Lettre du 8 février 1638 de Guy Autret à Pierre d'Hozier (Rosmorduc, VI) - GrandTerrier

Lettre du 8 février 1638 de Guy Autret à Pierre d'Hozier (Rosmorduc, VI)

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Catégorie : Personnages/Autret
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§ E.D.F.

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Retiré dans son manoir campagnard de Lezergué ou en voyage à Rennes ou Paris, Guy Autret a été un épistolier infatigable et ses missives sont riches d'enseignements sur les familles nobles bretonnes et sur certains évènements nationaux historiques en plein 17e siècle.

Autres lectures : « 1635-1659 - Lettres de Guy Autret seigneur de Lezergué, travaux Rosmorduc » ¤ « Espace Guy Autret (17e) » ¤ « Guy Autret, seigneur de Missirien et de Lezergué (1599-1660) » ¤ « ROSMORDUC Le Gentil Georges (comte de) - Guy Autret, correspondant de Pierre d'Hozier » ¤ 

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[modifier] 1 Présentation

Lettre du mémoire du comte de Rosmorduc, pages 20 à 28, où Guy Autret explique à Pierre d"Hozier [1] son soutien à Guez de Balzac, son projet de l'Histoire de Bretagne et le sort du père Caussin.

Commentaire et analyse historique du contenu de la lettre : « Eloge du français du Grand Siècle par le breton Guy Autret » ¤ 

Guy Autret évoque le sort de Nicolas Caussin [2] avec un trait d'ironie sur le fait que Quimper était aussi éloigné de Paris que les contrées des indiens d'Amérique, du Pérou ou d'autres iles exotiques : « Je ne puis nier que nostre langage m'escorge la luete et que dans nos isles il ne se troeuve des demi sauvages, aussi nous a t on envoyé le père Caussin, come si l'on avoit voulu releguer parmi les Hurons ou les Hiroquois, mais j'espère qu'à son retour à Paris il poura publier que le navire qui le portoit en exil a fait naufrage dans le Perou ou aux isles fortunées.  »

[modifier] 2 Transcription

MONSIEVR MON CHER CONFRERE,

Je viens de recevoir la vostre & celle de Mr le comte de Brulon, qui justifient la diligence & l'affection que vous apportés pour faire reussir, ce qui me touche. Je ne mets point en doute que le dit seigneur comte n'obtiene du Roy tout ce qu'il voudra demander, et jé aussi peu de subjet de creindre que vous manquiés de soign pour soliciter mes expeditions, je vous suplie de me themoigner en ceste affaire les effaits de vostre amittié, puis qu'elle m'est importante au dela de tout ce je vous puis exprimer [a].

