Le métier de mendiant et la lutte contre le paupérisme selon Déguignet - GrandTerrier

Le métier de mendiant et la lutte contre le paupérisme selon Déguignet

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Deux jours après, je partis avec mon professeur pour commencer la première leçon. La vieille me faisait entendre que j'allais commencer le plus digne et le plus noble état du monde, puisque Dieu l'avait pratiqué lui-même et qu'il fut pratiqué également par nos plus grands saints. Quel honneur et quelle gloire de pouvoir à l'âge de 9 ans marcher sur les traces de Dieu et des saints ! Si j'avais connu alors nos codes français, j'aurais pu donner des leçons à mon professeur au sujet de ce digne et noble état, comme je me propose d'en donner ici en temps et lieu. Mon début ne fut pas mauvais. Grâce à mon professeur et mon guide, qui était connu et bien reçu partout, je fus bien reçu aussi. J'étais si petit, si maigre, si triste que les bonnes fermières avaient pitié de moi, non pas tant pour soulager ma misère que pour s'acquitter d'un devoir envers leur dieu. Ces aumônes avaient toujours un but intéressé et égoïste : elles n'étaient jamais données au nom de l'humanité, chose inconnue chez les Bretons, mais seulement au nom de Dieu. Quand ces femmes me donnaient pour deux liards de farine d'avoine ou de blé noir, l'aumône ordinaire d'alors, c’est qu'elles étaient convaincues de recevoir en retour le centuple comme il est dit dans l'évangile, car elles savaient qu'une prière dite par moi, enfant chétif et humble, valait pour elle cent prières radotées machinalement par les vieilles mendiantes. Deux jours après, je partis avec mon professeur pour commencer la première leçon. La vieille me faisait entendre que j'allais commencer le plus digne et le plus noble état du monde, puisque Dieu l'avait pratiqué lui-même et qu'il fut pratiqué également par nos plus grands saints. Quel honneur et quelle gloire de pouvoir à l'âge de 9 ans marcher sur les traces de Dieu et des saints ! Si j'avais connu alors nos codes français, j'aurais pu donner des leçons à mon professeur au sujet de ce digne et noble état, comme je me propose d'en donner ici en temps et lieu. Mon début ne fut pas mauvais. Grâce à mon professeur et mon guide, qui était connu et bien reçu partout, je fus bien reçu aussi. J'étais si petit, si maigre, si triste que les bonnes fermières avaient pitié de moi, non pas tant pour soulager ma misère que pour s'acquitter d'un devoir envers leur dieu. Ces aumônes avaient toujours un but intéressé et égoïste : elles n'étaient jamais données au nom de l'humanité, chose inconnue chez les Bretons, mais seulement au nom de Dieu. Quand ces femmes me donnaient pour deux liards de farine d'avoine ou de blé noir, l'aumône ordinaire d'alors, c’est qu'elles étaient convaincues de recevoir en retour le centuple comme il est dit dans l'évangile, car elles savaient qu'une prière dite par moi, enfant chétif et humble, valait pour elle cent prières radotées machinalement par les vieilles mendiantes.
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 +<spoiler id="991" text="Mes premières tournées furent donc excellentes ...">Mes premières tournées furent donc excellentes. Pendant trois jours consécutifs, le temps nécessaire pour faire le tour de la commune, j'apportai à la maison plein les deux bouts de ma besace de farine d'avoine et de blé noir. Cependant ...
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 +Enfin, au bout de cinq à six semaines ...
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 +Malheureusement, ...
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 +Quand ils savaient qu'il n'y avait que des femmes ...
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 +Et puis quand ils passaient ...
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 +Cependant, je finis ... de la cendre.
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<b>Considérations sur le paupérisme</b> <b>Considérations sur le paupérisme</b>
-On ne me disait encore rien pour me voir mendier à l'âge de quatorze ans car j'étais toujours si petit, si faible qu'on ne m'en aurait pas donné dix, mais ...+On ne me disait encore rien pour me voir mendier à l'âge de quatorze ans car j'étais toujours si petit, si faible qu'on ne m'en aurait pas donné dix, mais j'entendais souvent dire aux autres plus grands et plus forts que moi qu'il était temps qu'ils allassent gagner leur pain. Ils répondaient qu'ils ne demandaient pas mieux, mais qu'ils ne trouvaient personne pour les employer. Et cela était bien vrai. Comment des gamins auraient-ils trouvé à s'employer quelque part, lorsque des hommes, des plus forts, n'en trouvaient pas toujours. Les cultivateurs faisaient faire leurs travaux par des journaliers au marché, ou par grandes journées, et ne prenaient des domestiques que juste assez pour conduire un attelage. Les journaliers comme mon père étaient nombreux à la campagne ; autour de chaque ferme, il y avait toujours deux ou trois <i>penty</i> <ref name="Pennty">{{BR-Pennty}}</ref> qu'on louait à ceux-ci, que le propriétaire trouvait sous la main quand il en avait besoin. Aujourd'hui, grâce aux machines agricoles perfectionnées, les cultivateurs n'ayant plus besoin de journaliers, ils ont transformé leurs <i>penty</i> <ref name="Pennty">{{BR-Pennty}}</ref> en étables, et refoulé les journaliers dans la ville. Ils n'en ont plus besoin du tout, et leurs enfants étaient plus gênants encore.
