Le voyage touristique à Jérusalem du permissionnaire Jean-Marie Déguignet en 1856 - GrandTerrier

Le voyage touristique à Jérusalem du permissionnaire Jean-Marie Déguignet en 1856

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-<i>On a souvent écrit que Jean-Marie Déguignet avait perdu la foi en faisant un pèlerinage à Jérusalem en 1856. Mais ce n'est pas vraiment le cas, car son athéisme avait été nourri par ses lectures et observations préalables.</i>+<i>On a souvent écrit que Jean-Marie Déguignet a perdu la foi en faisant un pèlerinage à Jérusalem en 1856. Mais ce n'est pas vraiment le cas, son récit de voyage ne fait que conforter son athéisme nourri par des lectures et observations préalables.</i>
On trouvera ici les deux versions écrites de ses récits, ceux publiées en 1905 dans la Revue de Paris et l'édition intégrale de la 2e série de cahiers en 2001, qu'on comparera avec les "notes de voyages" de Gustave Flaubert en 1850. On trouvera ici les deux versions écrites de ses récits, ceux publiées en 1905 dans la Revue de Paris et l'édition intégrale de la 2e série de cahiers en 2001, qu'on comparera avec les "notes de voyages" de Gustave Flaubert en 1850.
-On pourrait citer également d'autres écrivains célèbres du 19e siècle, qui ont décrit leurs voyages en terre sainte : Lamartine rédigeant ses "Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient" en 1832-33, Hermann Melville avec son poème "Clarel: A Poem and Pilgrimage in the Holy Land" en 1856, Mark Twain en 1867 et son "The Innocents Abroad, or The New Pilgrims' Progress".+On aurait pu citer également d'autres écrivains célèbres du 19e siècle, qui ont décrit leurs voyages en terre sainte : Lamartine rédigeant ses "Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient" en 1832-33, Hermann Melville avec son poème "Clarel: A Poem and Pilgrimage in the Holy Land" en 1856, Mark Twain en 1867 et son "The Innocents Abroad, or The New Pilgrims' Progress".
-Autres lectures : {{Tpg|DÉGUIGNET Jean-Marie - Jésus, fils aîné de Marie-Joachim}}{{Tpg|Cahier de notes sur la "Vie de Jésus" d'Ernest Renan}}{{Tpg|DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale}}+Autres lectures : {{Tpg|La médaille de Crimée de Jean-Marie Déguignet}}{{Tpg|DÉGUIGNET Jean-Marie - Jésus, fils aîné de Marie-Joachim}}{{Tpg|Cahier de notes sur la "Vie de Jésus" d'Ernest Renan}}{{Tpg|DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale}}
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-la permission et la proposition arménienne+Alors que la guerre de Crimée s'est soldée par l'assaut de Sébastopol, le soldat Jean-Marie Déguignet est rapatrié à Constantinople (Istanbul) en attendant un retour en France. Là, il fait connaissance avec un marchand arménien francophone qui lui propose, ainsi qu'à un camarade, un voyage express en terre sainte, tous frais payés. Une permission de 12 jours leur est accordée : « <i>quatre pour aller et quatre pour revenir</i> ». Les voici donc, tous les trois, qui embarquent sur un vapeur russe transportant à Jérusalem des « <i>pèlerins de toutes les parties de la Russie</i> ».
-Flaubert et Maxime Du Camp, Déguignet et son camarade+En regard des deux séries des cahiers de Jean-Marie Déguignet (JMD), la lecture des notes de voyages de Gustave Flaubert (GF), accompagné de son ami Maxime Du Camp, permet de mieux comprendre les propos authentiques de notre soldat breton :
-Beyrouth+✔ L'Arménie est le premier État officiellement chrétien au monde dès l'an 301, et ses habitants, marchands pour la plupart, se sont installés très tôt dans la ville de Jérusalem.
