Modèle:GwenanJMD-803 - GrandTerrier

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-Et cela, aussi, parce que cette fameuse société dite régionaliste de la Bretagne a demandé pour son concours annuel <ref name=Concours>Avis de concours le 23 novembre 1902, dans l'hebdomadaire bretonnant <i>Kroaz ar Vretoned</i> (la Croix des bretons) qui, sur l'initiative de son réacteur en chef François Vallée, récompense de 50 francs les meilleurs écrits en breton sur les abeilles, le cidre ou le labourage à plat avec la charrue Brabant : « <i>An Aotrou Vallée, mekaniker eus Sant Brieg a ginnig hanterkant lur a brizioù d’ar gwellañ pennadoù-skrid diwar-benn unan pe unan, eus an tri danvez-mañ : sevel ar gwenan, ober ar jistr, labourat a-blad gant an alar vrabant, hadañ gant an haderez ha medi gant ar vederez pe droc’herez</i> ».</ref> , avec beaucoup d'autres écrits bretons, un écrit donnant les meilleurs moyens d'élever les abeilles. Je vais leur en donner un, quoique cela soit bien difficile. Écrire un traité scientifique et artistique dans une vieille langue barbare comme le breton, c'est presque impossible, puisque les choses principales vous manquent : les mots. Dante se plaignait, en écrivant sa fameuse <i>Divina Comedia</i>, de ne pouvoir s'exprimer comme il aurait voulu, et comme le sujet demandait, dans une langue encore au berceau : « <i>lingua chi chimai mama a babo</i> » (langue qui appelle mère et père). Notre vieille langue bretonne, une des plus vieilles peut-être, est cependant encore au berceau, et dans lequel elle mourra sans doute. [...]+Écrire un traité scientifique et artistique dans une vieille langue barbare comme le breton, c'est presque impossible, puisque les choses principales vous manquent : les mots. Dante se plaignait, en écrivant sa fameuse <i>Divina Comedia</i>, de ne pouvoir s'exprimer comme il aurait voulu, et comme le sujet demandait, dans une langue encore au berceau : « <i>lingua chi chimai mama a babo</i> » (langue qui appelle mère et père). Notre vieille langue bretonne, une des plus vieilles peut-être, est cependant encore au berceau, et dans lequel elle mourra sans doute. [...]
-Enfin, quoiqu'il en soit, je me suis mis à écrire, en breton, ce petit traité d'apiculture, mais comme les curés en leurs sermons, je suis bien obligé d'employer beaucoup de mots français, et même de mots latins, puisque apiculture vient du latin <i>apis</i> (abeille) et <i>cultor</i> (laboureur). Et toutes les matières dont les abeilles ont besoin pour la fabrication des petits vers, et toutes les transformations que ces vers subissent pour devenir abeilles, sont toutes désignées par des mots latins ou des mots grecs. Il est vrai que les régionalistes, non bretonnants, ont dit dans leur programme en s'adressant aux poètes et autres écrivains, qu'ils devront dans leurs poèmes et dans leur prose, s'efforcer de mettre leur peine (<i>o foan</i>), d'enrichir la langue bretonne et de relever l'esprit des Bretons. Cela est for bien. Enrichir la langue est chose facile, je l'enrichis joliment et forcément dans mon petit traité apicole. Pour quant à relever l'esprit des Bretons, c'est une autre question, une question anatomique et anthropologique. Oui, si ces régionalistes non bretonnants donnent le premier prix à celui qui aura le plus enrichi le breton, je suis persuadé qu'il me reviendrait, en même temps que le prix d'apiculture, car je ne connais dans la Bretagne bretonnante le moindre petit apiculteur.+Enfin, quoiqu'il en soit, je me suis mis à écrire, en breton, ce petit traité d'apiculture, mais comme les curés en leurs sermons, je suis bien obligé d'employer beaucoup de mots français, et même de mots latins, puisque apiculture vient du latin <i>apis</i> (abeille) et <i>cultor</i> (laboureur). Et toutes les matières dont les abeilles ont besoin pour la fabrication des petits vers, et toutes les transformations que ces vers subissent pour devenir abeilles, sont toutes désignées par des mots latins ou des mots grecs. Il est vrai que les régionalistes, non bretonnants, ont dit dans leur programme en s'adressant aux poètes et autres écrivains, qu'ils devront dans leurs poèmes et dans leur prose, s'efforcer de mettre leur peine (<i>o foan</i>), d'enrichir la langue bretonne et de relever l'esprit des Bretons. Cela est fort bien. Enrichir la langue est chose facile, je l'enrichis joliment et forcément dans mon petit traité apicole. Pour quant à relever l'esprit des Bretons, c'est une autre question, une question anatomique et anthropologique. Oui, si ces régionalistes non bretonnants donnent le premier prix à celui qui aura le plus enrichi le breton, je suis persuadé qu'il me reviendrait, en même temps que le prix d'apiculture, car je ne connais dans la Bretagne bretonnante le moindre petit apiculteur.
