Les billets hebdos de l'actualité du GrandTerrier - GrandTerrier

Les billets hebdos de l'actualité du GrandTerrier

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Version du 23 mars ~ meurzh 2019 à 08:39


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Chaque semaine, un nouveau billet annonçant un ou plusieurs articles sur le site GrandTerrier.

Une compilation des billets est publiée en fin de trimestre sous la forme des chroniques du Bulletin Kannadig.

Anciens billets hebdos : [Actualité, archives]

Les anciennes affichettes : [Accroches à la une]

Modifications d'articles : [Journal des MàJs]


Sommaire

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1 Ergué et Lezergué en breton diachronique

Billet du 23.03.2019 - Diachronique, adj. : qualifie la diachronie, c'est-à-dire l'évolution des variantes linguistiques dans le temps. La méthode diachronique est opposée à la présentation synchronique standard ne listant qu'une définition et orthographe de manière horizontale et à un moment de son histoire.

Comme le présentait lui-même Martial Ménard, son dictionnaire diachronique, encore dit historique, « regarde les mots d'une langue sous un aspect vertical, depuis l'apparition du terme jusqu'au jour d'aujourd'hui, ou de sa disparition si elle a eu lieu » (OF 27/05/2016).

Son dictionnaire diachronique breton DEVRI compte aujourd'hui 65728 entrées, alors qu’en septembre 2016 il en comptait 60248. Certaines entrées ne sont illustrées que par un seul et unique exemple, alors que d'autres sont très longues et peuvent couvrir plusieurs pages.

L'entrée qui nous intéresse, celle de la commune d'Ergué-Gabéric documentant les variantes bretonnes de son nom, a été spécialement enrichie par Hervé Le Bihan autour des déclinaisons « An Erge-Vras » et « Erge-Gaberig ». On notera qu'il n'a pas omis les « Erc'hié-Vrâz » et « Erc'hie-Vras », formes que nous avons déjà présentées car elles peuvent expliquer, après re-transformation en français, notre GrandTerrier favori.

Les 14 variantes unitaires différentes sont ordonnées suivant les dates de leurs relevés pendant tout le 19e siècle et le début du 20e siècle. Pour chaque occurrence la référence écrite précise, soit une publication reliée ou des feuilles volantes, est présentée sous forme d'une abréviation inscrite dans un corpus et d'une pagination / numérotation.

Ainsi, le corpus inclut essentiellement des livres de collectages de chansons et expressions populaires (OLLI, FUB, GBI ...) , et des journaux entièrement en breton comme le « Feiz ha Breiz (FHB pour la période 1865-1884 et FHAB pour 1900-1943), ou des almanachs.

La recherche du nom communal dans ces sources a permis aussi de compiler des dictons ou chansonnettes comme « TRIVEDER KERNE  : Person Kemper a zô skolaer, / Ann hini Erc’hié-Vrâz marrer, ... » (TRIADE DE CORNOUAILLE : Le recteur de Quimper est instituteur, / Celui du Grand-Ergué, écobueur).

Et cette recherche sert aussi à présenter les deux toponymes de Kerdévot et de Lezergué. Un grand nombre des sources présentées par Hervé Le Bihan, que ce soit pour les variantes de noms, les dictions ou les toponymes, ont déjà été présentées sur le GrandTerrier.

Mais ce n'était pas le cas de celui qui est signalé pour le manoir de Lezergué (cf. ci-contre). Il s'agit d'un article de novembre 1923 dans le périodique catholique breton « Feiz ha Breiz », signé des initiales G.P. combinaison de Guennec et de Perrot.

En savoir plus : « Erge-Vras dans le dictionnaire diachronique de Martial Ménard et d'Hervé Le Bihan »

 

Le mémorialiste Louis Le Guennec (1878-1935) a fourni le croquis du manoir et les éléments historique qu'il a publié en français dans les années 1920-30. Yann-Vari Perrot (1877-1943), fondateur du journal Feiz ha Breiz et du mouvement Bleun Brug, a écrit le texte en breton et les commentaires d'inspiration religieuse.

Il y a dans cet article une évocation nostalgique du lieu tel qu'il était du temps des guerres de religion, avec la figure de l'historien Guy Autret qui avait élu domicile à Lezergué et dont l'érudition tranchait avec la sauvagerie de son parrain Guy Eder de la Fontenelle : « Gwella pez a zo, ar filhor ne voe tamm ebet henvel ouz a baeron.  » (Heureusement que le filleul n'était vraiment pas comme le parrain).

La figure de l'évêque rebelle Jean-Français de La Marche, né à Lézergué, est aussi celle du dernier évêque du Léon, exilé et mort à Londres, après le démantèlement de son évêché à la Révolution.

Par chance le manoir ne sera pas vendu par le "gouvernement" de la Révolution : « Kastell Lezergue n'eo ket bet laket e gwerz gant gouarnamant an Dispac'h ». Mais les paysans qui l'occupent en 1923 l'ont laissé à moitié à l'abandon, et seul un riche acquéreur pourrait garantir sa conservation.

C'était l'un des plus beaux manoirs de Cornouaille, « unan eus kaera maneriou Bro Gerne », doté d'une impressionnante et rare volée d'escaliers de pierre, « an dereziou mein da bignat er zolier ».

En savoir plus : « Un article en breton sur Lezergue signé G.P., Feiz ha breiz 1923 »

2 Meurtre de René Lasseau à la Salle-Verte

Billet du 17.03.2019 - « Odieusement condamné, le 9 juillet 1948 à 15 ans de travaux forcés et à la peine accessoire de 20 ans d'interdiction de séjour par la Cour d'Assises du finistère, alors que je suis innocent, ma conscience et ma dignité d'homme se refusent à accepter cette iniquité. », Gaston Poux 1949.

Cette affaire a eu localement un immense écho de fin 1946 jusqu'au procès aux Assises en juillet 1948, car l'enquête a duré de longs mois et les meurtriers ont été recherchés dans un climat de peur et de psychose. Les journaux régionaux ont rendu compte de l'enquête, et le procès a été à la une de l'hebdomadaire « Détective » sous le titre « Voici, aux Assises de Quimper, LA BANDE À POUX (BEND-EN-LAOU) qui terrorisa longtemps la campagne bretonne », avec un jeu de mot scabreux sur le patronyme POUX (Laou désignant le poux en breton, "penn-laou" étant l'insulte suprême de "tête de poux").

Et voici qu'en 1949-50 le supposé chef de bande Gaston Poux fait une demande de révision de son procès où il a été condamné à 15 ans de travaux forcés, en rédigeant une déclaration de 28 pages dactylographiées. Ce dossier, conservé aux Archives Nationales, est accompagné de nouvelles auditions et de rapports circonstanciés rédigés par la Police judiciaire de Rennes. Ces documents donnent une vision différente des faits repris par les journaux lors du jugement des Assises de Quimper.

Le rapport de Gaston Poux pour sa « libération dont le couronnement sera la reconnaissance officielle de (s)on innocence et (s)a réhabilitation. » est frappant par le ton de sincérité et de violence contenue contre un commissaire qu'il considère comme « marron ». Les détails de son arrestation et l'instruction à charge contre lui et son acolyte présumé Henri Bourmaud sont dignes d'un scénario de roman policier.

Le contexte du meurtre est une expédition punitive un soir de 23 décembre 1946 avec tir de mitraillette « américaine » contre le fils aîné dans la cour de la ferme de la « Salle-Verte » tenue par son père René Jean Lasseau. Cela se passe alors que la victime est en train de soigner et donner à manger à ses chevaux.

Un prisonnier de guerre allemand, Walter Buskis, qui aide le jeune Lasseau à l'écurie, assiste impuissant à la scène et évite la fusillade. À cette époque, de nombreux prisonniers de guerre étaient réquisitionnés dans les fermes gabéricoises. Nous ne savons pas à quelle date le prisonnier de la Salle-Verte a été libéré, mais certains, à l'intar d'Helmut Homilius à la ferme de Kerautret, sont restés à Ergué-Gabéric jusqu'aux années 1950.

