Pierres et paysages de St-Guénolé et Lezergué par Keranforest, Télégramme 1972-76 - GrandTerrier

Pierres et paysages de St-Guénolé et Lezergué par Keranforest, Télégramme 1972-76

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Catégorie : Journaux
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§ E.D.F.


Trois billets signés Keranforest, alias Dominique de Lafforest [1], évoquant des "pierres et paysages" d'Ergué-Gabéric, les deux premiers sur la chapelle de St-Guénolé, le troisième sur l'ambiance ancien-régime du château de Lezergué.

Autres lectures : « KERANFOREST, alias Dominique de Lafforest - Pierres et paysages » ¤ « 1974-75 - Lettres de Keranforest sur la sauvegarde de Saint-Guénolé » ¤ « Rétrospective historique de la chapelle de Saint-Guénolé » ¤ « La rénovation du calvaire de la chapelle de St-Guénolé » ¤ « La chapelle de Ker-Anna » ¤ « La bénédiction de la chapelle de Ker-Anna, Ouest-France Télégramme 1968 » ¤ 

[modifier] Présentation

Entre 1969 et 1980 Keranforest [1] a tenu dans le journal du Télégramme une chronique « Pierres et paysages », avec des croquis de sa main, pour mettre en exergue le patrimoine en péril des monuments historiques de basse-Bretagne.

Le 17 janvier 1972, il lance un appel désespéré face aux ruines de la chapelle de St-Guénolé en Ergué-Gabéric : « Entourée de gazon, la chapelle se tient au milieu d'un hameau tranquille qui enregistrait sa lente agonie ... Par quels moyens réussira-t-on à sortir le public de son indifférence en ce qui concerne son cadre de vie pour l'intéresser à ses paysages et à son habitat ? ». Cet appel au sursaut des gabéricois aura un effet positif, car ils vont se mobiliser pour rénover la chapelle historique.

L'effort pour construire en 1967 une nouvelle chapelle à Keranna, très proche de St-Guénolé, semble une aberration pour Keranforest : « Une église a été construite en tout cas, tandis que Saint-Guénolé, vaste chapelle restaurée au siècle dernier, se voyait complètement délabrée ».

L'article précise aussi « malgré les efforts d'un prêtre pour la sauver ». Il s'agit du recteur Jean-Louis Morvan, nommé en 1969 sur la paroisse, qui se bat auprès de la municipalité pour qu'une restauration soit engagée. En 1974 le recteur enverra un courrier à Keranforest pour l'inviter au pardon et lui faire part des résultats de la rénovation entreprise.

Le prêtre journaliste lui répond « Votre lettre du 13 juin m'a fait le plus grand plaisir » et l'année suivante il lui confirme sa proposition  : « Ma promesse d'un article tient toujours. Je le ferai passer le jeudi précédent le pardon, avec photo-couleur en 1ère page. ».

( photo E. Le Droff, © Le Télégramme 03.07.1975 )
  Il tient sa promesse en publiant le 3 juillet 1975 cette une avec photo-couleur et en page 2 un billet « Pierres et paysages » agrémenté d'un nouveau croquis.

Keranforest introduit son article par un tonitruant : « Au nord de Quimper, près du Stangala, une grande chapelle vient de ressusciter. C'est Saint-Guénolé, située au village du Quélennec, en Ergué-Gabéric. »

Il décrit son époque, pas très éloignée de celle d'aujourd'hui : « Alors que beaucoup de gens, malmenés ou asservis par les forces de la société gaveuse, errent, déracinés dans leur propre pays », pour se réjouir du sursaut gabéricois : « cela fait plaisir de voir tout un quartier s'interroger, puis s'intéresser à son héritage commun.  ».

Et les noms de tous les artisans ayant donné leur temps et leur talent sont énumérés : « celui de Stervinou pour la charpente, la toiture et le lambris, de M. Quéau ..., celui de Le Berre, de Lenhesq ..., ou de M. Thomas, menuisier à St-André ..., de Daniel, forgeron à Kerdévot ..., du maçon Thépault ..., Pierre Le Bihan ..., de Guillaume Saliou ... et de l'abbé Dilasser qui a repeint les sablières ».