-Or, pour faire un traité d'apiculture, il faut être apiculteur, non pas un apiculteur en chambre comme nous avons des cultivateurs en chambre.+Or, pour faire un traité d'apiculture, il faut être apiculteur, non pas un apiculteur en chambre comme nous avons des cultivateurs en chambre. Il faut avoir pratiqué les abeilles pour les connaître, les avoir beaucoup étudiées pour connaître leurs mœurs et savoir les moyens de tirer d'elles les plus grands profits possibles. Je sais bien que les paysans, ici, ont presque tous dans leurs fermes quelques ruches d'abeilles. Mais ces abeilles sont pour ainsi dire abandonnées à elles-mêmes, dans de mauvaises ruches, souvent à moitié pourries, écrasées sous des charges de mottes, de pierres, de vieux vases de terre ou de fer, perdues parmi l'herbe et les ronces. Du reste, les superstitions dont sont entourées ces filles d'Aristée, les protègent contre tout progrès en ce pays arriéré. On sait que les superstitions sont nombreuses chez les Bretons, mais sur aucune autre chose elles ne s'étendent autant que sur mes abeilles. C'est ici surtout que l'on peut voir l'ignorance des Bretons et le manque complet d'esprit d'observation. Et en effet, je connais ici de vieux Bretons, des paysans qui cultivent des abeilles depuis 50 ans, et qui ne connaissent encore rien, absolument rien, des mœurs de ces insectes intelligents, sinon les superstitions dont ils sont entourés. Et essayer de les détourner de ces superstitions est chose inutile. Si on s'avisait à dire à un de ces apiculteurs que ses abeilles ne vont jamais et ne peuvent aller plus loin que deux kilomètres de leur demeure, on serait bien vite remisé, traité d'imbécile et d'âne : il serait prêt à vous donner des témoignages des marins qui ont vu des abeilles sur leur navire lorsqu'il se trouvait à plusieurs milliers de lieues de la terre. Cela s'est vu certainement. Mais les marins qui ont vu des abeilles sur leur bâtiment en pleine mer, c'est justement parce que ces insectes craignent la mer ainsi que toutes les grandes étendues d'eau. Ces abeilles étaient allées chercher des matières grasses sur les mâts du bâtiment lorsque celui-ci était amarré au quai, mais qui quitta ce quai alors que ces insectes étaient occupées à sucer la matière grasse qui leur sert à fabriquer la propulis <ref name=Propulis>La propolis est un matériau recueilli par les abeilles à partir de certains végétaux. Cette résine végétale est utilisée par les abeilles comme mortier et anti-infectieux pour assainir la ruche. Elle est récoltée pour ses propriétés thérapeutiques.</ref> dont elles ont besoin pour boucher les cellules ou alvéoles, soit sur le miel, soit sur les vers qui doivent devenir des abeilles. Une fois que le bâtiment s'est éloigné à cent mètres seulement de la terre, ces abeilles ne le quitteront plus, tellement qu'elles ont peur de l'eau. Et quand ces pauvres apiculteurs affirment que ces abeilles sont obligées d'aller à la mer chercher de l'eau pour saler le miel, en voilà une bonne ! Ils disent aussi qu'elles sont obligées d'aller en Amérique chercher du caotchoug [sic] pour boucher les alvéoles de leur rayons, car la propulis <ref name=Propulis>-</ref> dont elles se servent pour cela ressemble beaucoup au caotchoug, laquelle du reste, ils ne savent ce que c'est, d'où elle vient, ni comment les abeilles la fabriquent, pas plus qu'ils ne savent avec quoi ni comment elles fabriquent la cire. Car tous ils vous affirmeront que c'est avec le pollen, cette fine poussière qu'elles vont cueillir sur les fleurs pour nourrir les vers, qu'elles fabriquent la cirez. Jamais ils n'admettront que la cire est fabriquée avec du miel, quand même que le dieu des abeilles viendrait lui-même le leur dire. Ils vous affirmeront aussi que les essaims qui viennent durant la semaine du saint sacrement font dans leur ruche l'image de cet emblème christocatholique, aussi qu'ils vous assureront qu'une mère morte dans une ruche peut être remplacée par un épi de seigle trempé dans <i>coc'h pimoc'h</i> <ref><i>Kaoc'h pemoc'h</i> : merde de porc.</ref>. Et puis ils disent que quand le propriétaire d'un rucher est mort, c'est fini pour les abeilles, on n'aura plus de chance avec elles, car pour ces savants apiculteurs, toute la science apicole réside dans la chance. Pas de chance, pas d'apiculture. Ils affirment encore que personne n'a jamais vu et personne ne verra jamais comment les abeilles travaillent.
