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CROQUIS DU LUNDI (27.03.2000) par HERVÉ JAOUEN


Deguignet et le polar régional

Notre région, ces derniers mois, a été marquée par deux phénomènes : le succès, aussi considérable qu'imprévu, des Mémoires d'un paysan bas-breton de Jean-Marie Deguignet, et la multiplication de titres dans un genre qui fait florès, et qu'on pourrait appeler le nouveau polar régional breton. Quels liens peut-on trouver entre ces deux phénomènes à priori antithétiques ?

Le Breton a longtemps souffert de terribles complexes. En les évacuant, il s'est forgé une haute idée de ses réelles qualités et semble souvent enclin à refuser tout regard critique. Le polar, un mot qui qualifiait à l'origine les romans de série noire, durs, écrits dans une langue drue, sentant le soufre, n'est pas une littérature dont la mission est de donner de la société une image proprette et maquillée, bien au contraire. Les nouveaux polars régionaux, dans leur majorité plus proches des énigmes aseptisées d'une Agatha Christie que du roman noir américain, font seulement semblant d'aborder les problèmes de société, et renvoient de la Bretagne une image consensuelle, rassurante et sous-exposée.

 

Or le polar, le vrai, l'universel, est une littérature surexposée. Le succès des mémoires de Jean-Marie Deguignet serait-il dû à une secrète fringale de vérité ? Voilà un bonhomme qui ne mâche pas ses mots : anticlérical, antimilitariste, anarchiste, iconoclaste ne dit-il pas à notre place des vérités qu'on taisait ? Que la Bretagne a toujours été plurielle ? Qu'elle a toujours compté en son sein des contempteurs de ses travers, et qui n'en sont pas moins amoureux d'elle ? La lecture de son livre procurerait-elle la jouissance coupable d'avoir eu parmi nos ancêtres un grand assassin d'images d'Epinal ?

Oui, Deguignet tend enfin à la Bretagne ce miroir dans lequel elle n'osait pas se regarder. Sauf que ce miroir est celui du passé. Mais c'est déjà un grand pas vers la guérison d'une espèce de presbytie collective qui fait que nous nous voyons plus beaux de loin que de près.