Vers adressés le 1er janvier 1898 à Le Braz Anatole qui m'a volé 24 manuscrits de mes Mémoires, JMD - GrandTerrier

Vers adressés le 1er janvier 1898 à Le Braz Anatole qui m'a volé 24 manuscrits de mes Mémoires, JMD

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(Jean-Marie Déguignet, Rimes et Révoltes, p. 17-19.)

Je rêvais l'autre nuit que la pâle Atropos [1],
Laquelle à notre Ankou fait de la jalousie,
Etait venue à moi avec ses gros ciseaux
Me tranchant en riant le filet de la vie.

C'est pour ça que tu as obtenu des honneurs.
Car depuis longtemps là-haut on ne décore plus
Que de bons chenapans, des coquins, des voleurs.
Jamais on y songe aux hommes de vertus.

Je me trouvais alors sur le bord d'un fossé
Où par avance j'étais destiné à mourir
Ainsi que doit mourir un pauvre guenille
Pour mourir dignement et finir de souffrir.

Rappelle-toi coquin quand tu vins me voler
Dans ma pauvre turne où je mourais de faim.
« Donnez-moi, disais-tu, vous en aurez du pain,
Vos jolis manuscrits à faire imprimer. »

Cependant mon cadavre fut traîné dans la terre
Ainsi que l'on traîne le cadavre d'un chien.
Mais ce fût cependant dans un grand cimetière
Et même enfoui à côté d'un chrétien.

Mais, dès que tu les eus en ta possession
Tu m'envoyas promener, moi et ma misère.
Tu me répudias, hypocrite fripon,
Et de mes manuscrits devins propriétaire.

Mais aussi ce chrétien qui fut pédant et poète
Fut-il interloqué d'un pareil voisinage.
Moi que ne fus jamais qu'une ignorante bête.
Aussi tout en colère il me tient ce langage

Tu savais bien, gredin, que je ne pouvais pas
Réclamer quelque chose contre Monsieur Le Braz,
Contre le président des régionalistes,
L'ami des tonsurés et des bons monarchistes,

« Comment, maraud, goujat peux-tu venir ainsi
Avec ta vermine coucher auprès de moi ?
Veux-tu bien t'en aller te pourrir loin d'ici,
De moi qui des bretons fut désigné pour roi ».

Lesquels, comme tu dis, voulurent faire de toi
Non pas un président, mais des Bretons le roi.
Ils pensaient comme Drumont [2], ce chef des fripons,
La France aux Français, la Bretagne aux Bretons.

Mais alors, moi aussi, d'une colère blême
Je lui dis : « Males gas [3] ! Sache, vilain coquin,
Qu'ici, pas de goujat ; sinon goujat toi-même,
Je suis sur mon fumier comme toi sur le tien.

Mais voilà que l'Ankou que souvent tu blaguais
De sa terrible faux arrêta tes projets
En t'envoyant ici dans celui du repos
Où nos deux cadavres sont maintenant égaux.

Je te connais assez et ta sale dépouille.
Là-haut, tu te nommais le poète Anatole
Mais tu ne fus jamais qu'un mauvais vilain drôle
Pilleur, fripon, voleur, véritable fripouille.

Tu nous faisais des vers qui me faisaient pitié
Mais ici nous avons les vers d'égalité
Par qui nos cadavres à tous deux sont rongés,
Mais ne pourront jamais dévorer tes forfaits

Je sais que tu voulus être roi des Bretons
Cela t'était promis par tous les calotins.
Mais tu aurais mieux fait un roi de fripons,
De bandits, de voleurs, de fourbes et de gredins.

Qui resteront là-bas burinés dans l'histoire,
Pour que tes descendants maudissent ta mémoire.
Ainsi que les damnés de Dante Alighieri [4]
Tu resteras toujours cloué au pilori....

Tu as été bien digne de ton maître Renan [5],
Qui ne fut qu'un rusé, un phraseur hypocrite,
Un farceur, un raseur, un malin charlatan
En un mot, pour tout dire, t'étais un vrai jésuite.

Oui, vieux coquin, vois ton cadavre pourri
Et dis : « Sic transit gloria mondi [6]. »

Et tu ne différais de lui que sur un point.
Renan, pour exploiter les sottises humaines
Prenait pour instruments les légendes de l'Oint [7]
Et toi les belles fables de nos landes armoricaines.

 


Notes :

  1. Atropos : l'une des trois Parques de la mythologie qui coupait le fil de la vie. [Ref.↑]
  2. Edouard Drumont, 1844-1917, homme politique et journaliste antisémite. [Ref.↑]
  3. Mallozh gast : littéralement putain de malédiction. [Ref.↑]
  4. Dante Alighieri, 1265-1321, poète florentin. [Ref.↑]
  5. Ernest Renan, 1823-1892, auteur né à Tréguier, rationaliste, il développa des théories audacieuses sur les origines du christianisme. [Ref.↑]
  6. Sic transit gloria mundi : « Ainsi passe la gloire du monde ». [Ref.↑]
  7. Oint : serait-ce en référence à l’onction liturgique : l’oint du Seigneur Jésus-Christ ? [Ref.↑]