Le jeune Jean-Marie Déguignet au château de Lezergué en 1848 - GrandTerrier

Le jeune Jean-Marie Déguignet au château de Lezergué en 1848

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Image:DeguignetSmall.jpeg Souvenirs de jeunesse au vieux château de Lezergué en Ergué-Gabéric, son père y étant employé comme journalier agricole.

Extraits de l'intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton, édition An Here, 2001.

Autres lectures : « » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « Les 24 cahiers manuscrits de la seconde série des mémoires de Jean-Marie Déguignet » ¤ 

Présentation

 


Transcriptions

Pages 91-93 :

En ce temps-là, nous quittâmes enfin le Guelenec pour aller demeurer près du bourg, au grand château de Lez-Ergué. Comme auprès de toutes les fermes alors, là il y avait aussi trois petits pen-ty pour des journaliers. Le propriétaire de ce château faisait payer ces petits pen-ty par un certain nombre de journées de travail, tant pendant les semailles et tant pendant la moisson. Sur ce château seigneurial devenu, depuis la Révolution, propriété d'un simple paysan, circulaient alors de nombreuses légendes. Le dernier seigneur de ce château qui s'appelait De La Marche , était, disait-on, le plus terrible et le plus cruel de tant de terribles et cruels seigneurs que les pauvres Bretons ont connu. On montrait encore l'endroit où il faisait pendre ses manants par haine, par colère ou par plaisir. Il y avait auprès de là les ruines d'une vieille église où ce seigneur faisait célébrer la messe tous les dimanches, à laquelle tous les paysans d'alentour étaient tenus d'assister sous peine de mort. Au milieu de la messe, il entrait avec son cheval, et ordonnait au curé de communier la bête, puis faisait le tour de l'église en faisant piaffer son cheval sur les malheureux prosternés qui ne pouvaient bouger ni rien dire. Il entretenait chez lui une quantité considérable de pigeons, qui ravageaient toutes les semences et les moissons des environs, sans que personne puisse se plaindre sous peine d'être pendu immédiatement. Enfin, à force d'en faire, il finit lui-même par se casser le cou en tombant du deuxième étage du château dans le premier. On m’a montré plusieurs fois l'endroit d'où il était tombé, et [on] racontait alors qu'on [n']avait jamais pu plancher cette extrémité ouest du deuxième étage, les planches ne restant pas en place. Je ne sais pas si [on] l'a planché depuis, mais en ce temps-là, il ne l'était [pas], et personne n'aurait voulu essayer, car on disait aussi que celui qui aurait cette audace se casserait le cou à la première planche qu'il poserait. Ce seigneur s'était si bien cassé le cou que sa tête était allée rouler à l'autre bout de la chambre où il était tombé, de sorte qu'on le voyait se promener par là, après, comme MacGloire dans Les Pilules du diable , semblant chercher cet ornement supérieur de sa carcasse. Mon père, en grand voyant qu'il était, affirmait l'avoir vu plusieurs fois. Et puis, il avait autre chose à faire par là encore que de chercher sa tête : il gardait un trésor caché, et il ne serait délivré de cette pénitence que le jour où il pourrait céder ce trésor à quelque mortel. Et ce trésor, tout le monde savait qu'il existait, mais personne ne savait au juste où il était. Les uns disaient qu'il était sous l'escalier du château, d'autres pensaient qu'il devait être au fond de l'étang, parce qu'on avait vu là une grosse anguille extraordinaire, qui n'était autre que le seigneur lui-même qui prenait cette forme le jour pour mieux surveiller son trésor ; d’autres disaient enfin qu'il devait être sous le pigeonnier, une énorme rotonde toute bâtie en pierres de taille, qui serait restée debout jusqu'à la fin du monde si on ne l'avait pas démolie. Au temps où nous étions là, on disait que des messieurs, paraissant être des étrangers, étaient venus demander au propriétaire la permission de faire des fouilles pour découvrir ce trésor, en lui offrant une grande somme d'argent avant de commencer, et ensuite sa part du trésor. Mais le propriétaire ne voulut pas. Plus tard, on m'a dit que le gendre de ce propriétaire le trouva enfin ce trésor, en démolissant le vaste pigeonnier, et que cette découverte fut la cause de sa mort, car il mourut subitement peu de temps après. D'autres disaient cependant, des mauvaises langues sans doute, que le trésor de ce gendre venait non du pigeonnier mais bel et bien de Notre-Dame de Kerdevot, pour laquelle ce monsieur était trésorier, et comme cette dame n'avait nul besoin ni de trésor ni de trésorier pour son compte personnel, le monsieur pouvait sans danger mettre le tout dans sa caisse. Il va sans dire que je n'affirme rien ici. Ce sont là de nouvelles légendes sans doute, à ajouter aux vieilles légendes de ce château .

 

Le propriétaire de ce château, de notre temps, était un paysan, de ceux dont j'ai donné quelques portraits en commençant ces récits. On ne l'appelait que l'homme noir : Christoc'h Du . Et il était en effet noir partout dans sa figure comme dans l'âme, s'il en avait une. Celui-là aurait bien fait comme l'ancien seigneur de ce château, s'il en avait eu le droit. Il ne parlait jamais que pour commander, et cela, avec un air méchant et colère, qui donnait le froid au cœur ; il ne permettait pas de rire ni de causer en travaillant, ni même dans la maison quand il y était. Aux repas, il se mettait toujours au haut bout de la table, et personne ne devait s'asseoir avant lui, et avant qu'il n'eût dit le Bénédicité. Quand il avait fini de manger et qu'il s'élevait, il fallait que tout le monde s'élève, tant pire [sic] pour celui qui n'avait pas mangé son content. Aussitôt après la soupe du soir, il disait les prières, les grâces, et tout le monde devait aller se coucher, excepté les femmes qui, en hiver, devaient rester filer jusqu'à onze heures. Il avait cinq enfants : quatre filles et un garçon. Les deux aînées des filles ressemblaient en tous points au père, et on les appelait aussi les deux têtes noires (diou pen du ), le fils et les deux autres filles ressemblaient au contraire à la mère qui était la meilleure des femmes, bonne, douce et charitable. Les deux bonnes filles, quand elles pouvaient s'échapper le dimanche venaient rire et jouer avec nous, mais si les noires les voyaient, elles rapportaient au père, et les deux pauvres filles étaient tancées rudement. Pendant la saison des foins, j'étais appelé aussi à aider, car dans ce travail j'en faisais autant et même plus que les vieux. Là, les deux bonnes filles s'arrangeaient toujours de manière à se trouver à faire la même tâche que moi et un autre garçon de mon âge, et lorsque nous avions pris de l'avance sur les autres, et quand Christoc'h Du ne nous voyait pas, on allait faire une partie de lutte. Et pendant cette saison des foins et de la moisson, elles quittaient souvent furtivement et pieds nus le château après souper, pour venir passer la nuit avec nous dans les tas de foin ou de paille, où, pour ma part, je me trouvais infiniment mieux que dans mon pauvre grabat plein de vermine.


Documents originaux


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    Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

    Date de création : Juin 2021    Dernière modification : 25.06.2021    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]