Je ne puis revenir de l'estonement dans lequel vous m'avés jetté touchant Mr de Balzac [b], d'autant que j'avois creu iusques à presant que ses ouvrages estoeint dans l'aprobation universele et particulierement de l'Academie Royale en laquelle il est associé. Je ne veux non plus estre estimé heretique dans les sciances que dans ma creance et je deffere aux sentiments de nos maistres en l'aprobation des livres aussi absolument qu'à un decret de Sorbone ou au texte d'un concile en ce qui concerne la foy, mais puis que je né point de sufrage entre les juges, je veux prandre place au bang des advocats et deffandre de toutte la force de ma raison la cause de Mr de Balzac ; que si nos juges sont nos parties ou telement prevenus par nos adverseres que l'on nous condamne sur l'estiquete du fac, il faut que le pauvre Balzac cede à sa mauvaise fortune et s'arme de patiance, et pour moy, apres mes protestations de me pourvoir par les voyes de droit, je seré aussi paesible que Gautier ou le maistre, lors qu'un appelant, pour lequel ils ont pledé, est déclaré sans grief et condamné aux depans et en l'amande. Je n'entreprans point de faire une apologie pour un autheur qui n'est cognu de la plus part de la France que par lestres, mais je ne puis soufrir que l'on mal trette un gentil esprit, ni aprouver que les homes sçavants, norris au Parnace, ou il n'i a que douceur & harmonie, se mordent et se deschirent sur de mauvais pretextes, c'est mal fait de rompre la société et le comerce sur une chaleur de soy et de condamner un autheur sur une periode trop coupée ou une syllabe superflue, un corps ne lesse pas d'estre beau et bien proportioné encore que l'on y puisse remarquer une tache ou vne verrue, ni vn edefice d'estre parfait pour y avoir un deffaut en une arriere cuisine. C'est une rigeur plus cevere que cele de l'Inquisition de souhaiter un autheur qui ne peut iamais faillir, c'est vouloir qu'un home ne soit pas home, et cercher des chimeres & des choses impossibles. Il n'i a persone qui n'aye son peché original & qui ne travaille à surmonter les deffauts de la nature, malaisement trouverés vous un Aleman sobre, un Espaignol yvrogne, un Normant fidele, un Breton sans courage, un Manceau sans finesse, un Provancal sans esprit et un Gascon sans vanité. Pourquoy veut on que Mr de Balzac [b] aye toutes les bones parties d'un Gascon sans se ressentir de ses deffauts ? c'est sans mentir une critique trop exacte, puis qu'il est veritable que les petites vanités qu'il affecte ressamblent les petites mouches apliqués industrieusement pour relever l'esclat d'un beau visage ; j'advoue bien qu'il usurpe des mots nouveaux, qui ne sont pas encore dans le dictionere, mais on m'accordera aussi qu'il en use assés rarement et, au pis faire, la bonté d'une pansée doit faire excuser la liberté d'une parole. Certes les lestres de nostre Mr du Run [c] n'ont garde d'estre bien receues où celles de Mr de Balzac [b] auront estées rebutées, et puisque l'on comte de si pres aveq un accademiste, je suis au desespoir du mauvais tretement que pouront recevoir nos phrases de Kempercorentin.

Vostre gesnie a un ascendant absolu sur le mien et je n'ay jamais d'objections à proposer sur les matieres que vous avés resolues, vous estes mon Pitagore et je crois payer de bonne raison lors que je cite vostre authorité, vous estes capable de me persuader que le Roy n'est pas en la Cour et que le Danube passe au Pont-Neuff, neanmoins vostre retorique n'est pas encore assés puissante pour imprimer en mon immagination que mes escrits puissent esgaler en auceune proportion ceux de Mr de Balzac [b] ; ce seigneur academiste, du quel vous m'escrivés, m'a flaté pour vous contanter et a eu la discretion et l'adresse de ne blasmer par vostre amy en vostre presance. Je ne suis point esloquant, ni ne me picque point de l'estre, et j'auré attaint l'accomplissement de mon degoust à mon lecteur, j'attans mon aprobation de l'Accademie historique et ne me tiendré humilié que quand messieurs du Chesne et de Ste Marthe me condamneront par vostre advis,

 

mais si l'on me chicane sur quelques termes de Landerneau que jé encore retenus de ma nourice, je ne suis pas resolu d'en former une querelle, ni de jetter mon gage de bataille, ce n'est pas une injure de porter les marques d'enfant legitime et je né garde de desadvouer un pais où ma naissance ne fait fond d'une pansion mieux assurée que celles des historiographes de la Cour et que je reçois sans brevet ni sollicitation. Je ne puis nier que nostre langage m'escorge la luete et que dans nos isles il ne se troeuve des demi sauvages, aussi nous a t on envoyé le père Caussin [d], come si l'on avoit voulu releguer parmi les Hurons ou les Hiroquois, mais j'espère qu'à son retour à Paris il poura publier que le navire qui le portoit en exil a fait naufrage dans le Perou ou aux isles fortunées.

