Une chanson satirique en breton contre les aérostats en 1800 - GrandTerrier

Une chanson satirique en breton contre les aérostats en 1800

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-Pourquoi donc s'insurge-t-il avec autant de fougue contre l'expérimentation des Mongolfier.+Mais pourquoi donc s'insurge-t-il avec autant de fougue contre l'expérimentation des Mongolfier d'Annonay (pays du Vivarais, au nord de l'Ardèche) ? Quelle en était la musique pré-existante, c'est-à-dire le timbre <ref name=Timbre>{{K-Timbre}}</ref> ?
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-== Genèse de la légende : Grammatica ab Alano Dumoulin==+== Présentation==
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-Un article publié en 2005 <ref>Information communiquée par Tadkoz. {{Tadkoz}}</ref> dans l'excellente revue Armen nous présente cette gwerz <ref name="Gwerz">{{BR-Gwerz}}</ref> : « <i>Un chant en breton, publié en 1800 par Alain Dumoilin, ancien recteur d'Ergué-Gabéric qui avait émigré au moment de la Constitution civile du clergé, parle d'un nouveau navire, "ur vag neve », qui "naviguera dans les airs / dre an eer a navigo"</i> ».+Un article de Thierry Le Roy publié en 2005 <ref>Information communiquée par Tadkoz. {{Tadkoz}}</ref> dans l'excellente revue Armen nous présente cette chanson : « <i>Un chant en breton, publié en 1800 par Alain Dumoulin, ancien recteur d'Ergué-Gabéric qui avait émigré au moment de la Constitution civile du clergé, parle d'un nouveau navire, "ur vag neve", qui "naviguera dans les airs / dre an eer a navigo"</i> ».
 + 
 +Alain Dumoulin était enseignant au petit séminaire de Plouguernevel, puis recteur de la paroisse d'Ergué-Gabéric en 1787, et, s'opposant fermement à la Révolution, il dut s'exiler en 1792, d'abord à Liège en Belgique, puis à Prague.
 +Et là dans la capitale de la Bohème, il composa une grammaire latine et bretonne, dans laquelle il annexa quelques textes profanes pour donner des exemples de textes en langue bretonne, traduits en latin.
 + 
 +Le dernier texte est une chanson sur les méfaits des aérostats <ref name="Aérostat">{{K-Aérostat}}</ref>, avec ses dangers manifestes : « <i>Tud foll a tud direson, Nefoc'h ket brema da c'husut, Kement so bet er balon Ho dus torret ho gug</i> » (Gens fous et déraisonnables,
 +vous ne serez aujourd'hui sans savoir que tous ceux qui ont été en ballon se sont cassés le cou). Bernez Rouz, dans son opuscule « <i>Alain Dumoulin. Un recteur breton dans la tourmente révolutionnaire</i> », a proposé une traduction française du texte breton, avec son refrain et ses trois couplets.
 + 
 +Comment Dumoulin a-t-il eu vent des essais de ces aérostats, dont le premier eut lieu place des Cordeliers à Annonay, pays des frères Montgolfier, le 4 juin 1783 ? Le 19 septembre de cette même année, un coq, un mouton et un canard firent l'expérience du premier vol habité à Versailles devant le roi Louis XVI, leur ballon s'est envolé jusqu'à 480 mètres. Le 19 octobre à la Folie Titon, aujourd'hui située rue de Montreuil à Paris, à l'époque encore bourg de Saint-Antoine, le premier vol humain eut lieu, effectué par Jean-Baptiste Réveillon, Jean-François Pilâtre de Rozier et Giroud de Villette. Le ballon est alors captif, c'est-à-dire relié au sol par un cordage (plus tard un câble métallique).
