Panégyrique à mes écrits, JMD - GrandTerrier

Panégyrique à mes écrits, JMD

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(Jean-Marie Déguignet, Rimes et Révoltes, p. 83-92.)

Maintenant je vais adresser un petit panégyrique à mes écrits, mes seuls amis qui me consolent un peu de l'ennui et de la misère dans mes vieux jours.

C'est à vous, mes écrits, qu'aujourd'hui je m'adresse,
Vous les consolateurs de ma triste vieillesse.
Vous êtes mes enfants, enfants infortunés,
Comme moi en ce monde, vous êtes ignorés.

Cet enragé guerrier, né roi d'une province
Qu'il pouvait gouverner en bon et sage prince,
S'en allant follement et pensant être dieu
Courir comme un bandit qui n'a ni feu ni lieu

Mais que deviendrez-vous, hélas ! après ma mort ?
Quel est votre destin, quel sera votre sort ?
Etes-vous destinés à être dévorés
Par les souris, les rats, ou vendus en paquets ?

Et traînant après lui les horreurs de la guerre
De sa vaste folie emplir toute la terre.
Et combien que j'en vois de ces êtres hideux
Honorés des hommes et mis au rang de dieux.

A faire des cornets chez l'épicier voisin
Pour envelopper du sucre, du poivre et du grain ?
Quel que soit votre sort, il ne sera pas pis
Que n'a été le mien, c'est moi qui vous le dis.

Mais heureusement aussi pour l'espèce humaine
Je vois quelques hommes qui sans peur et sans haine
Ont relevé très haut les vertus, les honneurs
En confondant les dieux et toutes leurs horreurs.

Si vous êtes mangés par les souris, les rats
Tant mieux mes bons amis, je ne vous plaindrai pas.
Il vaudrait mieux pour vous, être tous dévorés
Que de rester ici à être maltraités,

Je vais encore plus loin, le temps préhistorique
M'est aussi bien connu que l'époque biblique
Ce temps ou un dieu juif, Yavé le monstrueux,
Vint créer ce monde qui était déjà vieux

Ou rester pourrir comme ces vieux grimoires
Enfouis en paquets dans de vieilles armoires,
Ou même être imprimés, édités
Pour être par les sots critiqués, insultés,

Car je le vois naître et sortir de Phébus [1]
Après le Jupiter, entre Mars et Vénus
Et qui tourna longtemps sans barbe ni cheveux
Ainsi qu'un poltron dans le vide des cieux

Ainsi qu'ils sont toujours les écrits les plus francs
Les plus véridiques, les plus édifiants,
Nous voyons très souvent des écrits condamnés
Pour dire franchement de franches vérités.

Allant et revenant dans un mouvement rapide
N'ayant pour vêtement qu'une robe liquide
Puis du sein du liquide émergèrent des limons
Qui servirent à faire des dieux et des cochons

Tandis que des écrits comme les évangiles,
Faits pour voler les sots, berner les imbéciles,
Tous ces écrits menteurs, stupides, libertins
Sont fort recommandés comme écrits divins

Des prêtres, des fripons, des nationalistes,
Des jésuites fourbes et des opportunistes
Quand la terre donna de beaux fruits et des baumes
Alors on fabriqua des femmes et des hommes.

Ainsi que ces écrits tout aussi mensongers
Créés par nos rhéteurs et par nos romanciers
Ne soyez donc pas jaloux, vous mes pauvres écrits
De rester à jamais ignorés, inédits.

Mais mon esprit encore par ses forces, ses veilles,
Va sur cet univers contempler les merveilles.
Il vogue nuit et jour de planètes en planètes,
Du Soleil à la Lune, d'Uranus aux comètes.

Vous seriez mal à l'aise parmi ces faussetés
Nées des esprits fourbes et cerveaux détraqués
Parmi ces écrits sots, encombrant si inutiles
Qui font le désespoir des bons bibliophiles.

Et cet esprit qu'ici on dirait taciturne
Auprès des habitants de Mars et de Saturne
De ceux de Jupiter et de ceux d'Uranus
Auprès des bons enfants de la belle Venus,

Restez donc ignorés dans cette paix profonde
Pour n'être pas blâmés par les sots de ce monde
Car vous dites trop haut de bonnes vérités
Pour n'être pas encore traités, de faussetés

Est toujours gai, riant et heureux de vivre
Et dans ces planètes souvent il s'enivre
Des beautés et merveilles qu'il trouve en ces mondes
Des hommes aimables, de jolies filles blondes.

