Les séjours de Jean-Marie Déguignet à l'hospice de Quimper - GrandTerrier

Les séjours de Jean-Marie Déguignet à l'hospice de Quimper

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Ce fut ce jour-là que ce maire, remarquant ma blessure qu'il connaissait du reste depuis longtemps, me demanda si j'aurais été content d'aller à l'hospice où je serais certainement guéri de cette vilaine blessure. Ce fut ce jour-là que ce maire, remarquant ma blessure qu'il connaissait du reste depuis longtemps, me demanda si j'aurais été content d'aller à l'hospice où je serais certainement guéri de cette vilaine blessure.
-Et deux jours après, ma mère me conduisait à l’hospice de Quimper.+« Mais oui, lui dis-je, certainement, je serais content d'y aller.
-A l’entrée de cet hospice <ref>Hôpital civil de Quimper : déplacé en 1801 sur la colline de Creac'h Euzen dans les locaux du vieux séminaire (où fut au 20e l'Hôpital Gourmelen). En 1824, le Conseil général y créa en plus, un hôpital psychiatrique. L'adresse de l'établissement était le 1, rue de l'Hospice. On l'appelait également l'asile Saint-Athanase.</ref>, il y avait un calvaire, et ma mère me montra un grand Christ dont la main gauche était fermé sur le clou. Elle me dit que cette main s’était fermée une nuit qu’une personne très riche avait envoyé dans le tourniquet un enfant. Elle s’agenouilla, et me fit s’agenouiller auprès d’elle, sur la marche du calvaire pour réciter un Pater et [un] Ave, puis me conduisit au bureau d’entrée. Aussitôt nous fumes séparés. Ma mère s’en alla en pleurant et moi aussi, je suivais la sœur en pleurant <ref>Les soins aux malades étaient assurés par les Filles du Saint-Esprit.</ref>, qui me conduisait dans une grande salle, pleine de monde, les uns dans leur lit, les autres assis à côté. Tous me regardaient comme une curiosité nouvelle. Car dans les lits de douleurs et d’ennui, un nouvel arrivant est toujours un événement. On me montra mon lit, le seul vide qu’il y avait dans la salle et dont le voisin, un pauvre breton comme moi, me dit que le précédant occupant de ce lit, était enterré le jour même. On me donna des effets d’hospice qu’il fallait mettre de suite. La sœur voyait bien que je n’étais pas malade de cœur me donna un peu de soupe le soir, avec les autres.+- Eh bien, dit-il, tu n'as qu'à dire à ton père ou ta mère de venir me trouver, et tu y seras bientôt ».
 + 
 +Quand je dis ça à ma mère, celle-ci fit un peu la grimace, et mon père, quand il entra le soir, secoua la tête. Ils pensaient bien que je serais guéri de la tête, mais ils songèrent toujours que le mal se transporterait ailleurs, à un endroit quelconque plus dangereux encore, mais enfin, voyant que j'étais content d'aller, ils cédèrent à leur préjugé. Et deux jours après, ma mère me conduisait à l’hospice de Quimper.
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 +A l’entrée de cet hospice <ref>Hôpital civil de Quimper : déplacé en 1801 sur la colline de Creac'h Euzen dans les locaux du vieux séminaire (où fut au 20e l'Hôpital Gourmelen). En 1824, le Conseil général y créa en plus, un hôpital psychiatrique. L'adresse de l'établissement était le 1, rue de l'Hospice. On l'appelait également l'asile Saint-Athanase.</ref>, il y avait un calvaire, et ma mère me montra un grand Christ dont la main gauche était fermé sur le clou. Elle me dit que cette main s’était fermée une nuit qu’une personne très riche avait envoyé dans le tourniquet un enfant. Elle s’agenouilla, et me fit s’agenouiller auprès d’elle, sur la marche du calvaire pour réciter un Pater et [un] Ave, puis me conduisit au bureau d’entrée. Aussitôt nous fumes séparés. Ma mère s’en alla en pleurant et moi aussi, je suivais la sœur <ref>Les soins aux malades étaient assurés par les Filles du Saint-Esprit.