Les agriculteurs devaient prouver leur patriotisme pendant l'occupation et pouvaient disposer l'aide d'un prisonnier, moyennant hébergement. La famille Lasseau est considérée comme « joui(ssant) à Ergué-Gabéric d'une considération parfaite ». Il n'en reste pas moins que la recherche du meurtrier et de ses complices est problématique, car la première enquête du commissaire Guy Kergoet, venu de Rennes, est vaine.

La deuxième enquête est menée tambour battant par le commissaire Georges Le Leyour affecté à Quimper grâce à une série de dénonciations et de faux témoignages. Le procès aux Assises aboutira à des peines sévères de travaux forcés à perpétuité pour le meurtrier présumé (Henri Bourmaud) et de 15 ans suivis de 20 ans d'interdiction de séjour dans le finistère pour le complice chef de bande.

 

Ce dernier considère qu'il s'agit d'un complot à connotation politique : « Je ne suis pas originaire du pays, je suis un étranger, dont "suspect". Ne me liant pas facilement, je suis jugé fier. ». Gaston Poux, natif du Jura, habite Paris avant-guerre, et est venu s'installer en Bretagne en 1939 en se mariant à une nommée Renée Lucas, débitant à Ergué-Armel. Il tiendra avec elle le café-tabac au 2 route de Rosporden, dans un quartier qui jouxte l'entrée de la commune d'Ergué-Gabéric.

Les accusations politiques sous-jacentes qui motivent le commissaire Le Leyour sont dues aux accointances de Gaston Poux avec le Parti Social Français qui certes prône la résistance, mais défend une ligne très conservatrice et anti-communiste. L'accusé conteste ce militantisme, se contentant d'avoir « collaboré, et cela de façon bénévole, à un hebdomadaire de vrais résistants ». Le commissaire est accusé d'avoir ameuté « la presse, en l'incitant même à se livrer à une campagne perfide, violente, qui à elle seule, a créé une psychose, une folie quasi-générale soigneusement entretenue, l'ambiance contre laquelle la Justice elle-même ne pouvait plus rien. »

Guy Kergoet est chargé en 1950 d'une troisième enquête à la suite de la demande de révision. Il reprend les éléments d'argumentation de Gaston Poux en concluant « la participation du groupe BOURMAUD-FILLIS-QUINET dans l'affaire dite "de la Salle-Verte" peut être mis en doute », ceci en mettant en exergue les incohérences du dossier d'accusation, et par là même les exactions du précédent commissaire chargé d'enquête.

Mais cela ne suffira pas pour réhabiliter les condamnés Poux et Bourmaud, car d'une part la preuve de leur innocence n'est pas formellement apportée, et seule la culpabilité établie d'un autre meurtrier pouvait, semble-t-il, constituer un élément nouveau nécessaire à la révision éventuelle du procès. Gaston Poux décédera en 1974 à Colmar dans le Haut-Rhin, à l'âge de 81 ans, soit 26 ans après sa condamnation.

En savoir plus : « 1949-1950 - Demande de révision du procès de la tuerie de la Salleverte »

3 Troisième et dernier tome de la BD

Billet du 09.03.2019 - Ce mercredi 6 mars les éditions Soleil ont font paraître dans leur collection "Soleil Celtic" la bande dessinée « 3. Le Persécuté », confectionnée par Babonneau - Betbeder - Gonzalbo et inspirée des « Mémoires d'un paysan bas-breton » de Jean-Marie Déguignet.

Comme dans les deux précédents tomes, les paysages et personnages dessinés de Christophe Babonneau sont élégants et bien ficelés, et on y retrouve avec plaisir certains lieux fréquentés par Déguignet sur la fin de sa vie, comme la gare de Quimper, le Stangala alias Stang-Odet, la chapelle de Kerdévot, le village de Quélennec, la ferme de Toulven, ...

Par contre, au niveau de la trame narrative et du choix des sujets, on ne peut être que très critique, et peut-être encore plus pour ce dernier tome :

Image:Right.gifImage:Space.jpgOù sont passés les délires de persécutions de Jean-Marie Déguignet qui font la matière des 450 dernières pages des mémoires ? Hormis de nombreuses planches sur son mariage et ses combats de modernisations agricoles, ses longs poèmes incantatoires, ses « Rimes et Révoltes », et les violents brocards contre ses contemporains sont comme absents de la BD.

Image:Right.gifImage:Space.jpgLes nombreuses observations de la vie politique faites par Déguignet dans ses mémoires, et notamment les victoires électorales des républicains, l'affaire Dreyfus ou l'expulsion des congrégations, n'ont pas la faveur d'une seule bulle (ou phylactère en langage savant).

Image:Right.gifImage:Space.jpgPages 87 et 88, Déguignet cède ses cahiers à un mémorialiste pour 100 francs, et le nom de ce dernier, Anatole Le Braz, n'y est pas du tout mentionné. Alors qu'on sait l'importance de cet épisode, la publication partielle et tardive des cahiers dans la Revue de Paris, la rédaction de nouveaux cahiers et les critiques acerbes que Déguignet prononcera à son encontre.

Image:Right.gifImage:Space.jpgSignalons quelques autres inepties : la consommation de cigarettes par Jean-Marie Déguignet page 70-71 est peu plausible car, même s'il gérait un débit, le tabac dans les années 1880 est utilisé essentiellement pour la pipe ou pour chiquer ; la présence page 13 de vaches et de cochons dans l'enclos de la chapelle de Kerdévot est incongrue (les  animaux  étaient  auto-

 

risés sur le placitre ombragé, mais interdits en deçà de l'entour sacré délimité par un muret et des échaliers).

En savoir plus : « BABONNEAU Christophe et BETBEDER Stéphane - Mémoires d'un paysan bas-breton Tome 3 »

4 Un décret pour Kerdévot en 1809

Billet du 02.03.2019 - Cette semaine, un dossier trouvé aux Archives Nationales, dans la série AF des Rapports Ministériels datés de 1809 et contenant une lettre du ministre des cultes à son empereur Napoléon, le texte du décret impérial de la donation de Kerdévot et un document notarié daté de 1804.

Félix Bigot de Préameneu est le ministre des cultes depuis 1808, en remplacement de Jean-Étienne-Marie Portalis, tous deux ayant été les principaux rédacteurs du code civil napoléonien. Préameneu connaît bien Kerdévot et les chapelles bretonnes puisque, né à Rennes, il a été avocat du Parlement de Bretagne.

Le 15 mars 1809 il écrit donc à son roi et empereur : « Sire, Jérome Crédou propriétaire de la chapelle de Kerdévot, située en la commune d'Ergué-Gabéric département du finistère, en a, par acte devant notaire du 16 ventise an 12, fait donation à la fabrique de l'Eglise succursale dudit Ergué-Gabéric. M. l’Évêque de Quimper a fait déclaration sur l'acceptation, sauf l'approbation de votre Majesté, conformément à l'article 73 de la loi du 19 germinal an X. J'ai l'honneur de prier Votre Majesté, de vouloir bien l'accorder par le Décret dont je joins le projet au présent Rapport. »

En bref, le texte du décret impérial est le suivant : « Napoléon, Empereur des Français, Roi d'Italie et protecteur de la Confédération du Rhin, ... Nous avons décrété et décrétons ce qui suit : Article 1. Le maire de la commune d'Ergué Gabéric, département du finistère, est autorisé à accepter la donation de la chapelle de Kerdévot située audit Ergué Gabéric, faite en faveur de la fabrique de l'Eglise de la dite commune, par Jérome Crédou, »

Ce formalisme fait suite à une interrogation en 1807 du desservant d'Ergué-Gabéric et de son évêque sur la nature de la restitution de la chapelle sous forme de don ou de vente et sur les intentions réelles du propriétaire des lieux depuis 1794. Avec un décret impérial de donation, qui plus est à la fabrique et au maire par délégation civile, la phase de privatisation est annulée et la situation est clarifiée.

