Le voyage touristique à Jérusalem du permissionnaire Jean-Marie Déguignet en 1856 - GrandTerrier

Le voyage touristique à Jérusalem du permissionnaire Jean-Marie Déguignet en 1856

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Nous touchons presque aux murs ; la voilà donc ! nous disons-nous en dedans de nous-mêmes. — M. Stephano, avec son fusil sur l’épaule, nous propose son hôtel. — Nous entrons par la porte de Jaffa et je lâche dessous un pet en franchissant le seuil, très involontairement ; j’ai même au fond été fâché de ce voltairianisme de mon anus. Nous longeons les murs du couvent grec ; ces petites rues en pente sont propres et désertes. — Hôtel. — Visite à Botta. — Couchés de bonne heure. Nous touchons presque aux murs ; la voilà donc ! nous disons-nous en dedans de nous-mêmes. — M. Stephano, avec son fusil sur l’épaule, nous propose son hôtel. — Nous entrons par la porte de Jaffa et je lâche dessous un pet en franchissant le seuil, très involontairement ; j’ai même au fond été fâché de ce voltairianisme de mon anus. Nous longeons les murs du couvent grec ; ces petites rues en pente sont propres et désertes. — Hôtel. — Visite à Botta. — Couchés de bonne heure.
-<spoiler id="993" text="Vendredi 9, promenade dans la ville ...">Vendredi 9, promenade dans la ville. Tout est fermé à cause du Baïram, silence et désolation générale. — La boucherie. — Couvent arménien. — Maison de Ponce Pilate. — Sérail, d’où l’on découvre la mosquée d’Omar. — Jérusalem me fait l’effet d’un charnier fortifié ; là pourrissent silencieusement les vieilles religions, on marche sur des m….. et l’on ne voit que des ruines : c’est énorme de tristesse.+<spoiler id="993" text="Vendredi 9, promenade dans la ville ...">{{DéguignetJérusalem993}}
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-Vendredi 9, 5 heures. — Jérusalem, Hôtel de Palmyre. — En revenant de chez M. Botta, où nous avons rencontré des messieurs alsaciens.+
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-JÉRUSALEM+
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-11 août 1850.+
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-VOILA LE troisième jour que nous sommes à Jérusalem, aucune des émotions prévues d’avance ne m’y est encore survenue : ni enthousiasme religieux, ni excitation d’imagination, ni haine des prêtres, ce qui au moins est quelque chose. Je me sens, devant tout ce que je vois, plus vide qu’un tonneau creux. Ce matin, dans le Saint-Sépulcre, il est de fait qu’un chien aurait été plus ému que moi. À qui la faute, Dieu de miséricorde ? à eux ? à vous ? ou à moi ? À eux, je crois, à moi ensuite, à vous surtout. Mais comme tout cela est faux ! comme ils mentent ! comme c’est badigeonné, plaqué, verni, fait pour l’exploitation, la propagande et l’achalandage ! Jérusalem est un charnier entouré de murs ; la première chose curieuse que nous y ayons rencontrée, c’est la boucherie. Dans une sorte de place carrée, couverte de monticules d’immondices, un grand trou ; dans le trou, du sang caillé, des tripes, des m….., des boyaux noirâtres et bruns, presque calcinés au soleil, tout à l’ entour. Ça puait très fort, c’était beau comme franchise de saleté. Ainsi disait un homme à rapprochements êta allusions fines : « Dans la ville sainte, la première chose que nous y vîmes, c’est du sang ».+
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-Tout était silencieux, nous n’entendions pas de bruit, personne ne passait ; çà et là, le long du mur et nous faisant place, quelque Juif polonais, long, barbu, avec son gros bonnet de poil de renard les bazars sont fermés. C’est le Baïram, ce qui fait, à toutes les évolutions religieuses de la journée et de la nuit musulmanes, tirer une quantité emphatique de coups de canon. Les devantures des boutiques semblent rongées par la poussière et quelques-unes tombent en ruines. Elles sont couvertes, longues, étroites et d’un bel effet comme perspective.+
