CORNETTE Joël - Histoire de la Bretagne et des Bretons - GrandTerrier

CORNETTE Joël - Histoire de la Bretagne et des Bretons

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Les <i>taolennou</i> de Nobletz furent adaptés par Julien Maunoir à ses propres missions : il fit peindre des tableaux plus simples, plus lisibles, plus grands surtout [...] Dans ses <i>Mémoires</i>, Jean-Marie Déguignet, fils d'un pauvre paysan analphabète de Quimper, se rappelle des trois jours de retraite qui précédèrent sa première communion, au début des années 1840. Ce document nous permet de prendre la mesure de l'effet produit (assez éloigné de l'effet attendu par le curé pédagogue) et de la pérennité d'une méthode mise au point dans les années 1610 ... Les <i>taolennou</i> de Nobletz furent adaptés par Julien Maunoir à ses propres missions : il fit peindre des tableaux plus simples, plus lisibles, plus grands surtout [...] Dans ses <i>Mémoires</i>, Jean-Marie Déguignet, fils d'un pauvre paysan analphabète de Quimper, se rappelle des trois jours de retraite qui précédèrent sa première communion, au début des années 1840. Ce document nous permet de prendre la mesure de l'effet produit (assez éloigné de l'effet attendu par le curé pédagogue) et de la pérennité d'une méthode mise au point dans les années 1610 ...
-« <i>Pour ces trois jours-là, étaient toujours convoqués tous les curés voisins pour aider à confesser et à faire toutes les instructions préparatoires ;</i> »+« <i>Pour ces trois jours-là, étaient toujours convoqués tous les curés voisins pour aider à confesser et à faire toutes les instructions préparatoires ; et là, chacun avait son rôle comme au théâtre. Un était chargé d’expliquer le catéchisme, un autre du chant, un autre à faire les sermons, et puis un explicateur des tableaux effroyables, où l’on voyait les damnés en enfer enfourchés et embrochés par les diables noirs à cornes de vaches et à longues queues ; et d’autres tableaux où ces diables étaient représentés sous forme de cochons, de crapauds, de serpents, et autres animaux tournant autour du cœur d’un individu et cherchant à y pénétrer pour en chasser le bon ange qui s’y trouvait, et à côté un autre où les diables ont enfin envahi ce cœur tandis que le bon ange s’enfuyait en pleurant.
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 +Et ce curé nous expliquait tout ça avec une baguette en tapant sur ces tableaux comme font les saltimbanques devant leurs baraques. Et on entendait alors des pleurs, des cris, des gémissements parmi les pauvres petits auditeurs effrayés tandis que l’explicateur, gonflé d’orgueil et de bon vin, riait en sous.
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 +[…] En voyant ce curé nous montrant ces tableaux effroyables des diables et de l’enfer, je me demandais comment des pauvres bougres comme moi, qui n’ont pas demandé la vie et durant laquelle ils ont souffert dix fois plus qu’ils n’en ont joui, peuvent être condamnés à des tourments éternels pour avoir eu un instant d’orgueil, d’envie ou de luxure, chose auxquelles nous sommes forcément soumis par la nature ; je voyais de suite qu’il y avait là trop de contradictions entre ces tourments éternels et un dieu qu’on nous disait bon, excellent, magnanime et tout puissant.</i> »
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 +Jean-Marie Déguignet a bien expliqué la réaction des agriculteurs bretons, en l’occurrence ceux de la région de Quimper, face à un « professeur d’agriculture ». Clément-François Olive enseignait alors les choses de la terre à l’école confessionnelle du Likès à Quimper. Nous sommes au début des années 1850 et le jeune Jean-Marie, qui a dix-sept ans, va être employé comme vacher dans la ferme modèle du professeur, à Kermahonec :
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 +« <i>En ce temps-là, il était venu un Monsieur à Kerfeunteun comme professeur d’agriculture pour apprendre aux Bretons l’art de cultiver la terre. Mais les paysans se souciaient peu alors d’apprendre quoi que ce soit en agriculture ni ailleurs. La vieille routine, pas autre chose. Quelques-uns des vieux cultivateurs passaient par la ferme du professeur quelquefois pour regarder les instruments nouveaux, qu’ils n’avaient jamais vus, et regarder les ouvriers travailler. Mais ils s’en allaient en haussant les épaules, et en disant qu’ils auraient à en donner des leçons à ce professeur. Ils voyaient bien qu’il y avait là de belles prairies, bien égouttées et irriguées, des champs de trèfle, de gros choux et des rutabagas, mais tout ça coûtait plus qu’il ne valait, et d’abord les bêtes bretonnes n’avaient pas besoin de ces choses-là pour vivre, pas plus que les hommes n’avaient besoin du pain blanc, de la viande et des légumes, toutes choses alors inconnues dans nos campagnes. Bref, les paysans n’en voulurent pas du tout des enseignements agricoles de ce monsieur. Si c’eût été un paysan encore ! Mais un monsieur à chapeau haut et qui ne savait pas parler breton pouvait-il être cultivateur ? Allons donc ! Les paysans ne pouvaient admettre qu’un monsieur de la ville pût savoir couper la lande, retourner une motte de terre, faucher, moissonner, charger du fumier dans la charrette, râteler les fossés, tracer un sillon avec la charrue en bois à avant-train, modèle Triptolème26, les seules choses nécessaires selon eux pour être bon cultivateur. De la science agricole, ils n’en avaient cure. Ce n’était pas avec des livres qu’on pouvait faire de l’agriculture.</i> »
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Version du 12 février ~ c'hwevrer 2015 à 20:46


