Le cahier manuscrit des poèmes et lettres de Déguignet en 1899-1900
Un article de GrandTerrier.
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<br>Aurai-je pu combler ces ignobles canailles | <br>Aurai-je pu combler ces ignobles canailles | ||
<br>Desquels depuis longtemps sans ma philosophie | <br>Desquels depuis longtemps sans ma philosophie | ||
- | <br>J'aurais dans les égouts rejeté les entrailles. | + | <br>J'aurais dans les égouts rejeté les entrailles ?. |
+ | |||
+ | Est-ce donc possibke, oh ! dieu des criminels, | ||
+ | <br>Qu'on te nomme Yavé, Moloc, Zeus ou Ddin <ref>Yahvé : nom biblique de Dieu. Moloch : dieu des Ammonites, rivaux des Juifs. Zeus : nom grec de Jupiter. Odin : dieu de la mythologie scandinave.</ref> | ||
+ | <br>Que tu aies arrangé tes desseins éternels | ||
+ | <br>De ne pas engendrer un seul être humain ? | ||
+ | |||
+ | Car je ne vois partout que d'ignobles fripons, | ||
+ | <br>Des tigres et des loups, de voraces égorgeurs, | ||
+ | <br>Puis de pauvres bipèdes semblables aux montons, | ||
+ | <br>Qui se laissent tondre sans crier aux voleurs. | ||
+ | |||
+ | Et puis tu as donné à ces sauvages bêtes | ||
+ | <br>Des organes exprès à forger des idées, | ||
+ | <br>Mais tu as mis aussi dans leur vilaines têtes | ||
+ | <br>Un organe qui sert à fausser leurs pensées. | ||
+ | |||
+ | Toi, ignoble escroc, qui te nommes Le Bras | ||
+ | <br>Tu connais ces organe, qui te sert en tous lieux | ||
+ | <br>À chanter, à piller et à voler hélas ! | ||
+ | <br>Les gens honnêtes et braves, les pauvres malheureux. | ||
+ | |||
+ | C'est pour ça que tu as mérité des honneurs | ||
+ | <br>De la part de collègues de la Jésuiterie, | ||
+ | <br>Où l'on n'aime que les fourbes, les menteurs et voleurs | ||
+ | <br>Et tous ceux qui travaillent dans la friponnerie | ||
+ | |||
+ | Mais il te manque encore le grand honneur suprême | ||
+ | <br>Qu'ils t'ont déjà promis, tonsurés et marquis | ||
+ | <br>De ceindre ton front bas avec le diadème | ||
+ | <br>Oublié par Grallon dans son grand palais d'Is <ref>Grallon ou Gradlon est un roi légendaire de la ville d'Is qui aurait été engloutie par les flots.</ref> | ||
+ | |||
+ | Mais là tu ne pourrais régner que sur un bac | ||
+ | <br>Aussi as-tu choisi une autre résidence : | ||
+ | <br>Tu veux aller régner au désert de Carnac | ||
+ | <br>Parce que tu adores les pierres ... et la prudence. | ||
+ | |||
+ | Mais voilà, le malheur, l'autre nuit, je rêvais : | ||
+ | <br>Je me trouvais auprès d'un gros tas de fumier, | ||
+ | <br>Dressé avec grand soin et beaucoup d'apprêts | ||
+ | <br>Non loin d'un grand égout, au milieu d'un bourbier. | ||
+ | |||
+ | Sur un des coins du tas, il y avait une carotte, | ||
+ | <br>Symbole immortel de la friponnerie. | ||
+ | <br>Et sur un autre coin, je voyais la Marotte, | ||
+ | <br>Le sceptre de ton règne, celui de la folie. | ||
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+ | Tout à coup, j'aperçois Le Braz, l'hypocrite, | ||
+ | <br>Montant sur le fumier, porté par deux bons gars. | ||
+ | <br>À côté se tenait un vieux père jésuite. | ||
+ | <br>Hourra ! disait le peuple au plus grand des Césars. | ||
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+ | En effet, jamais Rome, en ses jours de délices, | ||
+ | <br>Au temps du porc Tibère, de Claude et de Néron | ||
+ | <br>Ne vit sacrer un roi sur un tas d'immondices | ||
+ | <br>Ainsi que nous vîmes sacrer un roi breton. | ||
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+ | Un de ces grands gaillards, véritable athlète, | ||
+ | <br>Sur le tas de fumier, te fit mettre à genoux | ||
+ | <br>Pour poser la couronne royale sur ta tête, | ||
+ | <br>Faite de pissenlits et de trognons de choux. | ||
+ | |||
+ | Alors, comme cela arrive dans le rêve | ||
+ | <br>Je me vis transporté et sans transition | ||
+ | <br>Au loin vers l'occident, sur le bord d'une grève | ||
+ | <br>D'une mer bourbeuse et rouge à l'horizon. | ||
+ | |||
+ | L'eau était si fangeuse qu'elle faisait honneur ! | ||
+ | <br>À droite et à gauche je voyais des havres | ||
+ | <br>D'où je voyais sortir, effrayants de hideur, | ||
+ | <br>Roulés par les eaux noires, de nombreux cadavres. | ||
+ | |||
+ | Ils avaient leurs habits, et même les plus beaux. | ||
+ | <br>Ils s'en allaient pêle-mêle avec des saints de bois | ||