Dans le dossier de préparation du décret, le document notarié signé en mars 1804 dans lequel le citoyen Jérome Crédou restitue la chapelle qu'il a acquise au moment de l'adjudication des Biens Nationaux en 1794, est annexé : « il déclare

 

n'avoir fait que pour empêcher la profanation de la dite Eglise qui pouvait être utile à la dite commune d'Ergué-Gabéric, en conséquence il déclare par le présent faire don de la dite chapelle au profit de la dite commune pour l'avantage d'icelle ». Le document adressé au ministre des cultes a été contresigné en 1806 par le président du tribunal de première instance de Quimper comme gage d'authenticité et de moralité.

Mais en juillet 1809, soit 5 mois après le décret impérial, la polémique va reprendre : dans un autre document notarié, on apprend en fait que Jérome Crédou, lors de la ventes aux enchères de la chapelle suite à confiscation par les autorités révolutionnaires, n'étaient qu'un prête-nom, qu'il n'avait pas avancé les 6.000 lires pour l'acquisition,
car cette somme avait fait l'objet d"une quête auprès des paroissiens qui voulaient protéger le lieu d'une appropriation privée.

Donc, avec la promulgation du décret officiel signé de l'empereur des français, l'affaire se finit bien et la chapelle peut redevenir patrimoine communal.

En savoir plus : « 1809 - Décret Napoléonien de donation de Kerdévot en faveur de la fabrique de l'église »

5 Aliénation de chapelles tréviales

Billet du 23.02.2019 - « L'an troisième de la République française une et indivisible, le huit floréal neuf heures du matin, ... avons procédé à l'adjudication définitive indiquée à ce jour des biens nationaux dont la publication a été faite conformément au décret. »

Les propriétés de l'Église qui ont été saisies, nationalisées et vendues lors de la Révolution française forment, au même titre que les biens nobles expropriés, les biens nationaux. Ces derniers ont été vendus à des propriétaires privés pour résoudre la crise financière concomitante à la Révolution, mais les édifices religieux, hormis les ruines, seront très vite restitués à la commune.

À Ergué-Gabéric, il y a lieu de distinguer d'une part les chapelles tréviales et d'autre part les biens religieux de la fabrique au niveau paroissial, à savoir église et presbytère. Les chapelles tréviales étaient des biens de l'église au service d'une sub-division de la paroisse, bien qu'ayant dépendu auparavant de seigneuries locales ou distantes (Quistinic ou Landévennec).

Les chapelles d'Ergué-Gabéric, au nombre de six, sont chacune localisées dans une « trève » distincte, c'est-à-dire une succursale de paroisse, subdivision rendue nécessaire par l'éloignement du lieu de culte paroissial au bourg. La plus grande est celle de Kerdévot, ensuite les deux chapelles opérationnelles de St-Guénolé et St-André, et enfin les trois édifices en ruine de Ste-Appoline, St-Joachim et St-Gildas.

Les documents disponibles sont d'une part des procès-verbaux d'expertise et d'estimation, datés des 5 à 10 brumaire de l'an 3 (soit en octobre 1794), et d'autre part les minutes de ventes aux enchères datées du 8 floréal de l'an 3 (soit en avril 1795).

Dans le document d'expertise de Kerdévot, la formule décrivant les lieux comme « dépendant du ci-devant fief de Quistinic en Edern » semble étrange au premier abord. Certes au 16e siècle plusieurs mouvances d'Ergué-Gabéric dépendaient de ce domaine de Quistinic/Chataigneraie, notamment Squividan, Le Lec, Tréodet. Mais les prééminences premières et supérieures de la chapelle de Kerdévot sont réputées être elliantaises par les seigneurs de Tréanna et de Botbodern. Néanmoins l'idée d'une dépendance de Quistinic pourrait être défendue si l'on accepte que le blason central de la maitresse-vitre est celui des Liziart, apparentés aux Liziart de Trohanet et aux seigneurs de Quistinic.

La chapelle de Saint-Guénolé est dite située « au grand Quéllennec dépendante de la ci-devant abbaye de Landévennec et sans dépendances, ni issues ». Elle est effectivement dédiée au premier abbé de Landévennec, et dans des aveux datés de 1647 et 1656, les terres du Guelennec sont déclarées en chefrente avec « foi et hommage » et dîme au seigneur abbé de Landévennec et la fontaine et la chapelle de « Monsieur Sainct guenolle » y sont mentionnées. Par contre on ne trouve pas de mention de la chapelle dans les chartes du cartulaires de Landévennec.

 

1. Kerdévot 2. Saint-Guénolé 3. Saint-Joachim 4. Saint-André 5. Ste-Appoline 6. Saint-Gildas
Estimations 800 l 400 l 120 l 100 l 80 l 70 l
Ventes 6000 l 630 l 125 l 395 l 85 l 75 l
Acquéreurs Jérôme Crédou Alain Rannou Laurent Le Corre Pierre-J Crédou Marie-M Merpaut Alain Rannou
Origine Quistinic Landéven-nec Lezergué Lamarche Lamarche Pennarun
Dimensions 22 m x 13 x 6 16 m x 9 x 4 16 m x 9 x 4 11 m x 6 x 5 17 m x 5 x 2,6 14 m x 5 x 2,6
Suites Restituée Restituée Privée Démolie Démolie Démolie

Quant aux quatre autres chapelles elles sont sur des « terreins » des seigneurs locaux, les La Marche de Lezergué - La Marche Père pour Saint-André et Fils pour Saint-Joachim et Sainte-Appoline - et les Geslin de Pennarun pour la chapelle de Saint-Gildas. Toutes ces chapelles sont soit en ruine, soit « en mauvaise réparation ».

Pour les prix estimés et d'adjudication, il y a un gros écart entre ceux de la chapelle de Kerdévot (800/6000 livres), Saint-Guénolé (400/630) et les autres autour de cent livres. On constate quand même que la chapelle de Saint-André, classée 4e, a été sous-estimée au départ, car ses enchères atteignent plus de 3 fois la valeur de Saint-Joachim, classée 3e au moment des estimations.

Les acquéreurs qui emportent les enchères de ces chapelles sont tous gabéricois, à l'exception de Marie-Madeleine Merpaut, négociante quimpéroise, qui a acquis la chapelle de Sainte-Appoline en même temps que le manoir voisin du Cleuyou. Les adjudicataires d'Ergué-Gabéricois sont trois agriculteurs et Laurent Le Corre, aubergiste au bourg.

Les chapelles seront restituées à la commune au moment du Concorcat en 1804, sauf celle de Saint-André et les édifices en ruine qui resteront privées. Au moment de la restitution de Kerdévot les langues vont se délier : face aux réticences de Jérome Crédou pour se séparer de son acquisition, il sera fait état de la réalité de son rôle de prête-nom et de l'organisation d'une grande quête des paroissiens pour récolter 6000 livres et protéger le lieu-saint d'une privatisation. Cela se passera plus sereinement pour Saint-Guénolé, mais par contre les pierres des chapelles en ruine seront utilisées ou vendues pour d'autres constructions.

* * *

Prochainement sur GrandTerrier, on s'intéressera aux autres « biens nationaux », c'est-à-dire aux biens de la fabrique (presbytère, église), ainsi qu'aux manoirs et mouvances nobles.

En savoir plus : « 1794-1809 - Aliénation des biens du clergé mis à disposition de la Nation », « 1794-1795 - Estimation et vente de la chapelle de Kerdévot » + docs équivalents des 5 autres chapelles tréviales.