Et n'être pas traqués par les gens à soutanes
Lesquels viendront encore insulter à mes mânes.
« Rien n'est beau que le vrai » nous a dit Despréaux [2]
Mais rien n'est mieux pris non plus comme le faux.

Dans tous ces beaux mondes les hommes sont heureux.
Ils n'ont pas de prêtres, ni jésuites, ni dieux
On y voit pas non plus, ni tyrans, ni bourreaux,
Ni juges, ni maîtres, ni coquins, ni tribunaux,

Oui, « le vrai seul est beau, seul il est aimable
II doit régner partout, même dans la fable.
De toute fiction l'adroite fausseté
Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité ».

Partout dans ces mondes une grande: justice
Règne sans gendarmes, ni agents de police.
Car là, il n'y a pas de fripons exploiteurs
Qui sont cause chez nous de toutes les douleurs.

Tu parles bien mon vieux, p'est ainsi que tu fis
Par d'adroites faussetés, briller ton grand Louis [3],
Te comparant toi-même dans ta verve futile.
Aux vieux chantres d'Auguste [4], au célèbre Virgile [5].

On y voit que des hommes, des amis, et des frères
Et de belles filles avec de bonnes mères.
C'est ainsi que grâce à mes heureux-écrits.
Je vois toutes choses même le paradis.

De ton roi de sérail, ignoble Salomon [6]
Tu fis un Jupiter [7], un Mars [8], un Apollon [9].
Tout chez lui, dragonnades, meurtres, Édit de Nantes [10]
Deviennent en tes faux vers, des actions brillantes.

Ce bouge inventé par le bandit Jésus
Pour loger ses catins et ses moines ventrus.
Mon esprit en tous lieux voyage sans répit
Sans prendre de repos, ni le jour ni la nuit.

Tu fis même, farceur, en vers dithyrambiques,
Des horreurs de ce temps, des délices publiques.
C'est ainsi qu'en tout temps les peuples sont trompés
Par les belles fables des écrivains gagés.

Voilà comment je vis d'une seconde vie
Grâce à mes écrits, à ma philosophie.
Je vis dans tous les temps chez les peuples divers
Et dans tous les globes qui peuplent l'univers.

Partout et en tout temps l'horrible fausseté
Empêche de briller la pauvre vérité :
Le vrai et le bon sens, lumière et raison
Restent anéantis devant la fiction.

Dans une seule nuit mon esprit agité.
Fait de cet univers courir l'immensité
En s'arrêtant partout dans ces mondes mouvants
A causer, à rire avec leurs habitants,

Mais j'allais m'égarer dans les écrits d'autrui
Quand seulement des miens il s'agit aujourd'hui.
Ces enfants qui sont nés de mes derniers amours
Qui sont mes seuls bonheurs dans mes derniers vieux jours.

Laissant sur son grabat son vieux et pauvre corps
Se rouler, se tordre en douloureux efforts
Car il voudrait aussi le pauvre imbécile
Suivre dans l'espace son esprit indocile.

Dans ces écrits loyaux qui tombent de ma plumé
J'étouffe mes ennuis et brave l'amertume.
Et j'écoule mes jours en cette compagnie
Sans honte, sans regrets, sans aucune envie.

Notre esprit, dit-on, est la moitié du corps
Mais pourquoi cet esprit m'abandonne alors
Laissant là son vieux corps accroupi comme un sot
Pendant qu'il va heureux se promener là-haut

Souvent en leur source, je bois, je m'enivre
Et d'une seconde vie je me sens revivre
Par ces enfants chéris issus de ma mémoire
Je parcours le ciel, la terre et l'histoire.

