GEMIE Sharif - La nation invisible, Bretagne 1750-1950
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Déguignet nous rapporte la réaction de la châtelaine. Elle refusa, tout d'abord, de croire au résultat de l'élection. Lorsque ceux-ci furent confirmés, elle se comporta « <i>comme une hyène enragée</i> ». Elle se rua sur ses terres, tentant de hurler à l'intention de ses ouvriers des mots qui lui restaient coincés dans la gorge : c'étaient des scélérats, des voleurs, des salauds, des pleutres, et pire encore. Elle se mit à frapper les ouvriers terrifiés, sa colère redoublant s'ils osaient protester. Elle les chassa tous - mais dut les rembaucher quelques jours plus tard. IL est certain que le témoignage de Déguignet ne doit pas être pris au premier degré, et l'on peut ainsi s'interroger sur le rôle exact qu'il aurait joué en convaincant ses concitoyens de voter républicain. Si l'on laisse de côté les détails les plus piquants, ce récit nous révèle beaucoup sur les relations d'autorité dans la Bretagne rurale. Ce que l'auteur nous apprend sur la distance qui séparait les électeurs ordinaires de l'élite des propriétaires terriens est corroboré par d'autres sources : le châtelain exerçait une sorte d'hégémonie « <i>naturelle</i> » sur les paysans et les ouvriers agricoles qui craignaient en permanence d'être renvoyés par leur maître. | Déguignet nous rapporte la réaction de la châtelaine. Elle refusa, tout d'abord, de croire au résultat de l'élection. Lorsque ceux-ci furent confirmés, elle se comporta « <i>comme une hyène enragée</i> ». Elle se rua sur ses terres, tentant de hurler à l'intention de ses ouvriers des mots qui lui restaient coincés dans la gorge : c'étaient des scélérats, des voleurs, des salauds, des pleutres, et pire encore. Elle se mit à frapper les ouvriers terrifiés, sa colère redoublant s'ils osaient protester. Elle les chassa tous - mais dut les rembaucher quelques jours plus tard. IL est certain que le témoignage de Déguignet ne doit pas être pris au premier degré, et l'on peut ainsi s'interroger sur le rôle exact qu'il aurait joué en convaincant ses concitoyens de voter républicain. Si l'on laisse de côté les détails les plus piquants, ce récit nous révèle beaucoup sur les relations d'autorité dans la Bretagne rurale. Ce que l'auteur nous apprend sur la distance qui séparait les électeurs ordinaires de l'élite des propriétaires terriens est corroboré par d'autres sources : le châtelain exerçait une sorte d'hégémonie « <i>naturelle</i> » sur les paysans et les ouvriers agricoles qui craignaient en permanence d'être renvoyés par leur maître. | ||
- | Dans de telles circonstances, il était difficile, voire impossible pour le peuple des campagnes de s'exprimer, car il n'existait ... | + | Dans de telles circonstances, il était difficile, voire impossible pour le peuple des campagnes de s'exprimer, car il n'existait pas de sphère publique où pouvait circuler l'information et se dérouler librement discussions et débats. Voter contre le châtelain requérait un type de courage qui faisait défaut à beaucoup, et même la possession d'informations que ne pouvaient obtenir les électeurs ordinaires. Sous cette domination en apparence tranquille existait cependant un ressentiment diffus, mais néanmoins profond, rumination sur l'injustice de l'ordre social plutôt que conscience de classe bien structurée. Il arrivait parfois que le républicanisme s'adresse à la colère rentrée des paysans, mais le langage qu'il utilisait à cet effet était trop abstrait, son attrait trop faible et ses propositions apparemment trop irréalistes pour convaincre fermiers et paysans de rompre leurs liens de subordination. |
Au premier abord, l'histoire que conte Déguignet paraît avoir une fin heureuse. Toutefois, comme toutes les histoires, elle se conclut par un tour inattendu. L'auteur souligne la victoire électorale décisive remportée par les républicains en 1877, mais commente comme suit l'action du gouvernement qui en était issu : « <i>Mais le malheur était que parmi les représentants de cette république démocratique, il n'y avait pas un seul démocrate ... [Dans la République], le vrai peuple n'avait aucun vrai représentant. En revanche, il y avait parmi ces représentants de beaux parleurs, des sophistes, des phraseurs qui savaient endormir le peuple avec la poudre de la rhétorique</i> ». | Au premier abord, l'histoire que conte Déguignet paraît avoir une fin heureuse. Toutefois, comme toutes les histoires, elle se conclut par un tour inattendu. L'auteur souligne la victoire électorale décisive remportée par les républicains en 1877, mais commente comme suit l'action du gouvernement qui en était issu : « <i>Mais le malheur était que parmi les représentants de cette république démocratique, il n'y avait pas un seul démocrate ... [Dans la République], le vrai peuple n'avait aucun vrai représentant. En revanche, il y avait parmi ces représentants de beaux parleurs, des sophistes, des phraseurs qui savaient endormir le peuple avec la poudre de la rhétorique</i> ». |
Version du 31 janvier ~ genver 2014 à 21:38
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Notice bibliographique
Sharif Gemie est professeur d'Histoire moderne et contemporaine à l'université du sud du pays de Galles. Dans cet ouvrage couvrant deux siècles d'histoire de la Bretagne, il analyse très finement l'identité de ce pays par les relations entretenues avec la nation française. Pour appuyer sa démonstration, il puise dans de multiples témoignages historiques, et notamment en reprenant plusieurs extraits des mémoires de Jean-Marie Déguignet (1834-1905).
Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « Déguignet s'oppose au candidat Bolloré lors des élections législatives de 1877 » ¤ « La mort subite des pommes de terre rouges en juillet 1845 » ¤ |
Extraits
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Annotations
- Il s'agit des élections législatives d'octobre 1877, et non des précédentes de février 1876 comme cela est indiqué par erreur dans les annotations de l'Intégrale des Mémoires de Jean-Marie Déguignet. En effet l'industriel Bolloré et l'avocat Hémon qui étaient déjà candidats en 1876, mais dans deux circonscriptions différentes, s'affrontèrent en 1877 dans la première circonscription de Quimper. [Ref.↑]
- Jean-René Bolloré (1818-1881), ancien chirurgien de la marine, est patron des papeteries Bolloré à Odet en Ergué-Gabéric à partir de 1862. Aux élections législatives de février 1876 et octobre 1877 il est le candidat officiel conservateur de la 2e, puis de la 1ère circonscription de Quimper. [Ref.↑]
- Louis Hémon (1844-1914) est un avocat et homme politique quimpérois. Il est élu député républicain de Quimper de 1876 à 1885 et de 1889 à 1912, puis sénateur du Finistère. Il connait son heure de gloire en 1897, lors d'un discours sur la validation d'un prêtre catholique, élu à Brest, où il dénonce les ingérences du clergé dans les élections. [Ref.↑]
Thème de l'article : Fiche bibliographique d'un livre ou article couvrant un aspect du passé d'Ergué-Gabéric Date de création : Février 2014 Dernière modification : 31.01.2014 Avancement : [Fignolé] |