6 Un état civil tenu par un prêtre

Billet du 16.02.2019 - Dans leurs versions numérisées par les Archives départementales du finistère, les 34 folios recto-verso du tout premier registre d'état civil des naissances de la commune d'Ergué-Gabéric couvrant l'an 2 de la nouvelle république française une et indivisible, à partir de janvier 1793.

En janvier 2019, les Archives départementales du Finistère ont mis à disposition une grande partie des registres paroissiaux et d’état civil de la commune d'Ergué-Gabéric conformément au tableau ci-dessus.

En fait, à ce jour, seuls les registres paroissiaux d'avant 1793, les fameux BMS (Baptêmes, Mariages et Sépultures), restent sous support de micro-films, les autres ayant été numérisés à partir de leur support papier d'origine avec une qualité obtenue bien supérieure aux micro-films.

Les registres numérisés des naissance (N) sont disponibles sur Internet pour la période 1793-1915 et en salle pour les années 1616-1936 ; les registres de mariages (M) et de décès (D) sont visibles sur Internet pour la période complète 1794-1936.

Le décret de l'Assemblée Législative du 20 septembre 1792, veille de sa dissolution, définit un nouveau mode de « constater l'état civil des citoyens », en remplacement des registres paroissiaux et désormais à la charge de la nouvelle administration communale. Le décret s'applique à Ergué-Gabéric 3 mois seulement après cette date, le nouveau registre étant adopté en janvier 1793.

Ce premier registre historique d'état civil de la commune contient 145 articles ou actes pour la période de début 1793 à septembre 1794, ce en 3 parties :

Image:Right.gifImage:Space.jpgfolios 1 à 22 en recto-verso : articles 11 à 120 du 9 février 1793 à 29 floréal (18 mai 1794). A noter d'une part que les 10 premiers articles (2 folios de janvier) sont manquants et que le dernier folio a été numéroté n° 2 par erreur sur le site des Archives départementales.

Image:Right.gifImage:Space.jpgfolios 23 à 28 en recto-verso : articles 1 à 25 supplémentaires à partir du 30 floréal (19 mai) jusqu'au 5e jour des « sanculotides » (21 septembre 1794)

Image:Right.gifImage:Space.jpgfin de folio 28 à folio 34 : tables des naissances, avec pour chaque nom-prénom de nouveaux-nés, et le « rôlle » de son enregistrement (c'est-à-dire le folio + 2, car la table référence les deux premiers rôles manquant) et le n° d'article de l'acte.

C'est seulement le 24 novembre 1793, c'est-à-dire le 4 frimaire de l'an 2, que le nouveau calendrier révolutionnaire devient obligatoire dans tous usages civils. Dans le registre d'Ergué-Gabéric, ce changement d'écriture des dates de naissance a lieu 19 jours après le décret, à savoir le 23 frimaire, ce à l'article 80 du folio n° 16.

Quant aux officiers publics en charge de l'écriture des actes, il faut noter pour Ergué-Gabéric une particularité : autant pour les premiers actes l'officier Jean Le Jour est bien laïc, autant pour les 25 derniers et pour les actes du registre suivant,  derrière l'officier

 

public Rolland Coatmen, se cache le recteur assermenté de la paroisse. Rolland Coatmen a pris la succession du recteur réfractaire Alain Dumoulin qui s'est exilé à Prague.

Rolland Coatmen remplira sa mission d'officier public en rédigeant les actes d'état civil jusqu'au 17 messidor de l'an 3 (05.07.1795). En 1798 alors qu'il est recteur de Quéméneven, il sollicitera un certificat au maire d'Ergué-Gabéric qui le rédige ainsi : « Nous signant officiers municipaux de la commune d'Ergué-Gabéric canton rural de Quimper département de finistère certifions que le citoyen Rolland Coatmen pensionnaire ecclésiastique a résidé dans notre commune depuis l'an 1792 jusqu'à l'an 3 de la République, qu'il a donné pendant la résidence toutes les preuves possibles de civisme »

En savoir plus : « 1793-1794 - Le premier registre d'état civil des naissances de la commune »

7 Gwerzhañ al laez ha charreat teil gwechall

Billet du 09.02.2019 - « René Danion, deus an Erge-Vraz, a gont deomp penaos 'oa ar vuhez ba' feurm e zud en amzer e vugaleaj », René Danion d’Ergué-Gabéric, nous raconte comment était la vie à la ferme familiale du temps de son enfance, interview de Lors Jouin en 2017 pour BeCeDia Sevenadurioù.

René Danion, né en 1932, est un agriculteur, installé à 18 ans à Kerhamus en Ergué-Gabéric après son école d'agriculture au Nivot en 1950, à la suite de ses grands-parents et parents, « faisant du lait » comme eux et livrant directement lui-même ses clients quimpérois.

Il a été interviewé récemment, pour parler des livraisons de lait et de l'entraide pour le fumier (cf transcription et traduction complètes de l'interview en fin de l'article qui lui est consacré), a été publiée sur le site bcd.bzh/becedia, sur la chaine video « Komzoù brezhoneg » de Lors Jouin qui a pour vocation de recueillir auprès de bretonnants natifs les parlers et les accents qui font la diversité de la langue bretonne.

Faire du lait, et non du beurre, telle était la vocation des trois générations de Danion à Kerhamus. La ferme étant située en bordure ouest de la commune, à proximité de la ville de Quimper, René Danion évoque les livraisons de son lait aux clients de Quimper (pâtissiers, restaurants, épiceries ...), non pas par camion citerne, mais dans des pots en alumimium de 20 à 30 litres qu'il fallait porter : « podoù ugent litrad ... lod a oa pounneroc'h ivez ...bez e oa unan hag a oa tregont litrad e-barzh ».

Il compare la qualité appréciée de son lait, par rapport à celui collecté et vendu par la coopérative : « Ne oa ket "pareil" nann ... n'eo ket memes blaz ken  ». Le mot « blaz » (et non du nez, bien que le terme veut aussi dire odeur !) évoque « son goût qui n'était pas pareil ». La raison de la différence était en partie due à la quantité de crème (« an dienn » en breton) conservée dans le lait de Kerhamus.

On notera aussi l'expression bretonne « an hanter keroc'h » qui souvent est dite en français « à moitié plus cher » par les bretonnants, alors qu'en fait il s'agit du double, la moitié étant appliquée en breton au prix total, et non au prix de départ.

 

Lors des livraisons quotidiennes à Quimper, il est aussi question des commandes de légumes (sacs de pommes de terre, choux pommés ...), de balles d'avoine qu servaient de matelas aux bébés, de bois de chauffage et de barriques de cidre.

La deuxième partie de l'interview porte sur l'importance autrefois du charroi et épandage du fumier. René Danion a écrit de belles pages sur ce sujet dans le premier chapitre de son livre « L'entraide agricole à Ergué-Gabéric de 1930 à 1960 ».

L'intérêt est ici d'entendre le descriptif de cette activité en langue bretonne : « neuze en em sikouriñ evid ar ...evid charreat teil da gomañs », où « charreat teil » (charroi de fumier) est le transport de tout le fumier des crèche dans les champs, une grosse journée de travail en fin d'année avant que les domestiques s'absentent 10 jours pour négocier leurs gages.

Quatre à cinq personnes par charroi étaient nécessaires. Et parmi eux, celui qui était surnommé « an tenner a-dreñv » (le tireur arrière), chargé avec son croc (« kreier don ») de faire tomber au sol le fumier de la charrette.

En savoir plus : « Rene Danion deus an Erge-Vras, Komzoù brezhoneg gant Lors Jouin », « René Danion, agriculteur-éleveur à Kerhamus »

8 Une gabéricoise féministe en résistance

Billet du 02.02.2019 - « Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes - Ni l’orgue ni la prière aux agonisants - ... Vous vous étiez servi simplement de vos armes - La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans », Louis Aragon, Strophes pour se souvenir, cérémonie d'inauguration de la rue du Groupe-Manouchian.