 +* « <i>notre Arménien qui savait à peu près toutes les langues qui se parlent à Jérusalem</i> », « <i>nous autres Arméniens, nous avons nos moines exploiteurs, là-bas, sur le mont Sion</i> » (JMD) ;
 +* « <i>Sauf les environs du quartier arménien, qui sont très balayés, tout est fort sale</i> » , « <i>L’Arménien me paraît ici quelque chose de bien puissant en Orient</i> » (GF).
 + 
 +✔ Un doute subsiste sur le passage de Jean-Marie Déguignet par la ville de Beyrouth au nord en pays libanais.
 +* Dans le récit publié en 1905 l'auteur écrit « <i>Je me vois donc obligé d'omettre certains noms propres, de peur de me tromper de nom, de lieu</i> » et une note de l'éditeur avance ceci : « <i>Notre auteur, en effet, écrit constamment Beyrouth pour Jaffa</i> ».
 +* Dans la deuxième version JMD précise bien : « <i>Nous débarquâmes à Beyrouth, et un peu au-delà, à Jaffa (Tel-Aviv), nous trouvâmes une voiture</i> » et au retour son vapeur part aussi de Beyrouth. En 1856, les liaisons régulières de bateaux vapeurs font escale dans chacun des deux ports.
 +* Contrairement à Flaubert qui, débarqué à Beyrouth, fait un voyage de plusieurs semaines par la route jusqu'à Jérusalem, peut-être que JMD s'est rapproché de Jaffa sur un navire côtier.
 + 
 +✔ Pour ce qui concerne les lieux sacrés chrétiens, la petite taille jardin des oliviers est unanimement remarquée.
 +* « <i>Quelle désillusion ! Je vis un jardin avec des légumes et des fleurs,</i> », « <i>ce fameux Jardins des Oliviers, que j'aurais nommé plutôt un jardin potager</i> » (JMD)
 +* « <i>Le jardin des Oliviers, petit enclos en murs blancs, au pied de la montagne de ce nom</i> » (GF)
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 +✔ Au Saint-Sépulcre, c'est le nombre de religions présentes qui surprend les deux voyageurs.
 +* « <i>vingt-et-un autels dans ce temple, où vingt-et-un prêtres chantent les louanges</i> », « <i>le grand autel, qui appartient au culte grec ou orthodoxe, une dizaine d'autres autels, tous affectés à des cultes différents.</i> » (JMD)
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-Le Saint-Sépulcre et la garde turque+[[Image:JerusalemPanoramaVonOstheim1850-60.jpg|400px|center|thumb|Panorama de Jérusalem en 1850-60, Othon Von Ostheim]]
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 +* « <i>Ce qui frappe le plus ensuite, c’est la séparation de chaque église, les Grecs d’un côté, les Latins, les Coptes ; c’est distinct, retranché avec soin, on hait le voisin avant toute chose. </i> » (GF)
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 +Le mur du vieux temple des juifs est très brièvement cité, mais sans être qualifié "des lamentations" comme de nos jours.
 +* « <i>quelques vieux pans de murs du Mont Sion que les juifs vont embrasser en pleurant et se frappant la poitrine</i> » (JMD)
 +* « <i>aller voir les Juifs pleurer devant les restes de ses murs</i> », « <i>Vieux Juif dans un coin, la tête couverte de son vêtement blanc, nu-pieds, et qui psalmodiait quelque chose dans un livre, le dos tourné vers le mur</i> » (GF)
 + 
 +✔ La grande mosquée d'Omar est par contre un lieu de visite incontournable.
 +* « <i>cette fameuse mosquée d'Omar qui est, au dire des amateurs, le plus beau monument de Jérusalem, bâti, dit-on, sur l'emplacement du grand temple de Salomon</i> », « <i>le temple d'Omar, dans lequel les prêtres de Mahomet exploitent les vrais croyants de la même façon que les prêtres chrétiens</i> » (JMD)
 +* « <i>La maison de Ponce Pilate est une grande caserne, c’est le sérail. De sa terrasse supérieure on voit en plein la mosquée d’Omar bâtie sur l’emplacement du Temple.</i> » (GF)