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 +Cette même année 1783 des expérimentations eurent lieu également à Nantes. Le 14 juin 1784, un ballon baptisé « <i>Le Suffren</i> » prit l'air avec à son bord le chevalier Coustard de Massy, né à Nantes en 1734, et le père Mouchet, devant près de 80.000 personnes. Le vol s’acheva après une heure environ près de Cholet.
 + 
 +Contrairement au Père Mouchet de l'Oratoire, professeur de Physique à l'Université de Nantes, l'abbé Dumoulin représente la frange de l'église catholique qui considère qu'il ne faut risquer ni sa vie, ni sa foi, dans ces engins aussi dangereux.
 + 
 +Il publie en 1800 le texte de cette chanson, et, malgré lui, il a une vision quelque peu prophétique : « <i>Betec al loar ae ar steret, A dra sur e hon savo. </i> » (Jusque la lune et les étoiles, sans nul doute il nous emmènera).
 + 
 +Alain Dumoulin avait-il écrit ou transcrit sa chanson avant de partir en exil, en ayant en tête les essais nantais ? Ou alors, l'a-t-il composé à Prague, sur la base des informations diffusées dans les journaux ?
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 +Quand notre auteur gabéricois a composé son texte satirique, il avait sans doute en tête la musique d'un autre chant ou cantique populaire. Au vu du texte on pense tout d'abord à cette chanson ancienne que Denez Prigent a chantée sur son tout premier album :
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 +<tt>
 +Ur vag nevez a Vontroulez
 +<br>A zo ar bloaz-mañ muntrerez</tt>
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 +Bernard Lasbleiz <ref name=Lasbleiz>{{PR-Lasbleiz}}</ref> qui a consacré sa thèse de doctorat et quatre ans de labeur à l'étude des chants bretons anciens ou des cantiques diffusés sans partition, a répertorié la chanson de Dumoulin :
 + 
 +*« <i>Le chanson de l’enregistrement de Denez Prigent n'avait rien avec la chanson initiale « Ur vag nevez a Vontroulez », ni du point de vue du texte ni du point de vue de la musique, en dehors des premiers mots du titre qui peuvent induire en erreur.</i> »
 + 
 +*« <i>Quant à l’origine de l’air de l’abbé Dumoulin il s’agit très clairement du timbre <ref name=Timbre>{{K-Timbre}}</ref> du cantique français « Heureux qui dès son enfance » que l’on trouve entre autres dans le recueil de Saint-Sulpice au n° 62. La chanson de Dumoulin est répertoriée page 142 de l'édition de 1906 du "Fureteur Breton" de Maurice Le Dault <ref>Maurice Le Dault (1871-1956), libraire, éditeur et fondateur de la revue savante « <i>Le Fureteur breton</i> ».</ref>.</i> »
 + 
 +Pages 142 et 143 de cette fantastique revue, on trouve effectivement un billet signé F.V. (sans doute François Vallée), titré « <i>Chanson sur les Ballons</i> », et incluant la transcription chantée et sa partition en clef de fa.
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 +Le billet de 1906 donne cette explication : « <i>Cette pièce curieuse et peu connue a été extraite, paroles et musique, de la Grammatica latino-celtia de Alain Dumoulin, publiée à Prague en 1800. Elle est citée en appendice, avec quelques autres d'un moindre intérêt, comme spécimen de chanson bretonne. Je dois la transcription ci-dessous à l'obligeance d'un savant ecclésiastique, Monsieur l'abbé Bourdoulous <ref>Le père Jean Bourboulous est né à Gouézec en 1855 et décédé à Douarnenez en 1915. Jésuite et missionnaire il étudia le latin, le gallois et le breton. Prédicateur, collaborateur de Feiz ha Breiz il publia des études en langue bretonne sur les cantiques bretons.</ref>, à Quimper.</i> »
