'art. 54 de la loi du 5 août 1884, la séance a été publique.

Etaient présents MM. Keribun J. Thépaut L., Quéré J. P., Le Meur G., Beulz R., Huitric H., Barré L., Le Grand P., Billon A., Laurent J., Laurent A., Le Grand J. Duprul A. et Le Roux Jean Louis, maire, formant la majorité des membres en exercice.

Absents : MM. Le Meur J., Le Berre P. et Cornic R.

M. Duvail Alain a été élu Secrétaire.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Le maire fait connaître au Conseil que par lettre du 6 courant Monsieur Gloaguen, Directeur d'école à Lestonan, demande la réparation de la pompe de son école d'urgence.

D'après renseignements recueillis, ce fonctionnaire s'est servi d'un grand feu pour dégeler la pompe en question, fondant ainsi une partie du tuyau de plomb par suite de la chaleur.

Le conseil, vu les exigences continuelles de M. Gloaguen et les ennuis occasionnés par lui depuis son arrivée dans la commune souhaite son changement le plus tôt possible et estime qu'il doit réparer à ses frais les dégâts occasionnés à cette pompe.

Fait en mairie à Ergué-Gabéric mes jour, moi et an que dessus et ont signé au registre les membres présents.

Pour copie conforme, le maire J.L. Le Roux.

25 avril - Inspecteur académique

Académie de Rennes. Ergué-Gabéric (Lestonan). École de garçons.

Inspection académique du Finistère. Quimper le 25 avril 1929. L'Inspecteur d'Académie du Finistère à Monsieur le Préfet du Finistère.

J'ai l'honneur de vous retourner la délibération ci-jointe du conseil municipale d'Ergué-Gabéric en date du 10 mars 1929.

M. l'Inspecteur primaire a été amené, dernièrement, à sentir l'hostilité du Conseil municipal contre M. Gloaguen. La commune n'avait fourni que 200 kg de charbon par classe. Cette quantité, notoirement insuffisante, fut épuisée vers le 10 février. M. Gloaguen et Mme Borrossi, directrice à Ergué-Gabéric, adressèrent une demande au Conseil municipal lequel, dans sa séance du 16 février refusa net tout supplément de chauffage.

M. Gloaguen saisit de l'affaire M. l'Inspecteur primaire qui se rendit à Ergué-Gabéric pour voir le Maire et obtint de lui ce que le conseil municipal avait, trois jours avant, refusé à M. Gloaguen et à Mme Borrossi.

M. l'Inspecteur primaire ajoute :

« Au cours de l'entretien que j'ai eu avec le Maire, je me suis rendu compte que l'hostilité du Conseil municipal à l'égard de M. Gloaguen.

On lui reproche le luxe de son appartement, on lui reproche de toujours demander quelque chose. Ses prédécesseurs étaient contents, ils ne demandaient jamais rien. Lui, il lui faut toujours quelque chose.

Ces griefs sont bien vagues. En les faisant préciser, j'ai obtenu que des réparations faites au logement de M. Gloaguen il y a deux ans avaient été plus onéreuses qu'on ne l'avait d'abord pensé. C'est tout. Et l'on a appelé luxe ce qui n'était qu'hygiène stricte et propreté.

J'ai si depuis, par M. Gloaguen, que la commune avait eu des mécomptes au sujet de ces réparations ; que la note fut enflée par l'entrepreneur qui porta sur son mémoire des travaux qui n'avaient pas été faites, comme deux couches de peinture pour une seule ... et encore pas partout. L'instituteur hérita du mécontentement.

J'ai su que M. Gloaguen avait dû demander un poêle l'an dernier. J'ai su aussi que la désinfection faite cette année sur les prescriptions du Conseil d'hygiène - mais malheureusement aux frais de la commune - avait fort mécontenté le conseil municipal.

La récente demande de chauffage vint accroître l'hostilité et cette histoire de pompe l'achève.