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-Tout est voûté à Jérusalem ; de temps à autre, dans les rues, on passe sous une moitié ou sous un quart de voûte ; les maisons se sont établies dans ces anciennes constructions, et partout on a des voûtes sur sa tête. Sauf les environs du quartier arménien, qui sont très balayés, tout est fort sale ; le pavé est presque impossible pour les chevaux, dans la rue de notre hôtel, un chien jaune pourrit tranquillement au beau milieu, sans que personne songe à le pousser ailleurs ; les m….. le long des murs sont effrayantes de mauvaise qualité ! Mais il y a pourtant moins de débris de pastèques qu’à Jaffa.+
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-Ruines partout, ça respire le sépulcre et la désolation la malédiction de Dieu semble planer sur la ville, ville sainte de trois religions et qui se crève d’ennui, de marasme et d’abandon. De temps à autre un Arnaute armé. Dans ces rues vides, en pente, le soleil là-dessus, des décombres, de grands trous dans les murs. Il y a, comme à Tyr, à Sidon, à Jaffa, sur toute la côte, des enfants à belle tête, les petites filles surtout, avec leurs figures pâles, entourées de cheveux noirs mal peignés. — Notre guide, le jeune Iousouf, adolescent de 18 à 20 ans, à yeux noirs et à tournure féminine, rougissant, modeste, doux ; les soldats turcs (tout comme le pacha) sont amoureux de lui, et l’appellent quand il passe près des remparts : « Cawadja Iousouf, guel bourda, cawadja Iousouf. »+
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-Le couvent arménien est immense, c’est propre, bien maçonné, considérable de cours intérieures, de terrasses et d’escaliers. — Constructions pour les moines, autres pour les pèlerins. — L’Arménien me paraît ici quelque chose de bien puissant en Orient ; il y a de ces inutilités de propriétaire, qui dénotent le gousset plein, telles que les rampes en fer sur les terrasses. L’église est surprenante de richesse, le mauvais goût atteint là presque à la majesté. Suffit-il donc qu’une chose soit exagérée pour qu’elle arrive à être belle ? Malheur à qui ne comprend pas l’excès !+
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-Revêtement en faïence bleue jusqu’à hauteur d’homme, colonnes carrées. — À gauche, chapelle de Saint-Jacques ; la place où il fut décollé marquée par un cercle, et, sous l’espèce d’autel entouré de fleurs et de flambeaux, vue sous verre une tête décapitée. L’autel tient tout le fond de l’église, est en dorure, composé de trois arceaux, le plus grand au milieu. — Peintures généralement mauvaises, portraits des patriarches. Au- dessus, scènes de la vie de Jésus, les Saintes Vierges avec le bambino, auréolées d’argent ainsi que lui. — On voit ainsi la figure peinte dans un cadre de métal, une a au doigt un vrai diamant. — Tableau des martyrs les gens qui lapident saint Étienne sont d’une férocité intentionnelle bien grotesque, voilà de vrais « meschants ». Un lion qui dévore je ne sais plus quel saint, à côté, c’est aussi fort bon ; il a la gueule plus grande que Je reste du corps. Un saint Laurent sur des flammes impossibles. Du côté de la porte, un Martyre des Innocents où au moins il y a quelques intentions un petit enfant, au premier plan, qui meurt en vomissant.+
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-À mesure qu’on examine le détail de cette église, la première impression s’en va. Si le mot d Henri Heine, « le catholicisme est une religion d’été », est d’une vérité de sensualité si profonde, le mot n’en est pas moins pour moi lié à l’idée moyen âge, et celle de moyen âge à l’idée de pluie et de brouillard. 0 pauvres églises de ma patrie, aux parois verdies par les hivers, combien je vous aime ! Religieusement parlant, ce n’est plus de notre monde à nous. Luther est revenu protestant de l’Italie de Léon X.+
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-Dans l’église grecque du Saint-Sépulcre, même ornementation. C’était charmant, une grande lumière illuminait tout, vêtements blancs des femmes, turbans et vestes de couleur des hommes, groupes debout tournés du côté de l’autel, patriarches à barbe blanche, Grecs venant baiser toutes les scènes de la Passion qui sont sur la cloison qui sépare l’église du chœur véritable. L’église arménienne, effet plein de fantaisie des longues guirlandes d’œufs d’autruches coloriés qui tombent du plafond ; à la porte, à gauche, timbre en airain, plaque sur laquelle on frappe pour remplacer les cloches.+