Jé veu le volume que vous avés envoyé à nostre marquis [e], qui l'a receu aveq des ravissements indicibles, je vous assure que cest ouvrage est fort acompli et que vous avés fait une belle teste à une vieille anthique, je n'ay jamais rien leu de plus eloquant et mieux ordoné que vostre espitre dedicatoere et l'explication des saese quartiers de Mr de Molac ; vous faites sa genealogie entière sans themoigner en avoir le dessein, et en peu de discours vous faites remarquer les circonstances qui rendent sa maison la plus illustre et mieux marquée de nostre province. Tous ceux qui ont des yeux et de la raison vous doevent des louanges et tous les Bretons en general une recognoessance eternele come au restaurateur de leurs anthiquités. Si l'on ne trouve rien à dire en vostre livre, ce ne peut estre que dans la page où vous me donés des louanges que je né pas méritées. Enfin je vous done absolument toute mon aprobation et neanmoins je ne lesse pas d'estre touché de la passion d'Alexandre, lors qu'il aprenoit les victoeres de son père, j'admire et aprouve vostre travail, mais avec ce deplaesir que vous ne nous lessés plus rien à dire ni à faire. L'Armorial que j'avois préparé n'est dessormais qu'une copie de celui que vous avés fait imprimer, et le peu que j'y pouré adjouter ne sera pas capable d'empecher que l'on ne crie au larron, et je creins que quelque changement que je lui done, il ne sera pas plus déguisé que celui qui prenoit son colet à l'anvers affin de n'estre pas cognu. Neanmoins puisque mon dessein est formé, je le continuré, j'adjouteré peut-estre 6 ou 600 armoeries, que vous n'avés pas voulu employer au vostre, et pour rendre mon ouvrage plus historique je feré imprimer 15 ou 20 lignes au-dessous de chaque escusson, affin de spécifier l'eveché, la paroesse et la juridiction où la maison se trouvera située, je diré combien de fois elle aura changé de main, de nom et d'armes & si celui qui la possède la tient par ecquet ou succession. Mais pour rendre ma pièce belle il faut grand nombre de tailles douces et la paine de quelque persone capable d'instruire le graveur, je ne puis refuser l'offre que vous me faites de vostre assistance, laquelle je n'usse osé vous demander, sachant vos occupations continueles, mais que j'accepte de tout mon coeur, puis qu'elle procède de vostre mouvement et affections ; je vous faits le mesme compliment pour mon histoere du Chastel, vous supliant de m'aider de ce que vous en avés et de prier de ma part messieurs du Chesne et de Ste Marthe de me faire la mesme faveur ; vous m'esclercirés aussi, s'il vous plait, s'il y a quelques maisons en France du mesme nom. Jé remarqué en l'histoere de la guerre sainte, soubs l'an 1246, que Jaques du Chastel, evesque de Soesons, passa en la Palestine et y fit des merveilles.

Je vous envois la genealogie de Lesonet Le Prestre, affin de m'aquiter de mes debtes ; quand je suis à Lesergué, je ne me defans jamais par delays, respirs [f] ou exones [g]. Vous receverés encore par ordinere ma rente quadragesimale, la quelle je vous constitue de bon coeur durant ma vie, j'escris à Renes pour que l'on face ceste depeche & si mon ordre est bien exécuté, les pots ne seront pas vuides, vous n'avés chatouillé le coeur par vos esloges et je veux greffer le vostre par mon beure, en attendant que ma muse trouve l'occasion de prandre sa revanche et de publier par toute la France que je suis,

Monsieur, Vostre très humble & très obligé confrère & serviteur. MISSIRIEN.

À Lesergué, ce 8e fevrier 1638.

Je vous prie que messieurs de Ste Marthe, du Chesne et la Paire trouvent en ce lieu les assurances de mon service.

Notes (Rosmorduc) :