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 +✔ Enfin, l'importance de la présence turque dans toute la terre sainte rappelle l'existence de l'empire ottoman jusqu'en 1917.
 +* « <i>Il y avait bien des gendarmes turcs, zapotiés, établis par poste de distance en distance pour garder les routes</i> », « <i>une garde turque à la porte même de ce grand temple chrétien ... pour mettre ordre entre les prêtres des différents cultes chrétiens</i> » (JMD)
 +* « <i>Les clefs sont aux Turcs, sans cela les chrétiens de toutes sectes s’y déchireraient.</i> », « <i>quelques beaux corps de garde turcs</i> », « <i>Notre janissaire turc chasse à grands coups de bâton les mendiants</i> » (GF)
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Nous arrivâmes ainsi devant le Saint-Sépulcre, dont je me mis à contempler la grande coupole d'or, parce que mon jeune précepteur de Kamiech m'avait dit que cette coupole avait été enlevée une certaine nuit. Mais comme on ne trouvait pas le coupable, les chrétiens de Jérusalem avaient mis le fait sur le compte des Turcs, et crièrent au vol, au viol, à l'insulte, à la profanation. Le tzar Nicolas prit prétexte de cela pour attaquer les Turcs, espérant les chasser de Constantinople et en même temps de Jérusalem, et rendre enfin cette ville aux chrétiens, puis le dieu de ceux-ci, quoiqu'il ait, dit-on, tout puissance, ne veut pas la leur donner, préférant que son tombeau fût gardé par les enfants du Prophète. Et c'est pour ça, sans doute, que sa Mère était venue donner un coup de main aux Turcs dans la personne de Pélissier, pour écraser ces maudits chrétiens orthodoxes et des aryens, qui voulaient prendre un pays qui a de tout temps appartenu à la race sémitique, à elle octroyé à perpétuité par le dieu de Sem et d'Abraham. Nous arrivâmes ainsi devant le Saint-Sépulcre, dont je me mis à contempler la grande coupole d'or, parce que mon jeune précepteur de Kamiech m'avait dit que cette coupole avait été enlevée une certaine nuit. Mais comme on ne trouvait pas le coupable, les chrétiens de Jérusalem avaient mis le fait sur le compte des Turcs, et crièrent au vol, au viol, à l'insulte, à la profanation. Le tzar Nicolas prit prétexte de cela pour attaquer les Turcs, espérant les chasser de Constantinople et en même temps de Jérusalem, et rendre enfin cette ville aux chrétiens, puis le dieu de ceux-ci, quoiqu'il ait, dit-on, tout puissance, ne veut pas la leur donner, préférant que son tombeau fût gardé par les enfants du Prophète. Et c'est pour ça, sans doute, que sa Mère était venue donner un coup de main aux Turcs dans la personne de Pélissier, pour écraser ces maudits chrétiens orthodoxes et des aryens, qui voulaient prendre un pays qui a de tout temps appartenu à la race sémitique, à elle octroyé à perpétuité par le dieu de Sem et d'Abraham.
-Nous vîmes en effet une garde turque à la porte même de ce grand tempe chrétien. Et ils étaient là comme la garde que j'avais vue à Lyon, à la porte de Castellane. Mais ces soldats turcs n'étaient pas là précisément pour garder la personne de Jésus, ou son prétendu tombeau, mais plutôt pour mettre ordre entre les prêtres des différents cultes chrétiens qui exploitent ce tombeau à qui mieux-mieux. +Nous vîmes en effet une garde turque à la porte même de ce grand temple chrétien. Et ils étaient là comme la garde que j'avais vue à Lyon, à la porte de Castellane. Mais ces soldats turcs n'étaient pas là précisément pour garder la personne de Jésus, ou son prétendu tombeau, mais plutôt pour mettre ordre entre les prêtres des différents cultes chrétiens qui exploitent ce tombeau à qui mieux-mieux.