-[...]+Ce sont ces superstitions et ces erreurs qui empêchent l'art apicole d'avancer chez les Bretons, un art agréable et en même temps lucratif, au moyen duquel bien de misérables familles rurales pourraient transformer leur purgatoire en paradis terrestre. J'en vois par ici un grand nombre de ces malheureuses familles qui ont une maisonnette avec quelques arpents de terre dans les montagnes, ou sur les bords de vieilles routes abandonnées, où elles ne peuvent vivre que de pommes de terre et de pain noir. Si ces familles avaient la moindre connaissance de l'art d'élever des abeilles, elles feraient de leur triste séjour un véritable éden. Je ne sais pas ce que ces régionalistes bretons non bretonnants vont faire de mon petit traité d'apiculture, écrit en breton, comme ils le demandent. Cependant, je suis certain que, s'ils voulaient le faire imprimer et le faire parvenir entre les mains de ces malheureux auxquels je l'adresse spécialement, ils pourraient rendre un grand service. Car je pense que, malgré leur ignorance et leurs sots préjugés, en lisant ce petit traité pratique, clair et précis, ils finiraient par comprendre la raison, et jetteraient au diable les préjugés et les superstitions concernant les abeilles.

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Écrire un traité scientifique et artistique dans une vieille langue barbare comme le breton, c'est presque impossible, puisque les choses principales vous manquent : les mots. Dante se plaignait, en écrivant sa fameuse Divina Comedia, de ne pouvoir s'exprimer comme il aurait voulu, et comme le sujet demandait, dans une langue encore au berceau : « lingua chi chimai mama a babo » (langue qui appelle mère et père). Notre vieille langue bretonne, une des plus vieilles peut-être, est cependant encore au berceau, et dans lequel elle mourra sans doute. [...]

Enfin, quoiqu'il en soit, je me suis mis à écrire, en breton, ce petit traité d'apiculture, mais comme les curés en leurs sermons, je suis bien obligé d'employer beaucoup de mots français, et même de mots latins, puisque apiculture vient du latin apis (abeille) et cultor (laboureur). Et toutes les matières dont les abeilles ont besoin pour la fabrication des petits vers, et toutes les transformations que ces vers subissent pour devenir abeilles, sont toutes désignées par des mots latins ou des mots grecs. Il est vrai que les régionalistes, non bretonnants, ont dit dans leur programme en s'adressant aux poètes et autres écrivains, qu'ils devront dans leurs poèmes et dans leur prose, s'efforcer de mettre leur peine (o foan), d'enrichir la langue bretonne et de relever l'esprit des Bretons. Cela est fort bien. Enrichir la langue est chose facile, je l'enrichis joliment et forcément dans mon petit traité apicole. Pour quant à relever l'esprit des Bretons, c'est une autre question, une question anatomique et anthropologique. Oui, si ces régionalistes non bretonnants donnent le premier prix à celui qui aura le plus enrichi le breton, je suis persuadé qu'il me reviendrait, en même temps que le prix d'apiculture, car je ne connais dans la Bretagne bretonnante le moindre petit apiculteur.