  1. M. de Missirien faisait alors des démarches pour obtenir du Roi le don des prééminences de sa paroisse ainsi que l'érection de ses terres en vicomté. C'est ce que nous apprennent les deux lettres suivantes qu'il écrivait au comte de Brulon les 1er et 17 juin 1638. [Ref.↑] 
  2. Jean-Louis Guez, seigneur de Balzac, célèbre écrivain du XVIIe siècle, qui se plaça par ses ouvrages au premier rang des prosateurs de son temps. L'engouement fut vif et prompt, mais la critique le fut aussi. Le père Goulu, général des Feuillants, l'attaqua avec une animosité violente, dans ses Lettres de Phyllargue à Ariste. Ces désagréments décidèrent, dit-on, Balzac à se retirer dans sa terre, où il passa le reste de sa vie, solitaire, mais entretenant un commerce de lettres soignées avec la plupart des beaux esprits de son temps, même avec des souverains, parmi lesquels Christine de Suède. (Ludovic Lalanne, Dictionnaire historique de la France. [Ref.↑] 
  3. Julien Furic, s. du Run, avocat au Parlement de Bretagne, auteur des ouvrages suivants : I. L'Usement du domaine congéable de l'évêché et comté de Cornouaille, commenté par Julien Furic, avec l'usement local de la principauté de Léon et juridiction de Daoulas. Paris, 1644, in-4°. - II. Réflexions sur le gourvernement du cardinal de Richelieu, avec un narré raccourci de toutes les actions qu'il a faites pendant son administration. Paris, 1468, in-4°. III. Entretiens civils du sieur Furic, advocat, dédiés à Mme de Carman. Paris, Journal, 1659, in-18. (P. Levot, Biographie bretonne). - Julien Furic mourut à Quimper, en sa demeure de la rue Obscure, le 23 novembre 1665 et fut inhumé le lendemain dans la cathédrale de Quimper. Il avait épousé Marie Le Beguec, dont il laissa : 1° Corentin Furic, s. de Keramanoir, décédé recteur de Loctudy et inhumé, le 22 janvier 1679, en son église, "dans vne tombe a voutte donnant vers le midy et despendante du manoir de la Forest". - 2° Ignace Furic, s. de Keramanoir et de la Forest, avocat en la Cour, qui épousa, en premières noces, le 20 août 1665, Françoise Bobet, et en secondes noces, le 8 avril 1677, Marie du Stanguier, dame douarière de Kermorvan - 3° Françoise Furic, mariée le 12 août 1655 à Guillaume de Kerguélen, écuyer, s. de Kerbiquet, conseiller du Roi au siège présidial de Quimper. [Ref.↑] 
  4. Nicolas Caussin, jésuite, né à Troyes en Champagne, l'an 1583, se fit religieux en 1596, ou plutôt selon le père Alegambe en 1606, âgé de 23 ans, & enseigna avec beaucoup de réputation à Rouen, à Paris, à la Flèche & ailleurs ; ensuite il parut avec tant d'éclat dans la chaire, que cela le fit choisir pour confesseur de Louis XIII. C'était un homme d'une grande probité et qu'aucune considération humaine ne pouvoit obliger de trahir ses sentiments, lorsqu'il les croyait raisonnables. Persuadé par les conseils du confesseur de la Duchesse de Savoye, il travailla à faire rappeller la reine mère Marie de Medicis, & à détruire le cardinal de Richelieu ; mais ce ministre plus habile que lui, le fit reléguer, & il ne revint à Paris qu'après la mort du cardinal. Il y mourut le 2 juillet 1651 (Moréri, Dictionnaire historique). Cet ouvrage renferme en outre l'énumération des oeuvres du père Caussin. [Ref.↑] 
  5. Il s'agit de l'Histoire de Bretagne avec les Chroniques des Maisons de Vitré et de Laval, par Pierre le Baud, ouvrage édité à Paris, en 1638, par Pierre d'Hozier, et dédié au marquis de Molac. [Ref.↑] 
  6. Délais. [Ref.↑] 
  7. Excuses. [Ref.↑] 

[modifier] 3 Sources


[modifier] 4 Annotations

  1. Pierre d'Hozier (1592-1660) est un historien et auteur de généalogies des grandes familles françaises. Sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV il fut juge d'armes et commis pour certifier la noblesse. Il a composé la « Généalogie des principales familles de France », ouvrage manuscrit de cent cinquante volumes. Il fut ami et correspondant de Théophraste Renaudot, le fondateur de la Gazette. Il fut inhumé dans l'église Saint-André-des-Arts à Paris. [Ref.↑]
  2. Nicolas Caussin est un jésuite français né à Troyes en 1583 et mort en 1651. Il se fit une réputation comme prédicateur, et devint confesseur de Louis XIII; il fut exilé pour avoir pris parti pour la reine-mère. Il a écrit : la Cour saincte, De Eloquentia sacra et humana, Tragœdix sacrée, une Apologie des Jésuites [1644], Le buisson ardent [1648], Traicté de la Conduite Spirituelle selon l'esprit du B. François de Sales, Évêque et Prince de Genève [1637]. [Ref.↑]


Thème de l'article : Histoire du patrimoine culturel gabéricois

Date de création : Novembre 2016    Dernière modification : 6.12.2016    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]