La médaille de Crimée de Jean-Marie Déguignet - GrandTerrier

La médaille de Crimée de Jean-Marie Déguignet

Un article de GrandTerrier.

(Différences entre les versions)
Jump to: navigation, search
Version du 4 avril ~ ebrel 2012 à 21:06 (modifier)
GdTerrier (Discuter | contributions)

← Différence précédente
Version du 4 avril ~ ebrel 2012 à 21:37 (modifier) (undo)
GdTerrier (Discuter | contributions)

Différence suivante →
Ligne 37: Ligne 37:
-==Bataille de la Tour Malakoff à Sébastopol, 1855==+==La prise de Sébastopol le 8 septembre 1855==
{| width=870 {| width=870
|width=48% valign=top align=justify| |width=48% valign=top align=justify|
-Pages 179-179 de l'Intégrale+Pages 178-182 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton, « [[DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale|Histoire de ma vie]] » :
{{Citation}} {{Citation}}
-Nous recevons enfin l'ordre de marcher vers les tranchées par bataillon et par le flanc droit. Nous traversâmes un ravin, où nous marchions que sur des bombes et des boulets, puis arrivâmes sur un plateau d'où nous voyions la rade, les forts, les bastions, la ville en ruine et enfin cette fameuse tour Malakoff <ref>La tour Malakoff fut érigée au sommet d'une colline face aux remparts pour défendre la ville de Sébastopol contre une éventuelle attaque des Anglais et des Français nouvellement alliés, au début des années 1850. On lui donna le nom d'un ancien capitaine russe dont le souvenir restait attaché au lieu, Vladimir Malakhov. Le 8 septembre 1855, lors de la bataille de Malakoff, la redoute tombe aux mains des Français, dirigés par le maréchal Patrice de Mac-Mahon, devenu célèbre notamment pour cette victoire au cours de laquelle il prononça son fameux « J'y suis ! J'y reste ! »', entraînant la chute de la ville.</ref>, qui n'était qu'un mamelon hérissé de pièces de canon qui vomissaient la mort tout alentour. Les quelques vieux soldats de notre compagnie, qui étaient depuis quelque temps, disaient qu'ils n'avaient jamais vu cela aussi distinctement qu'en ce moment, pour la raison qu'ils les avaient toujours vus couverts de fumée, tandis que ce jour-là il n'y avait pas la moindre petite fumée. Et le soleil, quoique n'étant pas celui d'Austerlitz, s'élevait très brillant à l'horizon.+Cette citadelle réputée imprenable allait enfin tomber en notre pouvoir. La France, l'Empereur, et enfin le monde entier avaient les yeux fixés sur nous. Le maréchal mettait sa confiance en nous, pas toute cependant, il y avait aussi la providence représentée par la fille de Joachim dont c'était la fête ce jour-là. Et cela me faisait penser à mon pays, à Kerdévot où on célébrait le pardon, où les jeunes gens, mes anciens camarades, allaient boire du cidre, rire et danser, tandis que moi j'étais à plus de mille lieues de là, en train de me préparer d'aller au massacre, et qu'avant la fin du jour, avant une heure peut-être, mon cadavre se tordrait dans la poussière avec tant d'autres ...
-Tout à coup, un hourra formidable retentit, poussé à la fois par des milliers de poitrines françaises, anglaises, piémontaises, et aussi par tous les civils qui se trouvaient là-haut près du télégraphe. On venait de voir le drapeau tricolore flotter au sommet de la tour Malakoff.+Nous recevons enfin l'ordre de marcher vers les tranchées par bataillon et par le flanc droit. Nous traversâmes un ravin, où nous marchions que sur des bombes et des boulets, puis arrivâmes sur un plateau d'où nous voyions la rade, les forts, les bastions, la ville en ruine et enfin cette fameuse tour Malakoff <ref>La tour Malakoff fut érigée au sommet d'une colline face aux remparts pour défendre la ville de Sébastopol contre une éventuelle attaque des Anglais et des Français nouvellement alliés, au début des années 1850. On lui donna le nom d'un ancien capitaine russe dont le souvenir restait attaché au lieu, Vladimir Malakhov. Le 8 septembre 1855, lors de la bataille de Malakoff, la redoute tombe aux mains des Français, dirigés par le maréchal Patrice de Mac-Mahon, devenu célèbre notamment pour cette victoire au cours de laquelle il prononça son fameux « J'y suis ! J'y reste ! »', entraînant la chute de la ville.</ref>, qui n'était qu'un mamelon hérissé de pièces de canon qui vomissaient la mort tout alentour. Les quelques vieux soldats de notre compagnie, qui étaient là depuis quelque temps, disaient qu'ils n'avaient jamais vu cela aussi distinctement qu'en ce moment, pour la raison qu'ils les avaient toujours vus couverts de fumée, tandis que ce jour-là il n'y avait pas la moindre petite fumée. Et le soleil, quoique n'étant pas celui d'Austerlitz, s'élevait très brillant à l'horizon ...
 + 
 +Je n'ai pas la prétention de faire ici l'historique de cette grande journée, ne faisant ni de l'histoire ni œuvre littéraire. Je n'écris que pour tracer facilement l'histoire de ma vie, dont tous les faits, grâce à mon magasin mnémonique, sont tous présents à ma mémoire comme s'ils venaient se passer hier ...
 + 
 +Sans faire attention aux projectiles qui pleuvaient toujours sur nous, je restais la tête haute et les yeux fixés sur les camarades qui montaient là-haut, la bayonette en avant. Nos cœurs battaient fort en ce moment. Je sentais le mien prêt à s'en aller, tandis que la respiration me manquait.
{{FinCitation}} {{FinCitation}}
|width=4% valign=top align=justify|&nbsp; |width=4% valign=top align=justify|&nbsp;
|width=48% valign=top align=justify| |width=48% valign=top align=justify|
 +{{Citation}}
 +Tout à coup, un hourra formidable retentit, poussé à la fois par des milliers de poitrines françaises, anglaises, piémontaises, et aussi par tous les civils qui se trouvaient là-haut près du télégraphe. On venait de voir le drapeau tricolore flotter au sommet de la tour Malakoff. C'était fini. Sébastopol était à nous, du moment que nous avions la clef.
 +{{FinCitation}}
 +
[[Image:Malakoff.jpg|center|350px|thumb|Prise de la redoute de Malakoff, Horace Vernet (1858)]] [[Image:Malakoff.jpg|center|350px|thumb|Prise de la redoute de Malakoff, Horace Vernet (1858)]]
|} |}