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On monte encore pendant une grande heure. Arrivée sur le plateau ; tous les terrains des montagnes ont une couleur de poudre de bois, rouge foncé, ou mieux de mortier. À chaque instant je m’attends à voir Jérusalem et je ne la vois pas. — La route (on distingue la trace d’un ancien chemin) est exécrable, il n’y a pas moyen de trotter. — Enclos de pierres sèches dans ce terrain de pierres. Enfin, au coin d’un mur, cour dans laquelle sont des oliviers ; j’aperçois un santon, c’est tout. — Je vais encore quelque temps ; des Arabes que je rencontre me font signe de me dépêcher et me crient : el Kods, el Kods ! (prononcé il m’a semblé codesse) : 27 femmes vêtues de blouses bleues, qui m’ont l’air de revenir du bazar ; au bout de trois minutes, Jérusalem. On monte encore pendant une grande heure. Arrivée sur le plateau ; tous les terrains des montagnes ont une couleur de poudre de bois, rouge foncé, ou mieux de mortier. À chaque instant je m’attends à voir Jérusalem et je ne la vois pas. — La route (on distingue la trace d’un ancien chemin) est exécrable, il n’y a pas moyen de trotter. — Enclos de pierres sèches dans ce terrain de pierres. Enfin, au coin d’un mur, cour dans laquelle sont des oliviers ; j’aperçois un santon, c’est tout. — Je vais encore quelque temps ; des Arabes que je rencontre me font signe de me dépêcher et me crient : el Kods, el Kods ! (prononcé il m’a semblé codesse) : 27 femmes vêtues de blouses bleues, qui m’ont l’air de revenir du bazar ; au bout de trois minutes, Jérusalem.
-Comme c’est propre ! les murs sont tous conservés. — Je pense à Jésus-Christ entrant et sortant pour monter au bois des Oliviers ; je l’y vois par la porte qui est devant moi, les montagnes d’Ebron derrière la ville, à ma droite, dans une transparence vaporeuse ; tout le reste est sec, dur, gris : a lumière me semble celle d’un jour d’hiver, tant elle est crue et blanche. C’est pourtant très chaud de ton, je ne sais comment cela se fait. — Max me rejoint avec le bagage, il fumait une cigarette. Piscine de Sainte-Hélène, grand carré à notre droite.+Comme c’est propre ! les murs sont tous conservés. — Je pense à Jésus-Christ entrant et sortant pour monter au bois des Oliviers ; je l’y vois par la porte qui est devant moi, les montagnes d’Ebron derrière la ville, à ma droite, dans une transparence vaporeuse ; tout le reste est sec, dur, gris : la lumière me semble celle d’un jour d’hiver, tant elle est crue et blanche. C’est pourtant très chaud de ton, je ne sais comment cela se fait. — Max me rejoint avec le bagage, il fumait une cigarette. Piscine de Sainte-Hélène, grand carré à notre droite.
Nous touchons presque aux murs ; la voilà donc ! nous disons-nous en dedans de nous-mêmes. — M. Stephano, avec son fusil sur l’épaule, nous propose son hôtel. — Nous entrons par la porte de Jaffa et je lâche dessous un pet en franchissant le seuil, très involontairement ; j’ai même au fond été fâché de ce voltairianisme de mon anus. Nous longeons les murs du couvent grec ; ces petites rues en pente sont propres et désertes. — Hôtel. — Visite à Botta. — Couchés de bonne heure. Nous touchons presque aux murs ; la voilà donc ! nous disons-nous en dedans de nous-mêmes. — M. Stephano, avec son fusil sur l’épaule, nous propose son hôtel. — Nous entrons par la porte de Jaffa et je lâche dessous un pet en franchissant le seuil, très involontairement ; j’ai même au fond été fâché de ce voltairianisme de mon anus. Nous longeons les murs du couvent grec ; ces petites rues en pente sont propres et désertes. — Hôtel. — Visite à Botta. — Couchés de bonne heure.

