Le métier de mendiant et la lutte contre le paupérisme selon Déguignet - GrandTerrier

Le métier de mendiant et la lutte contre le paupérisme selon Déguignet

Un article de GrandTerrier.

(Différences entre les versions)
Jump to: navigation, search
Version du 7 septembre ~ gwengolo 2018 à 13:52 (modifier)
GdTerrier (Discuter | contributions)

← Différence précédente
Version du 7 septembre ~ gwengolo 2018 à 15:04 (modifier) (undo)
GdTerrier (Discuter | contributions)

Différence suivante →
Ligne 65: Ligne 65:
Que les riches de la ville et la municipalité fassent comme ces insectes ainsi que les paysans l'ont déjà fait et la plus difficile de toutes les questions sociales humaines sera aussi résolue. Il y en a du reste ici en ville plusieurs propriétaires qui travaillent dans ce but et aussi la municipalité, détruisant toutes les petites et vieilles maisons et ne bâtissant plus que de grandes maisons et des hôtels dans lesquels les vagabonds, les miséreux ni les mendiants ne seront certainement pas admis. Il ne reste plus que quelques petites rues et ruelles où les braconniers, les miséreux et les mendiants s'entassent comme des lapins. Quand ces rues et ruelles auront été démolies et les masures qu'elles renferment remplacées par de belles maisons bourgeoises, on verra la fin du paupérisme à Quimper. Chassés de la ville, repoussés de la campagne, il faudra bien que les pauvres gueux disparaissent comme les frelons chassés de la ruche. Et ces propriétaires et les édiles auront plus fait pour la société en la débarrassant de son plus terrible fléau que les philanthropes, dont le but est d'entretenir et d'encourager le paupérisme et la mendicité; ne vaudrait-il pas mieux supprimer d'un seul coup toutes ces misères sociales que de les entretenir perpétuellement avec d'hypocrites et mensongères questions d'humanité et de philanthropie. Ici, je plaide pour moi-même ou contre moi-même si l'on veut, car dans la suppression des pauvres, je serais sans doute un des premiers à passer. Cela ne me ferait aucune peine. A quoi bon être dans un monde où on a aucune place, ni au soleil, ni à table. Si un cultivateur s'musait à entretenir chez lui des animaux dont il n'aurait ni nourriture à leur donner, ni place pour les loger, on le forcerait à les abattre ou à s'en défaire d'une façon quelconque, car il est défendu de faire souffrir les animaux. Que les riches de la ville et la municipalité fassent comme ces insectes ainsi que les paysans l'ont déjà fait et la plus difficile de toutes les questions sociales humaines sera aussi résolue. Il y en a du reste ici en ville plusieurs propriétaires qui travaillent dans ce but et aussi la municipalité, détruisant toutes les petites et vieilles maisons et ne bâtissant plus que de grandes maisons et des hôtels dans lesquels les vagabonds, les miséreux ni les mendiants ne seront certainement pas admis. Il ne reste plus que quelques petites rues et ruelles où les braconniers, les miséreux et les mendiants s'entassent comme des lapins. Quand ces rues et ruelles auront été démolies et les masures qu'elles renferment remplacées par de belles maisons bourgeoises, on verra la fin du paupérisme à Quimper. Chassés de la ville, repoussés de la campagne, il faudra bien que les pauvres gueux disparaissent comme les frelons chassés de la ruche. Et ces propriétaires et les édiles auront plus fait pour la société en la débarrassant de son plus terrible fléau que les philanthropes, dont le but est d'entretenir et d'encourager le paupérisme et la mendicité; ne vaudrait-il pas mieux supprimer d'un seul coup toutes ces misères sociales que de les entretenir perpétuellement avec d'hypocrites et mensongères questions d'humanité et de philanthropie. Ici, je plaide pour moi-même ou contre moi-même si l'on veut, car dans la suppression des pauvres, je serais sans doute un des premiers à passer. Cela ne me ferait aucune peine. A quoi bon être dans un monde où on a aucune place, ni au soleil, ni à table. Si un cultivateur s'musait à entretenir chez lui des animaux dont il n'aurait ni nourriture à leur donner, ni place pour les loger, on le forcerait à les abattre ou à s'en défaire d'une façon quelconque, car il est défendu de faire souffrir les animaux.
-Sur cette façon de supprimer le paupérisme, on peut considérer que les Américains du nord comme étant les plus avancés. À l'égard ...+Sur cette façon de supprimer le paupérisme, on peut considérer que les Américains du nord comme étant les plus avancés. À l'égard des Indiens qui ne voulaient pas se civiliser, ni travailler, ils ont agi comme ont fait nos riches paysans à l'égard des journaliers inutiles. Et ces pauvres Indiens repoussés de partout ont disparu complètement, et maintenant ils agissent de même à l'égard des émigrants de toute provenance ; ils ne reçoivent que les riches, sains de corps et d'esprit, les autres sont imperturbablement repoussés. Que toutes les puissances en fassent autant et bientôt la terre sera délivrée du paupérisme et de tous les fléaux qu'il engendre.
-Si quelques malheureux venaient à lire ceci, ... ici-bas ?+Si quelques malheureux venaient à lire ceci, ils me traiteraient assurément de fou ou de misérable misanthrope, d'anti-humain. De la folie, nous en avons un peu tous, d'après les physiologistes modernes, mais pour être misanthrope et anti-humain je ne le suis pas. J'ai trop pleuré et je pleure toujours sur les misères de l'humanité, et je voudrais de tout mon cœur les voir finir, au moins dans la mesure où l'homme peut les atteindre. vous vous dites bien, mes pauvres amis, puisque je vous entends tous les jours, que vous êtes des créatures de Dieu comme les riches, et comme eux vous avez le droit à l'existence. Oui, d'après les lois naturelles vous avez autant de droits à l'existence que les rois et les princes. Le roitelet jouit de l'existence du soleil et de la liberté autant que l'aigle. Mais à vous, petits êtres humains, les lois conventionnelles des grands vous refusent formellement le droit à l'existence, que vous soyez créature de Dieu ou enfant de la nature. On vous a tolérés jusqu'à présent par habitude et par charité, mais le temps approche, il est même arrivé où on ne tolérera plus les êtres inutiles et nuisibles, soit bipèdes ou quadrupèdes. Voyez dans les divers codes français, déjà vieux de cent ans cependant, s'il y a place pour vous sous le soleil en ce pays, non ! Il n'est question de vous dans ces codes, que dans celui qui punir, et c'est pour vous dire que vous n'avez rien qui vous appartienne, c'est vous dire carrément qu'il faut disparaître et aller dans un autre royaume, dans celui de Jésus par exemple, que celui-ci créa spécialement pour les pauvres et duquel les riches sont complètement exclus, car « il est aisé qu'un chameau passe par le trou d'une aiguille qu'il ne l'est à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu ». Ces riches n'en sont pas fâchés du reste. Comment pourraient-ils vivre une éternité avec des gueux, des mendiants et des pouilleux puisqu'ils ne peuvent pas les supporter deux minutes devant leur yeux ici-bas ?
</spoiler> </spoiler>
{{FinCitation}} {{FinCitation}}