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-Dans la rue qui mène à la maison de Ponce Pilate (rue de Hatta ? = Hart-Hatta), maison de Véronique, à droite en descendant, basse, à petite porte, à demi enfouie sous terre et comme toutes les autres. La maison de Ponce Pilate est une grande caserne, c’est le sérail. De sa terrasse supérieure on voit en plein la mosquée d’Omar bâtie sur l’emplacement du Temple.+
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-Le lendemain matin, nous nous sommes levés à 6 heures pour aller voir les Juifs pleurer devant les restes de ses murs. Ils sont, à la base, en pierres cyclopéennes, qui rappellent l’Egypte par la puissance du travail, carrées et ornementées d’un quadrilatère intérieur pareil à celui que les menuisiers poussent au rabot sur les portes. — Vieux Juif dans un coin, la tête couverte de son vêtement blanc, nu-pieds, et qui psalmodiait quelque chose dans un livre, le dos tourné vers le mur, et en se dandinant sur ses talons. La même construction, le même mur se retrouve de l’autre côté du Temple, côté Est. Comme nous nous en allions de là, nous avons rencontré d’autres Juifs qui y venaient sans doute. Je me suis fait raser chez un barbier, qui me regardait en riant, sans que je sache pourquoi, et qui m’a rasé à l’eau chaude. De là nous avons été fumer un chicheh dans un café. En nous retournant du divan de bois où nous étions assis, nous apercevons une grande piscine carrée (piscine d’Ezechiel), pleine d’eau verdâtre, entourée de hauts murs percés çà et là, à des places rares, de petites fenêtres irrégulières ; ce sont les murs de derrière des maisons qui l’entourent.+
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-Rentré à l’hôtel, j’ai lu la Passion dans les 4 évangélistes. — Sieste. — Dîner chez Botta, homme en ruines, homme de ruines, dans la ville des ruines ; nie tout, et m’a l’air de tout haïr si ce n’est les morts ; rappelle le moyen âge de tous ses vœux, admire M. de Maistre. Il apprend maintenant le piano et avoue qu’il n’est pas un creuseur. C’est une phase de la vie de cet homme fatigué de tentatives (sa vie en est un tissu, médecin, naturaliste, archéologue, consul), il a essayé de celle-là, il n’en veut pas d’autre, c’est assez. « Que l’humanité soit comme moi », disent tous ceux qui ne peuvent soit la dominer, soit la comprendre. Son chancelier, néo-catholique, partisan de la musique sérieuse, ignore Hummel, Spohr, Mendelshonn, etc., m’assomme avec des Haendel que je ne l’avais pas prié de me jouer ; sa main droite allait plus vite que la gauche. Pauvres bougres, en définitive.+
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-Saint-Sépulcre. — Samedi, visite au Saint-Sépulcre. L’extérieur, avec ses parties romanes, nous avait excités ; attente trompée sous le rapport archéologique. Les clefs sont aux Turcs, sans cela les chrétiens de toutes sectes s’y déchireraient. Les gardiens couchent dedans, près de la porte, sur un divan. Pour voir l’église quand elle est fermée (et elle l’est toujours, sauf le dimanche), il faut passer sa tête par des trous pratiqués ad hoc dans la porte ; on voit alors la pierre d’onction sous ses lampes, et les bons Turcs sur leur divan ; on fait la conversation avec eux. Nous trouvons dans le Saint- Sépulcre notre Italien réfugié, il s’y est fait enfermer exprès et y vit jour et nuit (temporairement toutefois) pour « s’inspirer de la poésie de ces lieux ». Quel artiste ! je le suppose plutôt être une infecte canaille qui carotte les Pères latins afin de se nourrir gratis et longtemps dans leur couvent. Une chose a dominé tout pour moi, c’est l’aspect du portrait en pied de Louis-Philippe, qui décore le Saint-Sépulcre. Ô grotesque, tu es donc comme le soleil dominant le monde de ta splendeur, ta lumière étincelle jusque dans le tombeau de Jésus ! Ce qui frappe le plus ensuite, c’est la séparation de chaque église, les Grecs d’un côté, les Latins, les Coptes ; c’est distinct, retranché avec soin, on hait le voisin avant toute chose. C’est la réunion des malédictions réciproques, et j’ai été rempli de tant de froideur et d’ironie que je m’en suis allé sans songer à rien plus. Un chrétien a demandé à mon drogman si je n’étais pas le pacha. Dieu me préserve, pourtant, d’avoir eu une pensée d’orgueil ! Non, j’allais là, bêtement, naturellement, sans me fouetter à rien, et dans la simplicité de mon cœur calme. Heureux sont-ils tous ceux qui là ont pleuré d’amour céleste ! Mais qui sait les déceptions du patient moyen âge, l’amertume des pèlerins de jadis, quand, revenus dans leurs provinces, on leur disait en les regardant avec envie : « Parlez m’en parlez m’en ! »+
