Légendes des revenants, de la Mort -l'Ankou-, des conjurations et autres, JMD - GrandTerrier

Légendes des revenants, de la Mort -l'Ankou-, des conjurations et autres, JMD

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(J.-M. Déguignet, Contes et Légendes de Basse-Cornouaille, p. 93-99)

[1]« (...) Il a été publié bien des livres sur ces légendes sous différents titres : « Contes Bretons », « Contes populaires de la Basse-Bretagne », « Veillées bretonnes », « Légendes chrétiennes de la Basse-Bretagne », « Légendes populaires », « Barzaz Breis », « Légendes de la vie en Basse-Bretagne », « Légendes de la mort », « Vieilles histoires du Pays breton », etc., etc. [sic.] Mais toutes ces histoires ont été embellies en passant par ces messieurs chercheurs de vieilleries de la bouche de vieilles femmes, qui leur donnaient pour leur argent. Les bretons comme tous les peuples sauvages sont trop méfiants à l'égard de messieurs, ann aoutronet[2], pour leur dire la vérité sur les choses du pays. Ce n'est qu'à force de questions et de promesses d'argent qu'on arrive à leur arracher quelques lambeaux de légendes sans suite.

Je disais un jour à un de ces chercheurs qui à fait imprimer deux volumes de ces légendes : « Mais Monsieur, les gens qui vous ont raconté ces légendes vous ont roulé, ce n'est pas ainsi que ces choses se sont passées ; je connais toutes ces légendes et les fermes où elles sont nées, j'ai assisté cent fois à leur naissance ». « Oh, me reprenait-il, cela ne fait rien, les légendes n'ont pas besoin d'exactitude, ni de nom, ni de lieu, ni de date ». Fort bien, dans ce cas ces messieurs n'auraient pas besoin de se déranger. Une fois qu'ils ont connu une seule de ces légendes, une de chaque genre, ils pourront dans leur bureau [en] composer des centaines et des mille.

(...) C'est ainsi que nos paysans bretons en content à ces messieurs savants quand ceux-ci les forcent à parler. L’un de ces messieurs voulant absolument savoir comment était fait Karik ann Ankou[3]), s’adressa à un de ces tailleurs de campagne, les plus malins blagueurs de tous les paysans. Ah se dit ce malin quemener , tu veux savoir comment il [est] fait ce Karik ann Ankou que personne n'a jamais vu ni moi non plus. N'importe, je vais te dire comment il est fait puisqu'il y aura la goutte à boire. Et le vieux quemener[4] lui raconte qu'une nuit, étant en train de veiller un malade, il avait vu par la croisée une charrette arrêtée sur le chemin, attelée de deux chevaux de timon et un troisième devant ; sur le devant de la charrette qui avait toutes les formes d'une charrette bretonne, un homme se tenait debout, et entretenait le cheval de devant par la bride. Le premier paysan venu qui aurait entendu cela, aurait dit à ce tailleur « Allons donc, farceur, qu'est ce que tu nous racontes là ? L'Ankou, ni sa prétendue charrette n’ont jamais été vus par personne, attendu que l'Ankou n'est qu'un signe ou intersigne de la mort mais toujours invisible, aussi invisible que la clochette qu'on entend comme Karik ann Ankou, suivre le chemin de la mort ». Et ce premier venu aurait fait taire immédiatement le blagueur. En supposant que quelqu'un eut pu voir cette charrette de la mort, il l'aurait vue telle qu'elle était alors, une charrette sans cotés ni bouts, rien que le fond sur lequel on plaçait le cercueil sur deux coussins de paille de seigle, un à chaque bout, puis on l'amarrait aux [un mot non lu] du fond avec des lanières en cuir. Et à cette charrette on n'attelait jamais que des boeufs avec un cheval devant si le mort était un homme, et une jument si c'était une femme. Cette charrette était entièrement en bois, essieux et tout, et comme suivant une superstition, on ne devait pas la graisser, pour conduire un mort au bourg, souvent l'essieu grinçait dans les moyeux en faisant wig, wig. Et c'était ce bruit que les gens prétendaient avoir entendu d'avance, une nuit quelconque, c'est à dire le bruit de Karik ann Ankou. Bien entendu ces gens ne disaient ça qu'après avoir entendu grincer la charrette qui conduisait le mort ; c'était alors seulement qu'ils affirmaient avoir entendu ce bruit-là quelques jours avant ; comme les gens de la maison du mort lorsqu'ils avaient entendu dire les grâces, chanter les cantiques mortuaires, clouer la bière, remuer les croix et la clochette, tous affirmaient également avoir entendu tous ces bruits. Il n'y avait que par les oiseaux, que ces prophètes ou prophétesses pouvaient annoncer la mort d'avance, notamment par la pie et le corbeau, surtout au printemps. On sait que ces oiseaux ont besoin de la boue pour faire leurs nids. Quand donc ces bons voyants voyaient ces oiseaux ramasser de la boue sur le chemin de la mort, ils disaient [qu'ils] étaient en train de nettoyer la route pour le premier mort qui passerait là. Naturellement cette prophétie ne pouvait manquer de s'accomplir tôt ou tard, alors surtout que sur ce chemin pouvait en passer habituellement plusieurs par an. En fait d'oiseaux prédisant la mort, je n'ai jamais entendu parler que de ces deux-là. Cependant quelque farceur, comme le tailleur dont j'ai parlé plus haut, aurait dit à l'un de ces savants que l'épervier, ar sparfel, faisait aussi métier de prédire la mort. Oui, l'épervier prédit la mort, et même la donne plusieurs fois par jour mais aux petits oiseaux seulement. C'est l'Ankou de ces petits et faibles volatiles, dont il en fait presque exclusivement sa nourriture.