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 +Il y a des soi-disant économistes ...
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 +Enfin, en dépit de ce que disent certains économistes ...
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 +<spoiler id="992" text="Maintenant il ne resterait aux propriétaires ...">Maintenant il ne resterait aux propriétaires de la ville et à la municipalité que de faire comme les ruraux, et alors il n'y aurait plus nulle part ni de miséreux ni de mendiants. Voilà un moyen facile et très pratique pour supprimer le vagabondage, le braconnage et la mendicité dont on se plaint tant. Les vagabonds, les braconniers et les mendiants sont des parasites de bas étage très désagréables et très nuisibles à la société comme les frelons aux colonies d'abeilles. Eh bien, quand les abeilles veulent supprimer ces gros parasites qui les ruinent, elles leurs refusent simplement le domicile et 24 heures après la question sociale est résolue ; plus d'êtres nuisibles ni inutiles dans la société.
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 +Que les riches de la ville et la municipalité fassent comme ces insectes ainsi que les paysans l'ont déjà fait et la plus difficile de toutes les questions sociales humaines sera aussi résolue. Il y en a du reste ici en ville plusieurs propriétaires qui travaillent dans ce but et aussi la municipalité, détruisant toutes les petites et vieilles maisons et ne bâtissant plus que de grandes maisons et des hôtels dans lesquels les vagabonds, les miséreux ni les mendiants ne seront certainement pas admis. Il ne reste plus que quelques petites rues et ruelles où les braconniers, les miséreux et les mendiants s'entassent comme des lapins. Quand ces rues et ruelles auront été démolies et les masures qu'elles renferment remplacées par de belles maisons bourgeoises, on verra la fin du paupérisme à Quimper. Chassés de la ville, repoussés de la campagne, il faudra bien que les pauvres gueux disparaissent comme les frelons chassés de la ruche. Et ces propriétaires et les édiles auront plus fait pour la société en la débarrassant de son plus terrible fléau que les philanthropes, dont le but est d'entretenir et d'encourager le paupérisme et la mendicité; ne vaudrait-il pas mieux supprimer d'un seul coup toutes ces misères sociales que de les entretenir perpétuellement avec d'hypocrites et mensongères questions d'humanité et de philanthropie. Ici, je plaide pour moi-même ou contre moi-même si l'on veut, car dans la suppression des pauvres, je serais sans doute un des premiers à passer. Cela ne me ferait aucune peine. A quoi bon être dans un monde où on a aucune place, ni au soleil, ni à table. Si un cultivateur s'musait à entretenir chez lui des animaux dont il n'aurait ni nourriture à leur donner, ni place pour les loger, on le forcerait à les abattre ou à s'en défaire d'une façon quelconque, car il est défendu de faire souffrir les animaux.
-Maintenant il ne resterait ... Voilà un moyen facile et très pratique pour supprimer le vagabondage, le braconnage et la mendicité dont on se plaint tant. Les vagabonds, les braconniers et les mendiants sont des parasites de bas étage très désagréables et très nuisibles à la société comme les frelons aux colonies d'abeilles. Eh bien, quand les abeilles veulent supprimer ces gros parasites qui les ruinent, elles leurs refusent simplement le domicile et 24 heures après la question sociale est résolue ; plus d'êtres nuisibles ni inutiles dans la société. +Sur cette façon de supprimer le paupérisme, on peut considérer que les Américains du nord comme étant les plus avancés. À l'égard ...
-Que les riches de la ville et la municipalité fassent comme ces insectes ainsi que les paysans l'ont déjà fait et la plus difficile de toutes les questions sociales humaines sera aussi résolue. Il y en a du reste ici en ville plusieurs propriétaires qui travaillent dans ce but et aussi la municipalité, détruisant toutes les petites et vieilles maisons et ne bâtissant plus que de grandes maisons et des hôtels dans lesquels les vagabonds, les miséreux ni les mendiants ne seront certainement pas admis. Il ne reste plus que quelques petites rues et ruelles où les braconniers, les miséreux et les mendiants s'entassent comme des lapins. Quand ces rues et ruelles auront été démolies et les masures qu'elles renferment remplacées par de belles maisons bourgeoises, on verra la fin du paupérisme à Quimper. Chassés de la ville, repoussés de la campagne, il faudra bien que les pauvres gueux disparaissent comme les frelons chassés de la ruche. Et ces propriétaires et les édiles auront plus fait pour la société en la débarrassant de son plus terrible fléau que les philanthropes, dont le but est d'entretenir et d'encourager le paupérisme et la mendicité; ne vaudrait-il pas mieux supprimer d'un seul coup toutes ces misères sociales que de les entretenir perpétuellement avec d'hypocrites et mensongères questions d'humanité et de philanthropie. Ici, je plaide pour moi-même ou contre moi-même si l'on veut, car dans la suppression des pauvres, je serais sans doute un des premiers à passer. Cela ne me ferait aucune peine. A quoi bon être dans un monde où on a aucune place, ni au soleil, ni à table.+Si quelques malheureux venaient à lire ceci, ... ici-bas ?
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Version du 7 septembre ~ gwengolo 2018 à 09:08