Version actuelle

On a souvent écrit que Jean-Marie Déguignet a perdu la foi en faisant un pèlerinage à Jérusalem en 1856. Mais ce n'est pas vraiment le cas, son récit de voyage ne fait que conforter son athéisme nourri par des lectures et observations préalables.

On trouvera ici les deux versions écrites de ses récits, ceux publiées en 1905 dans la Revue de Paris et l'édition intégrale de la 2e série de cahiers en 2001, qu'on comparera avec les "notes de voyages" de Gustave Flaubert en 1850.

On aurait pu citer également d'autres écrivains célèbres du 19e siècle, qui ont décrit leurs voyages en terre sainte : Lamartine rédigeant ses "Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient" en 1832-33, Hermann Melville avec son poème "Clarel: A Poem and Pilgrimage in the Holy Land" en 1856, Mark Twain en 1867 et son "The Innocents Abroad, or The New Pilgrims' Progress".

Autres lectures : « La médaille de Crimée de Jean-Marie Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Jésus, fils aîné de Marie-Joachim » ¤ « Cahier de notes sur la "Vie de Jésus" d'Ernest Renan » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ 

St-Sépulcre de Jérusalem, A. Salzmann 1856
St-Sépulcre de Jérusalem, A. Salzmann 1856

1 Présentation

Alors que la guerre de Crimée s'est soldée par l'assaut de Sébastopol, le soldat Jean-Marie Déguignet est rapatrié à Constantinople (Istanbul) en attendant un retour en France. Là, il fait connaissance avec un marchand arménien francophone qui lui propose, ainsi qu'à un camarade, un voyage express en terre sainte, tous frais payés. Une permission de 12 jours leur est accordée : « quatre pour aller et quatre pour revenir ». Les voici donc, tous les trois, qui embarquent sur un vapeur russe transportant à Jérusalem des « pèlerins de toutes les parties de la Russie ».

En regard des deux séries des cahiers de Jean-Marie Déguignet (JMD), la lecture des notes de voyages de Gustave Flaubert (GF), accompagné de son ami Maxime Du Camp, permet de mieux comprendre les propos authentiques de notre soldat breton :

✔ L'Arménie est le premier État officiellement chrétien au monde dès l'an 301, et ses habitants, marchands pour la plupart, se sont installés très tôt dans la ville de Jérusalem.

  • « notre Arménien qui savait à peu près toutes les langues qui se parlent à Jérusalem », « nous autres Arméniens, nous avons nos moines exploiteurs, là-bas, sur le mont Sion » (JMD) ;
  • « Sauf les environs du quartier arménien, qui sont très balayés, tout est fort sale » , « L’Arménien me paraît ici quelque chose de bien puissant en Orient » (GF).

✔ Un doute subsiste sur le passage de Jean-Marie Déguignet par la ville de Beyrouth au nord en pays libanais.

  • Dans le récit publié en 1905 l'auteur écrit « Je me vois donc obligé d'omettre certains noms propres, de peur de me tromper de nom, de lieu » et une note de l'éditeur avance ceci : « Notre auteur, en effet, écrit constamment Beyrouth pour Jaffa ».
  • Dans la deuxième version JMD précise bien  : « Nous débarquâmes à Beyrouth, et un peu au-delà, à Jaffa (Tel-Aviv), nous trouvâmes une voiture » et au retour son vapeur part aussi de Beyrouth. En 1856, les liaisons régulières de bateaux vapeurs font escale dans chacun des deux ports.
  • Contrairement à Flaubert qui, débarqué à Beyrouth, fait un voyage de plusieurs semaines par la route jusqu'à Jérusalem, peut-être que JMD s'est rapproché de Jaffa sur un navire côtier.

✔ Pour ce qui concerne les lieux sacrés chrétiens, la petite taille jardin des oliviers est unanimement remarquée.

  • « Quelle désillusion ! Je vis un jardin avec des légumes et des fleurs, », « ce fameux Jardins des Oliviers, que j'aurais nommé plutôt un jardin potager » (JMD)
  • « Le jardin des Oliviers, petit enclos en murs blancs, au pied de la montagne de ce nom » (GF)

✔ Au Saint-Sépulcre, c'est le nombre de religions présentes qui surprend les deux voyageurs.

  • « vingt-et-un autels dans ce temple, où vingt-et-un prêtres chantent les louanges », « le grand autel, qui appartient au culte grec ou orthodoxe, une dizaine d'autres autels, tous affectés à des cultes différents. » (JMD)
 
Panorama de Jérusalem en 1850-60, Othon Von Ostheim
Panorama de Jérusalem en 1850-60, Othon Von Ostheim
  • « Ce qui frappe le plus ensuite, c’est la séparation de chaque église, les Grecs d’un côté, les Latins, les Coptes ; c’est distinct, retranché avec soin, on hait le voisin avant toute chose.  » (GF)

✔ Le mur du vieux temple des juifs est très brièvement cité, mais sans être qualifié "des lamentations" comme de nos jours.