Un de ces savants chercheurs de légendes, pour devenir érudit, se demande comment les bretons inventèrent l'Ankou. Comment monsieur le savant ! la légende de l'Ankou vient de la même source que toutes les légendes bretonnes, c'est à dire des missionnaires chrétiens et des prêtres catholiques, leurs successeurs. Toutes ces légendes et celle de l'Ankou plus que les autres, portent la marque irrécusable du christianisme. Ankou vient du mot anken, ankenius, ankrez, qui veut dire inquiétude, peur, frayeur, mot qui caractérise fort bien l'exécuteur des hautes œuvres divines. Ce qui prouve encore que cet Ankou reste toujours invisible, c’est qu'il voyage jour et nuit, contrairement aux revenants et aux lutins qui ne viennent que la nuit. Toutes les fois qu'un breton éprouve un frissonnement quelconque, une peur inexplicable, il dit de suite : « Ayaou ! passed e ann Ankou dreisthon, ben ar veichal e zin ganthan (Aïe, l'Ankou vient de passer par dessus moi, la prochaine fois il me prendra) ».

Il voyage ainsi jour et nuit, semant sur son chemin une espèce de terreur panique, le jour donnant des frissons et la nuit faisant entendre le wig-wig de la charrette des morts. Cet Ankou du reste, dont il y en a un par paroisse est changé tous les ans. C'est toujours l'âme de celui qui meurt le dernier dans l'année, qui est obligée de remplir les fonctions d'Ankou durant l'année suivante. Il faut à chaque curé son Ankou comme il lui faut un saint patron de la paroisse, une ou deux chapelles miraculeuses et surtout un bon nanaon. Nanaon se compose de toutes les âmes qui sont au purgatoire[5]. Ce sont là les meilleurs fournisseurs pour remplir la caisse du cure, l'Ankou et le Nanaon surtout.

(...) On ne voit parmi tous ces saints, qu'un seul martyr et ce saint est assurément le plus problématique de tous ces saints plus que problématiques. Ils l'ont appelé Melar ou Melor, fils de Miliau ou Miliavus[6], Roi de Breiz-Izel[7], à qui un oncle, pour rester seul maître du royaume, coupa d'abord un bras et une jambe, puis plus tard la tête ; mais on ne dit pas où, ni à quelle époque. »

Notes :

  1. Ankou : La Mort personnifiée. [Ref.↑]
  2. An aotrouned : pluriel de aotrou, monsieur. [Ref.↑]
  3. Karrik an Ankou : la charrette de la Mort. [Ref.↑]
  4. Kemener : tailleur. [Ref.↑]
  5. Nanaon (anaon) : âmes des trépassés. [Ref.↑]
  6. Saint Melar : Melar, fils de Méliau comte de Cornouaille, fut assasiné à Lanmeur. [Ref.↑]
  7. Breizh-Izel : la Basse Bretagne. [Ref.↑]