Dans les extraits ci-dessous Jean-Marie Déguignet (1834-1905) aborde les sujets de la misère et la pauvreté en milieu rural au 19e siècle.

Le métier de mendiant exercé entre 1844 et 1848 dans la campagne gabéricois ...

Le paupérisme ...

A signaler également les commentaires sur le cas Déguignet de Jean-Jacques Yvorel dans son article « Errance juvénile et souffrance sociale au XIXe siècle d’après les récits autobiographes » dans l'ouvrage collectif « Histoires de la souffrance sociale: xviie-xxe siècles » publié en 2015 aux Editions PUR.

Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « BABONNEAU Christophe et BETBEDER Stéphane - Mémoires d'un paysan bas-breton Tome 1 » ¤ 

1 Présentation

 

2 Textes

Les textes transcrits ci-dessous contiennent des paragraphes ( § ) non déployés. Vous pouvez les afficher en un seul clic : § Tout montrer/cacher

Page 68 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton :

Le métier de mendiant

Quelque temps après tout cela, c'est-à-dire au printemps de 1844, une vieille bonne femme des environs vint trouver ma mère en lui disant qu'elle ferait mieux de m’envoyer faire tout le tour de la commune avec une besace que de me laisser mendier simplement mon dîner quotidien autour du Quélennec, que j'apporterais beaucoup plus de provende à la maison. Ma mère l'approuva.

