Souvenirs de début de siècle par Louis Mahé de Stang-Venn - GrandTerrier

Souvenirs de début de siècle par Louis Mahé de Stang-Venn

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Catégorie : Mémoires 
Site : GrandTerrier

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Louis Mahé, ouvrier chaudronnier à l’usine Bolloré au début du 20e siècle, interviewé en décembre 1978 par Jean Guéguen et Jean Cognard.

Autres articles : « Mémoires des papetiers » ¤ « Espace des Poilus » ¤ « Chronique du début du siècle à Odet par Marianne Saliou » ¤ « 1922 - Organisation de la fête du centenaire de la Papeterie de l'Odet » ¤ 

[modifier] 1 Interview

[modifier] 1.1 D’où était votre famille ?

Je suis né à Langolen, dans un penty, en 1895. Ça me fait donc 83 ans. Chez nous, on a été trois à un moment donné.

J'étais petit-valet dans une ferme. Le mevel-bras, c'était le fils du patron, et bien entendu, je venais après lui. Je me plaisais bien dans cette ferme. Finalement, il y a eu une petite bricole. Mon père a pris au tragique et on a quitté. Je me suis donc trouvé en rupture de contrat. Je suis venu à Lestonan fin 1912.

Je suis arrivé à Lestonan avec mon oncle Youenn (Yves) Langole(n) et on a trouvé un logement chez Chann Déo. Les cantonniers, venus de la région, pouvaient y loger sur le compte de Bolloré. C'est avec Jean-Pierre Quéré que j'ai été embauché pour finir mon année, vu que j'avais rompu mon contrat précédent. Jean-Pierre Quéré était entrepreneur de bâtiment, avec son frère Jean-Marie ; il a embauché des gens et construit une grande partie des bâtiments de Bolloré ? J'ai travaillé aussi avec l'entreprise Thomas de Quimper pour construire les bâtiments de Keranna.

A cette époque, ma femme habitait Garsalec, puis Kerulvian, en face de l'école laïque de Lestonan, dans la petite garenne.

Depuis qu'on s'est marié, on a voyagé un peu partout dans Ergué. Au début, on était chez les parents de ma femme, à Lestonan. Ensuite, on a habité un an à Keranna. Une équipe de Quimper avait construit les maisons en même temps que les filtres. A Stang-Odet, on est resté 25 ans dans la grande maison où on a été quatre familles (Mahé, Breton, Guichaoua, Lennon). A côté habitaient Malouche Philippe et les Sizorn. On était bien à Stang-Odet. Quand on voulait, on allait faire une partie de pêche dans l'Odet. Ensuite on a déménagé à Ty-Ru, et finalement à Stang-Venn où nous habitons actuellement.

Quand je suis venu à Lestonan, j'étais en pension le soir et le matin chez Fanch Perrot. Comme autres maisons, il y avait le bistrot de chez Jonquour, la maison de Guichaoua, celle de l'ancien charron, celle de Jean-Pierre Quéré, la boucherie où était Marguerite Thépot, la boulangerie de Germain Guéguen (où, avant que ce dernier ne vienne, avait eu lieu un grand incendie), la maison de Rannou qui faisait du pain noir dans un four où on mettait de l'avoine (10 à 15 sacs) pour que ce soit plus sec. Dans le Champ, on avait commencé à construire, la maison des Hémidy par exemple.

En 1914, il a fallu partir. J'étais de la classe 15 et j'avais donc 18 ans. J'ai pris le train pour Brest (c'était la première fois que je prenais le train), en plein hiver 1914, avec mon chupenn (vareuse) piqué. Pendant trois semaines, j'ai fait l'exercice dans la cour de la caserne de Fautres, sans uniforme, avec mes boutou-koat et mon chupenn. On dormait sur le plancher nu, on regrettait bien les couettes (balles d'avoine) de chez nous. Au bout de 2 ou 3 jours, on nous a donné une couverture.

Je suis parti de Brest en renfort avec un détachement de 100 poilus pour la 2e coloniale à Sainte-Ménéhould [1]. Il y avait déjà des tranchées et on en a fait d'autres pendant qu'on était là. On faisait des gardes de 12 heures. Un jour, un jeune caporal a reçu une bombe VB [2] devant moi. Je vais pour le relever, il était mort, et je reçois une deuxième bombe dans les fesses ; les médecins ont compté 12 éclats. Me voilà bon pour l'infirmerie. Ensuite, j'ai été blessé dans un bombardement de nuit et on m'a envoyé dans un hôpital de Marseille comme grand blessé. Rétabli, j'ai été encore au front.

 

[modifier] 1.2 Et après le front ?

Après, je suis rentré à Ergué pour travailler de nouveau avec Jean-Pierre Quéré.