* * *

Le 6 octobre 1976, Keranforest publie un nouveau billet et un croquis sur une autre ruine gabéricoise, celle du chateau de Lezergué : « Une façade aux dimensions inhabituelles, à demi voilée par des pans de lierre, allonge des rangées de fenêtres béantes où, tout à l'heure pourraient apparaître des personnages en robes de satin rose, en habits de velours bleu. »

Et il se transpose poétiquement en plein 18e siècle, du temps des de La Marche : « Le soleil d'octobre arrose les feuilles jaunies des jeunes tilleuls ; dans l'allée s'avance un cheval pommelé, attelé d'un petit carrosse rouge. Rouge et argent, les couleurs de la famille qui venait de faire construire cette belle maison ».


[modifier] Transcriptions

Saint-Guénolé (1972)

Pierres et paysages par Keranforest à Ergué-Gabéric.

Que pensez-vous qu'il soit plus facile à déplacer : des paroissiens motorisés ou une église paroissiale ? Oui, c'est l'église paroissiale que l'on transporte le plus aisément ; j'en connais quelques exemples. Je ne sais si cela a failli arriver à Saint-Guénolé, au hameau du Quelennec, en Ergué-Gabéric. Une église a été construite en tout cas, tandis que Saint-Guénolé, vaste chapelle restaurée au siècle dernier, se voyait complètement délabrée, malgré les efforts d'un prêtre pour la sauver. Dans cette chapelle qui date du XVIe siècle on remarque que le lambris a été refait en 1679, et signé par Laurent Balbouz et Yvon Jaouen, du temps de Hervé Moysan, fabricien ; dans un talus se voit un bel Ecce Homo en granite rongé. Entourée de gazon, la chapelle se tient au milieu d'un hameau tranquille qui enregistrait sa lente agonie. "C'est aux Beaux Arts !" ai-je entendu dire, une fois de plus ; chaque fois qu'un édifice, protégé ou non, tombe en ruine, on invoque ... le même bouc émissaire. Il est affligeant de remarquer comment, habituée à ne rien décider, une certaine population rejette toujours ses responsabilités dans ce domaine. On a vu, quelquefois, avec quel enthousiasme les habitants d'un village peuvent reprendre en mains le patrimoine qu'il avaient abandonné. Pourquoi ces cas sont-ils encore l'exception ? Par quels moyens réussira-t-on à sortir le public de son indifférence en ce qui concerne son cadre de vie pour l'intéresser à ses paysages et à son habitat ? A Saint-Guénolé, des travaux ont été engagés, avec le concours des Bâtiments de France ; quelle part les habitants du Quélennec vont-ils prendre à cette restauration ?

Saint-Guénolé (1975)

Pierres et paysages à Ergué-Gabéric

Au nord de Quimper, près du Stangala, une grande chapelle vient de ressusciter. C'est Saint-Guénolé, située au village du Quélennec, en Ergué-Gabéric, la paroisse natale du dernier évêque de Léon. Le 17 janvier 1972, à la fin d'un article dans ce journal, je me demandais quelle part la population allait prendre à la restauration de cet édifice, abandonné depuis près d'un quart de siècle. Allait-on le laisser s'effondrer lentement, le transporter, au risque de le dénaturer, le raser et en disperser les pierres ? Les artisans, dont j'avais lu quelques signatures, étaient bien oubliés. quel cas faisait-on, aujourd'hui, de leur travail ? Rien n'était encore perdu, pourtant, malgré la toiture béante, les portes étouffées par les ronces.

En 1972, le Conseil général du Finistère votait une subvention à la commune. Celle-ci se retrouvait, autour de son maire, intéressée aux travaux qui commençaient au printemps 73. À côté des nom de Laurent Balbouz et Yvon Jaouen, qui refirent les lambris, du temps de « Hervé Moysan, fabricien », en 1679, on pourrait ajouter ceux de leurs descendants : celui de Stervinou pour la charpente, la toiture et le lambris, de M. Quéau qui, pour restaurer les sablières sculptées, a déclaré s'être « mis dans la peau de ses ancêtres sculpteurs », celui de Le Berre, de Lenhesq, qui ont retrouvé le ton des lambris, ou de M. Thomas, menuisier à St-André, qui a refait les portes, de Daniel, forgeron à Kerdévot, qui a refait la balustrade, du maçon Thépault qui s'est chargé de la base de l'autel, de M. de Poulpiquet qui a offert l'auge de sa ferme de Griffones, que Pierre Le Bihan a transformé en table d'autel, de Guillaume Saliou qui a reconstitué la statue de St Maudet et de l'abbé Dilasser qui a repeint les sablières.