Parmi les merveilles de la grande Uranus
Et voir les belles filles de la belle Vénus.
Mais qu'est-ce que l'esprit ? Est-ce une matière ?
Est-il une personne ? Est-il une lumière

Sans sortir de mon trou et sans aucun effort
Je contemple le monde du Midi jusqu'au Nord
Et par ma vision qui n'a rien d'étrange
Je vois d'ici le Nil, l'Euphrate et le Gange [11]

Qui éclaire son corps et rayonne en tous lieux
Perçant notre globe et la voûte des Cieux ?
Serait-il un être psycho-métaphysique
Ou un simple fluide électromagnétique,

Des bords desquels jadis tant de peuples divers
Sont partis par bandes ravager l'univers.
Je vois sortir là-bas des fanges Mistides (?)
Ostrogoths et Vandales et Goths et Gépides [12]

Fluide invisible mais perçant et subtil
Qui irait en tout lieu sans rayon et sans fil ?
C'est bien là, je le crois, qu'est ce spiritu,
Cet oiseau symbolique dans les dieux confondu.

Qui apportent partout par le fer, la rapine
La désolation, la mort et la ruine.
Je vois sortir aussi de ces forêts germaines
Des tigres et des loups aux figures humaines,

Tous les psychologues et les théologiens
Ont fait du fluide les âmes des chrétiens,
Mais quoiqu'ils en disent en prose, en poésie
Ils n'ont jamais montré une âme en vie,

Sauvages, sanguinaires et sans foi et sans lois
Faire des champs de mort de tous les champs gaulois.
Et ces moines fourbes sortirent de l'Orient
Pour apporter la Croix, dans le vieil Occident

Une âme séparée, indépendante du corps
Et ne feront jamais malgré tous leurs efforts.
Cependant d'après [eux] elle est une substance
Douée d'activité, force, intelligence

Et forcer les peuples, par le fer et le feu,
D'adorer un bandit qu'ils venaient de faire dieu.
Je vois encore plus loin ; d'ici je vois Pergame [13]
Dardanos [14], Ilion [15], et je vois Troie en flammes

Et qui ne meurt jamais, se porte toujours bien.
Que devient-elle alors puisqu'il ne reste rien
Après la mort du corps qu'une vile matière
Oui deviendra bientôt une sale poussière ?

Je vois le brave Hector [16] attaché par les pieds
Traîné autour des murs, les membres déchirés.
Je vois partir Enée [17] portant sur ses épaules
Son père et ses dieux ayant encore des rôles

Lucrèce [18] et Pythagore [19] dans la métempsycose
Prétendent que l'âme est aussi quelque chose
Qui passe et repasse de l'homme au végétal,
Du végétal à l'homme ou autre animal.

Plus grands que les premiers à jouer en ce monde ;
Étant fils de Vénus [20] cette mère féconde,
II avait à faire un grand voyage aux Enfers
À rendre ses enfants maître de l'univers.

Ceux-là ont confondu l'âme et la matière.
Dans ce petit monde il n'y a que poussière
Toujours se décomposant et se recomposant
Formant de tous les êtres la vie et le mouvement.

Je vois encore ce grec nommé Alexandre [21]
Mettre par sa folie toute l'Asie en cendres.
Ce fougueux conquérant, qui de sang altéré
Maître du monde entier, s'y trouvait trop serré,

Il est naturel, nous le savons fort bien
Que rien en ce monde ne se fait de rien.
Tout ce qui est, a été, et il sera toujours,
II n'y a que les formes qui changent tous les jours.

Mais je crois qu'en voilà assez de poésie pour remercier mes écrits, ces compagnons uniques de mes vieux jours, mes seules occupations et mes seuls plaisirs. Boileau, le grand flatteur du roi des rois, du Salomon français, fit aussi un poème pour dire adieu à ses vers dont voici les derniers :

« Mais je vous retiens trop. C'est assez vous parler,
Déjà plein du bon feu qui pour vous le transporte.
Barbin, impatient, chez moi frappe à la porte
II vient pour vous chercher ; c'est lui, j'entends sa voix.
Adieu mes vers, adieu pour la dernière fois. »

Boileau disait adieu à ses vers, mais il savait où ils allaient et ce qu'ils deviendraient. Moi je dis aussi adieu à mes écrits mais sans savoir où ils iront, ce qu'ils deviendront ? Je viens de dire que j'ai remercié mes écrits en poésie. Mais est-ce bien de la poésie cela ? Sont-ils bien des vers, ces mots plus ou moins rythmés et rimes ? Car pour faire des vers, il faut selon Despréaux, le grand maître du Parnasse [22], avoir non seulement du génie, mais encore être né sous l'étoile Goliope [23] et être inspiré par toutes les divinités poétiques du ciel, sinon faites-vous maçon-ou goujat plutôt que de vouloir être poète.