</ref> en pleurant, qui me conduisait dans une grande salle, pleine de monde, les uns dans leur lit, les autres assis à côté. Tous me regardaient comme une curiosité nouvelle. Car dans les lits de douleurs et d’ennui, un nouvel arrivant est toujours un événement. On me montra mon lit, le seul vide qu’il y avait dans la salle et dont le voisin, un pauvre breton comme moi, me dit que le précédant occupant de ce lit, était enterré le jour même. On me donna des effets d’hospice qu’il fallait mettre de suite. La sœur voyant bien que je n’étais pas malade de cœur me donna un peu de soupe le soir, avec les autres.
Le lendemain matin, quand le médecin vint, et quand il vit ma tête, il ordonna de me couper les cheveux et d’enlever cette espèce de plaque formée par le pus qui couvrait la blessure. Cela fait, le médecin revint et après avoir considéré et palpé la blessure, il prit une espèce de crayon à bout blanc, et commença à piquer tout le pourtour de la plaie : il me semblait que c’était un fer rouge qui me piquait. Après son départ, je demandais à mon voisin ce que c’était que ce crayon ; il me dit que c’était une pierre de l’enfer, eur men eus ann ifern, [c’est] pour ça qu’elle brûlait en effet ; cependant je n’avais rien dit ; car alors comme durant toute ma vie, j’étais dur à la souffrance. J’ai souvent pleuré en voyant souffrir les autres, mais pour mes propres souffrances, jamais ! Le Dieu des souffrances cependant, s’il y en a un, sait que j’en ai eu ma part. Le lendemain matin, quand le médecin vint, et quand il vit ma tête, il ordonna de me couper les cheveux et d’enlever cette espèce de plaque formée par le pus qui couvrait la blessure. Cela fait, le médecin revint et après avoir considéré et palpé la blessure, il prit une espèce de crayon à bout blanc, et commença à piquer tout le pourtour de la plaie : il me semblait que c’était un fer rouge qui me piquait. Après son départ, je demandais à mon voisin ce que c’était que ce crayon ; il me dit que c’était une pierre de l’enfer, eur men eus ann ifern, [c’est] pour ça qu’elle brûlait en effet ; cependant je n’avais rien dit ; car alors comme durant toute ma vie, j’étais dur à la souffrance. J’ai souvent pleuré en voyant souffrir les autres, mais pour mes propres souffrances, jamais ! Le Dieu des souffrances cependant, s’il y en a un, sait que j’en ai eu ma part.
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 +En allant à l'hospice, j'avais deux idées en tête. D'abord l'idée qu'on me guérirait cette horrible et ennuyeuse blessure, puis l'idée que je pourrais peut-être apprendre un peu de français. Mais pour ceci je fus déçu du premier coup, car il n'y avait là que des Bretons : des paysans comme moi, des pêcheurs de la côte et des ouvriers. Ces derniers savaient bien un peu le français, mais ils ne parlaient presque jamais.
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 +En revanche, on pouvait apprendre des comtes et des légendes bretons. On n'entendait que cela. En ce temps-là les paysans, les ouvriers, les pêcheurs, n'ayant aucune instruction, ne pouvaient parler que de ces choses-là, les seules qui faisaient les frais des conversations, des causeries en tous lieux quand quelques personnes se trouvaient réunies, et qui n'avaient pas autre chose à faire [...] Mais je le répète, je n'appris là, en fait de comtes et légendes, rites et autres bretonneries, [rien] que je ne savais déjà.
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 +Je ne m'ennuyais pas trop à l'hospice ...
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Version du 14 décembre ~ kerzu 2012 à 22:57

