Article du Finistère du 12 avril 1902
Un désespéré.
La semaine dernière, M. Téréné, commissaire de police de Quimper, recevait une lettre de M. Jean Déguignet, 68 ans, ancien débitant, qui lui annonçait son intention de se suicider. Aussitôt, M. Téréné se rendit au domicile de ce malheureux, rue du Pont-Firmin, 17, au 3e étage ; il enfonça la porte, qui était solidement barricadée, et entra dans l'appartement.
La pièce était remplie de fumée ; sur le parquet, se trouvait un réchaud rempli de charbons ardents ; Jean Déguignet était étendu sur son lit, inanimé. Aussitôt la chambre fut aérée et les soins les plus empressés furent donnés au malheureux qui reprenait ses sens quelques instants après.
Jean Déguignet avait reçu les jours précédents de son propriétaire l'ordre de quitter la maison ; comme il est atteint de la monomanie de la persécution on croit que c'est pour ce motif qu'il a cherché à se donner la mort.
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Article du Courrier du Finistère du 19 avril 1902
Tentative de suicide
M. le commissaire de police trouvait Jeudi matin ans son courrier une lettre d'un sieur Jean-Marie Déguignet, ex-débitant, domicilié au n° 17 de la rue du Pont-Firmin l'informant de sa détermination d'en finir avec la vie.
Le magistrat se rendit aussitôt à l'adresse indiquée, en compagnie de son secrétaire. La porte du cabinet qu'occupait Déguignet au 2e étage était fermée et barricadée en dedans avec une table.
D'un coup d'épaule le secrétaire la fit sauter. Aussitôt les deux hommes furent enveloppés par un épais nuage de fumée ; ils pénétrèrent cependant ans la pièce et trouvèrent étendu sur son lit le désespéré qui ne donnait plus signe de vie. Au milieu de la chambre, dont les ouvertures avaient été soigneusement bouchées, brûlait un réchaud de charbon. On ouvrit la fenêtre, on établit un courant d'air, on fit respirer du vinaigre à l'asphyxié qui, au bout de vingt minutes, avait repris ses sens.
Ce vieillard, âgé de 68 ans, s'était déterminé au suicide parce que son propriétaire lui avait donné congé ces jours derniers.
Transporté à l'hôpital, il a été examiné par M. le docteur Coffec, qui a reconnu en lui la manie de la persécution et a conclu à son internement.
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Pages 35-41 du cahier n° 22 des mémoires Déguignet
Mais ici je suis obligé de m'arrêter pour une affaire personnelle qui n'a je pense rien de politique à moins que les procès se mèlent aussi quelquefois de ces affaires. En effet, je viens de recevoir de mon propriétaire l'ordre de quitter mon trou dans lequel je vis depuis six ans, sous prétexte que les voisins se sont plaints des poux lesquels, parait-il, vont de mon trou dans leur chambr,e quoique ces bonnes bestioles que je connais depuis soixante ans ne quittent jamais les os d'un minable sur lequel ils sont mis. Moi j'ai eu il est vrai pour compagnons de toute ma vie ces bestioles plus ou moins inoffensives, plus inoffensives que les puces et les punaises, j'aime autant avoir ces bonnes ... [scan incomplet]
Car il y a certes plein de bravoure et de courage à se tuer soi-même qu'à tuer un autre. Il est plus pénible assurément de se deffaire d'un bien légitime qui vous appartient que de détruire un bien qui ne vous appartient pas, surtout quand ce bien vous porte ombrage et préjudice. Ce n'est du reste que le christianisme qui a créé ce malentendu en faisant d'un suicide un crime lorsqu'ailleurs on en fait une vertu, en déshonorant la mémoire du mort, quand ailleurs on l'honore. Je verrais peut-être chez un citoyen jeune encore qui se suiciderait pour se soustraire aux charges qui lui incomberaient dans la société. Mais pas chez un citoyen devenu inutile et à la charge de sa famille et de la société.
§ On a vu qu'au commencement de ma vie ...
On a vu qu'au commencement de ma vie j'ai été pour ainsi dire mort plusieurs fois. Eh bien je viens encore de mourir une fois, mais cette fois volontairement. On a pu remarquer au cours de ces récits d'une vie si bien agitée comment et combien je suis sensible aux reproches, aux injures et insultes, puisque déjà à l'âge de douze ans je pensais me suicider pour échapper aux reproches démérités d'un patron ivrogne et une autre fois au régiment parce qu'un lieutenant m'avait infligé une punition notoirement injuste.
