Une parution inattendue Les Mémoires d'un paysan bas-breton [1] , parus fin 1999, étonnent à plus d'un titre. Ce livre a été présenté dans la
presse et à la radio, et a retenu l'attention d'un large public. Dans son introduction, Bernez Rouz considère ces mémoires comme "un document unique sur la société rurale bretonne du XJXe siècle". Parlant de Jean-Marie Déguignet, il indique que son "parti pris anticlérical est cependant dérangeant, ses arguments et ses anathèmes prêteraient, affirme-t-il, aujourd'hui à sourire". Il ajoute que Jean-Marie Déguignet est un pourfendeur du conservatisme, de la routine, qu'il est sensible aux thèses anarchistes et révolutionnaires, républicain et libre penseur.
Il précise également que certains passage du manuscrit "n'ont pas été retenus" (sic ! ) : digressions, commentaires antireligieux sur la vie de Jésus, lettres "délirantes" à des personnalités.
Pourquoi tant de précautions oratoires ? Ces mémoires, qui se lisent comme un roman d'aventures, présenteraient-ils un danger? Plus que le personnage lui-même, à l'ego démesuré et qui, lorsqu'il écrit, à la fin de sa vie, est à n'en pas douter paranoïaque, qui fut tour à tour mendiant, soldat, cultivateur, qui pratiquait, à 1' en croire, plusieurs langues ; plus que ses aventures hors du commun, qui le mènent de la Crimée en Italie, de la Kabylie au Mexique, ce sont les problèmes auxquels il se trouve confronté et les réflexions qu'il nous livre qui résonnent d'un extraordinaire écho aujourd'hui.
Ces quelques citations, entre autres, ne nous renvoient-elles pas au présent ?
En 1902, le gouvernement anticlérical d'Emile Combes décide l'expulsion des congrégations religieuses et l'interdiction de l'usage du breton dans les églises. Déguignet écrit à propos de l'expulsion des sœurs du Saint-Esprit, qui dirigent l'école des filles :
"L'évêque de Quimper et de Léon, qui ne sait pas un mot de tous ces vieux idiomes barbares, se met en quatre pour les défendre. Oh, je sais bien que ce n'est pas uniquement pour défendre une vieille langue qu'il ne connaît pas, que ce vieux crossé et mitré se démène ainsi. C'est parce qu'il sait bien que tant que les Bretons conserveront leurs divers charabias, ils ne pourront guère avancer dans la lumière, cette lumière que ces charlatans noirs veulent toujours cacher au populo."
À propos de l'Union régionaliste bretonne : tant que les Bretons ne "pourront lire que des livres bretons, qui ne sont que des livres religieux, ceux-ci resteront dans l'abrutissement et dans l' imbécillité, c'est-à-dire dans les meilleures conditions possibles pour être exploités
sur toutes les coutures".
Au cours de ses campagnes en Italie, en Kabylie et au Mexique, Déguignet souligne la bêtise, la cupidité des dirigeants militaires et politiques. Sébastopol, la guerre de Crimée, la description des tranchées, les blessés, les assauts et les morts inutiles :
"J'entendis le capitaine tempester : toujours les mêmes sottises, les mêmes stupidités. On veut que nous soyons tous massacrés ici jusqu'au dernier. Qu'est-ce que nous faisons ici, exposés plus que les autres à la mort, à une mort stupide ? "
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