Image:LivresB.jpgCatégorie : Media & Biblios  

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CORNETTE (Joël), Histoire de la Bretagne et des Bretons, Seuil, Normandie Roto, Lonrai, 2005, ISBN 2-02-054890-9 et ISBN 2-02-082517-1
Titre : Histoire de la Bretagne et des Bretons
Auteur : CORNETTE Joël Type : Livre/Brochure
Edition : Seuil Note : tome 1 : Des âges obscurs au règne de Louis XIV, tome 2 Des Lumières au XXIe siècle
Impression : Normandie Roto, Lonrai Année : 2005
Pages : 714, 728 Référence : ISBN 2-02-054890-9 et ISBN 2-02-082517-1

Notice bibliographique

Tome 1

Tome 2

Un ouvrage indispensable pour tout amoureux de la Bretagne qui se respecte, une lecture passionnante et une sélection de textes et de repères inédits qui illustrent si bien le propos. Et parmi ces archives on y trouve quelques citations importantes de Jean-Marie Déguignet, avec commentaire et analyse de l'historien d'origine brestoise.

Les Taolennou

La première citation commentée est page 587 (chapitre 34 « Michel Le Nobletz et Julien Maunoir : les "sorciers de Dieu" ») du tome I « Des âges obscurs au règne de Louis XIV », bien que bien sûr que le paysan bas-breton vivait au 19e siècle :

Les taolennou de Nobletz furent adaptés par Julien Maunoir à ses propres missions : il fit peindre des tableaux plus simples, plus lisibles, plus grands surtout [...] Dans ses Mémoires, Jean-Marie Déguignet, fils d'un pauvre paysan analphabète de Quimper, se rappelle des trois jours de retraite qui précédèrent sa première communion, au début des années 1840. Ce document nous permet de prendre la mesure de l'effet produit (assez éloigné de l'effet attendu par le curé pédagogue) et de la pérennité d'une méthode mise au point dans les années 1610 ...

