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Les chauffeurs
(Cette histoire a été racontée pour la première fois par le père Le Scao, sous une forme ébauchée)
C'est l'heure du repas du soir et tous les habitants de la maison sont assis autour de la table : d'un côté on voit le grand père avec ses deux petits enfants, Joseph et Hervé, et de l'autre les domestiques et le chef de famille lisent La Vie de saint Laurent. Hervé a des frémissements tout le temps, et la fillette dit quand la lecture fut achevée : « Pourquoi tant de malheur pour ce saint ? Je ne vois pas pourquoi on l'a fait mourir, car il est vrai qu'il n'était pas un homme mauvais. Ha ma felle d'an dud kris-se e laza, perak beza hen dalc'het da c'houzanv poaniou ker spountuz pendant tant de temps ? Si j'avais été de cette époque, j'aurais tiré sur ces gens-là et laissé le saint s'en aller ».
— « Tu sais, mon petit, dit le grand père, autrefois il y a toujours eu beaucoup de gens mauvais, et ces gens-là ont toujours cherché à faire du mal aux gens bien. Il y a maintenant cent ans, pendant la grande révolution, c'était comme du temps de saint Laurent. »
—« Grand père, dit Hervé avec un baiser, raconte nous une histoire de la révolution. ».
Le grand père, qui ne pouvait rien refuser à ses petits enfants, commença aussitôt son histoire.
— « Alors, dit-il, d'après ce que j'ai entendu de mon père, les prêtres devaient se cacher ici et ailleurs,
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dans les champs, les bois, les grottes ... Il y avait des gens sans cœur qui avait comme tache de les dénoncer aux Républicains, et ces gens-là , pa c'hellent tapa peg en eur beleg pe en dud vad a roe digemer d'ezo, les mettre sur une billig (plaque à crêpes) rouge, et c'est pourquoi on les a appelés les Chauffeurs.
Un jour à Kergoant (Ergué-Gabéric) des gens allaient se coucher : l'épouse était bien sous les draps dans son lit. Et voilà qu'on entend du bruit de gens qui marchent et s'approchent ; la porte n'est pas fermée et cinq Républicains entrent dans la maison, chacun tenant un sabre et un fusil.
— « Il y a un prêtre caché ici : toi, citoyen, da chercher anezan d'eomp », dit aussitôt le responsable au chef de famille .
— « Il y a longtemps que je n'ai pas vu un sarrau noir dans ma maison, répondit le chef de famille, cependant si vous ne me croyez pas, cherchez-le. — Pour moi ne fouillez pas, car j'ai dans l'idée que vous ne trouverez rien. ».
— « À toi je dirais ceci : à d'autres. Il y a ici un prêtre caché. Ramenez le, nous n'avons pas à perdre notre temps à attendre. ».
Les Républicains s'attablèrent et se servirent de la viande, du pain blanc et d'une goutte de jaune, ni petra 'ta. Comme François restait impassible, le chef des chauffeurs dit :
« Ce citoyen ne veut pas avouer où est l'oiseau noir : ne vo ket brao d'ezan choum aze beteg m'or bezo leunet hor c'hof : rag neuze ni a velfe a lemm eo hor c'hlezeier pe tenna a ra hor fuzulhou. — Rag bezit sur, citoyen, ni or bezo ar beleg, pe da benn, da gas ganeomp. Da c'hedal, de quoi il n'y a pas de cidre ici ? — va en chercher, citoyen Jaouen, dit-il, tourné vers l'un de ses compagnons ».
Si vous voulez du cidre, il y a moyen de vous servir, dit François. Kerkent an ozac'h a gemeraz eur skudel hag a bedaz ar mevel da ziskouez d'ezan an hent gant ar goulou. Er c'hao e chomchent eun tammig da zavarat, et François dit tout bas au commis : « Je ne connais pas ces deux diables, goest int d'ober ar brasa torfejou. Cependant, écoute bien ceci, il n'y a pas grand chose à faire, restez calme : an distera a rafec'h, evit klask tec'het, a ve avoalc'h evit lakaat diskredi varnoc'h hag oc'h anaout ».
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— « Je ne veux pas, dit le commis, être responsable de votre mort, et je ne les laisserai pas vous tuer ». Paix, dit François, vous êtes izoum ac'hanoc'h dans ce pays. Il n'y a plus du tout de prêtre, ha ma vezoc'h lazet, piou a vadezo ar vugale, a lavaro an ofern ... J'ai cinq enfants en bas âge ; keit ha ma choumo ho mam ganto e c'hellan beza dinec'h, savet mad e vezint : ma c'hoarvez ganti beza lazet ive, Doue a gemero soursi anezo. Rak-se taolit evez, neuz forz petra reio ar loups-là, grik ebed : petra rafec'h eneb pemb : ha dreist oll diouallit d'en em ziskuill ».
— Une chose cependant qu'il serait bien de faire : je vais dire à Pierre de Ti-Plouz de faire venir les Chouans jusqu'aux Républicains ici. Bet e tleont beza vardro Briec gant Kornouaill » —« Kerzit memez tra ».
Le commis, ou plutôt le prêtre, comme un ami proche, courut prévenir Pierre, et François rentra dans sa maison avec le cidre.