Pourtant M. Gloaguen en s'efforçant de dégeler la pompe n'a fait que ce que raisonnablement il devait faire. S'il avait écrit au Conseil municipal pour demander qu'on dégèle la pompe, il risquait d'attendre longtemps avant que le travail soit effectué, il risquait même de faire dire : "Il est bien exigeant, ne pourrait-il pas faire cela lui-même".

M. Gloaguen n'a pas été heureux dans son entreprise. C'est regrettable. L'ouvrier qu'on aurait envoyé pour cette besogne n'aurait peut-être pas été plus heureux. En tout cas la pompe est affectée au service scolaire. L'eau est nécessaire à la toilette des enfants, à Lestonan peut être plus qu'ailleurs car les épidémies y sont fréquentes. C'est donc à la commune qu'incombent les frais de la réparation.  »

 

Suite du rapport de l'inspecteur

« J'ajoute qu'au cours de mon entretien avec M. le Maire j'ai demandé à celui-ci s'il y avait lieu de se plaindre de M. Gloaguen en tant qu'instituteur. Il m'a répondu négativement. Le contraire m'eut étonné. M. Gloaguen est un maître consciencieux, travailleur, qui conduit son école avec allant et qui prend à cœur l'intérêt de ses élèves. Chaque année il remporte de beaux succès au certificat d'études et aux Bourses. J'ai montré à M. le Maire combien il était peu raisonnable de se plaindre d'un maître si laborieux auquel chaque année des enfants doivent leur situation.

Et ce sera là ma conclusion.

Cette délibération du Conseil municipal est un acte d'ingratitude qui très sincèrement me fait de la peine. Voilà un maître travailleur, fort discret par surcroît - je n'ai jamais entendu dire que M. Gloaguen se mêlât de questions politiques (en marge : ???) dans sa commune - qui fait à ses élèves tout le bien qu'un instituteur peut faire dans sa classe et il suffit qu'il réclame à la commune ce qui est nécessaire, strictement nécessaire à son école pour que le Conseil municipal ose écrire dans un procès-verbal de délibération qu'il souhaite son changement le plus tôt possible.

Je crois connaître assez M. le Maire de Ergué-Gabéric pour penser qu'il n'approuva pas en son for intérieur, cet acte mauvais. Mais j'ignore d'où en est venue l'initiative.

Il résulte des renseignements demandés à M. Gloaguen que le non fonctionnement de la pompe ne lui est pas imputable car, après cette tentative malheureuse de dégel M. Gloaguen a fait réparer à ses frais la pompe qui a fonctionné ensuite pendant une quinzaine de jours, mais à un mauvais état de la soupape du piston.

Les réparations sollicitées sont donc motivés non par le premier arrêt mais par le deuxième qui est dû à l'état d'usure de la pompe.

Au demeurant cette discussion n'a qu'une valeur strictement intrinsèque.

Comme on ne peut relever aucune faute morale contre le maître les frais d'entretien du matériel incombent à la commune.

(signature) »

17 juin - Association Solidarité

La Solidarité du Finistère. Association Départementale Autonome des Membres de l'Enseignement pour la Défense de leurs Intérêts (Déclarée conformément à la Loi du 1er Juillet 1901).

Beuzec-Conq le 17 juin 1929.

Monsieur le Préfet,

Dans une délibération du 10 mars dernier, dont une copie vient de m'être adressée, le Conseil municipal de la commune d'Ergué-Gabéric a formulé à l'égard de M. Gloaguen, Directeur de l’École publique de Lestonan, des appréciations qui me paraissent injustifiées, et la municipalité a exprimé le vœu que cet instituteur reçoive son changement le plus tôt possible.

J'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir examiner si cette délibération du Conseil municipal ne porte pas sur un objet étranger à ses attributions, et, dans l'affirmative, je vous serais vivement reconnaissant d'en ordonner l'annulation.

Veuillez recevoir, Monsieur le Préfet, l'expression de mes sentiments respectueux.