Vous donc qui, brûlant d'une ardeur périlleuse
Couvez du bel esprit la carrière épineuse.
N'allez pas sur des vers en vain vous consumer.
Et prendre pour génie un amour de rimer.
Car je ne puis souffrir un esprit de travers
Qui pour rimer des mots puisse faire des vers.

Certains psychologues disent que pour faire des vers il faut être fou, ou être en extase, ce qui est la même chose. Je ne sais pas. Mais je dis que pour faire des vers, il faut penser et chercher beaucoup. Et ce fameux Boileau, lui-même, disait qu'il fallait prendre cent fois le marteau et la lime pour arriver à bien polir un penne et que quand il écrivait quatre vers il y avait toujours trois mauvais qu'il fallait supprimer. Lui qui avait avec lui tous les dieux et toutes les déesses du Parnasse et son grand maître Horace, qu'il a du resté imité dans tous ses poèmes. Et encore pour l'exciter, les louis d'or que le roi des catins lui donnait pour payer ses flatteries.

De mes vers je ne mets pas la qualité en cause
II me suffit de savoir qu'ils disent quelque chose,
Bien ou mal faits, oh ! que cela m’importe peu
Je ne serai pas blâmé par Satan ni par Dieu.


Notes :

  1. Phébus : le soleil chez les Romains. [Ref.↑]
  2. # Despréaux : surnom de Boileau (1636-1711) auteur de l'Art poétique [Ref.↑]
  3. Grand Louis : Louis XIV. [Ref.↑]
  4. Auguste : empereur romain, petit-neveu de Jules César. [Ref.↑]
  5. Virgile : poète latin (70-19 av. J.-C.), auteur des Géorgiques et des Bucoliques. [Ref.↑]
  6. Salomon : roi d'Israël, successeur de David. [Ref.↑]
  7. Jupiter : roi des dieux chez les Romains. [Ref.↑]
  8. Mars : dieu romain de la guerre et de l'agriculture. [Ref.↑]
  9. Apollon : dieu romain de la beauté. [Ref.↑]
  10. Dragonnade et Edit de Nantes : Louis XIV révoquat l'Edit de Nantes et pour forcer la conversion des derniers protestants les obligea à héberger ses troupes de dragons, d'où le terme de dragonnades. [Ref.↑]
  11. Nil, Euphrate et Gange étaient réputés être les fleuves du Paradis. Ils s'agit en tout cas de fleuves sacrés. [Ref.↑]
  12. Goth et Ostrogoth : Les Goths venaient de l'actuelle Scandinavie, les Ostrogoths sont une branche de ses derniers, dont le noms signifie : "les Goths de l'Ouest". Vandales : peuple d'Asie qui traversa toute l'Europe et s'intalla en Andalousie. Gépides : peuple germain exterminé par les Lombards au VIe siècle. [Ref.↑]
  13. Pergame : ancienne ville d'Asie Mineure, siège d'un royaume. [Ref.↑]
  14. Dardanos : fondateur légendaire de Troie. [Ref.↑]
  15. Ilion : l'un des noms de Troie. [Ref.↑]
  16. Hector : chef troyen. [Ref.↑]
  17. Enée : prince troyen, héros d'Enéide, où il est conté qu'il quitta Troie en flamme portant son père sur ses épaules. [Ref.↑]
  18. Lucrèce : poète latin (98-55 av. J.-C.). [Ref.↑]
  19. Pythagore : philosophe et mathématicien grec (VIe siècle av. J.-C.). [Ref.↑]
  20. Vénus : déesse romaine de l'amour. [Ref.↑]
  21. Alexandre : roi de Macédoine (336-323 av. J.-C.), surnommé Le Grand, pour avoir conquis l'empire perse. [Ref.↑]
  22. Parnasse : école poétique. [Ref.↑]
  23. Goliope : Déguignet fait sans doute référence à Calliope muse protectrice de la poésie épique. [Ref.↑]