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Une fois François entré, le capitaine des révolutionnaires dit : « allons, citoyens, buvons ; et toi, s'adressant à François, bois avec nous, ça va apporter plus d'énergie pour pouvoir amener la laine-noire ». — « Je ne bois pas, dit le chef de famille, et une fois encore je vous dis qu'il n'y a pas de prêtre ici. Ne dal ket deoc'h. » — « Nous verrons ; ce qui est sûr, un prêtre a été remarqué venant hier matin autour de Quimper gant da benn var beg va c'hleze ».
Minuit sonna. — « Allons, citoyen Jacques, dit le chef, allez fouiller : je vais chauffer, car il fait humide ». — Jacques et les trois autres s'empressèrent de rechercher le prêtre : chaque abri, chemin et coin de la maison furent fouillés.
Pendant ce temps Anna, l'épouse, était très angoissée, evel ma c'helloc'h kredi. Sans réfléchir, e loskaz eun uhanaden. Le chef des chauffeurs commande à ses gens de vérifier qui était dans le lit. François qui se plaça entre elle et le lit répondit « C'est ma femme ». — « Citoyenne, dites-nous où est le prêtre et rien de mal ne vous sera fait. ». — Anna avait aussi une éducation chrétienne. — « Il y a très longtemps que je n'ai vu un prêtre dans les environs ; ils ne seront pas tués, étant en fuite. »
— « Ah ! comme ça on se moque de nous, dit le chef qui gifla François et le jeta à terre. Attends ... », ober a reaz eur zell spountuz endro
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d'ezan et ramassa une corde sur le sol de la maison : avant de mettre François debout, en doa liammet daouarn Anna adrenv he c'hein. Alors il dit au chef de famille : « Le prêtre n'est pas ici ? Dis-nous alors où il est allé. ». — « Je vous le dirai pas — aucun prêtre ne m'a fait de mal, ni à toi non plus. Pourquoi je voudrais lui faire la guerre ?. » — « Dis-nous où est le prêtre, ou alors tu vas le regretter. » — « Je ne vous le dirai pas. » Alors sur l'ordre du chef, un feu a été allumé sous la bilig. François pensa que son heure était arrivée.
Cependant Dieu a tout pouvoir, et l'homme ne peut faire que ce qu'on le laisse faire. François lui faisait toute confiance. En entendant ses enfants pleurer, et en voyant sa femme dans un triste état, an daelou a deuaz en e zaoulagad. Lavaret a reaz ennan e-unan : « Vierge Marie, grit eur zell a druez ouzin. Regardez mes enfants, regardez Anna ! Que feront-ils après ma mort ? Ho polontez bezet great, o mon Dieu. Me 'zo kountant da vervel evidoc'h : mez diouallit an eneou keiz-se, diouallit ar beleg. Notre Dame de Kerdevot, ma na vezan ket lazet gant ar bleizi gouez-ma, me 'roio d'eoc'h an daou ejen guella 'zo em c'hraou. »
Setu ma oue klevet eur vouez skrijuz o iouc'hal er pann all d'an ti : « Eh bien ! citoyen, dis-nous où est la laine noire, ou alors nous te mettons sur la billig rouge. » Fanch a reaz eur zell ouz Anna hag e vreg a lavaraz d'ezan : « Na falgaloun ket ; Doue da vel. » Avec force, François répondit : « Ici il n'y a pas de laine. » — « Avoalc'h evelse » ; François est attrapé, ses mains liées dans le dos, et allongé sur la billig. Anna a bede kalounek, ar vugale a lenve forz eur ran-galoun oa o c'hlevet.
À ce moment, le commis entre dans la maison. Quel surprise ! Moudra a ranke var e himor evit miret da zifen an hini a roe e vuez evitan. On ne lui laissa pas une minute pour réfléchir : il fut attrapé et ses pieds et ses mains liés. Ne c'hellaz miret da skuill daelou a levenez pa glevaz Fanch o lavaret : « Gloire à toi, mon Sauveur, soyez béni maintenant et de tout temps. Notre-Dame de Kerdévot, ayez pitié de moi », e zaoulagad a joume da bara ouz an nenv evel p'en divije guelet ar Verc'hez : el leac'h diskouez kaout poan, morse n'oa bel ken laouen ha ken
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chichan : lavaret e vije bet eno var eur guele plun. Les Républicains se regardent les uns les autres : morse n'o doa guelet kement all : el leac'h anaout eno dorn Doue, en em lakeont da gounnari hag ar mestr a reaz tenna Fanch divar ar billig en eur lavaret : « Hema en deuz eun dra benag dindan e zillad hag a vir ouz an tan d'hen devi. »
Fanch a zo divisket : ils n'avaient trouvé qu'un scapulaire (vêtement religieux). Tolet e oue adarre var ar biliig, en noaz er veach-ma : ne c'houzanvaz poan ebed, kaer o devoue an dommerien ober tan.
« Le feu ne fera rien, dit le chef, mieux vaut le tabasser. Ils allaient frappé, quand l'un d'entre eux dit : « écoutez ». En fait on entendait des gens s'approcher, et faisant du bruit comme s'ils étaient très nombreux. « Les Chouans, dit l'un ». Ce mot rendit dingues les loups : ils se regardèrent les uns les autres, comme des déments : que faire : fuir, disparaître ? se dépécher ? Cependant le bruit se rapproche, se rappoche... galoper dehors dans la campagne, sans plus songer à donner la mort à François.
Un peu après, les Chouans étaient dans la maison, et ensuite François était tiré de la billig et le prêtre et Anna étaient déliées, ec'h en em daolont oll d'an daoulin en remerciement à Dieu et Notre-Dame de Kerdévot.
J.-L. Prigent [1] .
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