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-« Méfie-toi du hadji » (proverbe arabe). Les Arméniens qui font le pèlerinage de Jérusalem ont défense, sous peine d’excommunication, de parler, à leur retour, de leur voyage, dans la crainte que ce qu’ils en diraient ne dégoutât leurs frères d’y aller (Michaud et Poujoulat). La déception, s’il y en avait une, ce serait sur moi que je la rejetterais et non sur les lieux.+
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-En revenant, nous sommes entrés sur le seuil de l’église protestante messieurs en noir, assis sur des bancs de chaque côté ; autre monsieur en rabat dans une chaire, à gauche, lisant l’Evangile ; murs tout nus ; ça ressemblait à une école primaire ou à une salle d’attente dans un chemin de fer. J’aime mieux les Arméniens, les Grecs, les Coptes, les Latins, les Turcs, Vichnou, un fétiche, n’importe quoi ! Adieu ! bonsoir ! c’est assez ! sortons de là ! Nous n’y sommes pas restés un quart de minute, et j’ai eu le temps de m’y ennuyer véritablement et profondément.+
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-Dans l’après-midi, avec Stephano, Iousouf, Sassetti et deux moucres, visité les tombeaux des Rois, la montagne des Oliviers, Siloë et la maison de Caiphe.+
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-À l’ouest de la ville, tombeaux des Rois. On entre par une espèce de grotte ouverte. — Ouverture à gauche où il faut se courber pour passer. — C’est une série de salles (il y en a deux étages), avec des excavations dans le mur. L’entrée est petite et carrée. — Chaque caveau contient généralement la place de trois cercueils, un au fond, deux de chaque côté. Sur les côtés de ceux-ci, petits trous dans le mur, en forme de pyramide creusée, faits pour contenir des lampes sépulcrales. Après l’Egypte cela n’a rien que de très médiocre ; c’est un travail de carrier assez habile, voilà tout.+
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-Le jardin des Oliviers, petit enclos en murs blancs, au pied de la montagne de ce nom. — Grand vent, les oliviers au feuillage pâle et argenté tremblaient, l’air était âpre quoique chaud, la route toute blanche, le ciel féroce de bleu. En haut, de dessus le minaret qui domine le mont des Oliviers, vue générale de Jérusalem la ville, en amphithéâtre, incline de l’Ouest à l’Est, elle penche du côté des tombeaux, du côté de la vallée de Josaphat qui change de nom à la fontaine de Siloë et prend celui de Cédron. — Dans la mosquée de l’Ascension, vieux bonhomme à nez de polichinelle, en espèce de paletot jaune, qui est venu nous ouvrir ; on montre une pierre entourée d’un cadre de pierre, sur laquelle les croyants voient la marque du pied de Jésus ; c’est là qu’il s’élança pour monter au ciel. — Le soir nous allons faire une visite à Botta ; il est avec le révérend père des Latins.+
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-Lundi. — Partis à 7 heures un quart pour Bethléem. Jusqu’au couvent grec d’Elie, assez belle route. Au couvent, rien que des confitures, du café et un assez bon homme, papas grec en barbe blanche, qui m’a l’air émerveillé de la politique que lui fait Maxime à propos des protestants, Juifs convertis ceux-ci menacent de devenir maîtres de Jérusalem.+
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-De là à Bethléem, aspect pierreux et montagneux, c’est presque le désert, ça commence. De temps à autre quelques femmes de Bethléem, avec leurs vêtements rayés, ont sur la poitrine un carré de soie de couleur. Ce sont les filles qui portent la guimpe de pièces d’argent autour de la tête, les femmes portent une calotte aux deux oreillons terminés en pointe qui couvrent les oreilles. Au frontal, rangées de pièces les unes sur les autres ; par derrière quelques autres d’où pendent de grosses médailles à des ficelles ; le contour supérieur du bonnet est un bourrelet qui, chez les riches, se change en cercle d’argent.+