Cette bonne femme était une mendiante professionnelle; elle se chargeait de m’apprendre l'état. Elle indiqua à ma mère comment il fallait confectionner ma besace, il ne fallait pas qu'elle fut trop longue car alors elle m'aurait gêné dans la marche, ni trop courte car alors elle n'aurait pas tenu sur mes épaules. Mais on pouvait la faire sur mesure puisque j'étais là. Ce fut ce que ma mère fit, et lorsque la besace fut terminée, on l’essaya. Elle m'allait comme un gant. On attacha une ficelle au coin du sac de derrière, dont l'autre bout venant se nouer au sac de devant qui empêchait la besace de glisser de dessus mon épaule.

Deux jours après, je partis avec mon professeur pour commencer la première leçon. La vieille me faisait entendre que j'allais commencer le plus digne et le plus noble état du monde, puisque Dieu l'avait pratiqué lui-même et qu'il fut pratiqué également par nos plus grands saints. Quel honneur et quelle gloire de pouvoir à l'âge de 9 ans marcher sur les traces de Dieu et des saints ! Si j'avais connu alors nos codes français, j'aurais pu donner des leçons à mon professeur au sujet de ce digne et noble état, comme je me propose d'en donner ici en temps et lieu. Mon début ne fut pas mauvais. Grâce à mon professeur et mon guide, qui était connu et bien reçu partout, je fus bien reçu aussi. J'étais si petit, si maigre, si triste que les bonnes fermières avaient pitié de moi, non pas tant pour soulager ma misère que pour s'acquitter d'un devoir envers leur dieu. Ces aumônes avaient toujours un but intéressé et égoïste : elles n'étaient jamais données au nom de l'humanité, chose inconnue chez les Bretons, mais seulement au nom de Dieu. Quand ces femmes me donnaient pour deux liards de farine d'avoine ou de blé noir, l'aumône ordinaire d'alors, c’est qu'elles étaient convaincues de recevoir en retour le centuple comme il est dit dans l'évangile, car elles savaient qu'une prière dite par moi, enfant chétif et humble, valait pour elle cent prières radotées machinalement par les vieilles mendiantes.

§ Mes premières tournées furent donc excellentes ...

 

Page 86 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton :

Considérations sur le paupérisme

On ne me disait encore rien pour me voir mendier à l'âge de quatorze ans car j'étais toujours si petit, si faible qu'on ne m'en aurait pas donné dix, mais j'entendais souvent dire aux autres plus grands et plus forts que moi qu'il était temps qu'ils allassent gagner leur pain. Ils répondaient qu'ils ne demandaient pas mieux, mais qu'ils ne trouvaient personne pour les employer. Et cela était bien vrai. Comment des gamins auraient-ils trouvé à s'employer quelque part, lorsque des hommes, des plus forts, n'en trouvaient pas toujours. Les cultivateurs faisaient faire leurs travaux par des journaliers au marché, ou par grandes journées, et ne prenaient des domestiques que juste assez pour conduire un attelage. Les journaliers comme mon père étaient nombreux à la campagne ; autour de chaque ferme, il y avait toujours deux ou trois penty [1] qu'on louait à ceux-ci, que le propriétaire trouvait sous la main quand il en avait besoin. Aujourd'hui, grâce aux machines agricoles perfectionnées, les cultivateurs n'ayant plus besoin de journaliers, ils ont transformé leurs penty [1] en étables, et refoulé les journaliers dans la ville. Ils n'en ont plus besoin du tout, et leurs enfants étaient plus gênants encore.

Il y a des soi-disant économistes ...

Enfin, en dépit de ce que disent certains économistes ...

§ Maintenant il ne resterait aux propriétaires ...


3 Annotations

Certaines références peuvent être cachées ci-dessus dans des paragraphes ( § ) non déployés. Cliquer pour les afficher : § Tout montrer/cacher

  1. Pennty, penn-ti : littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne (Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz). Par extension, le penn-ty est le journalier à qui un propriétaire loue, ou à qui un fermier sous-loue une petite maison et quelques terres, l'appellation étant synonyme d'une origine très modeste. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 1,0 1,1]




Thème de l'article : Écrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Septembre 2018    Dernière modification : 7.09.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]