Version du 7 septembre ~ gwengolo 2018 à 15:04

Dans les extraits ci-dessous Jean-Marie Déguignet (1834-1905) aborde les sujets de la misère et la pauvreté en milieu rural au 19e siècle.

Le métier de mendiant exercé entre 1844 et 1848 dans la campagne gabéricois ...

Le paupérisme ...

A signaler également les commentaires sur le cas Déguignet de Jean-Jacques Yvorel dans son article « Errance juvénile et souffrance sociale au XIXe siècle d’après les récits autobiographes » dans l'ouvrage collectif « Histoires de la souffrance sociale: xviie-xxe siècles » publié en 2015 aux Editions PUR.

Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « BABONNEAU Christophe et BETBEDER Stéphane - Mémoires d'un paysan bas-breton Tome 1 » ¤ 

1 Présentation

 

2 Textes

Les textes transcrits ci-dessous contiennent des paragraphes ( § ) non déployés. Vous pouvez les afficher en un seul clic : § Tout montrer/cacher

Pages 68-70 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton :

Le métier de mendiant

Quelque temps après tout cela, c'est-à-dire au printemps de 1844, une vieille bonne femme des environs vint trouver ma mère en lui disant qu'elle ferait mieux de m’envoyer faire tout le tour de la commune avec une besace que de me laisser mendier simplement mon dîner quotidien autour du Quélennec, que j'apporterais beaucoup plus de provende à la maison. Ma mère l'approuva.

Cette bonne femme était une mendiante professionnelle; elle se chargeait de m’apprendre l'état. Elle indiqua à ma mère comment il fallait confectionner ma besace, il ne fallait pas qu'elle fut trop longue car alors elle m'aurait gêné dans la marche, ni trop courte car alors elle n'aurait pas tenu sur mes épaules. Mais on pouvait la faire sur mesure puisque j'étais là. Ce fut ce que ma mère fit, et lorsque la besace fut terminée, on l’essaya. Elle m'allait comme un gant. On attacha une ficelle au coin du sac de derrière, dont l'autre bout venant se nouer au sac de devant qui empêchait la besace de glisser de dessus mon épaule.