  • « quelques vieux pans de murs du Mont Sion que les juifs vont embrasser en pleurant et se frappant la poitrine » (JMD)
  • « aller voir les Juifs pleurer devant les restes de ses murs », « Vieux Juif dans un coin, la tête couverte de son vêtement blanc, nu-pieds, et qui psalmodiait quelque chose dans un livre, le dos tourné vers le mur » (GF)

✔ La grande mosquée d'Omar est par contre un lieu de visite incontournable.

  • « cette fameuse mosquée d'Omar qui est, au dire des amateurs, le plus beau monument de Jérusalem, bâti, dit-on, sur l'emplacement du grand temple de Salomon », « le temple d'Omar, dans lequel les prêtres de Mahomet exploitent les vrais croyants de la même façon que les prêtres chrétiens » (JMD)
  • « La maison de Ponce Pilate est une grande caserne, c’est le sérail. De sa terrasse supérieure on voit en plein la mosquée d’Omar bâtie sur l’emplacement du Temple. » (GF)

✔ Enfin, l'importance de la présence turque dans toute la terre sainte rappelle l'existence de l'empire ottoman jusqu'en 1917.

  • « Il y avait bien des gendarmes turcs, zapotiés, établis par poste de distance en distance pour garder les routes », « une garde turque à la porte même de ce grand temple chrétien ... pour mettre ordre entre les prêtres des différents cultes chrétiens » (JMD)
  • « Les clefs sont aux Turcs, sans cela les chrétiens de toutes sectes s’y déchireraient. », « quelques beaux corps de garde turcs », « Notre janissaire turc chasse à grands coups de bâton les mendiants » (GF)

2 Citations

Les textes transcrits ci-dessous contiennent des paragraphes ( § ) non déployés. Vous pouvez les afficher en un seul clic : § Tout montrer/cacher

Chapitre XI de la Revue de Paris 1904-05

Transcription d'Ewan ar Born sur Wikisource à partir de la version Gallica.

§ Jérusalem, cette cité si célèbre où se sont accomplis les mystères ...

JÉRUSALEM

Moins d'une demi-heure après le débarquement à Jaffa, nous trottions sur la route de Jérusalem, cahotés dans cette voiture d'un genre tout particulier. De route, je ne sais pas s'il y en avait : je n'en voyais guère ; nous étions du reste aveuglés par la poussière et les rayons du soleil. J'entrevoyais cependant des champs et des jardins bien cultivés, des arbres dont le nom nous était inconnu ; l'Arménien nous donna le nom des espèces qui étaient les plus nombreuses : c'étaient des oliviers et des cactus géants. Les oliviers me rappelaient certains joncs verts de mon pays.

Nous pouvions aller à Jérusalem d'une seule traite ; mais notre Arménien préféra passer la nuit dans une espèce de bourgade appelée Ramleh, chez un ami qu'il connaissait pour un excellent hospitalier. Il y avait là un grand couvent de moines franciscains, qui logeaient les pèlerins et même les tou­ristes, moyennant finances, bien entendu. J'aurais bien voulu aller voir ce couvent et ces moines, parmi lesquels il y avait, disait notre hôte, beaucoup de Français ; mais nous étions trop fatigués, dix fois plus que si nous avions fait la route à pied et sac au dos. Nous fûmes du reste fort bien reçus chez l'ami de notre ami, qui était un musulman : on sait que la première vertu des enfants du Prophète, c'est l'hospitalité.

Nous couchâmes par terre sur des nattes, avec des couvertures blanches pour nous envelopper. Le lendemain, nous nous mîmes en route de très bonne heure, avant tous les autres voyageurs, pour avoir moins de poussière. À quelque distance de Ramleh, le pays avait complètement changé, on ne voyait plus de champs cultivés, plus de jardins, plus d'arbres, ni même aucune espèce de verdure ; de tous côtés, des montagnes brûlées. Le ciel avait aussi à peu près la même couleur que la terre. Cela ressemblait bien au pays du prophète : l'abomination de la désolation.

