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Funérailles apocryphes de Kerdévot

Billet du 18.05.2018 - Enquête sur les origines de cette scène violente du retable flamand de Kerdévot où l'on voit trois soldats aux mains tranchées.

Le cortège funèbre de Kerdévot est formé de la Vierge allongée sur un brancard porté par les apôtres Pierre à la tête de la défunte et Paul devant, saint Jean ouvrant le chemin en tenant la palme resplendissante, et les autres apôtres en procession. Cette Translation (du latin "transitus") de la Vierge qui suit l'épisode de la Dormition et précède l'Assomption et le Couronnement, n'est pas très souvent représentée dans l'iconographie chrétienne classique.

Cette rareté est sans doute due au fait que les sources primitives de ce mystère marial sont présentes uniquement dans quelques textes apocryphes qui ont été condamnés très tôt par l'Église catholique.

Les écrits apocryphes chrétiens mettant en scène le mystère de la Vierge Marie, à savoir essentiellement le pseudo-Méliton de Sardes, le livre de Jean sur la dormition et l'homélie de saint Jean Damascene, datent des 6e et 7e siècles. Des poèmes en latin en ont été produits, « Transitus Beatae Mariae Virginis » ("La translation de la bienheureuse Vierge Marie"), et des copies et commentaires insérés en 1261-1266 dans la Légende dorée de Jacques de Voragine. On connaît même une copie imprimée en 1530 d'un poème breton non daté « Tremenvan an Ytron Guerches Maria » ("Le trépas de madame la Vierge Marie").

Pour l'épisode représenté sur le retable de Kerdévot, à savoir la punition divine des mains coupées lors de la procession funèbre de la Vierge, les textes apocryphes parlent d'un offenseur juif nommé Jéphonias (et Ruben dans une variante plus tardive) et le présentent comme un « Prince des prêtres ».

Or, à Kerdévot, ce sont trois soldats qui sont punis de sacrilège, et non un seul prêtre. Les deux premiers soldats tenant une lance sont à terre avec chacun une main tranchée, et le troisième est debout avec ses deux mains collées au brancard. Comme  dans les

  écrits du 6-7e siècle, la « Légende dorée » de Voragine mentionne un prince des prêtres, mais par contre il existe une version nestorienne plus ancienne, issue de l'apocryphe du pseudo-Jean, qui nomme expressément un « soldat Jôphanâ » ("le Jéphonias de l'apocryphe grec").

Si l'on pousse un peu plus l'observation de la scène représentée à Kerdévot, on note que l'armure du soldat de droite est ornée de la tête à la taille d'une bandelette ressemblant à un attribut de haut prêtre juif : on a sans doute là le double personnage Jôphanâ-Jephonias, mi prêtre mi soldat, qui sera guéri de sa blessure par un saint Jean le regardant avec compassion.

Nous n'avons trouvé que quatre représentations artistiques de la scène
(Miracle de la Vierge, Zompini)
(Miracle de la Vierge, Zompini)
de la translation de la Vierge : dans deux peintures respectivement à Venise (de Gaetano Zompini) et à Troyes, sur les vitraux de la cathédrale de Chartes, et sur une icône orthodoxe. Ces œuvres présentent la légende initiale du méchant prêtre juif ; mais elles n'ont ni la richesse, ni l'originalité des funérailles de Kerdévot.
Image:Square.gif En savoir plus : « La scène des funérailles du retable flamand dans les sources apocryphes du christianisme »