+ | <br>Que je voyais tourner dans le remous des eaux | ||
+ | <br>Mêlés avec Christs attachés à leur croix. | ||
+ | |||
+ | Ceux-ci semblaient venir de la terre d'Armor, | ||
+ | <br>De ces paysans bretons où ils sont célèbres. | ||
+ | <br>Comme de grands oiseaux cloués dans leur essor, | ||
+ | <br>Ils mimaient dans l'eau noire des gestes funèbres. | ||
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+ | Tout à coup, j'aperçois passer sur le rivage | ||
+ | <br>Avec sa couronne Anatole Le Bras. | ||
+ | <br>Allons, me disais-je, voici le nettoyage, | ||
+ | <br>Il a été « complet », des écuries d'Augias. | ||
+ | |||
+ | Enfin, tous disparurent, tournoyant dans les flots, | ||
+ | <br>Et les eaux reprirent leur teinte la plus claire. | ||
+ | <br>J'entendais le ramage et le chant des oiseaux ; | ||
+ | <br>Et puis à l'Orient une douce lumière | ||
+ | |||
+ | Parut à l'horizon, souriante et belle. | ||
+ | <br>Je compris ce sourire de l'Aurore en gaieté | ||
+ | <br>Venant nous annoncer une ère nouvelle | ||
+ | <br>Pour les « faux » du ciel et pour l'humanité. | ||
+ | |||
+ | Alors en promenant mes regards sur l'abîme | ||
+ | <br>Je me disais : Voici, le soleil aux doigts d'or | ||
+ | <br>Va venir apporter dans sa beauté sublime | ||
+ | <br>Le Printemps idéal dans la terre d'Armor. | ||
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+ | Doue ac y vam gant mistri a laeronsi | ||
+ | <br>A rayo dit ar c'hraç da jom betec crevi | ||
+ | <br>A goude d'ho cas gato d'ar varados Jesus | ||
+ | <br>E pe lec'h e yeont ol an n'eniou fleryus. | ||
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+ | Note de l'auteur : On pourrait croire que le mot fougère a été mis pour rimer avec misère (2e quatrain). Mais la rime est juste et vraie : j'ai couché pendant six ans sur la fougère, ne voulant pas tendre la main pour avoir de la paille, moi qui en ai tant donné aux malheureux quand j'en avais et autres choses encore. | ||
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Version du 2 octobre ~ here 2020 à 17:06
Ce cahier de copies de lettres et poèmes, qui n'a pas été intégré dans l'intégrale des mémoires d'un paysan bas-breton, a fait par contre l'objet en 1999 d'une édition spéciale intitulée « Rimes et révoltes » par Laurent Quevilly, journaliste et correspondant d'Ouest-France, avec le concours de Louis Bertholom, qui y ont sélectionné six poèmes, les 6 autres pièces restant à ce jour inédites.
Manuscrit original conservé à la médiathèque de Quimper, qui, dans le cadre du plan de numérisation des documents patrimoniaux, a procédé à leur numérisation et les met à disposition sur son site Internet : http://mediatheques.quimper-bretagne-occidentale.bzh. |
Autres lectures : « Les 24 cahiers manuscrits de la seconde série des mémoires de Jean-Marie Déguignet » ¤ « Les manuscrits de Déguignet, OF-LQ 1984 » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Mémoires d'un Paysan Bas-Breton » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Rimes et Révoltes » ¤ « Espace Déguignet » ¤ « PABAN Adolphe - Au Stang-Ala "au bord de la mer bretonne" » ¤
Présentation
Il s'agit d'un cahier un peu oublié ... en lien avec actualité littéraire : congrès de Vannes, exposition bretonne ... Lecteur invétéré, il invective et pastiche les trois poètes contemporains qu'il abhorre le plus, à savoir Anatole Le Braz (« Terre d'Armor » dans « La Chanson de la Bretagne », publiée en 1982), Aolphe Paban (« Au bord de la mer » en 1894), Frédéric Le Guyader (« L'Ere bretonne » en 1896). |
Fac-similes et table des matières
Cahier CLP1899-1900 : Accès au cahier
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Transcriptions
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1. Congrès de l'URB
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7. Poème "À Monsieur Malherbe de la Boixière"
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Annnotations
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- Gwerz, au pluriel gwerzioù : « ballade, complainte », chant breton racontant une histoire, depuis l'anecdote jusqu'à l'épopée historique ou mythologique. Proches des ballades ou des complaintes, les gwerzioù illustrent des histoires majoritairement tragiques ou tristes. Ces chants populaires en langue bretonne se sont transmis oralement dans toute la Basse-Bretagne jusqu'au XXe siècle. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 1,0 1,1 1,2]