Signature : P. L'Haridon

19 juin - Cabinet du préfet

Cabinet du Préfet du Finistère. République Française. Quimper le 19 Juin 1929

Note à Monsieur le Chef de la 3ème Division.

Prière de vouloir bien communiquer d'urgence au Bureau du Cabinet la délibération prise, le 10 Mars dernier, par le Conseil Municipal d'Ergué-Gabéric dans laquelle il serait exprimé le vœu qu'un instituteur de cette commune reçoive son changement.

Pour le Préfet, le chef de Cabinet.

17 juillet - Préfet

Quimper, le 22 Juillet 1929

M. L'Haridon, Président de la Solidarité du Finistère

Monsieur,

En réponse à votre lettre du 17 Juin dernier au sujet d'une délibération du Conseil Municipal d'Ergué-Gabéric, j'ai l'honneur de vous faire savoir que le Conseil au cours de la délibération incriminée a simplement et incidemment "souhaité le changement" de l'Instituteur - sans en faire l'objet principal de sa délibération qui n'est d'ailleurs des difficultés locales d'administration.

Il ne me paraît pas dans ces conditions qu'il y ait lieu d'annuler la délibération en question.

Veuillez ...

[modifier] 3 Documents

Lieu de conservation :

  • Archives Départementales du Finistère.
  • Cote 2 0 409.
 

Usage, droit d'image :

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[modifier] 4 Annotations

  1. VATRIN, Charles Eugène Victor : 1899, 15 févr. : attaché au cabinet du préfet des Ardennes. 1899, 1er juill. : chef de cabinet du préfet des Ardennes. 1900, 10 mars : chef de cabinet du préfet du Puy-de-Dôme. 1904, 5 sept. : sous-préfet d'Ambert (Puy-de-Dôme). 1909, 21 avr. : sous-préfet de Parthenay (Deux-Sèvres). 1910, 3 oct. : sous-préfet de Lapalisse (Allier). 1914, 14 mars : sous-préfet de Sens (Yonne). 1914, 15 juill. : sous-préfet de Corbeil (Seine-et-Oise). 1920, 6 nov. : préfet de la Drôme. 1927, 14 juin : préfet des Vosges. 1929, 28 mai : préfet du Finistère. Mis à la disposition du ministre de l'Intérieur le 4 août 1931. Retraité, préfet honoraire le 18 nov. 1933. Cesse ses fonctions le 11 juin 1934. Source : francearchives.fr [Ref.↑]
  2. Jean-Louis Le Roux, élu sur le liste de Républicains, sera maire d'Ergué-Gabéric de 1925 à 1929. Défenseur de l'école laïque, il est délégué cantonal au comité départemental de l'Instruction primaire, et connu pour prendre ses références chez Maurice Bouilloux-Lafont et son journal « Le Finistère ». Sous la liste de "Concentration Républicaine", constituée de républicains modérés, il sera battu en mai 1929 par la liste conservatrice "Liste Républicaine et d'intérêt local" de Pierre Tanguy. [Ref.↑]
  3. M. Gloaguen ne semble pas avoir exprimé un activisme politique à Ergué-Gabéric, mais on peut noter que son nom apparaît dans la liste des instituteurs du Carnet B du ministère de l'Intérieur (cf ADF 1 T 165), liste constituée des instituteurs "notoirement acquis aux idées extrémistes". Il est également membre du conseil syndical des Syndicat de l'Enseignement laïque du Finistère. [Ref.↑]
  4. Henri Le Gars : « Je me souviens, lors de ma première année à l'école communale de Lestonan en 1928, Mme Gloaguen venant équeuté ses petits pois dans la cour de récréation, et nous disant : "l'année prochaine n'allez surtout pas à l'école privée !". » [Ref.↑]


Thème de l'article : Etude et transcriptions d'actes anciens

Date de création : Septembre 2015    Dernière modification : 10.06.2017    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]