On connaît aujourd'hui l'arrestation en 1943 du groupe Manouchian par la Brigade spéciale no 2 des Renseignements généraux de la police française. Ces jeunes francs-tireurs et partisans communistes ont fait partie de la branche MOI (Main-d'Ouvre Immigrée) de l'organisation FTP (Francs-tireurs et Partisans) et fusillés au Mont-Valérien. L’affiche rouge ci-contre de propagande allemande a été placardée massivement en France sous l'Occupation pour dénigrer ces résistants communistes.

Jeanne Le Pape est arrêtée en 1944 par la même Brigade Spéciale. Elle est née le 5 septembre 1895 à Pennanec'h de parents journaliers agricoles. Elle se marie en 1919 avec Alain Le Corré né en 1890 dans le village voisin de Quélennec.

À la lecture du compte-rendu de son interrogatoire par les Renseignements Généraux on apprend que :

Image:Right.gifImage:Space.jpgElle est domiciliée en 1937 à Saint-Denis en région parisienne « dans un logement au loyer annuel de 1.000 francs »

Image:Right.gifImage:Space.jpgEn 1941 son mari décède, et son fils né en 1920 « est en Allemagne » (sans doute dans un camp de prisonniers ou de STO).

Image:Right.gifImage:Space.jpgAvant guerre, journalière de profession, elle travaille à la mégisserie Floquet, spécialisée dans le tannage de cuirs à St-Denis, et est embauchée ensuite par les établissements Cams en août 1943.

Image:Right.gifImage:Space.jpgAvant 1939 elle milite au sein de « l'Union des Jeunes Filles de France », affiliée au Parti Communiste, pour défendre l'égalité des droits avec les hommes, aussi bien dans le domaine politique qu'économique.

Elle est arrêtée le 5 mai à l'occasion d'une rafle parmi les relations de Lucien Briffaut et Germaine Debail, deux membres actifs des FTP qui préparent une action contre un officier de police : « Le 4 courant, un homme et une femme qui semblaient surveiller, rue de Nanterre à La Garenne, un immeuble habité par un inspecteur du Commissariat de Colombes, ont été appréhendés. »

Au total 34 personnes sont arrêtées et chez certains de la documentation et une machine à écrire, ainsi que des armes, sont trouvées : «  3 pistolets, 3 grenades, 50 déto ..., 3 mitraillettes, 6 chargeurs ». Jeanne, appréhendée alors qu'elle rend visite à Germaine Debail apparaît dans la liste des « hébergeurs, agents de liaison et autres complices ». Elle se désolidarise de son amie qu'elle a connue chez Floquet avant guerre en invoquant une affaire de location de logement vacant : « Lorsque je voyais Debail, elle ne me parlait pas de son activité politique ; d'ailleurs je la voyais très rarement. »

Les brigades spéciales (BS) de la préfecture de police de Paris spécialisées dans la traque aux « ennemis intérieurs », principalement communistes, prisonniers évadés ou réfractaires au STO, sont très organisées et très liées aux polices allemandes. Pour la rafle « Briffaut et autres » de mai 1944, la BS n° 2 a rédigé de nombreuses fiches et rapports d'opérations et d'interrogatoires

 

dans lesquels transparaît l'éthique nazie. Notamment ce qualificatif de « race aryenne » indiqué systématiquement pour identifier les interpellés, y compris bien sûr Jeanne Le Pape.

La courageuse féministe sortira de prison et connaîtra la Libération de Paris en août 1944. Elle décède à l'age de 79 ans le 6 mai 1975 à Argenteuil, près de Saint-Denis.

* * *

Grâce au dossier d'interpellation de mai 1944, Jeanne Le Pape a désormais sa notice en tant que native d'Ergué-Gabéric dans « Le Maitron », le dictionnaire biographique des mouvements ouvriers et sociaux :

« LE CORRÉ Jeanne, Marie, née LE PAPE. Née le 25.09.1895 à Ergué-Gabéric (Finistère), fille de journaliers, mariée dans sa commune natale le 29 juin 1919 avec Alain, Joseph Le Corré, mère d’un enfant, journalière à Saint-Denis (Seine), Jeanne Le Corré était l’une des animatrices de l’Union des comités de Femmes de l’Ile de France en 1939 ... ».

En savoir plus : « MAITRON Jean - Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social », « 1944 - Arrestation de la féministe Jeanne Le Pape, communiste et sympathisante FTP », « Jeanne Le Pape, journalière féministe et militante communiste »

9 Spectacle et pièce de théâtre en 3 actes

Billet du 26.01.2019 - « Et dans les théâtres, nous avions une faveur spéciale et précieuse : pendant que les civils étaient obligés de faire queue et de rester grelotter l'hiver des heures entières pour avoir une place, nous autres, il nous suffisait d'arriver dix minutes avant l'ouverture des portes pour y entrer librement, en passant entre deux haies de civils qui enviaient notre bonheur. » (Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton, cahier n° 7, p. 34)

Jean-Marie Déguignet, s'il vivait aujourd'hui, serait surpris de savoir qu'au moins deux pièces et représentations contemporaines sont consacrées à ses réflexions autobiographiques et philosophiques, l'une composée par un professionnel médico-social et passionné de linguistique, et l'autre jouée par un comédien français reconnu.
La première est un drame historique en 3 actes écrit par Benoit Corriol : 1. L'empire, 2. La guerre, 3. La paix. La référence au libre-penseur Jean-Marie Déguignet n'est pas explicite, mais on peut naturellement y reconnaître une libre interprétation de ses « Mémoires d'un paysan bas-breton ».

Le personnage principal lui-même est prénommé François Marie, fils de Jean Marie, comme s'il y avait eu un dédoublement de personnalités entre le « père prévoyant et prométhéen » et le fils « plutôt fragile et malingre » et « solide et résistant durant sa carrière militaire ». Parmi les autres personnages, on notera entre autres l'apparition intéressante d'un Le Bras en « ami fidèle d'enfance ».

La force et valeur de cette pièce de théâtre sont intrinsèquement dans les déclamations incantatoires d'un véritable « conquérant du XIXe siècle »  :

Image:Right.gifImage:Space.jpgLa 4e de couverture est tout simplement un poème d'inspiration Homérique : « - Heureux qui comme lui a fait un long voyage - Et comme celui là qui conquit sa liberté - Dans la folle mer, au prix de sa sérénité - Le feu, le sang ; le chemin devint sauvage ... »

Image:Right.gifImage:Space.jpgLa croyance de François Marie en les bienfaits de la science est très ancrée : « La science, elle est en toute chose, bien plus sûrement que Dieu ... Peut-être qu'en comprenant les mouvements des abeilles, nous comprendrons la marche du monde. »

Image:Right.gifImage:Space.jpgSes colères contre le religieux sont réécrites avec force : « Les écrits fripons de vos cardinaux soupèsent la doctrine de la foi au regard des pièces d'or. La sainteté vendue comme les indulgences. »

Image:Right.gifImage:Space.jpgNéanmoins une espérance positive transparaît au moment du testament réadapté au public de la pièce : « Je vois les lumières de l'électricité et de la lune se refléter dans les flaques de cette place goudronnée. Moins de pavé pour défendre la république. Le peuple saura bien faire vivre la démocratie comme nous l'avons fait, les générations avant eux ... »

La seconde représentation est un spectacle conçu en 2008, s'inspirant directement des « Mémoires d'un paysan bas-breton » :

  fils de mendiant, il s’engage dans l’armée de Napoléon III et s’intéresse aux religions qui n’ont jamais cessé de s’affronter ; de retour au pays, il se marie et exerce le métier potier et essaie de trouver le sens du monde et de sa vie.

