Les positions de Jean-Marie Déguignet sur l'affaire Dreyfus
Un article de GrandTerrier.
![]() | Un extrait des Cahiers des Mémoires de Jean-Marie Déguignet : Histoire de ma vie, version intégrale mettant en lumière les positions de Déguignet vis-à-vis du juif Alfred Dreyfus, alors que ce dernier n'était pas encore innocenté par la Cour de Cassation (l'arrêt de "réhabilitation du capitaine Dreyfus" est prononcé le 12 juillet 1906).
En effet lorsque Déguignet décède en 1905, il faudra bien attendre un an encore avant qu'Alfred Dreyfus soit pleinement innocenté. Certes il avait été gracié en 1899 par le président Loubet, mais d'un point de vue légal il restait "coupable" et "traitre" de surcroit. Jean-Marie Déguignet n'est pas moins convaincu de l'innocence du capitaine Dreyfus et l'écrit dans ses mémoires où il dénonce à la fois le rôle néfaste des journaux nationalistes et dreyfusards, et les malversations commises par les cadres de l'armée française dans laquelle il avait lui-même été enrôlé. |
1 Analyse du contexte historique
Dans ses mémoires Jean-Marie Déguignet a largement exprimé son rejet de la religion de Jésus-Christ qu'il qualifie de juif car né en terres juives de Galilée. Il n'a cessé de critiquer cette religion et des fables inculquées aux populations, notamment aux paysans bas-bretons. Il s'est attaqué aussi aux Jésuites. Est-ce pour autant qu'on pourrait l'accuser d'anti-sémitisme ? Certains l'ont presque exprimé ainsi, cf la fiche bibliographique de « PLUNKETT Patrice (de) - Aux racines de la cathophobie : le cas Déguignet ». Au travers de ses commentaires sur l'affaire Dreyfus, nous pensons le contraire. Il commence son texte par « Certains journaux jésuitico-catholiques avaient déclaré une guerre à mort à tous les juifs et judaïsants », et plus loin : « Il n'y avait plus en France alors que des dreyfusards et antidreyfusards, ou sémites et antisémites ». Et il se range explicitement parmi les dreyfusards et sémites. Il fait même le reproche aux "cléricofocards" d'oublier leurs origines en criant « À bas les juifs ! ». Cette position, Déguignet a le mérite de l'exprimer, alors que même le procès de réhabilitation n'a pas encore eu lieu. Son écriture est datée entre les années 1900 et 1904, après le procès de Rennes et la grâce du président Loubet en 1899, mais avant le deuxième recours en cassation. Il rappelle que, lors du procès Dreyfus en 1894, il disait et pensait lui-même que les « trois-quarts et demi des Français, empoisonnés par les journaux jésuitico-nationalo-cléricofards, resteraient dans la conviction que le capitaine juif était réellement un traître, quoique reconnu innocent ». Dix ans après, il avoue s'être trompé sur ces proportions, car les électeurs votent massivement pour les Républicains en 1902. |
L'intérêt du texte de Déguignet est de comprendre le rôle des journaux de l'époque qui étaient anti-dreyfusards. On y trouve les quatre titres suivants :
Le deuxième apport de Déguignet est sa connaissance des différents juges et militaires impliqués dans l'affaire, ou ayant pris parti contre Alfred Dreyfus :
Et enfin le thème récurrent chez Déguignet, à savoir la passivité et l'ignorance du peuple face à l'opinion façonnée par le pouvoir incarné par le sabre et le goupillon : « pauper populus ignarus » (pauvre peuple ignare). |
2 Extraits, pages 484 et suivantes
« Certains journaux jésuitico-catholiques avaient déclaré une guerre à mort à tous les juifs et judaïsants. Alors, connaissant les hauts galonnés de l'armée depuis de longues années, tous au service de la jésuiterie, de la tyrannie et du gouvernement, je m'étais dit qu'il devait y avoir du louche dans cette affaire quand je vis un juif, sans défense, accusé et condamné immédiatement à huis clos par une douzaine de jésuites en culottes rouges Cependant tous ces coquins galonnés et emplumés qui accusèrent et condamnèrent le juif s'empêtrèrent bientôt eux-mêmes dans les faux témoignages, dans les mensonges,
dans les faux papiers de toute nature dont ils avaient accablé Dreyfus. Et un autre, une véritable fripouille celui-là, mais pas juif, un certain Estherhazy
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Ce fut alors que Zola accusa ces deux conseils de guerre de canailleries Texte complet (pages 484-503) : « Document PDF » ¤ |
3 Annotations
- Les soldats de l'armée de terre portait le pantalon garance de couleur rouge. [Ref.↑]
- Dreyfus, condamné pour trahison « à la destitution de son grade, à la dégradation militaire, et à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée », fut envoyée en Guyane, au bagne de l'île du Diable le 21 février 1895. [Ref.↑]
- Le Petit Journal est un quotidien parisien, fondé par Moïse Polydore Millaud, qui a paru de 1863 à 1944. Ernest Judet (1851-1943) plaça Le Petit Journal dans le parti antidreyfusard et le rallia à la cause nationaliste. A la veille de la guerre de 1914-18, c'est l'un des quatre plus grands quotidiens français d’avant-guerre, avec Le Petit Parisien, Le Matin, et Le Journal. [Ref.↑ 3,0 3,1 3,2]
- Le commandant Ferdinand Walsin (1847-1023), dit Esterhàzy, est soupçonné d'espionnage et de communication de documents confidentiels à l'armée allemande, il est acquitté en janvier 1898. Il est l'auteur du bordereau d'espionnage mentionnant les livraison de secrets militaires, document écrit peut-être sous la dictée de sa hiérarchie, et est donc à l'origine de l'affaire Dreyfus. [Ref.↑]
- Emile Zola publie sa lettre au président "J'accuse" à la une du journal L'Aurore, le 14 janvier 1898. Il est condamné, le 23 février 1898, à un an de prison et 3000 francs d'amende. [Ref.↑]
Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Date de création : Juillet 2010 Dernière modification : 5.02.2012 Avancement : |