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Dans ses mémoires, Jean-Marie Déguignet ...

Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ 

1 Présentation

 


2 Sélection de textes

1. Séjour à 14 ans en 1848

Intégrale, page 83-86.

Ce fut ce jour-là que ce maire, remarquant ma blessure qu'il connaissait du reste depuis longtemps, me demanda si j'aurais été content d'aller à l'hospice où je serais certainement guéri de cette vilaine blessure.

« Mais oui, lui dis-je, certainement, je serais content d'y aller.

- Eh bien, dit-il, tu n'as qu'à dire à ton père ou ta mère de venir me trouver, et tu y seras bientôt ».

Quand je dis ça à ma mère, celle-ci fit un peu la grimace, et mon père, quand il entra le soir, secoua la tête. Ils pensaient bien que je serais guéri de la tête, mais ils songèrent toujours que le mal se transporterait ailleurs, à un endroit quelconque plus dangereux encore, mais enfin, voyant que j'étais content d'aller, ils cédèrent à leur préjugé. Et deux jours après, ma mère me conduisait à l’hospice de Quimper.

A l’entrée de cet hospice [1], il y avait un calvaire, et ma mère me montra un grand Christ dont la main gauche était fermé sur le clou. Elle me dit que cette main s’était fermée une nuit qu’une personne très riche avait envoyé dans le tourniquet un enfant. Elle s’agenouilla, et me fit s’agenouiller auprès d’elle, sur la marche du calvaire pour réciter un Pater et [un] Ave, puis me conduisit au bureau d’entrée. Aussitôt nous fumes séparés. Ma mère s’en alla en pleurant et moi aussi, je suivais la sœur [2] en pleurant, qui me conduisait dans une grande salle, pleine de monde, les uns dans leur lit, les autres assis à côté. Tous me regardaient comme une curiosité nouvelle. Car dans les lits de douleurs et d’ennui, un nouvel arrivant est toujours un événement. On me montra mon lit, le seul vide qu’il y avait dans la salle et dont le voisin, un pauvre breton comme moi, me dit que le précédant occupant de ce lit, était enterré le jour même. On me donna des effets d’hospice qu’il fallait mettre de suite. La sœur voyant bien que je n’étais pas malade de cœur me donna un peu de soupe le soir, avec les autres.

Le lendemain matin, quand le médecin vint, et quand il vit ma tête, il ordonna de me couper les cheveux et d’enlever cette espèce de plaque formée par le pus qui couvrait la blessure. Cela fait, le médecin revint et après avoir considéré et palpé la blessure, il prit une espèce de crayon à bout blanc, et commença à piquer tout le pourtour de la plaie : il me semblait que c’était un fer rouge qui me piquait. Après son départ, je demandais à mon voisin ce que c’était que ce crayon ; il me dit que c’était une pierre de l’enfer, eur men eus ann ifern, [c’est] pour ça qu’elle brûlait en effet ; cependant je n’avais rien dit ; car alors comme durant toute ma vie, j’étais dur à la souffrance. J’ai souvent pleuré en voyant souffrir les autres, mais pour mes propres souffrances, jamais ! Le Dieu des souffrances cependant, s’il y en a un, sait que j’en ai eu ma part.

En allant à l'hospice, j'avais deux idées en tête. D'abord l'idée qu'on me guérirait cette horrible et ennuyeuse blessure, puis l'idée que je pourrais peut-être apprendre un peu de français. Mais pour ceci je fus déçu du premier coup, car il n'y avait là que des Bretons : des paysans comme moi, des pêcheurs de la côte et des ouvriers. Ces derniers savaient bien un peu le français, mais ils ne parlaient presque jamais.

En revanche, on pouvait apprendre des comtes et des légendes bretons. On n'entendait que cela. En ce temps-là les paysans, les ouvriers, les pêcheurs, n'ayant aucune instruction, ne pouvaient parler que de ces choses-là, les seules qui faisaient les frais des conversations, des causeries en tous lieux quand quelques personnes se trouvaient réunies, et qui n'avaient pas autre chose à faire [...] Mais je le répète, je n'appris là, en fait de comtes et légendes, rites et autres bretonneries, [rien] que je ne savais déjà.

Je ne m'ennuyais pas trop à l'hospice ...

 

1. Séjour à 71 ans en 19058

Intégrale, page 866-867.

Pour les autres espèces animales, on encourage ...


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  1. Hôpital civil de Quimper : déplacé en 1801 sur la colline de Creac'h Euzen dans les locaux du vieux séminaire (où fut au 20e l'Hôpital Gourmelen). En 1824, le Conseil général y créa en plus, un hôpital psychiatrique. L'adresse de l'établissement était le 1, rue de l'Hospice. On l'appelait également l'asile Saint-Athanase. [Ref.↑]
  2. Les soins aux malades étaient assurés par les Filles du Saint-Esprit. [Ref.↑]




Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Décembre 2012    Dernière modification : 14.12.2012    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]