Lettre en vers au lâche Malherbe de la Boixière, JMD - GrandTerrier

Lettre en vers au lâche Malherbe de la Boixière, JMD

Un article de GrandTerrier.

Jump to: navigation, search

(Jean-Marie Déguignet, Rimes et Révoltes, p. 35-38.)

Le second de mes fils [1] est également mort depuis que je suis ici dans ce trou, mort à l'hospice bien entendu, où vont mourir tant de pauvres gueux. C'est là que nous allons après une vie de mercenaire, de travail et de misère, offrir nos pauvres corps meurtris et décharnés aux exploiteurs du corps humain, aux médecins et carabins qui s'en servent comme pièces anatomiques pour s'exercer à empoisonner et à tuer leurs clients, suivant toutes les règles de l'art, comme leurs confrères les tonsurés s'exercent au séminaire à exploiter les âmes, suivant toutes les règles jésuitiques. Ce sont deux arts qui marchent de pair et dont les victimes ne viennent jamais se plaindre d'avoir été maltraitées, trompées et volées. Au moment de la mort de mon fils, j'étais malade moi-même, malade de froid et de misère. Cependant, le jour de l'enterrement, je pus encore prendre ma plume et tremblant et grelottant sur mon grabat de fougères, j'écrivis cette lettre en vers au lâche Malherbe de la Boixière[2], bourreau et assassin :

Réjouis toi coquin, une de tes victimes
vient encore de tomber, âgée de dix-neuf ans
Après avoir souffert cent horribles tourments.
Tu dois être heureux et content de tes crimes,

Car devant ces crimes, fourbe, tu le comprends,
II est bien difficile de garder sa raison,
De maîtriser son cœur et ses tressaillements,
D'étouffer la colère et l'indignation.

Voici la cinquième qui tombe sous tes coups.
Prends courage bourreau, nous sommes encore trois,
Rassemble tes complices pour finir tes exploits,
Nous sommes les brebis et vous êtes les loups.

Mais je te laisse vivre, traître, avec tes crimes,
Peut-être quelque jour tu auras des remords,
En songeant, si tu songes, à ces pauvres victimes,
Alors, au lieu d'une, tu souffriras dix morts

Cette pauvre victime est morte à l'hospice
Où nous allons tous mourir, nous autres pauvres gueux
C'est là que nous endurerons notre dernier supplice
Pour vous tous misérables et ignobles heureux.

En sentant sur ton cœur le sang des innocents
Que tu as immolés à tes haines féroces,
Voulant punir le père en tuant ses enfants.
Lâche, tu mérites tous les tourments atroces,

Je ne suis pas allé à son enterrement,
Moi père malheureux de la pauvre victime,
Je suis resté chez moi, grelottant et tremblant,
Assis sur mon grabat en songeant à ce crime.

Je cesse d'écrire, car je frémis d'horreur
En songeant aux lâchetés, à l'imbécile haine
dont vous êtes pétris, canailles et voleurs,
Immondes détritus de l'espèce humaine.

Car si j'eus été là mes entrailles de père
Se seraient soulevées avec indignation
Et sur ce cadavre descendant dans la terre
J'aurais juré, lâche, ta condamnation.

Pour toi seigneur Malherbe, dit de la Boixière,
Pour toi ignoble noble, assassin et bandit,
Immonde créature cachée dans ton repaire,
Pour toi bourreau infâme, sois à jamais maudit.

Tu connais Déguignet et tu sais que jamais
II n'a manqué de faire tout ce qu'il a promis.
Alors bourreau, tu aurais expié tes forfaits,
Je t'aurais immolé aux mânes de mon fils.

 


Notes :

  1. Yves Déguignet : 1878-1897. [Ref.↑]
  2. Propriétaire de la ferme de Toulven, en Ergué-Armel où ont vécu les Déguignet. [Ref.↑]