La gwerz de la ville d'Ys chantée par Déguignet
Un article de GrandTerrier.
1 Présentation
Qui ne connait la légende de Ker Ys ("ville d'Ys"), l'Atlantide bretonne ? L'histoire dit qu'elle fut engloutie pour punir Dahut, la fille du roi Gradlon, de ses péchés. Jean-Marie Déguignet nous raconte dans ses mémoires qu'on lui acheta une version imprimée de la complainte de Ker Ys, sans doute sous forme de feuille volante, alors qu'il était jeune vacher dans une ferme de Kerfeunteun dans les années 1851-1854. Cette gwerz de 196 vers fut composée par un jeune Morlaisien de 19 ans et éditée en 1850 en recueil de poésie On s'attachera ci-dessous à comparer la présentation de la gwerz faite par Déguignet avec le texte d'origine, et évoquer également les figures qu'étaient les marchandes de chansons dans les foires et pardons. |
2 Lecture de Déguignet
Jean-Marie Déguinet, né en 1834, est jeune vacher à la ferme de Kermahonec en Kerfeunteun de 1851 à 1854. Il précise que c'est à ce moment que parut « une nouvelle gwers sur cette fameuse ville d'Is », ce qui atteste bien qu'il s'agit de la complainte composée par Louis Souvestre et publiée en 1850 (cf détails au chapitre ci-après consacré au chansonnier). Voici les deux premiers versets de cette complainte (cf texte complet en fin d'article), avec l'orthographe d'origine (et la traduction en français) :
Petra 'zo nevez e kear Is,
N'eus e kear Is netra neve,
Bojennou drez zo divoannet
[Qu'y a-t-il de nouveau dans la ville d'Is, que la jeunesse est si joyeuse, et que j'entends le biniou, la bombarde et les harpes. Dans la ville d'Is, il n'y a rien de nouveau, car c'est fête ici tous les jours ; il n'y a rien de nouveau dans la ville d'Is, car c'est fête ici toutes les nuits. Les buissons d'épine ont poussé devant les portes des églises toujours fermée ; et sur les pauvres qui pleurent on lâche les chiens pour les dévorer.] Pour l'épisode de la fuite du roi Gradlon, Déguignet cite la réplique de son confesseur Guénolé : « Taol en diaoul er mour » (« jette le diable à la mer »). Le texte exact de la gwerz est le suivant :
Kerkent ar mor o vuanna,
[Aussitôt, la mer arrive plus rapide, et Guénolé s'écrie en tremblant : Gradlon, jette à bas de ton cheval ce démon maudit.] |
Quant aux derniers versets de la gwerz d'Olivier Souvestre, il y a bien une évocation de Notre-Dame de Rumengol, lieu de débarquement en terre ferme de Gradlon et Guénolé :
Du-hont, e mmor a ghear Is,,
[Là-bas, en mémoire de la ville d'Is, j'élèverai une église, et pour le rappeler à tous, je l'appellerai l'église de Rumengol.] Le Texte de Jean-Marie Déguignet ,
|
3 Marchande de chansons
Dans sa « Bretagne d'Hier » (Rennes, 1937), Léon Le Berre trace un très vivant portrait de Marie Kastellin, marchande de chansons bretonnes dans les foires et pardons :
|
4 Olivier Souvestre, chansonnier
Ollivier Marie Souêtre (forme de l'état civil), communément appelé Olivier Souvestre, né le 27 décembre 1831 à Plourin-les-Morlaix et mort le 30 décembre 1896 à Paris, est un poète et chansonnier breton qu'il ne faut pas confondre avec Émile Souvestre qui était lui avocat, journaliste et écrivain. Son intelligence le fait remarquer par Jean Pierre Marie Le Scour qui le rencontre au presbytère de Plourin et qui le fait envoyer à Quimper au grand séminaire. C'est à ce moment, à l'âge de 19 ans, qu'il aurait composé la complainte en breton « Ar Roue Gralon ha Kear Ys », qui fut l'un des principaux vecteurs de la légende du roi Gradlon et de la ville d'Ys, une habile contrefaçon d'un texte ancien. En 1858, voulant se faire un nom dans les lettres, et d'abord dans le théâtre, Olivier Souêtre part travailler à Paris pour le compte de la compagnie de chemin de fer de Graissezac à Béziers, et publie, en 1862, aux frais de Jean-Pierre Le Scour, un roman en français, « Mikaël, kloarek breton » qui ne recueille aucun succès, d'autant que l'éditeur fait faillite peu après. Il participe à la Commune en 1871 et est blessé lors des combats d'Issy-les-Moulineaux en janvier 1871. Ayant reçu une balle dans la gorge, il échappe au peloton d'exécution. Licencié par la Compagnie d'Orléans, il retrouve un emploi, d'abord comme correcteur d'imprimerie, puis comme commis au Comptoir national d'escompte de Paris. |
Une fois la République stabilisée et la répression anti-communarde arrêtée, il se met à écrire les paroles de plusieurs chants révolutionnaires et anarchistes en français, dont, en 1883, « La Marianne », avec la musique de Léon Trafiers, qui a été traduit dans plusieurs langues et qui fut un chant emblématique des mouvements sociaux européens avant le triomphe de l'Internationale. En 1888 est joué l'opéra « Le Roi d'Ys » sur une musique d'Édouard Lalo, librement inspiré de l'œuvre de Souêtre, mais, celui-ci, que beaucoup croient mort, n'est pas perçu comme l'une des sources du livret, alors même qu'on publie le texte en français sans nom d'auteur. Un spécialiste, comme Anatole Le Braz suppose même, pendant un certain temps, que la complainte est une œuvre populaire très ancienne. En 1896, l'année même de sa mort, il fait publier « La Cité de l'Égalité », un dialogue de 30 pages qui rend hommage à l'œuvre de la Commune, appelle à la révolution communiste anti-autoritaire qu'il voit se réaliser en 1930 et propose une France totalement fédérale basée sur « l'indépendance réciproque des communes » dans une optique anarchiste. |
5 Version complète de la gwerz
Version extraite du recueil « Bleunioù-Breiz » édité par Th. Clairet en 1862 [3]
:
Texte complet (avec traduction) | |||||
6 Annotations et commentaires
- Le texte « Ar Roue Gralon ha Ke(a)r Is » est édité en 1850 accompagné d'un poème de Jean Pierre Marie Le Scour sur le passé légendaire de Rumengol. [Ref.↑]
- La ligne de chemin de fer entre Quimper et Brest est ouverte en 1867. Du fait que Rumengol ne disposait pas de gare, les pèlerins venant au grand pardon par le train s'arrêtaient à la gare de Quimerc'h (« Quimerch ! Les voyageurs pour Rumengol descendent ! » écrit Anatole Le Braz dans Au pays des pardons) ; mais, certains jours de pardon, les trains s'arrêtaient au passage à niveau de la forêt du Cranou comme en témoigne cet exemple en 1904 : « À l'occasion de cette solennité, la Compagnie des chemins de fer d'Orléans arrêtera, le dimanche 24 courant, les trains au passage à niveau 543 entre Quimerch et Hanvec. (...) De plus, un train extraordinaire aura lieu entre Quimper et la station 543 ». [Ref.↑]
- « Bleuniou-Breiz ». Poésies anciennes et modernes de la Bretagne. Quimperlé, Th. Clairet, imprimeur-libraire, éditeur. 1862. [Ref.↑]
Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Date de création : Novembre 2011 Dernière modification : 24.01.2012 Avancement : [Développé] |
Catégories: JMD | Bzh