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 +Bernard Lasbleiz retranscrit la partition comme ci-dessous dans sa thèse « <i>Les timbres <ref name=Timbre>{{K-Timbre}}</ref> des chansons et cantiques en langue bretonne du XVIIe au XXe siècle</i> » soutenue en décembre 2012 :
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 +Il ajoute : « <i>Henry donne en 1865 le timbre français "Heureux qui dès son enfance" (Cantiques de Saint Sulpice 1819,
 +n°62) au cantique de Le Briz "Ar voyen d’en em assuri". Dumoulin l’avait également emprunté en 1800 pour sa
 +chanson composée sur les montgolfières.</i> »
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 +
 +Chui rai ar pes a garfet
 +<br>A me rai ar pes a garin
 +<br>En ur vag ken dibarfet
 +<br>Troad Biken na lakin.
 +
 +<br>Cor 2 : Ur vag neves ... evel a Eoc'h.
 +
 +<br>Unan hepken :
 +
 +Nes on ket scuis da veva
 +<br>Due ra viro biken
 +<br>E ven ker sot da riska
 +<br>Torri ma melschinen.
 +
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 +
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 +
 +Tud foll a tud direson
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 +<big>Texte en français</big> <ref>D'après la traduction française proposée par Bernez Rouz dans son livre « <i>Alain Dumoulin. Un prêtre dans la tourmente révolutionnaire</i> » (Arkae, 2011). Voir également la traduction littérale de 1906 proposée par le Père Jean Bourboulous.</ref>
 +{{Citation}}
 +<tt>DEUXIÈME CHANSON
 +<br>Refrain :
 +
 +Un nouveau bateau a été inventé,
 +<br>Il va naviguer dans les airs,
 +<br>Jusque la lune et les étoiles
 +<br>Sans nul doute il nous emmènera.
 +
 +<br>Couplet :
 +
 +Vous ferez ce que vous voudrez
 +<br>Et moi je ferai ce que je veux,
 +<br>Dans un bateau aussi imparfait
 +<br>Jamais je ne mettrai les pieds.
 +
 +<br>Refrain 2 : Un nouveau bateau ... comme [?]
 +
 +<br>Couplet :
 +
 +Je ne suis pas si las de vivre
 +<br>Dieu m'en préserve,
 +<br>Pour que je sois aussi fou de risquer
 +<br>De me casser la nuque.
 +
 +<br>Refrain 3 : Un nouveau bateau ...
 +
 +<br>Couplet :
 +
 +Gens fous et déraisonnables,
 +<br>Vous ne serez aujourd'hui sans savoir
 +<br>Que tous ceux qui ont été en ballon
 +<br>Se sont cassés le cou.
 +
 +<br>Refrain : Un nouveau bateau ... </tt>
 +{{FinCitation}}
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 +<big>Texte en latin</big>
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 +<tt>SECUNDUM CANTAMEN
 +<br>Chorus.
 +
 +Novam per aera navigaturam navem invenerunt, ad lunam usque ac stellas nos allaturam.
 +
 +<br>Solus.
 +
 +Fac sicuti volueris, & ego, quidquid placuerit, faciam ; adeo vero levem ascendere navem non me delectat.
 +
 +<br>2 - Chorus. Novam per aera &c. ... ut superius.
 +
 +<br>Solus.
 +
 +Vitae non taedet meae ; & eo nunquam dementiae veniam ut tam proximo vitae periculo me commitam.
 +
 +<br>3 - Chorus. Novam per aera &c. ...
 +
 +<br>Solus.
 +
 +Impradentes, insanique mortales ad vos soepe soepus, sere omnes, qui novum istud navigiuùm ascendere, vitam amisffe pervenit.
 +
 +<br>Chorus. Novam per aera &c. ...
 +
 +Finis.
 +{{FinCitation}}
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Version actuelle