Quant au titre, on ne peut pas s'empêcher de penser aux « Rêveries du promeneur solitaire », ouvrage inachevé de Jean-Jacques Rousseau rédigé entre 1776 et 1778, où l'auteur délivre des réflexions autobiographiques et philosophiques.

Le potier parle, de ses voyages et des religions, tout en activant son tour de potier et montrant ses poteries d'argile :

Image:Right.gifImage:Space.jpg« Quel Jésus ? Il a vécu là autrefois à Jérusalem. Il parait qu'autrefois cet homme-là il disait qu'il était le Fils de Dieu ... »

Image:Right.gifImage:Space.jpg« À peu près dans la même région, quelques siècles plus tard, voilà qu'un arabe, un certain Mohammed, se met à faire à peu près les mêmes discours à propos de Dieu ... »

Image:Right.gifImage:Space.jpg« Alors c'est la guerre, tout simplement la guerre. Les religions pour qu'elle se fassent reconnaître et se faire respecter, ça a toujours été par la violence ... »

Image:Right.gifImage:Space.jpg« Heureusement il n'y a pas que de la colère, il y a aussi de la beauté. C'est vrai, la religion catholique, elle est ce qu'elle est, mais quelle beauté artistique elle a engendrée ... »

En savoir plus : « CORRIOL Benoit - François Marie », « Rêveries d'un potier solitaire par Loïc Pichon »

10 Breton dans l'armée fédérée en 1871

Billet du 19.01.2019 - Les malheurs d'un fils de journalier d'Ergué-Gabéric pendant la guerre de 1870 et la Commune de Paris au travers de ses condamnations militaires, son rejet de demande de grâce et sa notice dans le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social.

D'aucuns affirment que, pendant la Commune de Paris, les bretons se sont illustrés uniquement dans les rangs des Versaillais, avec Thiers, pour mater les insurgés de Paris. Le document ci-dessous prouve qu'il existe des exceptions, que certains finistériens ont été du côté des communards et ont subi ensuite la répression militaire des vainqueurs.

Notre natif d'Ergué-Gabéric s'appelle Yvon Queinnec, Yves-Marie sur son acte de naissance en 1845, et son père journalier agricole loue cette année-là un penn-ty dans le village de Quélennec. Sans doute les Queinnec connaissent-ils Jean-Marie Déguignet, enfant de Quélennec entre 1838 et 1848, qui deviendra aussi militaire et écrira ses « mémoires de paysan bas-breton ».

Yvon Queinnec monte d'abord sur Paris pour y exercer le métier de « valet de chambre ». En pleine guerre contre la Prusse il est engagé volontaire dans le 4e régiment de zouaves. Et en janvier 1871 il participe à la prise de la redoute de Montretout en St-Cloud, au-dessus de Garches, occupée par l'armée prussienne. Dans le rapport d'enquête de 1872 Queinnec dit y avoir été blessé, mais le rapporteur ajoute « dit-il », comme s'il ne le croyait pas du tout.

Ensuite Queinnec change de camp, et il va se battre dans les rangs de l'armée fédérée : « Sous la commune il a appartenu à la 2e batterie d'artillerie de la 5e légion ». Au mois de mai il est de service pendant 3 jours sur les barricades fortifiées de la porte Maillot, juste avant le 21 mai qui est le début de la semaine sanglante.

Quand il sera jugé, il essaie de se justifier comme il peut devant les enquêteurs et les militaires en charge de la répression : « Son système de défense consiste à alléguer qu'il a été contraint de servir, et qu'il s'est borné à faire la cuisine, excuse trop souvent invoquée pour qu'elle puisse être admise. »

Le 21 mai, l'armée versaillaise étant entrée dans Paris, il se replie derrière les barricades du Panthéon. Il rentre se reposer chez lui rue d'Ulm, près du Panthéon, et le 23 mai il est fait prisonnier.

Son histoire, relatée dans le document d'archives ci-dessous, ne s'arrête pas là : comme 20.000 communards arrêtés à Paris, afin d'alléger les prisons versaillaises surchargées, il est mis dans un train et transféré sur un « ponton » dans un port comme Brest où ils sont les plus nombreux à y être emprisonnés. Les pontons sont de vieux vaisseaux désaffectés, sur lesquels on entasse les prisonniers. Chaque ponton abrite de 700 à 900 hommes enfermés dans les batteries (emplacement des canons, sur les anciens vaisseaux de guerre), dans une quasi-obscurité.

 
[Barricade à la porte Maillot, mai 1871]

Et là, Queinnec se fait remarquer par un acte d'insubordination, il est condamné en février 1872 par le 1er conseil de guerre maritime à 6 mois d'emprisonnement « pour rébellion sur les pontons, envers un agent de la force armée. »

La condamnation finale pour sa participation à la Commune de Paris sera prononcée le 8 mai 1872 par le 13e conseil de guerre : « condamnation à un an d'emprisonnement et à cinq ans de surveillance de la haute police, pour participation à l'insurrection de Paris. »

Un recours en grâce est formulé par des « personnes se disant parents ou amis du condamné », et parmi ceux-ci sans doute son jeune frère François-Alain qui est caporal d'armes. La demande est refusée et il est « transporté à la maison de correction de Vitré » ; on ne sait pas ce qu'il deviendra par la suite.

* * *

Sur la base de ces informations, essentiellement celles du dossier de recours en grâce, Yvon Queinnec a désormais sa notice en tant que natif d'Ergué-Gabéric dans « Le Maitron », le dictionnaire biographique des mouvements ouvriers et sociaux :

« QUEINNEC Yves, Marie. Né le 1er novembre 1845 à Ergué-Gabéric, arr. de Quimper (Finistère) ; célibataire ; valet de chambre. Il était engagé volontaire au 4e régiment de zouaves pour la durée de la guerre et avait été blessé, dit-il, à Montretout. Sous la Commune, il fit partie de la 2e batterie d’artillerie de la Ve légion ... ».

Six autres personnalités nées ou ayant séjourné à Ergué-Gabéric ont, comme Yvon Queinnec, leur fiche dans Le Maitron et on vous les présentera très prochainement.

En savoir plus : « MAITRON Jean - Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social », « 1872 - Condamnation d'Yvon Queinnec pour insurrection par le 13e conseil de guerre », « Yvon Queinnec, engagé volontaire et communard condamné pour insurrection »

11 La Fée Electricité à Ergué-Gabéric

Billet du 12.01.2019 - Coupures de presse de 1932-33, comptes-rendus de conseils municipaux de 1937-38 pour autoriser des emprunts pour l'extension du programme d'électrification de la commune, son financement, des photos commémoratives et des témoignages sur ce « bienfait de nos campagnes. ».

Les documents de 1937-38 concernent l'extension du l'acheminement de l'électricité sur la commune, notamment pour desservir 3 fermes isolées (Kervern, Penvern et Kerlavian) à l'est de la commune, et détaillent le coût des opérations pour la commune et de son financement par une hausse d'impôt.

Le projet de réseau électrique rural du département du finistère est lancé dans les années 1930 avec création d'entreprises et syndicats d'électrification. Dans la région quimpéroise, jusqu'aux nationalisations d'après-guerre, deux compagnies se partagent les installations : la société Lebon et Cie, une entreprise de Dieppe spécialisée initialement dans l'éclairage au gaz et reconvertie dans le conrant alternatif, et Sud-Finistère électrique, entreprise créée en 1919 pour distribuer le courant continu. Pour la pose des poteaux en ciment ajouré c'est la société Cabagno qui est sollicitée.

En février 1932 le député Maurice Bouilloux-Lafont, élu de la 1ère circonscription Quimper, annonce l'accord de financement : « Subvention principale et complémentaire payable dans la limite des disponibilités budgétaires s'élevant à 42% des dépenses qui seront réellement faites »

Le premier chantier amène l'électricité et l'éclairage au bourg et à Lestonan dès 1933, et dessert la majorité des fermes et villages en 1934-37. Si l'on prend comme référence les subventions accordées aux trois communes de Pluguffan, Plomelin et Ergué-Gabéric, on peut calculer que pour cette dernière le coût de l'électrification est de l'ordre de 185 000 francs (233 940 / 3 / 0,42).

