Déguignet face aux machines de la papeterie Bolloré à la fin du XIXe
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Enfin je sortis de ce vaste palais enchanté, émerveillé du génie de l'homme, mais aussi attristé en considérant que ce génie va à l'encontre du but vers lequel il devrait tendre, c'est-à-dire à égaliser un peu le bonheur en ce monde entre tous les individus tandis qu'il tend au contraire à accabler de richesses et de bonheur quelques privilégiés seulement, en en éloignant de plus en plus des millions de malheureux déshérités à qui, comme disait cet ouvrier renvoyé de la fabrique, les machines coupent les bras tous les jours, leur seule fortune en ce monde. | Enfin je sortis de ce vaste palais enchanté, émerveillé du génie de l'homme, mais aussi attristé en considérant que ce génie va à l'encontre du but vers lequel il devrait tendre, c'est-à-dire à égaliser un peu le bonheur en ce monde entre tous les individus tandis qu'il tend au contraire à accabler de richesses et de bonheur quelques privilégiés seulement, en en éloignant de plus en plus des millions de malheureux déshérités à qui, comme disait cet ouvrier renvoyé de la fabrique, les machines coupent les bras tous les jours, leur seule fortune en ce monde. | ||
- | Et ces hommes de génie, ces inventeurs de machines à couper les bras reçoivent des éloges, des encouragements, des félicitations, des brevets, des crois et des pensions, comme en reçoivent ceux qui font les meilleurs écrits mensongers pour rouler, pour berner, pour abrutir, pour consoler et pour calmer les douleurs des malheureux qui restent impassibles, paisibles, avachis, le ventre vide, en haillons, devant ces machines qui tournent jour et nuit au profit de quelques millionnaires et milliardaires et semblent rire en leur mouvement perpétuel et se moquer de ces autres pauvres machines en chair et en os qui restent crever de faim en les regarder tourner. | + | Et ces hommes de génie, ces inventeurs de machines à couper les bras reçoivent des éloges, des encouragements, des félicitations, des brevets, des croix et des pensions, comme en reçoivent ceux qui font les meilleurs écrits mensongers pour rouler, pour berner, pour abrutir, pour consoler et pour calmer les douleurs des malheureux qui restent impassibles, paisibles, avachis, le ventre vide, en haillons, devant ces machines qui tournent jour et nuit au profit de quelques millionnaires et milliardaires et semblent rire en leur mouvement perpétuel et se moquer de ces autres pauvres machines en chair et en os qui restent crever de faim en les regarder tourner. |
Et cependant on entend tous ces ouvriers crier après ces machines, lesquelles finiront certainement par les mettre tous sur le pavé. On entend même parfois quelques soi-disant économistes dont toutes les économies viennent de ces machines, dire du fond de leurs cabinets que ces machines pourraient bien à la fin devenir un danger, mais ils répondent de suite qu'on ne peut pas arrêter l'essor du génie sous peine de retomber dans la barbarie. | Et cependant on entend tous ces ouvriers crier après ces machines, lesquelles finiront certainement par les mettre tous sur le pavé. On entend même parfois quelques soi-disant économistes dont toutes les économies viennent de ces machines, dire du fond de leurs cabinets que ces machines pourraient bien à la fin devenir un danger, mais ils répondent de suite qu'on ne peut pas arrêter l'essor du génie sous peine de retomber dans la barbarie. |
Version du 19 juin ~ mezheven 2012 à 20:59
Dans ses mémoires, à la veille de voir son fils se marier sans son consentement, Jean-Marie Déguignet s'insurge contre la révolution industrielle, contre « les machines à couper les bras » ... Autres lectures : « La création de la manufacture d'Odet » ¤ |
Présentation
Le texte ci-dessous est un bijou : après avoir introduit son sujet par une anecdote mettant en scène un milliardaire américain, puis évoqué l'inventeur de l'expression populaire « Tonnerre de Brest » (ce n'est ni Hergé, ni le capitaine Haddock), Jean-Marie Déguignet nous présente le palais des milles et une nuit où l'on fabrique du papier avec des machines à couper les bras. La clef de l'histoire : « Une nouvelle machine arrivée l'autre jour du Creusot et qui fait à elle seule l'ouvrage de dix ouvriers et par conséquent le patron a mis douze ouvriers dehors ». |
Texte intégral
Pages 514 et 515.
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Annotations
- Jay Gould, né Jason Gould, le 27 mai 1836 à Roxbury dans l'État de New York, et mort le 2 décembre 1892 à New York, est un homme d'affaires américain qui contribua à l’essor des chemins de fer aux États-Unis. Source Wikipedia. [Ref.↑]
- Mahurec est le personnage du gabier dans les romans populaires d'Ernest Capetan (1826-1868) : « Le roi du bagne », « Le tambour de la 32e », « Le roi des gabiers », etc. Dans ces romans d'aventure, ses répliques étaient souvent assortie d'un « Tonnerre de Brest », ce bien avant le capitaine Haddock, le célèbre personnage de Hergé dans les aventures de Tintin. À noter que l'origine du tonnerre de Brest est le tir d'une batterie située sur l'île d'Ouessant en face du goulet de Brest pour donner l'alerte en cas de sortie de la flotte anglaise, et par la suite le coup de canon qui annonçait chaque jour l'ouverture et la fermeture des portes de l'arsenal à 6 heures et à 19 heures aux pieds du château de Brest. [Ref.↑]
Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Date de création : Mai 2012 Dernière modification : 19.06.2012 Avancement : [Développé] |