Le métier de mendiant et la lutte contre le paupérisme selon Déguignet - GrandTerrier

Le métier de mendiant et la lutte contre le paupérisme selon Déguignet

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Enfin, au bout de cinq à six semaines d'apprentissage, pensant connaître assez bien le métier, et trouvant que la vieille commère s'arrêtait trop longtemps dans certaines fermes, je pris le parti d'aller seul pour achever plus vite mes tournées hebdomadaires, car il était de règle de n'aller qu'une fois par semaine dans chaque ferme. Enfin, au bout de cinq à six semaines d'apprentissage, pensant connaître assez bien le métier, et trouvant que la vieille commère s'arrêtait trop longtemps dans certaines fermes, je pris le parti d'aller seul pour achever plus vite mes tournées hebdomadaires, car il était de règle de n'aller qu'une fois par semaine dans chaque ferme.
-Malheureusement, il ne faisait pas beau aller seul, surtout à mon âge, faible et timide comme j'étais. Il y avait une multitude de mendiants de tout âge, de véritables bandits, lesquels quand ils rencontraient un malheureux seul avec sa besace pleine, ne se gênaient pas pour la vider dans la leur, en tirant encore les oreilles au pauvre bougre par-dessus le marché. À moi, ils le firent trois ou quatre fois, et j'étais obligé de retourner à la maison à vide, où j'étais encore grondé par la mère parce qu'elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais <ref name="Avoir">{{BR-Avoir}}</ref> resté jouer. ...+Malheureusement, il ne faisait pas beau aller seul, surtout à mon âge, faible et timide comme j'étais. Il y avait une multitude de mendiants de tout âge, de véritables bandits, lesquels quand ils rencontraient un malheureux seul avec sa besace pleine, ne se gênaient pas pour la vider dans la leur, en tirant encore les oreilles au pauvre bougre par-dessus le marché. À moi, ils le firent trois ou quatre fois, et j'étais obligé de retourner à la maison à vide, où j'étais encore grondé par la mère parce qu'elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais <ref name="Avoir">{{BR-Avoir}}</ref> resté jouer. Oui, il y avait alors dans cette commune une douzaine d'individus faisant soi-disant le métier de mendiants mais qui, en réalité, n'étaient que des voleurs. deux surtout de ceux-là, les deux par lesquels je fus dévalisé plusieurs fois, étaient deux véritables gredins de la pire espèce. Il n'y avait pas de tour pendable, de canailleries dignes de la potence qu'ils ne jouassent aux fermiers et même à tout le monde à l'occasion. Ceux-là ne s'amusaient pas à dire leurs prière aux portes, ils ne les savaient, du reste.
-Quand ils savaient qu'il n'y avait que des femmes ...+Quand ils savaient qu'il n'y avait que des femmes dans la maison, ce qui arrivait souvent à la campagne, les hommes étant presque toujours aux champs, ils entraient hardiment et allaient s'asseoir à la table, commandant aux pauvres femmes transies de peur, de leur donner à manger ou gare le <i>penbas</i> <ref name="Penn-Baz">{{BR-Penn-bazh}}</ref>. Et il ne faisait pas beau discuter ou disputer avec ces coquins car, s'ils ne savaient pas leurs prières ; en revanche ils connaissaient sur le bout des doigts le dictionnaire pornographique, voyoucratique et stercocaire breton. Lord Semour, Mylord l'Arsouille <ref>Lord Seymour (1805-1859), qui introduisit en France le jet de confetti, fut baptisé Milord l'Arsouille par les parisiens, à cause de son exentricité.</ref>, le roi des voyous qui vivait en ce temps-là, aurait été roulé par ces deux bandits bretons. Quand ils ne trouvaient personne dans les fermes, ils entraient quand même, soit par la porte, soit par la fenêtre ou par le toit. S'ils avaient faim ils mangeaient, ou sinon ils remplissaient leur besace et s'en allaient, non toutefois sans avoir déposé sur la table à manger ce que les porcs déposent au bord de leur auge. ...
Et puis quand ils passaient ... Et puis quand ils passaient ...

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Dans les extraits ci-dessous Jean-Marie Déguignet (1834-1905) aborde les sujets de la misère et la pauvreté en milieu rural au 19e siècle.

Le métier de mendiant exercé entre 1844 et 1848 dans la campagne gabéricois ...

Le paupérisme ...

A signaler également les commentaires sur le cas Déguignet de Jean-Jacques Yvorel dans son article « Errance juvénile et souffrance sociale au XIXe siècle d’après les récits autobiographes » dans l'ouvrage collectif « Histoires de la souffrance sociale: xviie-xxe siècles » publié en 2015 aux Editions PUR.

Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « BABONNEAU Christophe et BETBEDER Stéphane - Mémoires d'un paysan bas-breton Tome 1 » ¤ 

1 Présentation

 

2 Textes

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Pages 68-70 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton :

Le métier de mendiant

Quelque temps après tout cela, c'est-à-dire au printemps de 1844, une vieille bonne femme des environs vint trouver ma mère en lui disant qu'elle ferait mieux de m’envoyer faire tout le tour de la commune avec une besace que de me laisser mendier simplement mon dîner quotidien autour du Quélennec, que j'apporterais beaucoup plus de provende à la maison. Ma mère l'approuva.

Cette bonne femme était une mendiante professionnelle; elle se chargeait de m’apprendre l'état. Elle indiqua à ma mère comment il fallait confectionner ma besace, il ne fallait pas qu'elle fut trop longue car alors elle m'aurait gêné dans la marche, ni trop courte car alors elle n'aurait pas tenu sur mes épaules. Mais on pouvait la faire sur mesure puisque j'étais là. Ce fut ce que ma mère fit, et lorsque la besace fut terminée, on l’essaya. Elle m'allait comme un gant. On attacha une ficelle au coin du sac de derrière, dont l'autre bout venant se nouer au sac de devant qui empêchait la besace de glisser de dessus mon épaule.