Or, pour faire un traité d'apiculture, il faut être apiculteur, non pas un apiculteur en chambre comme nous avons des cultivateurs en chambre. Il faut avoir pratiqué les abeilles pour les connaître, les avoir beaucoup étudiées pour connaître leurs mœurs et savoir les moyens de tirer d'elles les plus grands profits possibles. Je sais bien que les paysans, ici, ont presque tous dans leurs fermes quelques ruches d'abeilles. Mais ces abeilles sont pour ainsi dire abandonnées à elles-mêmes, dans de mauvaises ruches, souvent à moitié pourries, écrasées sous des charges de mottes, de pierres, de vieux vases de terre ou de fer, perdues parmi l'herbe et les ronces. Du reste, les superstitions dont sont entourées ces filles d'Aristée, les protègent contre tout progrès en ce pays arriéré. On sait que les superstitions sont nombreuses chez les Bretons, mais sur aucune autre chose elles ne s'étendent autant que sur mes abeilles. C'est ici surtout que l'on peut voir l'ignorance des Bretons et le manque complet d'esprit d'observation. Et en effet, je connais ici de vieux Bretons, des paysans qui cultivent des abeilles depuis 50 ans, et qui ne connaissent encore rien, absolument rien, des mœurs de ces insectes intelligents, sinon les superstitions dont ils sont entourés. Et essayer de les détourner de ces superstitions est chose inutile. Si on s'avisait à dire à un de ces apiculteurs que ses abeilles ne vont jamais et ne peuvent aller plus loin que deux kilomètres de leur demeure, on serait bien vite remisé, traité d'imbécile et d'âne : il serait prêt à vous donner des témoignages des marins qui ont vu des abeilles sur leur navire lorsqu'il se trouvait à plusieurs milliers de lieues de la terre. Cela s'est vu certainement. Mais les marins qui ont vu des abeilles sur leur bâtiment en pleine mer, c'est justement parce que ces insectes craignent la mer ainsi que toutes les grandes étendues d'eau. Ces abeilles étaient allées chercher des matières grasses sur les mâts du bâtiment lorsque celui-ci était amarré au quai, mais qui quitta ce quai alors que ces insectes étaient occupées à sucer la matière grasse qui leur sert à fabriquer la propulis [1] dont elles ont besoin pour boucher les cellules ou alvéoles, soit sur le miel, soit sur les vers qui doivent devenir des abeilles. Une fois que le bâtiment s'est éloigné à cent mètres seulement de la terre, ces abeilles ne le quitteront plus, tellement qu'elles ont peur de l'eau. Et quand ces pauvres apiculteurs affirment que ces abeilles sont obligées d'aller à la mer chercher de l'eau pour saler le miel, en voilà une bonne ! Ils disent aussi qu'elles sont obligées d'aller en Amérique chercher du caotchoug [sic] pour boucher les alvéoles de leur rayons, car la propulis [1] dont elles se servent pour cela ressemble beaucoup au caotchoug, laquelle du reste, ils ne savent ce que c'est, d'où elle vient, ni comment les abeilles la fabriquent, pas plus qu'ils ne savent avec quoi ni comment elles fabriquent la cire. Car tous ils vous affirmeront que c'est avec le pollen, cette fine poussière qu'elles vont cueillir sur les fleurs pour nourrir les vers, qu'elles fabriquent la cirez. Jamais ils n'admettront que la cire est fabriquée avec du miel, quand même que le dieu des abeilles viendrait lui-même le leur dire. Ils vous affirmeront aussi que les essaims qui viennent durant la semaine du saint sacrement font dans leur ruche l'image de cet emblème christocatholique, aussi qu'ils vous assureront qu'une mère morte dans une ruche peut être remplacée par un épi de seigle trempé dans coc'h pimoc'h [2]. Et puis ils disent que quand le propriétaire d'un rucher est mort, c'est fini pour les abeilles, on n'aura plus de chance avec elles, car pour ces savants apiculteurs, toute la science apicole réside dans la chance. Pas de chance, pas d'apiculture. Ils affirment encore que personne n'a jamais vu et personne ne verra jamais comment les abeilles travaillent.

Ce sont ces superstitions et ces erreurs qui empêchent l'art apicole d'avancer chez les Bretons, un art agréable et en même temps lucratif, au moyen duquel bien de misérables familles rurales pourraient transformer leur purgatoire en paradis terrestre. J'en vois par ici un grand nombre de ces malheureuses familles qui ont une maisonnette avec quelques arpents de terre dans les montagnes, ou sur les bords de vieilles routes abandonnées, où elles ne peuvent vivre que de pommes de terre et de pain noir. Si ces familles avaient la moindre connaissance de l'art d'élever des abeilles, elles feraient de leur triste séjour un véritable éden. Je ne sais pas ce que ces régionalistes bretons non bretonnants vont faire de mon petit traité d'apiculture, écrit en breton, comme ils le demandent. Cependant, je suis certain que, s'ils voulaient le faire imprimer et le faire parvenir entre les mains de ces malheureux auxquels je l'adresse spécialement, ils pourraient rendre un grand service. Car je pense que, malgré leur ignorance et leurs sots préjugés, en lisant ce petit traité pratique, clair et précis, ils finiraient par comprendre la raison, et jetteraient au diable les préjugés et les superstitions concernant les abeilles.