Version du 4 avril ~ ebrel 2012 à 21:37

Image:Espacedeguignetter.jpg
Pourquoi et comment le soldat Jean-Marie Déguignet dut décoré d'une belle médaille militaire d'origine Britannique. Et sa façon très modeste de relater sa décoration, qui récompensait les braves revenus vivants d'une guerre destructrice.

Présentation de la médaille brittanique

La médaille de Crimée est une médaille commémorative britannique, décernée par la reine Victoria, aux officiers, sous-officiers, soldats et marins de tous grades ayant participé à la guerre de Crimée du 14 septembre 1854 au 8 septembre 1855.

La France ne possédait pas à cette date de médaille commémorative de campagne. Aussi, la médaille de Crimée britannique, fut-elle reconnue par le gouvernement français par décret du 26 avril 1856. Elle a été attribuée à tous les militaires français ayant participé à cette campagne, et son port autorisé.

 
La médaille avec ses agrafes
La médaille avec ses agrafes


Témoignages du médaillé sur sa décoration

Pages 215 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton, « Histoire de ma vie », parue en 2001.

Quand j'arrivais dans ma compagnie, la 2e du 3, je ne connaissais plus personne. Tous les anciens étaient morts là-bas, dans les ambulances ou dans les hôpitaux, le long de la Méditerranée, ou partis en congé définitif ou renouvelable, ou bien en convalescence. Le capitaine seul, M. Lamy [1] y était toujours ; celui même qui m'avait dit, le soir de la veille de la prise de Sébastopol, que je ne tiendrais pas quarante heures debout et qui disait aux autres officiers qu'on était réellement fous en France d'envoyer des gamins comme moi là-bas, là où les vieux les plus forts succombaient.

Cette fois en me revoyant bien portant, sachant cependant que j'avais eu à combattre des ennemis dix fois plus terribles que les Russes, il me fit compliments et dit au sergent major qu'il fallait de suite faire un état supplémentaire en ma faveur pour la médaille de Crimée, accordée par Sa Magesty the Quin englisch [2] à tous les soldats français qui avaient débarqué sur la terre de Crimée avant la prise de Sébastopol. Le lendemain, j'étais décoré de la grande médaille à la surprise de tous les jeunes soldats qui se trouvaient là, tous de ma classe et qui croyaient que j'arrivais de chez moi, un peu en retard.

 

Pages 608 de la version des Mémoires de la Revue de Paris dans son édition du février 1905 .