À un moment donné, j'ai été détaché de Quéré pour donner un coup de main à l'usine. Bolloré père avait surpris le surveillant de la machine "piquet" à dormir un peu et l'avait mis à pied pour une quinzaine de jours. Je l'ai remplacé comme second machiniste à cette machine piquet qui faisait tourner toute l'usine. Ça marchait à la vapeur. Elle m'impressionnait. J'avais bien vu des charrues, des herses à la campagne, mais ce n'était pas pareil. Il y avait un immense volant qui entraînait toutes sortes de choses dont une grande poulie.

J'ai travaillé également avec un chaudronnier de Nantes. A nous deux, on a couvert la machine 2 qui est en face du château. On a équipé la machine en zinguerie. On a mis les goutières en place et comme on montait sur le mur, il ne fallait pas avoir le vertige.

On a construit aussi les bâtiments de la chiffonnerie. Les charrettes amenaient les ballots à côté du château, ensuite on les amenait en brouette jusqu'à l'essorage.

On a fait également les bobineuses neuves. M. Briand, avec qui j'ai travaillé pas mal de temps, m'avait demandé de graisser les bobineuses. Il a fallu que j'arrête les machines, contre l'avis des gens qui travaillaient là. On m'a donné aussi à graisser les deux machines à papier.

J'ai été aussi faire la salle de façonnage, où était Josephe Quéré. Une fois, j'ai déposé mes boutou-koat à l'entrée, avant de rentrer faire le graissage. Quand je suis revenu, mes sabots étaient remplis de colle, et il a fallu que je les laisse là. C'était sans doute Rosalie Ar Gall qui avait fait le coup.

J'ai fait d'autres remplacements. Avec le chaudronnier de Nantes, j'ai posé les tuyaux en dessous des cylindres de l'usine.

Finalement, j'ai terminé ma carrière à la centrale. J'ai été mis à la turbine avec Francis Gallès, et Pénart venu spécialement pour cette turbine suisse. Elle faisait 700 CV et tournait 9000 t/mn. Au début, je n'y connaissais rien. J'ai appris petit à petit qu'il fallait mettre de l'huile dans les godets, déboucher les crépines pour la prise d'eau, mettre les courroies qui retombaient parfois sur les piles.

Avant la guerre de 1914, on travaillait 12 heures par jour. Il y avait des factions ; pour moi c'était de 7 heures à 7 heures. Les femmes ne travaillaient pas la nuit. Ensuite, on a fait 8 heures, et on a adopté le système des 3/8.

Je ne me rappelle plus quand on a eu nos premiers congés payés. Une année, le contremaitre Pierre Eouzan est allé passer une huitaine de jours au bord de la mer. L'usine s'arrêtait une quinzaine de jours pour la vérification des machines. Certains ouvriers qui, pendant ce temps, n'avaient plus de travail à l'usine, allaient travailler à la campagne. On allait battre, ou faire autre chose.

On a fêté le centenaire de l'usine le 6 juin 1922 [3]. A l'époque j'étais nouveau marié et je travaillais avec Pierre Briand. On a dansé sur la route devant le château. Ma femme était embauchée pour servir.

A cette époque, on allait tout le temps à pied, au Bourg comme à Quimper. A partir de 1930, Mévellec avait un car qui amenait la viande à Lestonan. Mais il n'y avait pas de service régulier.

Au début, avant la guerre, il n'y avait pas d'école à Lestonan. On allait au Bourg. Le soir, quand ma femme revenait du Bourg, il y avait tant à faire à la maison. Le matin elle se levait à 6 heures pour broyer l'ajonc qui servait d'aliment du bétail. Les enfants étaient donc obligés de travailler avant d'aller à l'école. Là-bas, on n'avait pas le droit de parler breton, sinon on avait la vache. Mais ma femme a beaucoup appris avec Mme Corroler de l'école communale du Bourg.

Louis Mahé.

[modifier] 2 Annotations

  1. Sainte-Menehould est une commune française, située à l'est du département de la Marne en région Champagne-Ardenne, qui a beaucoup souffert des guerres de 1870 mais surtout de 1914-1918, qui dévasta la région. [Ref.↑]
  2. Grenades à fusil V.B. (Vivien-bessière), connues aussi sous la dénomination d'obus à fusil V.B. Cet engin se lance au moyen du fusil d'infanterie, coiffé d'un tromblon V.B. Le fusil peut etre épaulé mais est de préférence tiré appuyé à terre ou dans la position de « croisez la baïonnette » ou sur son chevalet. [Ref.↑]
  3. En réalité la fête a été organisée le jeudi 8 juin 1922, et non le 6 : « 1922 - Organisation de la fête du centenaire de la Papeterie de l'Odet » ¤  [Ref.↑]


Thème de l'article : Mémoires de nos anciens gabéricois.

Date de création : décembre 2005    Dernière modification : 6.12.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]