Rummad : Brezhoneg    
Lec'hienn : GrandTerrier

Statud an artikl :
  Image:Bullorange.gif [e darn]

« Ur vag neves so invantet / Dre an eer e navigo »

Ainsi commence cette chanson : « un bateau nouveau a été inventé ; il va naviguer dans les airs ... », un texte qui résonne comme un pamphlet.

Mais pourquoi donc s'insurge-t-il avec autant de fougue contre l'expérimentation des Mongolfier d'Annonay (pays du Vivarais, au nord de l'Ardèche) ? Quelle en était la musique pré-existante, c'est-à-dire le timbre [1] ?

Autres lectures : « LE ROY Thierry - Les pionniers de l'aviation et de l'aérostation » ¤ « ROUZ Bernez - Alain Dumoulin dans la tourmente révolutionnaire » ¤ « Grammaire latine et bretonne de Dumoulin (Prague, 1800) » ¤ « Alan Dumoulin (1748-1811) gant Loeiz Lokournan, Arvor 1947 » ¤ « Alain Dumoulin (1748-1811), prêtre et écrivain » ¤ « La légende de Torr-è-benn par un prêtre gabéricois » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

Un article de Thierry Le Roy publié en 2005 [2] dans l'excellente revue Armen nous présente cette chanson : « Un chant en breton, publié en 1800 par Alain Dumoulin, ancien recteur d'Ergué-Gabéric qui avait émigré au moment de la Constitution civile du clergé, parle d'un nouveau navire, "ur vag neve", qui "naviguera dans les airs / dre an eer a navigo" ».

Alain Dumoulin était enseignant au petit séminaire de Plouguernevel, puis recteur de la paroisse d'Ergué-Gabéric en 1787, et, s'opposant fermement à la Révolution, il dut s'exiler en 1792, d'abord à Liège en Belgique, puis à Prague. Et là dans la capitale de la Bohème, il composa une grammaire latine et bretonne, dans laquelle il annexa quelques textes profanes pour donner des exemples de textes en langue bretonne, traduits en latin.

Le dernier texte est une chanson sur les méfaits des aérostats [3], avec ses dangers manifestes : « Tud foll a tud direson, Nefoc'h ket brema da c'husut, Kement so bet er balon Ho dus torret ho gug » (Gens fous et déraisonnables, vous ne serez aujourd'hui sans savoir que tous ceux qui ont été en ballon se sont cassés le cou). Bernez Rouz, dans son opuscule « Alain Dumoulin. Un recteur breton dans la tourmente révolutionnaire », a proposé une traduction française du texte breton, avec son refrain et ses trois couplets.

Comment Dumoulin a-t-il eu vent des essais de ces aérostats, dont le premier eut lieu place des Cordeliers à Annonay, pays des frères Montgolfier, le 4 juin 1783 ? Le 19 septembre de cette même année, un coq, un mouton et un canard firent l'expérience du premier vol habité à Versailles devant le roi Louis XVI, leur ballon s'est envolé jusqu'à 480 mètres. Le 19 octobre à la Folie Titon, aujourd'hui située rue de Montreuil à Paris, à l'époque encore bourg de Saint-Antoine, le premier vol humain eut lieu, effectué par Jean-Baptiste Réveillon, Jean-François Pilâtre de Rozier et Giroud de Villette. Le ballon est alors captif, c'est-à-dire relié au sol par un cordage (plus tard un câble métallique).

Cette même année 1783 des expérimentations eurent lieu également à Nantes. Le 14 juin 1784, un ballon baptisé « Le Suffren » prit l'air avec à son bord le chevalier Coustard de Massy, né à Nantes en 1734, et le père Mouchet, devant près de 80.000 personnes. Le vol s’acheva après une heure environ près de Cholet.

Contrairement au Père Mouchet de l'Oratoire, professeur de Physique à l'Université de Nantes, l'abbé Dumoulin représente la frange de l'église catholique qui considère qu'il ne faut risquer ni sa vie, ni sa foi, dans ces engins aussi dangereux.

Il publie en 1800 le texte de cette chanson, et, malgré lui, il a une vision quelque peu prophétique : « Betec al loar ae ar steret, A dra sur e hon savo.  » (Jusque la lune et les étoiles, sans nul doute il nous emmènera).