- Atropos : l'une des trois Parques de la mythologie qui coupait le fil de la vie. [Ref.↑ 2,0 2,1]
- Mallozh gast : littéralement putain de malédiction. [Ref.↑]
- Ernest Renan, 1823-1892, auteur né à Tréguier, rationaliste, il développa des théories audacieuses sur les origines du christianisme. [Ref.↑]
- Oint : serait-ce en référence à l’onction liturgique : l’oint du Seigneur Jésus-Christ ? [Ref.↑]
- Edouard Drumont, 1844-1917, homme politique et journaliste antisémite. [Ref.↑]
- Dante Alighieri, 1265-1321, poète florentin. [Ref.↑]
- Sic transit gloria mundi : « Ainsi passe la gloire du monde ». [Ref.↑]
- Basile de Césarée (329-379), appelé également Basile le Grand est l'un des principaux Pères de l'Église. [Ref.↑]
- Ignace de Loyola (1491-1556) est un prêtre et théologien basque-espagnol, fondateur et premier Supérieur général de la Compagnie de Jésus. À la tête des jésuites, il devint un ardent promoteur de la réforme tridentine, aussi appelée Contre-Réforme. [Ref.↑]
- Yahvé : nom biblique de Dieu. Moloch : dieu des Ammonites, rivaux des Juifs. Zeus : nom grec de Jupiter. Odin : dieu de la mythologie scandinave. [Ref.↑]
- Grallon ou Gradlon est un roi légendaire de la ville d'Is qui aurait été engloutie par les flots. [Ref.↑]
- Adolphe Paban (1839-19..) est un poète français, auteur de Poésies (1859-1862), Mes tablettes (1866), Au bord de la mer bretonne : alouettes et goélands (1894), Les Roses de Kerné (1899). Il fut aussi régisseur puis conservateur du musée de Keriolet à Beuzec-Conq, journaliste et rédacteur en chef du journal républicain Le Finistère, correspondant du Figaro et du Clocher breton de Lorient, et fondateur-directeur de la Revue de la province. [Ref.↑ 13,0 13,1]
- Le Finistère : journal politique républicain fondé en 1872 par Louis Hémon, bi-hebdomadaire, puis hebdomadaire avec quelques articles en breton. Louis Hémon est un homme politique français né le 21 février 1844 à Quimper (Finistère) et décédé le 4 mars 1914 à Paris. Fils d'un professeur du collège de Quimper, il devient avocat et se lance dans la politique. Battu aux élections de 1871, il est élu député républicain du Finistère, dans l'arrondissement de Quimper, en 1876. Il est constamment réélu, sauf en 1885, où le scrutin de liste lui est fatal, la liste républicaine n'ayant eu aucun élu dans le Finistère. En 1912, il est élu sénateur et meurt en fonctions en 1914. [Ref.↑ 14,0 14,1]
- Malherbe de la Boixière : noble propriétaire de la ferme de Toulven en Ergué-Armel, qu'exploita pendant 15 ans Déguignet avant d'en être chassé. [Ref.↑]
- Ankou, Ankoù, sm. : bretonnisme, l'Ankou, traduit du breton « an Ankoù », est le serviteur de la mort en Basse-Bretagne ; son rôle est de récupérer dans sa charrette grinçante (karr / karrik an Ankoù) les âmes des défunts récents. On le représente comme un squelette revêtu d'un linceul, ou un homme grand et très maigre, les cheveux longs et blancs, la figure cachée par un large feutre et tenant à la main une faux qui diffère des faux ordinaires, en ce qu'elle a le tranchant tourné en dehors. L'Ankoù est parfois — à tort — confondu avec le diable, très présent par ailleurs dans la mythologie bretonne. Anatole Le Bras a popularisé l'Ankoù par la publication de sa "Légende de la Mort". Le mot est masculin en breton ; selon Dom Le Pelletier il serait à l'origine le pluriel de « anken » qui désigne l'angoisse, la peine. Arzel Even (revue Ogam, 1950-53) propose une autre étymologie : « nk » représente l'état réduit de la racine « nek » (périr) (nekros en grec, et nec, necare en latin). [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
- Frédéric Le Guyader (1847-1926), originaire de Brasparts, est un poète et dramaturge breton. Membre de la Société Archéologique du Finistère, il est bibliothécaire de la ville de Quimper. Il publie notamment « La reine Anne », « L'ère bretonne », « La Chanson du cidre » et « Quimper théâtre ». [Ref.↑]
- Dorien : de la Doride, ancienne région de la Grêce centrale et de la côte sud-ouest de l'Asie Mineure. [Ref.↑]
Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Date de création : Septembre 2020 Dernière modification : 2.10.2020 Avancement : [Développé] |