En 1938 un surcoût de 43 260 francs pour l'extension du réseau sur la partie est de la commune est autorisé par le conseil municipal et par le préfet.

Cette dépense est financée à hauteur de 42% par le ministère de l'agriculture, et le reliquat par un emprunt de 20 ans à la Caisses des Dépôts et Consignation qui entraîne d'un impôt exceptionnel de 7 centimes : en fait il faut comprendre 7 centimes pour un euro de contribution, soit une hausse de 7% sur les trois impôts collectés au niveau communal (foncier, habitation et patente).

Comme le coût du premier chantier s'élève à 4 fois le montant du projet d'extension, on peut estimer que l'électrification rural d'avant guerre de la commune aura généré une hausse de 35% de contribution fiscale de la part des habitants de la commune.

[Détail de la grande fresque "La fée électricité" de Raoul Dufy, Expo Inter. 1937]

Image:Square.gifImage:Space.jpgEn savoir plus : « 1937-38 Extension du réseau électrique communal »

 
[Arrivée de l'électricité et éclairage public au Bourg en 1933]

La photo ci-dessus a été prise au bourg lors d'une fête de commémoration organisée vraisemblablement par le syndicat intercommunal d'électrification de la région de Quimper. À droite on peut voir un poteau électrique en béton ajouré mis en place par l'entreprise Cabagno.

Après guerre, dans les années 1950, l'électrification s'est poursuivie pour atteindre les hameaux les plus éloignés et des postes transformateurs supplémentaires de quartier ont été installés. Ces extensions de réseau amenaient l'électricité dans des maisons qui n'avaient pas eu la possibilité d'être branchées et, à chaque fois, les habitants fêtaient l’événement comme il se doit.

Ainsi par exemple en 1953, on organise à Garsalec une inauguration officielle du transfo de Guilly-Vraz, un vin d'honneur (cf. la photo dans l'article) et une soirée dansante au café-épicerie Quelven : « Un vin d'honneur était organisé au bistrot Quelven l'inauguration du poste transfo de Guilly-Vraz qui eut lieu en fin de matinée au cours de laquelle est restée en mémoire locale la phrase biblique prononcée m'a-t-on dit par Jean-Marie Quéau de Parc Land, adjoint au maire : "Que la lumière soit et la lumière fut". Après le vin d'honneur, un bal fut organisé le soir dans la même salle par des musiciens amateurs secondés par un électrophone et un micro. » (René Le Reste).

Le progrès est indéniable : « Par la suite la fée lumière équipa progressivement les maisons du quartier ... On mit au rébus la lampe pigeon, et on découvre l'ampoule électrique, une 25 watt, super pour les devoirs des écoliers. » (René Le Reste)

En novembre 1955 on pose un transformateur à Kerroué pour desservir enfin tous les villages de l'est de la commune le long de la route d'Elliant, de Keristin et Kerdilès au moulin du Jet : « Avec la mise sous-tension du poste de Kerroué, Ergué-Gabéric termine pour ainsi dire son plan d'équipement électrique. Il reste cependant le poste de Méouet en construction et quelques branchements isolés qui, nous le pensons, seront bientôt réalisés. » (Le Télégramme). Même le recteur Gustave se déplace pour la cérémonie d'inauguration et bénit le poste transformateur.. Et tout le monde est invité au vin d'honneur « pour arroser comme il se doit cette étape dans le modernisme qui ne doit pas s'arrêter en si bon chemin pour le bienfait de nos campagnes. ».


Image:Square.gifImage:Space.jpgEn savoir plus : « Souvenirs d'électrification rurale dans les années 1932-1955 »

12 Les chroniques de la bonne année

Billet du 05.01.2019 - « En verre et contre tous … au 1er mai 1934 » : ouverture et 4e de couverture du Kannadig, et très bonne année 2019.

Tout d’abord un article sur les admirables vitraux contemporains et controversés de la chapelle de Kerdévot posés en 1994-97.

Puis les guerres de Napoléon via ses voltigeurs et fusiliers gabéricois et une mise à jour sur la dernière patrouille du 10 novembre 1918.

Déguignet est abordé au travers de ses cahiers qui viennent d’être numérisés et mis en consultation sur Internet, et aussi vu par un autre écrivain, Hervé Jaouen.

Côté Bolloré, c’est la procession de la Fête-Dieu en 1918, une double généalogie familiale, des arbres qui seront bientôt les plus hauts de France, et le cri de la S.F.I.O. et du comité de défense laïque en 1927.

Deux documents inédits sur la famille noble Rozerc’h du manoir de Pennarun, respectivement en 1594 et 1617.

Et pour finir ce bulletin, une histoire de gilet jaune le 1er mai 1934 à Paris, non pas sur les Champs-Elysées, mais rue Nationale, aux abords de la cité Jeanne-d’Arc.

Par ailleurs les annales 2018 sont toujours disponibles au prix de 17 euros. Et on a déjà démarré la préparation des annales de 2019 qui seront normalement prêtes plus tôt dans le courant de l’année.

Que 2019 soit une année belle et innovante !


Bloavezh mat d’an holl !


Feu !! A-raok !!

Lire le bulletin en ligne : « Kannadig n° 44 Janvier 2019 »

 

13 Jean Espern "gilet jaune" de Quélennec

Billet du 29.12.2018 - « Oh ! ne quittez jamais, c'est moi qui vous le dis, Le devant de la porte où l'on jouait jadis ... », Auguste Brizeux, recueil "Marie", cité dans le journal "L'union Agricole du Finistère" du 11 mai 1934 à propos de l'arrestation des manifestants bretons à Paris.

Jean Espern est un manifestant natif de Quélennec en Ergué-Gabéric, arrêté le 2 mai 1934 par la police suite aux violences dans la cité Jeanne-d'Arc dans le 13e arrondissement de Paris, conformément aux faits relatés dans les journaux locaux, notamment l'Ouest-Eclair, et dans le quotidien communiste L'Humanité.

Les émeutes de la cité Jeanne d'Arc le 1er mai 1934 à Paris ont été mentionnées très brièvement dans les journaux locaux « Le Finistère » et le « Courrier du Finistère ». Par contre dans « L'Ouest-Eclair » les faits sont développés par un reportage sur place les jours suivants, et « L'Union Agricole » reprend cette information en donnant également les noms des personnes interpellées d'origine bretonne : « Le lendemain matin, plusieurs arrestations étaient opérées, dont celles de trois Bretons : Jean-Marie Sinquin, François Péret, de Rosporden, et Jean Espern, d'Ergué-Gabéric. ».

Ces deux journaux font même la morale : « Ces trois petits Bretons auraient sans doute pu vivre chez eux, sinon dans l'opulence, du moins dans la paix et l'honnêteté, tandis que là-bas ... Puisse du moins leur exemple servir de leçon à d'autres qui pourraient se laisser tenter par le même rêve. »

Dans le journal communiste « L'Humanité », le déroulement de cette journée du 1er mai est détaillé, avec tout d'abord des échauffourées pendant la manifestation à Alfortville, puis des barricades et des tirs devant la cité Jeanne-D'arc du 13e arrondissement en fin d'après-midi et pendant la nuit. Le journaliste Paul Vaillant-Couturier y écrit : « À peine la bataille d'Alfortville se terminait qu'une nouvelle provocation policière qui établit sans contestation possible la préméditation du gouvernement pour faire du Premier Mai une journée sanglante, éclatait. Cette fois c'était dans le treizième, où les ouvriers et les étudiants manifestaient pour exiger la libération de leur élu arrêté le matin, Monjauvis »

Il ne s'agit pas de simples débordements, mais d'une rébellion plus profonde qui d'ailleurs peut expliquer l'arrivée du Front Populaire en 1936. L'un des combattants bretons donne son interprétation : « La misère ! Nous avons trop de misère. Montez donc chez moi, et vous verrez si on peut redouter la mort pour sortir d'où nous sommes ».