Alain Dumoulin avait-il écrit ou transcrit sa chanson avant de partir en exil, en ayant en tête les essais nantais ? Ou alors, l'a-t-il composé à Prague, sur la base des informations diffusées dans les journaux ?

Quand notre auteur gabéricois a composé son texte satirique, il avait sans doute en tête la musique d'un autre chant ou cantique populaire. Au vu du texte on pense tout d'abord à cette chanson ancienne que Denez Prigent a chantée sur son tout premier album :

Ur vag nevez a Vontroulez
A zo ar bloaz-mañ muntrerez

Bernard Lasbleiz [4] qui a consacré sa thèse de doctorat et quatre ans de labeur à l'étude des chants bretons anciens ou des cantiques diffusés sans partition, a répertorié la chanson de Dumoulin :

  • « Le chanson de l’enregistrement de Denez Prigent n'avait rien avec la chanson initiale « Ur vag nevez a Vontroulez », ni du point de vue du texte ni du point de vue de la musique, en dehors des premiers mots du titre qui peuvent induire en erreur. »
  • « Quant à l’origine de l’air de l’abbé Dumoulin il s’agit très clairement du timbre [1] du cantique français « Heureux qui dès son enfance » que l’on trouve entre autres dans le recueil de Saint-Sulpice au n° 62. La chanson de Dumoulin est répertoriée page 142 de l'édition de 1906 du "Fureteur Breton" de Maurice Le Dault [5]. »

Pages 142 et 143 de cette fantastique revue, on trouve effectivement un billet signé F.V. (sans doute François Vallée), titré « Chanson sur les Ballons », et incluant la transcription chantée et sa partition en clef de fa.

 

Le billet de 1906 donne cette explication : « Cette pièce curieuse et peu connue a été extraite, paroles et musique, de la Grammatica latino-celtia de Alain Dumoulin, publiée à Prague en 1800. Elle est citée en appendice, avec quelques autres d'un moindre intérêt, comme spécimen de chanson bretonne. Je dois la transcription ci-dessous à l'obligeance d'un savant ecclésiastique, Monsieur l'abbé Bourdoulous [6], à Quimper. »

Bernard Lasbleiz retranscrit la partition comme ci-dessous dans sa thèse « Les timbres [1] des chansons et cantiques en langue bretonne du XVIIe au XXe siècle » soutenue en décembre 2012 :

Il ajoute : « Henry donne en 1865 le timbre français "Heureux qui dès son enfance" (Cantiques de Saint Sulpice 1819, n°62) au cantique de Le Briz "Ar voyen d’en em assuri". Dumoulin l’avait également emprunté en 1800 pour sa chanson composée sur les montgolfières. »

Cette partition jouée à la flûte traversière par Gw. C. :

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Version 1 (grave)

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Version 2 (aigüe)

[modifier] 2 Transcriptions, traduction en français

Texte en breton

EILVET SCHANSON


Cor :

Ur vag neves so invantet
Dre an eer e navigo,
Betec al loar ae ar steret
A dra sur e hon savo.


Unan hepken :

Chui rai ar pes a garfet
A me rai ar pes a garin
En ur vag ken dibarfet
Troad Biken na lakin.


Cor 2 : Ur vag neves ... evel a Eoc'h.


Unan hepken :

Nes on ket scuis da veva
Due ra viro biken
E ven ker sot da riska
Torri ma melschinen.


Cor 3 : Ur vag neves ...


Unan hepken :

Tud foll a tud direson
Nefoc'h ket brema da c'husut
Kement so bet er balon
Ho dus torret ho gug.


Cor : Ur vag neves ...

 

Texte en français [7]

DEUXIÈME CHANSON


Refrain :

Un nouveau bateau a été inventé,
Il va naviguer dans les airs,
Jusque la lune et les étoiles
Sans nul doute il nous emmènera.