Eh bien cette fois c'est par suite de trop de persécution dont on a pu voir les récits ans ces manuscrits et surtout par l'injure que me fit mon propriétaire en me donnant congé inopinément lorsqu'il y a douze ans que je suis chez lui et que mon loyer est payé d'avance et enfin par l'horrible insulte que me fit cet agent de police, le plus méchant et le plus stupide de tous ces agents ignorants et méchants envers les pauvres bougres autant qu'ils sont plats et lâches devant les grands coquins. Devant tant de méchancetés et de canailleries mon cœur et mon esprit sensibles ne purent tenir davantage et au lieu d'assommer un quelconque de cas canailles je résolus de me tuer moi-même. Je donnais tout ce que je possédais dans mon trou à un vieux pilhaouer (chiffonnier) pour quelques sous, puis j'achetai pour deux sous de charbon. Ensuite j’écrivais cette lettre au commissaire de police. ~ Monsieur le Commissaire, je vais mourir assassiné par votre agent Le Quillec et par Mathurin Lozac'h. Mais déjà depuis longtemps à moitié tué par mes nombreux persécuteurs, notamment par Maherbe de la Boixière, Cambourg, les curés Le Gall, Le Mao, Gardès, par Hélias de Pluguffan, Baron de la préfecture, Déguignet fils, clerc de notaire. Demain je vous prie de vouloir bien faire enlever mon cadavre. Vous trouverez chez moi des livres, des manuscrits et de nombreuses lettres, vous en ferez ce que vous voudrez. Je vous demande pardon des embarras que je vais vous causer, adieu Déguignet !
Après avoir tout disposé pour le départ, j'allais encore très gaiement boire quelques verres avec les amis. J'attendis vers minuit avant d'allumer mon charbon, puis je me couchais philosophiquement la tête près du fourneau. Je ne tardais pas à m'endormir pensant que c'était pour toujours. Comme les choses se passèrent-elles durant mon sommeil qui devait être éternel, je ne puis le comprendre. Car le matin je me réveillai, mais sans pouvoir bouger ni bras ni jambe. Mais en tournant les yeux je voyais ma chandelle que j'avais laissé allumée éteinte et le charbon également éteint sans être complètement consumé. Cependant au bout d'une heure environ et plutôt par la force de volonté que par mes forces naturelles épuisées, je pus me relever. D'abord sur mes genoux et sur mes mains, puis enfin en saisissant d'une main le bord de mon grabat je réussis à me mettre debout. Je regardai la porte toujours bien fermée et calfeutrée avec la croisée et voyant qu'il restait à peu près la moitié du charbon je rechargeai le fourneau et de nouveau y mis le feu. Cette fois j'étais certain que je n'échapperai pas ayant déjà subi une mort et à peine à moitié ressuscité. Et en effet au bout de cinq minutes, je reperdis connaissance. Mais oh quelle fatalité qui s'attache à ma vie, je ne sais combien de temps après je me réveille encore, cette fois entre les bras de deux agents de police qui avaient l'air de me prodiguer autant de soins que d'injures; puis un instant après lorsqu'il avaient fini par me ranimer tout à fait j'entendis la voix narquoise et stupide du commissaire commandant ses agents de bien me secouer et de me laver la figure, puis quand ils m'avaient suffisamment massé et secoué, ils me traînèrent dans la rue, et me firent faire la moitié le tour de la ville pour me conduire à l'hôpital où je suis depuis huit jours sans savoir ce qu'on va faire de moi.
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Pages 66-68 du cahier n° 22 des mémoires Déguignet
Maintenant un médecin a pu me mettre hors la loi et hors l'humanité, me condamnant à mort avec dégradation civique. ~Lettre adressée au médecon Jossec le 1er juillet 1902 ... Voici la lettre que je viens de lui écrire.
Monsieur le docteur. Vous voyez bien que je suis de trop dans ce monde, et j'aurais raison de vouloir le quitter, non pas, comme vous avez déclaré dans un acte de démence, mais dans la plénitude de ma raison et de ma volonté ... Vous avez déclaré par voie de journaux que j'étais fou et que je devais être interné. Déclarez maintenant que cela n'est pas vrai que le sieur Déguignet est plus saint d'esprit que de corps ...
Lettre adressée au Docteur Koffec le 5 juillet 1902.
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