Deux jours après, je partis avec mon professeur pour commencer la première leçon. La vieille me faisait entendre que j'allais commencer le plus digne et le plus noble état du monde, puisque Dieu l'avait pratiqué lui-même et qu'il fut pratiqué également par nos plus grands saints. Quel honneur et quelle gloire de pouvoir à l'âge de 9 ans marcher sur les traces de Dieu et des saints ! Si j'avais connu alors nos codes français, j'aurais pu donner des leçons à mon professeur au sujet de ce digne et noble état, comme je me propose d'en donner ici en temps et lieu. Mon début ne fut pas mauvais. Grâce à mon professeur et mon guide, qui était connu et bien reçu partout, je fus bien reçu aussi. J'étais si petit, si maigre, si triste que les bonnes fermières avaient pitié de moi, non pas tant pour soulager ma misère que pour s'acquitter d'un devoir envers leur dieu. Ces aumônes avaient toujours un but intéressé et égoïste : elles n'étaient jamais données au nom de l'humanité, chose inconnue chez les Bretons, mais seulement au nom de Dieu. Quand ces femmes me donnaient pour deux liards de farine d'avoine ou de blé noir, l'aumône ordinaire d'alors, c’est qu'elles étaient convaincues de recevoir en retour le centuple comme il est dit dans l'évangile, car elles savaient qu'une prière dite par moi, enfant chétif et humble, valait pour elle cent prières radotées machinalement par les vieilles mendiantes.

§ Mes premières tournées furent donc excellentes ...

 

Pages 86-89 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton :

Considérations sur le paupérisme

On ne me disait encore rien pour me voir mendier à l'âge de quatorze ans car j'étais toujours si petit, si faible qu'on ne m'en aurait pas donné dix, mais j'entendais souvent dire aux autres plus grands et plus forts que moi qu'il était temps qu'ils allassent gagner leur pain. Ils répondaient qu'ils ne demandaient pas mieux, mais qu'ils ne trouvaient personne pour les employer. Et cela était bien vrai. Comment des gamins auraient-ils trouvé à s'employer quelque part, lorsque des hommes, des plus forts, n'en trouvaient pas toujours. Les cultivateurs faisaient faire leurs travaux par des journaliers au marché, ou par grandes journées, et ne prenaient des domestiques que juste assez pour conduire un attelage. Les journaliers comme mon père étaient nombreux à la campagne ; autour de chaque ferme, il y avait toujours deux ou trois penty [5] qu'on louait à ceux-ci, que le propriétaire trouvait sous la main quand il en avait besoin. Aujourd'hui, grâce aux machines agricoles perfectionnées, les cultivateurs n'ayant plus besoin de journaliers, ils ont transformé leurs penty [5] en étables, et refoulé les journaliers dans la ville. Ils n'en ont plus besoin du tout, et leurs enfants étaient plus gênants encore.

Il y a des soi-disant économistes qui ont l'air de se plaindre que les campagnes se dépeuplent au détriment de l'agriculture, et nos cultivateurs, qui doivent s'y connaître un peu, cherchent à réduire encore cette population le plus possible, et cela dans l'intérêt de l'agriculture. Et ils ont raison, le même cultivateur pouvant cultiver quatre ou cinq fermes comme celles que nous avions ici, sans plus de frais généraux et de main-d'oeuvre qu'en cultivant une seule, tout en doublant et triplant leur production avec de grands bénéfices pour lui et pour tout le monde ; tandis qu'aujourd'hui ces petites fermes ou petites propriétés sont cultivées souvent avec pertes pour ceux qui les cultivent, et cela sans profits pour personne, sinon pour quelquefois pour certains usuriers.

Enfin, en dépit de ce que disent certains économistes de la dépopulation des campagnes, les cultivateurs d'ici sont bien contents d'avoir supprimé leurs penty [5] et d'avoir obligé ainsi tous les journaliers et les mendiants de se réfugier en ville.

§ Maintenant il ne resterait aux propriétaires ...


3 Annotations

Certaines références peuvent être cachées ci-dessus dans des paragraphes ( § ) non déployés. Cliquer pour les afficher : § Tout montrer/cacher

  1. Bazh-vanal, sf. : littéralement "bâton de genêt". Nom breton de l'entremetteur(se) qui arrangeait les mariages dans les campagnes et qui portaient symboliquement un bâton de genêt. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
  2. Avoir, verbe : souvent en remplacement du verbe être : « elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais resté jouer » (Déguignet, IT, p 69). En breton le verbe « bezañ » (être) peut aussi prendre le sens de « avoir » en fonction de la préposition qui suit, d'où les confusions en français entre les deux verbes. De plus la forme passive est très usitée en breton où on exprime le résultat de l'action plutôt que son déroulement. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
  3. Penn-bazh, sf : bâton de marche qui servait d'arme à l'occasion. Littéralement bout de bâton, désigne le gourdin, à la fois utilitaire, défensif et décoratif qui ne quittait jamais les paysans cornouaillais dans leurs déplacements au 19e siècle. Taillé dans le buis, il présentait à l'une des extrémités un gros nœud de bois garni de clous et à l'autre bout, une lanière permettant de le faire tourner. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
  4. Lord Seymour (1805-1859), qui introduisit en France le jet de confetti, fut baptisé Milord l'Arsouille par les parisiens, à cause de son exentricité. [Ref.↑]
  5. Pennty, penn-ti : littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne (Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz). Par extension, le penn-ty est le journalier à qui un propriétaire loue, ou à qui un fermier sous-loue une petite maison et quelques terres, l'appellation étant synonyme d'une origine très modeste. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 5,0 5,1 5,2]




Thème de l'article : Écrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Septembre 2018    Dernière modification : 7.09.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]