Couplet :

Vous ferez ce que vous voudrez
Et moi je ferai ce que je veux,
Dans un bateau aussi imparfait
Jamais je ne mettrai les pieds.


Refrain 2 : Un nouveau bateau ... comme [?]


Couplet :

Je ne suis pas si las de vivre
Dieu m'en préserve,
Pour que je sois aussi fou de risquer
De me casser la nuque.


Refrain 3 : Un nouveau bateau ...


Couplet :

Gens fous et déraisonnables,
Vous ne serez aujourd'hui sans savoir
Que tous ceux qui ont été en ballon
Se sont cassés le cou.


Refrain : Un nouveau bateau ...

[modifier] 3 Originaux, texte en latin

Pages 192-194

 

Texte en latin

SECUNDUM CANTAMEN


Chorus.

Novam per aera navigaturam navem invenerunt, ad lunam usque ac stellas nos allaturam.


Solus.

Fac sicuti volueris, & ego, quidquid placuerit, faciam ; adeo vero levem ascendere navem non me delectat.


2 - Chorus. Novam per aera &c. ... ut superius.


Solus.

Vitae non taedet meae ; & eo nunquam dementiae veniam ut tam proximo vitae periculo me commitam.


3 - Chorus. Novam per aera &c. ...


Solus.

Impradentes, insanique mortales ad vos soepe soepus, sere omnes, qui novum istud navigiuùm ascendere, vitam amisffe pervenit.


Chorus. Novam per aera &c. ...

Finis.

[modifier] 4 Annotations

  1. Timbre, s.m. : motif ou air connu sur lequel on ajoute un texte, pour créer une nouvelle chanson. Source : TLFi. [Terme] [Lexique] [Ref.↑ 1,0 1,1 1,2]
  2. Information communiquée par Tadkoz. Daniel Le Prince, alias « Tadkoz », est un musicien breton du pays bigouden, plus précisément du Guilvinec. Il a notamment publié de nombreux articles pédagogiques sur la pratique de l'accordéon sur des airs de Bretagne. [Ref.↑]
  3. Aérostat, s.m. : appareil couramment appelé ballon, capable de s'élever et de se maintenir dans les airs, comprenant : un ballon sustentateur gonflé d'un gaz plus léger que l'air, une nacelle et un filet reliant le ballon à la nacelle. On distingue plusieurs catégories d'aérostats : les aérostats captifs ou libres (reliés ou non à la terre par des cordages), les ballons-sondes, les aérostats dirigeables, par ellipse : les dirigeables (TLFi). [Terme] [Lexique] [Ref.↑]
  4. Bernard Lasbleiz est un musicien lannionnais, spécialiste des chants bretons anciens ou des cantiques diffusés sans partition. En décembre 2012 il a publié une thèse de doctorat intitulée « Les timbres des chansons et cantiques en langue bretonne du XVIIe au XXe siècle », inventoriant 1 700 appellations de timbres (dont 1400 identifiées). Son directeur de thèse était Daniel Giraudon, le grand spécialiste de la chanson bretonne imprimée sur feuille volante. [Ref.↑]
  5. Maurice Le Dault (1871-1956), libraire, éditeur et fondateur de la revue savante « Le Fureteur breton ». [Ref.↑]
  6. Le père Jean Bourboulous est né à Gouézec en 1855 et décédé à Douarnenez en 1915. Jésuite et missionnaire il étudia le latin, le gallois et le breton. Prédicateur, collaborateur de Feiz ha Breiz il publia des études en langue bretonne sur les cantiques bretons. [Ref.↑]
  7. D'après la traduction française proposée par Bernez Rouz dans son livre « Alain Dumoulin. Un prêtre dans la tourmente révolutionnaire » (Arkae, 2011). Voir également la traduction littérale de 1906 proposée par le Père Jean Bourboulous. [Ref.↑]


Thème de l'article : Oralité et écrits bretons

Date de création : Mai 2015    Dernière modification : 1.07.2015    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]