Le journaliste obéit à l'injonction : « Je suis monté au "domicile"

 
La rue Nationale dépavée après les troubles à la cité Jeanne-d'Arc.

de Sinquin, sis au troisième étage de la trop fameuse cité, et je dois avouer que le Scaërois n'avait pas exagéré : je n'ai jamais rien vu de plus sordide, de plus sale, de plus triste que ce pauvre taudis. » La cité Jeanne-d'Arc sera entièrement rasée en 1939.

En mai 1934, une vingtaine d'ouvriers, la plupart âgés d'environ 25 ans, sont arrêtés pendant les émeutes, et surtout le lendemain matin de très bonne heure : « Vers 5 heures, des flics en bourgeois entrent dans la cité, où jusque-là personne ne s'est risqué. Sans mandat, ils arrêtent. Une femme, dans un escalier, simplement, parce qu'elle n'est pas couchée. »

Parmi les ouvriers arrêtés, on compte Jean Espern né le 22 février 1906 à Quélennec, ses parents Mathias Espern et Marie Anne Le Meur y étant agriculteurs. Sans doute est-il venu en région parisienne après la vague d'émigration de gabéricois aux carrières de Saint-Chéron dans les années 1890-1910, car on trouve des Espern et des Le Meur de Quélennec dans la liste des émigrants carriers et terrassiers.

A priori, Jean Espern ne restera pas longtemps en prison après les événements de mai 1934 et quittera la cité Jeanne-d'Arc pour revenir au pays. En 1949, il se mariera avec Marie Catherine Daoudal à Ergué-Armel où il décèdera en 1953.


En savoir plus : « Jean Espern sur les barricades du 1er mai à Paris, journaux locaux, L'Humanité 1934 »

14 Les Rozerc'h et la Ligue en 1594

Billet du 22.12.2018 - On l'appelait le Commandant ou le Major Faty, et il fut très actif en tant que retraité érudit quimpérois. Il a publié notamment cet article de 83 pages dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère de 1885 où il présente son analyse des comptes de miseurs de Quimper.

Un miseur, dans les grandes villes bretonnes du 15e au 18e siècle comme Nantes, Lamballe, Vitré, Quimper, Vannes et Rennes, est un comptable chargé des comptes municipaux, des recettes et des autorisations de dépenses. Pour Quimper on dispose de ces comptes de miseurs pour les années 1478 à 1785.

En 1594-97 on est encore en pleine période de guerre de la Ligue en Bretagne, à savoir la révolte nobiliaire et urbaine autour du duc de Mercoeur et de la Sainte Ligue catholique contre les protestants et les rois Henri III et Henri IV. Mais des brigands tels que Guy-Eder de La Fontenelle, installé à Douarnenez, ou Anne de Sanzay de la Magnanne, retranché près du bourg de Quimerc'h, vont profiter des troubles pour ravager le pays cornouaillais, et les habitants vont devoir se défendre contre leurs exactions.

Dans l'étude du commandant Faty, on trouve les passages des comptes de miseurs de Quimper en 1594 qui attestent des « paiements d'anciens biens/gens de guerre », et les différents remboursements de frais de voyages et de messagerie engagés par les députés de la ville auprès du duc de Merceur : « le conseil advisa et délibéra de faire entendre par remontrance à Monsieur le duc de Mercoeur, gouverneur de ce pays, les oppressions et ravaiges faicts en l'esvèché de Cornouaille par plusieurs troupes y estant sous son autorité. », en l’occurrence les troupes du comte Anne de Sanzay de la Magnane.

Les Rozerc'h de Penanrun font partie de ces députés envoyés auprès du duc de Mercoeur. Il en parle page 137 : « Dans ce but, il lui députa Jean Roserc'h, sieur de Pénanrun, conseiller au présidial de Quimper, lequel, pour ses frais de voyage, reçut la somme de cinquante écus. »

Et page 152 il est question d'un parent ou frère de Jan Rozerc'h, à savoir Vincent Rozerc'h : « Le 3 juillet, les habitants de Quimper tentèrent un nouvel effort, et pour le rendre plus efficace, ils résolurent d'envoyer une ambassade importante, tant par le nombre que par la qualité des personnes qui en faisaient partie. Elle se composait de neuf députés : les sieurs Vincent Rozerec'h, Pierre Jaureguy ... ».

Nous avons rassemblé les fac-similés de toutes pages des comptes des miseurs, conservés aux Archives municipales de Quimper, qui relatent ces faits, afin d'en faire une transcription littérale et analyser plus précisément la généalogie des Rozerc'h.

Les registres des comptes de miseurs sont au nombre de 25 et couvrent les années 1478 à 1785, avec une interruption entre 1603 et 1668. Le registre principal de l'année 1594 coté CC64 (ancienne cote des Archives Départementales du Finistère : 2E1514) contient 102 folios recto-verso (soit 205 pages avec le velin de recouvrement), et est complété pour la fin de l"année par le document d'apurement CC65 (8 folios recto-verso, ancienne cote ADF 2E1514), et le registre complémentaire CC61 de fin d'année 1594.

Entre les pages 106 et 170 ce sont les dépenses engagées auprès de députés en charge de représenter la ville : « Frais pour affaires et escriptures, voyages et missaigeryes ». Et les Rozerc'h y apparaissent 6 fois, sous les prénoms Jean et Vincent. On retrouve également Jean Rozerc'h et le co-député seigneur de Kerguidu dans le folio 7 du registre d'apurement.

 
Philippe-Emmanuel de Lorraine (1558-1602), duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne, est le dernier ligueur rallié à Henri IV. Lorsque Henri IV devint roi de France, il se met à la tête de la ligue bretonne, songeant même à rétablir la souveraineté de cet ancien duché du chef de sa femme Marie de Luxembourg, duchesse de Penthièvre, et se proclame « Protecteur de l’Église catholique et romaine » dans cette province.


Aux pages 107 et 130 il est question de « Jan Rozerch seigneur de Penanrun Conseiller présidial audit Quimpercorentin » pour au moins une dépense de 240 livres (plus d'autres frais apurés plus tard, dans le registre cc65, pour la conduite de chevaux). Il s'agit de la délégation de fin avril composée de Jan Rozerch et de Hervé de La Raye, sieur de Kerguidu, qui sont nommés pour aller « aux estats » à Dinan convoqués par le duc de Mercoeur.

À la page 145 du registre CC64, on peut lire la dépense engagée pour la délégation importante du 2 juillet de 9 députés, menée par Vincent Rozerc'h, qui se rend cette fois le 2 juillet à Dinan et à Ploërmel où d'autres représentants de Quimper sont retenus prisonniers. Le but est toujours d'y régler le conflit et les exactions des troupes du comte de la Magnanne.

Bruno Faty indique qu'il s'agit de l'écuyer Vincent Rozerc'h et que le précédent Jean est son frère ou parent. Mais en fait il existe trois Vincent Rozer'ch, le père, le fils et le petit-neveu, les deux derniers bénéficiant du titre d'écuyer. Le fils, décédé vers 1629, pourrait être ce député de 1594, car à la page 170 nous lisons qu'il est « héritier » de Jan Rozerc'h, lequel pourrait être son oncle (cf arbre publié dans le billet de la semaine dernière).


En savoir plus : « FATY Bruno - Comptes de miseurs de Quimper à l'époque de la Ligue en Bretagne », « 1594 - Les Rozerc'h de Penanrun dans les comptes de miseurs de Quimper »


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