§ Nous étions dans la Judée, le pays de Juda ...


Pages 202-209 de l'Intégrale (début)

Histoire de ma vie. L'intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton. An Here, 2001.

§ Un jour, ce brave Arménien, qui était aussi un chrétien ...

Le voyage à Jérusalem (Avril 1856)

Ce pèlerinage de Jérusalem est obligatoire pour tous les Russes orthodoxes, comme celui de la Mecque pour les vrais croyants. Nous étions habillés à l'européenne, et nous n'avions un peu l'air de deux gentlemen faisant notre tour du monde.

Le navire était bondé de pèlerins de toutes les parties de la Russie, gens qui n'avaient pas l'air bien riche. Ils étaient mal habillés, malpropres avec des cheveux longs et crasseux. Si les hommes eussent porté des chapeaux à larges bords, je les aurais pris pour des Bretons des montagnes d'Arez ! Nous débarquâmes à Beyrouth, et un peu au-delà, à Jaffa, nous trouvâmes une voiture, ou plutôt une charrette qui nous attendait. Là du reste, les pèlerins pouvaient choisir les moyens de transport à leur convenance. Il y avait des ânes, des mulets, des chevaux et des espèces de carrioles pouvant s'atteler des deux bouts. La nôtre avait été commandée et préparée d'avance. Celle-là n'était pas à louer. Aussi, nous n'y montâmes que nous trois. L'Arménien voulait aller en avant, car la route serait bien encombrée, et on serait aveuglés par la poussière.

À Jaffa, on montre encore aux fidèles croyants ou crédules, la maison de Simon le corroyeur [2], dans laquelle le fameux Pierre eut cette vision d'une immense nappe descendant du ciel remplie de toutes sortes de gibiers rôtis. Nous pouvions aller d'une seule traite de Jaffa à Jérusalem, mais notre bon guide voulut nous arrêter au Rameleh [3] où s'arrêtent du reste presque tous les pèlerins pour passer la nuit, car, en ce temps-là, la route de Jérusalem n'était pas encore trop sûre. On voyait roder par là des bandes de vilains types avec des pistolets et des poignards dans leurs ceintures de cuir, et qui ressemblaient fort au fils aîné de Marie, Joachim et ses compagnons bandits. Il y avait bien des gendarmes turcs, zapotiés [4], établis par poste de distance en distance pour garder les routes, mais ces curieux gendarmes faisaient autant peur aux voyageurs que les bandits qu'ils étaient chargés de surveiller.

§ Le Ramaleh n'est qu'un pauvre village ...

 

Pages 209-213 de l'Intégrale (Suite)

Histoire de ma vie. L'intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton. An Here, 2001.

Ce jour-là, quand nous eûmes déjeuné, le patron nous dit que maintenant, puisque nous connaissions à peu près la ville, nous étions libres d'aller tous les deux où cela nous ferait plaisir. Mais je ne savais trop quel plaisir que nous aurions d'entendre les gamins crier leurs bibelots saints et frauduleux dans toutes les langues, de voir les moujiks russes, dont c'était alors la grande fête de Pâques, se traîner à genoux depuis la prétendue maison de Pilate jusqu'au Saint-Sépulcre en pleurant, embrassant la terre, les pierres, les coins de maisons. Nous allions cependant, suivant ces pauvres abrutis, dont on ne savait si on devait en rire ou en avoir pitié.

Nous arrivâmes ainsi devant le Saint-Sépulcre, dont je me mis à contempler la grande coupole d'or, parce que mon jeune précepteur de Kamiech m'avait dit que cette coupole avait été enlevée une certaine nuit. Mais comme on ne trouvait pas le coupable, les chrétiens de Jérusalem avaient mis le fait sur le compte des Turcs, et crièrent au vol, au viol, à l'insulte, à la profanation. Le tzar Nicolas prit prétexte de cela pour attaquer les Turcs, espérant les chasser de Constantinople et en même temps de Jérusalem, et rendre enfin cette ville aux chrétiens, puis le dieu de ceux-ci, quoiqu'il ait, dit-on, tout puissance, ne veut pas la leur donner, préférant que son tombeau fût gardé par les enfants du Prophète. Et c'est pour ça, sans doute, que sa Mère était venue donner un coup de main aux Turcs dans la personne de Pélissier, pour écraser ces maudits chrétiens orthodoxes et des aryens, qui voulaient prendre un pays qui a de tout temps appartenu à la race sémitique, à elle octroyé à perpétuité par le dieu de Sem et d'Abraham.

