Ah ! une prairie ...
De fait, à l'intérieur de la forêt, se trouve une étroite vallée, couverte d'herbes hautes, encaissée entre les deux collines, avec, au milieu, un ruisseau rapide, aimé des truites et courant sous des saules.
Mais l'heure n'est pas à la pêche, pas plus qu'à faire de la poésie sur le paysage, d'ailleurs parfaitement invisible dans la nuit.
Fait passionnant, la voix de Rocambol l'en assure, en face, quelque part dans les fourrés du bois, sur la colline, le sanglier tapi dans sa bauge, attend l'instant propice pour éventrer le chien ... ou l'homme assez fou pour s'aventurer jusqu'à lui.
(page 28) C'est pourtant ce que X. a résolu de réussir.
Pénétrant dans le ruisseau qu'il traverse, de l'eau jusqu'aux genoux, il s'avance dans l'herbe haute de l'autre bord et entre dans le bois, sombre comme une gueule de four.
Les branches qu'il écarte reviennent sur elles-mêmes et le fouettent au visage.
Pour protéger les gâchettes de son fusil, il le cache sous son bras et, le canon en avant, progresse péniblement, se dirigeant toujours vers les aboiements sinistres.
Mais la colline devient abrupte, presque à pic et notre ami, pour avancer, doit se traîner sur les genoux, serrant toujours son fusil sous son aisselle et écarquillant les yeux pour essayer de percer l'ombre.
Il doit être, maintenant, à quelques pas des combattants, car le chien, qui a senti son maître, s'est tu.
Quant au sanglier, il est certainement ramassé sur lui-même, prêt à foncer sur l'intrus qui approche et qu'avec ses yeux de bete sauvage, il voit aussi bien qu'en plein jour.
Alors que faire ? ... Si seulement la lune avait la bonne idée de paraître et d'éclairer la scène ...
Mais non, le temps est maussade. Même une petite pluie fine comme de la bruine, se glisse à travers les feuilles du maquis.
Allons, il est impossible de s'éterniser stupidement !
Et toujours, sur les genoux, deux doigts sur les
(page 29) gâchettes de son fusil, notre héros fait un mouvement en avant, quand, rapide comme l'éclair, vrai bolide lancé en trombe, le sanglier fonce sur lui, en fracassant branches et arbustes.
L'attaque est si brutale et soudaine que notre ami n'a pas le temps de réfléchir et pèse instinctivement sur les deux gachettes.
Un tonnerre : les deux coups sont partis en même temps, défonçant l'énorme bête si proche que les poils sont brulés par la déflagration. La masse inerte roule sur le chasseur qu'elle bouscule rudement, sans le blesser, toutefois.
Mais Rocambol se précipite, fou de rage : à pleines dents, il s'acharne sur son antagoniste immobile et sanglant, tandis que le vainquer se relève, encore tout abasourdi par l'évènement qui vient de se dérouler en moins d'une seconde.
Les visiteurs de l'usine peuvent voir maintenant, dans le vestibule de la maison d'habitation, empaillé et débout sur ses pattes de derrières, le terrible sanglier, dont le côté porte toujours la plaie du double coup de feu, entouré de poils calcinés ...
Et j'ai songé à la Bonté du Seigneur qui, en cette circonstance, a préservé mon ami d'une mort certaine, sans doute pour lui permettre de faire tout le bien qu'il a « réalisé » depuis.
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