 

Suite St-Guénolé

Avec celui de M. Puech qui s'est attaché à restituer à ses concitoyens cet héritages en grand péril, tous ces noms, après trois siècles, viennent prendre la suite de ceux que le temps n'a pas effacés. Ils témoignent d'un vrai attachement des hommes pour leur patrie, c'est-à-dire le sol et le paysage où ils sont installés. Alors que beaucoup de gens, malmenés ou asservis par les forces de la société gaveuse, errent, déracinés dans leur propre pays, devenus comme aveugles à son charme et ignorants de son identité, cela fait plaisir de voir tout un quartier s'interroger, puis s'intéresser à son héritage commun. Délaissée pendant vingt-cinq ans, la chapelle est à nouveau utilisée chaque fois que les circonstances s'y prêtent. Dimanche, le 6 juillet est le jour du pardon. Une bonne occasion de venir juger sur place le travail qui a été accompli, sans tapage, et avec beaucoup de générosité, en l'honneur de Saint Guénolé.

Keranforest

Lezergué

Pierres et paysages à Ergué-Gabéric.

C'est presque un décor de théâtre qui se laisse deviner, sur le coteau en face de la route d'Ergué à Kerdévot, par-delà les prairies et les bosquets. Une façade aux dimensions inhabituelles, à demi voilée par des pans de lierre, allonge des rangées de fenêtres béantes où, tout à l'heure pourraient apparaître des personnages en robes de satin rose, en habits de velours bleu ...

Le soleil d'octobre arrose les feuilles jaunies des jeunes tilleuls ; dans l'allée s'avance un cheval pommelé, attelé d'un petit carrosse rouge. Rouge et argent, les couleurs de la famille qui venait de faire construire cette belle maison : les armoiries de La Marche ornaient aux frontons de Lezergué, sculptées dans le granit de Quimper. Le joli carrosse qui roulait dans l'allée ensoleillée amenant ce matin-là l'évêque de Léon [2].

Jean-François de La Marche venait visiter sa famille, dans ce pays du Grand-Ergué où il était né en 1727. Il aimait la douceur de ses paysages aux petites collines et aux prairies vertes. Il aimait la gaîté des gars du pays, l'admirable humilité des vieux de la paroisse. Il aimait aussi revoir ce château tout neuf dont la façade, les pièces, le mobilier, montraient cette grâce d'équilibre qui devait être la marque de ce règne où le peuple de France tout entier, jouissait peut-être des plus grandes libertés qu'il ait jamais connues [3]. En toutes choses, « la qualité de la vie » se vérifiait. Les maçons qui avaient élevé ces appartements spacieux et largement éclairés, le grand escalier double, les menuisiers qui avaient boisé les murs de lambris bien dessinés, les jardiniers qui avaient tracé le potager avec art et sagesse, autant que les fermiers qui tressaient la queue de leurs chevaux et fleurissaient leurs crinières, tout le monde semblait bénéficier d'un sens de la nature tel que chaque ouvrage, en ce temps-là, fut une oeuvre d'art.

Sous la mousse et les orties, les marches qui descendaient aux jardins de Lezergué le disent encore ; le mouvement gracieux de leur concavité, aussi bien que les sculptures de l'armoire campagnarde ou que la musique des chants du Barzaz-Breiz, témoigne de ce que créer l'esprit des hommes, lorsqu'il jouit de la vraie paix.

KERANFOREST


[modifier] Coupures de presse

 


[modifier] Annotations

  1. Dominique de Lafforest, est né en 1939 à Carantec. Agrégé d'anglais, enseignant, essayiste, poète, romancier. Devenu prêtre à 45 ans, animateur du Tro Breizh, il a été chroniqueur au Télégramme de Brest de 1969 à 1985 en signant ses chroniques "Pierres et paysages" du pseudonyme de Keranforest. Curé à Bruxelles pendant neuf ans, il revient ensuite en Bretagne en 2004 à Vannes, part en Suisse, puis à Lourdes, et en 2014 il rejoint la communauté de l'Emmanuel de New-York. [Ref.↑ 1,0 1,1]
  2. Note de l'auteur : Abbé Kerbiriou : « Etude sur un diocèse breton et sur l'émigration ». [Ref.↑]
  3. Note de l'auteur : Paul Del Peugia : « Louis XV ». Editions Albatros. [Ref.↑]


Thème de l'article : Patrimoine communal

Date de création : septembre 2018    Dernière modification : 17.02.2023    Avancement : Image:Bullgreen.gif [Fignolé]    Source : Télégramme 1972 et 1976