Conseil du 4 août 1907
L'an mil neuf cent sept, le quatre août, à huit heures du matin, le conseil municipal de la commune d'Ergué-Gabéric s'est réuni au lieu ordinaire de ses séances pour la tenue de la session orginaire du mois d'aôût, sous la présidence de Mr Louis Le Roux maire.
Etaient présents MM. Le Goff Hervé, Jean Mahé, Feunteun René, Talayen Vincent, Quelven Louis, Bacon Louis, Nédélec François, Feunteun Mathias, Bacon Joseph, Le [...], Le Corre, Le Berre, Salaün Yves et Louis, Le Roux maire. Absents MM. Le Dé, Kergourlay, Charuel, Lozac'h René, Tirant Jean.
M. Mahé Jean élu secrétaire.
Le maire entretient le conseil des multiples inconvénients que présente pour les cultivateurs la mise en application de l'arrêté préfectoral en date du 26 juin 1907 préconisant que tout individu conduisant un cheval en main, attelé ou non, devra se placer à gauche de l'animal.
Le Conseil après en avoir délibéré, considérant que le susdit arrêté est difficilement applicable à la campagne et qu'il est de nature à produire de nombreux accidents, tant dans les petits chemins creux et encaissés, que sur les routes, émet le vœu à l’unanimité qu'il soit rapporté dans me plus bref délai possible, ou modifié dans un sens plus pratique.
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Lettre au préfet
Monsieur le préfet,
Votre haute sollicitude à l'endroit de vos administrés, mise en éveil par un rapport des plus documentés de M. le Directeur du Dépôt de Lamballe, vous a porté à publier, tout récemment, un arrêté sur la façon dont nous devons, à l'avenir, conduire nos chevaux.
Je me contente d'en citer l'article 1er : « Tout individu conduisant un cheval en main, attelé ou non, devra se placer à gauche de l'animal, de façon à apercevoir les voitures ou animaux qui le croisent ».
Cela part d'un bon naturel, sans doute, mais pourquoi nous obliger, nous cultivateurs qui sommes en l’occurrence, le plus atteint, à mener à gauche ?
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suite ...
Je sais bien, l'exemple venant du haut, que le char de l'État a des tendances à marcher toujours plus à gauche et que la droite est un sujet d'aversion aiguë. Ne craignez-vous pas, cependant, que cette nouvelle manière ne surprenne nos vieux chevaux, ne les déroute et ne fasse de nos charrettes des chars à renversements ?
Ah ! Monsieur le Préfet, je suis loin de vous en vouloir pas plus qu'au brave Directeur du Dépôt de Lamballe ; toutefois, je vous l'avoue, votre arrêté soulève dans les campagnes les plus vives récriminations. Tout le monde s'indigne, proteste et il y a lieu d'espérer que nos protestations individuelles seront appuyées bientôt de celles nos conseils municipaux.
En effet, le maintien de cet arrêté pourrait avoir des conséquences désastreuses, tant au point de vue matériel que personnel. Ainsi, par exemple, une automobile apparaît brusquement au tournant d'une de nos routes si pittoresques, avec sa trépidation et le mugissement de sa trompe, le cheval s'effraie, fait un écart et le conducteur à gauche, projeté sous les roues du terrible teuf-teuf ... se remue, s'agite comme un ver coupé.
Adieu cheval et charrette !
Puis les petits chemins creux et étroits, les écrasements contre les barrières des champs, toutes s'ouvrant à gauche et aussi l'obligation de changer de côté au frein pour l'avoir plus vite à la portée de la main, en cas d'urgence, etc., etc. !
De plus, allez donc modifier les habitudes des cultivateurs âgés ! J'entendais, l'autre jour, les plaintes d'un vétéran des champs, de 65 ans, dont le cheval s'en allait lentement, alourdi par le poids de 25 années de travail : « Comment veux-tu, mon pauvre ami, que je conduise à gauche, je n'ai toujours connu que ma droite et je n'ai jamais eu d'accidents. Tout ça c'est des changements qui ne disent rien, ce sont des conchennou ».
Croyez-moi, Monsieur le Préfet, vous ne sauriez mieux faire qu'en rapportant cet arrêté, de nature tracassière ; laissez comme par le passé chacun conduire à sa guise, en s'en tenant naturellement aux règlements qui régissent la matière. Que ceux qui veulent conduire à gauche, conduisent à gauche et que ceux qui préfèrent mener à droite soient libres de le faire. Parmi les habitudes, il est sage de conserver les bonnes, et celle de mener à droite en fait partie.
Veuillez agréer, etc ...,
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