Deux jours après, je partis avec mon professeur pour commencer la première leçon. La vieille me faisait entendre que j'allais commencer le plus digne et le plus noble état du monde, puisque Dieu l'avait pratiqué lui-même et qu'il fut pratiqué également par nos plus grands saints. Quel honneur et quelle gloire de pouvoir à l'âge de 9 ans marcher sur les traces de Dieu et des saints ! Si j'avais connu alors nos codes français, j'aurais pu donner des leçons à mon professeur au sujet de ce digne et noble état, comme je me propose d'en donner ici en temps et lieu. Mon début ne fut pas mauvais. Grâce à mon professeur et mon guide, qui était connu et bien reçu partout, je fus bien reçu aussi. J'étais si petit, si maigre, si triste que les bonnes fermières avaient pitié de moi, non pas tant pour soulager ma misère que pour s'acquitter d'un devoir envers leur dieu. Ces aumônes avaient toujours un but intéressé et égoïste : elles n'étaient jamais données au nom de l'humanité, chose inconnue chez les Bretons, mais seulement au nom de Dieu. Quand ces femmes me donnaient pour deux liards de farine d'avoine ou de blé noir, l'aumône ordinaire d'alors, c’est qu'elles étaient convaincues de recevoir en retour le centuple comme il est dit dans l'évangile, car elles savaient qu'une prière dite par moi, enfant chétif et humble, valait pour elle cent prières radotées machinalement par les vieilles mendiantes.

§ Mes premières tournées furent donc excellentes ...

 

Pages 86-89 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton :

Considérations sur le paupérisme

On ne me disait encore rien pour me voir mendier à l'âge de quatorze ans car j'étais toujours si petit, si faible qu'on ne m'en aurait pas donné dix, mais j'entendais souvent dire aux autres plus grands et plus forts que moi qu'il était temps qu'ils allassent gagner leur pain. Ils répondaient qu'ils ne demandaient pas mieux, mais qu'ils ne trouvaient personne pour les employer. Et cela était bien vrai. Comment des gamins auraient-ils trouvé à s'employer quelque part, lorsque des hommes, des plus forts, n'en trouvaient pas toujours. Les cultivateurs faisaient faire leurs travaux par des journaliers au marché, ou par grandes journées, et ne prenaient des domestiques que juste assez pour conduire un attelage. Les journaliers comme mon père étaient nombreux à la campagne ; autour de chaque ferme, il y avait toujours deux ou trois penty [5] qu'on louait à ceux-ci, que le propriétaire trouvait sous la main quand il en avait besoin. Aujourd'hui, grâce aux machines agricoles perfectionnées, les cultivateurs n'ayant plus besoin de journaliers, ils ont transformé leurs penty [5] en étables, et refoulé les journaliers dans la ville. Ils n'en ont plus besoin du tout, et leurs enfants étaient plus gênants encore.

Il y a des soi-disant économistes qui ont l'air de se plaindre que les campagnes se dépeuplent au détriment de l'agriculture, et nos cultivateurs, qui doivent s'y connaître un peu, cherchent à réduire encore cette population le plus possible, et cela dans l'intérêt de l'agriculture. Et ils ont raison, le même cultivateur pouvant cultiver quatre ou cinq fermes comme celles que nous avions ici, sans plus de frais généraux et de main-d'oeuvre qu'en cultivant une seule, tout en doublant et triplant leur production avec de grands bénéfices pour lui et pour tout le monde ; tandis qu'aujourd'hui ces petites fermes ou petites propriétés sont cultivées souvent avec pertes pour ceux qui les cultivent, et cela sans profits pour personne, sinon pour quelquefois pour certains usuriers.

Enfin, en dépit de ce que disent certains économistes de la dépopulation des campagnes, les cultivateurs d'ici sont bien contents d'avoir supprimé leurs penty [5] et d'avoir obligé ainsi tous les journaliers et les mendiants de se réfugier en ville.

§ Maintenant il ne resterait aux propriétaires ...


3 Annotations

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  1. Bazh-vanal, sf. : littéralement "bâton de genêt". Nom breton de l'entremetteur(se) qui arrangeait les mariages dans les campagnes et qui portaient symboliquement un bâton de genêt. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
  2. Avoir, verbe : souvent en remplacement du verbe être : « elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais resté jouer » (Déguignet, IT, p 69). En breton le verbe « bezañ » (être) peut aussi prendre le sens de « avoir » en fonction de la préposition qui suit, d'où les confusions en français entre les deux verbes. De plus la forme passive est très usitée en breton où on exprime le résultat de l'action plutôt que son déroulement. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
  3. Penn-bazh, sf : bâton de marche qui servait d'arme à l'occasion. Littéralement bout de bâton, désigne le gourdin, à la fois utilitaire, défensif et décoratif qui ne quittait jamais les paysans cornouaillais dans leurs déplacements au 19e siècle. Taillé dans le buis, il présentait à l'une des extrémités un gros nœud de bois garni de clous et à l'autre bout, une lanière permettant de le faire tourner. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
  4. Lord Seymour (1805-1859), qui introduisit en France le jet de confetti, fut baptisé Milord l'Arsouille par les parisiens, à cause de son exentricité. [Ref.↑]
  5. Pennty, penn-ti : littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne (Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz). Par extension, le penn-ty est le journalier à qui un propriétaire loue, ou à qui un fermier sous-loue une petite maison et quelques terres, l'appellation étant synonyme d'une origine très modeste. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 5,0 5,1 5,2]




Thème de l'article : Écrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Septembre 2018    Dernière modification : 7.09.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]