J’ai déjà dit que je ne citerais des dates et des noms propres que lorsque je serais certain de ne pas me tromper. Ici, je ne puis me tromper, puisque cette date figure sur mes états de service. Nous dûmes rester plusieurs jours à Marseille. Mon régiment, que je n’avais pas vu depuis le mois de novembre 1855, était alors à Montélimar, où j’ar­rivai dans les premiers jours de juillet. En arrivant dans ma compagnie, je ne connaissais plus personne. Tous mes camarades avaient disparu : les officiers, sous-officiers et caporaux étaient tous changés, excepté le capitaine Lamy. J’arrivai là à peu près comme autrefois à Lorient, inconnu de tout le monde et ayant tout l’air d’une nouvelle recrue ; grâce au bon temps que j’avais eu à Constantinople et à la bonne nourriture, j’avais même l’air plus jeune que quand j’arrivai à Lorient. Deux jours après, mes nouveaux cama­rades furent bien étonnés de me voir attacher sur ma tu­nique la médaille que la reine d’Angleterre avait donnée à tous les Français qui étaient arrivés en Crimée avant la prise de Sébastopol. Elle était rare, cette médaille, dans notre régiment qui avait cependant fait toute la campagne depuis le commencement jusqu’à la fin de tous ceux qui étaient partis, il n’en restait plus guère. Ceux qui le com­posaient maintenant étaient presque tous arrivés en Crimée après la prise de Sébastopol ou c’étaient de jeunes recrues du dépôt.


La prise de Sébastopol le 8 septembre 1855

Pages 178-182 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton, « Histoire de ma vie » :

Cette citadelle réputée imprenable allait enfin tomber en notre pouvoir. La France, l'Empereur, et enfin le monde entier avaient les yeux fixés sur nous. Le maréchal mettait sa confiance en nous, pas toute cependant, il y avait aussi la providence représentée par la fille de Joachim dont c'était la fête ce jour-là. Et cela me faisait penser à mon pays, à Kerdévot où on célébrait le pardon, où les jeunes gens, mes anciens camarades, allaient boire du cidre, rire et danser, tandis que moi j'étais à plus de mille lieues de là, en train de me préparer d'aller au massacre, et qu'avant la fin du jour, avant une heure peut-être, mon cadavre se tordrait dans la poussière avec tant d'autres ...

Nous recevons enfin l'ordre de marcher vers les tranchées par bataillon et par le flanc droit. Nous traversâmes un ravin, où nous marchions que sur des bombes et des boulets, puis arrivâmes sur un plateau d'où nous voyions la rade, les forts, les bastions, la ville en ruine et enfin cette fameuse tour Malakoff [3], qui n'était qu'un mamelon hérissé de pièces de canon qui vomissaient la mort tout alentour. Les quelques vieux soldats de notre compagnie, qui étaient là depuis quelque temps, disaient qu'ils n'avaient jamais vu cela aussi distinctement qu'en ce moment, pour la raison qu'ils les avaient toujours vus couverts de fumée, tandis que ce jour-là il n'y avait pas la moindre petite fumée. Et le soleil, quoique n'étant pas celui d'Austerlitz, s'élevait très brillant à l'horizon ...

Je n'ai pas la prétention de faire ici l'historique de cette grande journée, ne faisant ni de l'histoire ni œuvre littéraire. Je n'écris que pour tracer facilement l'histoire de ma vie, dont tous les faits, grâce à mon magasin mnémonique, sont tous présents à ma mémoire comme s'ils venaient se passer hier ...

Sans faire attention aux projectiles qui pleuvaient toujours sur nous, je restais la tête haute et les yeux fixés sur les camarades qui montaient là-haut, la bayonette en avant. Nos cœurs battaient fort en ce moment. Je sentais le mien prêt à s'en aller, tandis que la respiration me manquait.

 

Tout à coup, un hourra formidable retentit, poussé à la fois par des milliers de poitrines françaises, anglaises, piémontaises, et aussi par tous les civils qui se trouvaient là-haut près du télégraphe. On venait de voir le drapeau tricolore flotter au sommet de la tour Malakoff. C'était fini. Sébastopol était à nous, du moment que nous avions la clef.

Prise de la redoute de Malakoff, Horace Vernet (1858)
Prise de la redoute de Malakoff, Horace Vernet (1858)


Annotations

  1. Il s'agit du capitaine Lamy qui mena à l’assaut à Sébastopol la compagnie des 2e Zouaves (RdP, 1er janvier 1905, p. 182 et 1er février 1905, p. 608). [Ref.↑]
  2. [Her] Majesty, the queen english : Sa Majesté, la reine anglaise, en l'occurrence la reine Victoria. [Ref.↑]
  3. La tour Malakoff fut érigée au sommet d'une colline face aux remparts pour défendre la ville de Sébastopol contre une éventuelle attaque des Anglais et des Français nouvellement alliés, au début des années 1850. On lui donna le nom d'un ancien capitaine russe dont le souvenir restait attaché au lieu, Vladimir Malakhov. Le 8 septembre 1855, lors de la bataille de Malakoff, la redoute tombe aux mains des Français, dirigés par le maréchal Patrice de Mac-Mahon, devenu célèbre notamment pour cette victoire au cours de laquelle il prononça son fameux « J'y suis ! J'y reste ! »', entraînant la chute de la ville. [Ref.↑]




Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Avril 2012    Dernière modification : 4.04.2012    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]