« Pour ces trois jours-là, étaient toujours convoqués tous les curés voisins pour aider à confesser et à faire toutes les instructions préparatoires ; et là, chacun avait son rôle comme au théâtre. Un était chargé d’expliquer le catéchisme, un autre du chant, un autre à faire les sermons, et puis un explicateur des tableaux effroyables, où l’on voyait les damnés en enfer enfourchés et embrochés par les diables noirs à cornes de vaches et à longues queues ; et d’autres tableaux où ces diables étaient représentés sous forme de cochons, de crapauds, de serpents, et autres animaux tournant autour du cœur d’un individu et cherchant à y pénétrer pour en chasser le bon ange qui s’y trouvait, et à côté un autre où les diables ont enfin envahi ce cœur tandis que le bon ange s’enfuyait en pleurant.

Et ce curé nous expliquait tout ça avec une baguette en tapant sur ces tableaux comme font les saltimbanques devant leurs baraques. Et on entendait alors des pleurs, des cris, des gémissements parmi les pauvres petits auditeurs effrayés tandis que l’explicateur, gonflé d’orgueil et de bon vin, riait en sous.

[…] En voyant ce curé nous montrant ces tableaux effroyables des diables et de l’enfer, je me demandais comment des pauvres bougres comme moi, qui n’ont pas demandé la vie et durant laquelle ils ont souffert dix fois plus qu’ils n’en ont joui, peuvent être condamnés à des tourments éternels pour avoir eu un instant d’orgueil, d’envie ou de luxure, chose auxquelles nous sommes forcément soumis par la nature ; je voyais de suite qu’il y avait là trop de contradictions entre ces tourments éternels et un dieu qu’on nous disait bon, excellent, magnanime et tout puissant. »

La Révolution agricole

La première citation commentée est page 249 du tome II « Des âges obscurs au règne de Louis XIV », et porte sur les progrès dans le monde agricole  :

Jean-Marie Déguignet a bien expliqué la réaction des agriculteurs bretons, en l’occurrence ceux de la région de Quimper, face à un « professeur d’agriculture ». Clément-François Olive enseignait alors les choses de la terre à l’école confessionnelle du Likès à Quimper. Nous sommes au début des années 1850 et le jeune Jean-Marie, qui a dix-sept ans, va être employé comme vacher dans la ferme modèle du professeur, à Kermahonec :

« En ce temps-là, il était venu un Monsieur à Kerfeunteun comme professeur d’agriculture pour apprendre aux Bretons l’art de cultiver la terre. Mais les paysans se souciaient peu alors d’apprendre quoi que ce soit en agriculture ni ailleurs. La vieille routine, pas autre chose. Quelques-uns des vieux cultivateurs passaient par la ferme du professeur quelquefois pour regarder les instruments nouveaux, qu’ils n’avaient jamais vus, et regarder les ouvriers travailler. Mais ils s’en allaient en haussant les épaules, et en disant qu’ils auraient à en donner des leçons à ce professeur. Ils voyaient bien qu’il y avait là de belles prairies, bien égouttées et irriguées, des champs de trèfle, de gros choux et des rutabagas, mais tout ça coûtait plus qu’il ne valait, et d’abord les bêtes bretonnes n’avaient pas besoin de ces choses-là pour vivre, pas plus que les hommes n’avaient besoin du pain blanc, de la viande et des légumes, toutes choses alors inconnues dans nos campagnes. Bref, les paysans n’en voulurent pas du tout des enseignements agricoles de ce monsieur. Si c’eût été un paysan encore ! Mais un monsieur à chapeau haut et qui ne savait pas parler breton pouvait-il être cultivateur ? Allons donc ! Les paysans ne pouvaient admettre qu’un monsieur de la ville pût savoir couper la lande, retourner une motte de terre, faucher, moissonner, charger du fumier dans la charrette, râteler les fossés, tracer un sillon avec la charrue en bois à avant-train, modèle Triptolème26, les seules choses nécessaires selon eux pour être bon cultivateur. De la science agricole, ils n’en avaient cure. Ce n’était pas avec des livres qu’on pouvait faire de l’agriculture. »



Thème de l'article : Fiche bibliographique d'un livre ou article couvrant un aspect du passé d'Ergué-Gabéric

Date de création : Février 2008    Dernière modification : 12.02.2015    Avancement : Image:Bullgreen.gif [Fignolé]