Nous vîmes en effet une garde turque à la porte même de ce grand temple chrétien. Et ils étaient là comme la garde que j'avais vue à Lyon, à la porte de Castellane. Mais ces soldats turcs n'étaient pas là précisément pour garder la personne de Jésus, ou son prétendu tombeau, mais plutôt pour mettre ordre entre les prêtres des différents cultes chrétiens qui exploitent ce tombeau à qui mieux-mieux.

§ Ainsi, il y a vingt-et-un autels dans ce temple ...


Chapitre "Palestine" des Notes de Flaubert

Transcription sur Wikisource à partir de l'édition compléte L. Conard de 1910.

PALESTINE.

§ De Beyrouth à Jérusalem ...

On monte encore pendant une grande heure. Arrivée sur le plateau ; tous les terrains des montagnes ont une couleur de poudre de bois, rouge foncé, ou mieux de mortier. À chaque instant je m’attends à voir Jérusalem et je ne la vois pas. — La route (on distingue la trace d’un ancien chemin) est exécrable, il n’y a pas moyen de trotter. — Enclos de pierres sèches dans ce terrain de pierres. Enfin, au coin d’un mur, cour dans laquelle sont des oliviers ; j’aperçois un santon, c’est tout. — Je vais encore quelque temps ; des Arabes que je rencontre me font signe de me dépêcher et me crient : el Kods, el Kods ! (prononcé il m’a semblé codesse) : 27 femmes vêtues de blouses bleues, qui m’ont l’air de revenir du bazar ; au bout de trois minutes, Jérusalem.

Comme c’est propre ! les murs sont tous conservés. — Je pense à Jésus-Christ entrant et sortant pour monter au bois des Oliviers ; je l’y vois par la porte qui est devant moi, les montagnes d’Ebron derrière la ville, à ma droite, dans une transparence vaporeuse ; tout le reste est sec, dur, gris : la lumière me semble celle d’un jour d’hiver, tant elle est crue et blanche. C’est pourtant très chaud de ton, je ne sais comment cela se fait. — Max me rejoint avec le bagage, il fumait une cigarette. Piscine de Sainte-Hélène, grand carré à notre droite.

Nous touchons presque aux murs ; la voilà donc ! nous disons-nous en dedans de nous-mêmes. — M. Stephano, avec son fusil sur l’épaule, nous propose son hôtel. — Nous entrons par la porte de Jaffa et je lâche dessous un pet en franchissant le seuil, très involontairement ; j’ai même au fond été fâché de ce voltairianisme de mon anus. Nous longeons les murs du couvent grec ; ces petites rues en pente sont propres et désertes. — Hôtel. — Visite à Botta. — Couchés de bonne heure.

§ Vendredi 9, promenade dans la ville ...

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  1. Déguignet effectue son voyage organisé par l'Arménien en compagnie d'un camarade affecté comme lui au dépôt d'Ahoutpacha en Crimée : « J'y avais trouvé un bon camarade, beaucoup plus ancien que moi, bon enfant, toujours content mais sans instruction. C'était aussi un pauvre paysan comme moi. ». [Ref.↑]
  2. Bible, Acte des Apôtres, IX. 43, X. 1 et X. 76. [Ref.↑]
  3. Ville de Ramlah. [Ref.↑]
  4. Zaptié : corps de troupe de l'empire turc. [Ref.↑]
  5. Le consol Napoléon séjourna à Ramlah entre le 1er et le 3 mars 1799. [Ref.↑]
  6. Antinoüs (mort en 122) : favori de l'empereur romain Hadrien, il est le type même de la beauté plastique. [Ref.↑]


Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Mai 2018    Dernière modification : 26.05.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]