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-BETHLÉEM, grand village de pierre. Devant lui, une vallée ou plutôt un vaste entonnoir, une gorge avec des gorges qui y aboutissent ou en partent. — Bâti en pierres, constructions solides, on truélise beaucoup. — À l’entrée, femmes au puits qui puisaient de l’eau au milieu des chameaux. À gauche, place écœurante, ce sont les latrines de la ville. — De là, nous voyons non loin de nous, en face, dans le champ qui est au-dessous, des femmes chanter en se lamentant c’est un enterrement, on dit la messe des Morts dans l’église arménienne quand nous y arrivons. — Tout l’édifice a un toit de bois, première partie séparée du reste par un refend, colonnes rondes, chapiteaux à feuilles d’acanthe peints et d’un effet désagréable deux rangées de colonnes de chaque côté ; en dessus, restes de mosaïques indistincts. — Comme au Saint-Sépulcre, il y a les Arméniens, première chapelle à gauche en entrant ; les Grecs, fa grande au milieu et la petite à droite ; les Latins séparés des deux autres et d’une nullité désespérante, sauf leur grotte de saint Jérôme, pauvre et obscure.+
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-Eglise grecque retable en bois ciselé à jour, sculpté, très fouillé, doré, la porte du milieu toute dorée. Entre chacune des colonnes du retable, tableaux saint Jean tenant dans la main droite un plat sur lequel est sa tête décapitée (c’est l’apothéose ? ) est-ce pour cela qu’il est représenté avec des ailes, là et ailleurs ? À droite, portraits de saint Nicolas ci de saint Spiridion ensemble, debout, de face. La partie supérieure du retable, son second étage, orné de tableaux plus petits, scènes de la vie de Jésus. À hauteur d’appui du retable et glissant sur une rampe, petits tableaux de même style, sur panneau et faits pout le baisement des fidèles.+
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-Dans le coin à gauche, lorsqu’on est de face au retable, tableau d’Abraham et d’Isaac : au premier plan, à droite, Abraham prie le Seigneur ; à gauche, il marche avec Isaac se dirigeant sans doute vers le lieu du sacrifice, avec l’âne qui porte du bois sur son dos et baisse la tête vers la terre (pour mieux marcher ou pour brouter ? ). Au second plan Isaac lui-même porte le bois sur son dos et son père tient à la main le couteau. Au troisième, Isaac est couché, Abraham va l’égorger, un mouton est là attaché par une corde au pied d’un arbre ; cependant l’ange détournateur est en haut à droite, et Abraham détourne la tête à sa voix. Partout Abraham et Isaac ont la tête entourée d’un disque d’or, si ce n’est Isaac lorsqu’il est étendu prêt à être sacrifié.+
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-Un tableau du même genre, vers le côté droit de l’entrée de la Crèche, près la deuxième chapelle grecque au milieu (le panneau est en demi-sphère), la Vierge sur laquelle descend la conception en forme de longue langue de feu, une gloire en pointe. Au milieu de la poitrine, debout et les bras étendus comme elle, Jésus en l’âge mûr ; il est porté sur le large pli de son vêtement qui cintre en allant d’un bras à l’autre bras ; elle-même est au milieu d’un disque de gloires lumineuses lancéolées. Au-dessus de la conception plane le Père au sommet, et vers elles se penchent, des deux côtés, les patriarches et les prophètes pour la voir descendre sur la Vierge. Ce tableau représente les scènes diverses de la vie de Jésus ; la Vierge en est le centre, mais bien entendu sans aucun rapport dramatique avec tout le reste. — Près de la troisième chapelle ou troisième autel (église grecque), une somptueuse Vierge byzantine avec le bambino. Les parties vêtues sont couvertes, en nature, d’un brocart recouvert d’un tas de choses étincelantes ; elle a un voile noir en résille, c’est-à-dire qui lui passe sur la tête comme aux femmes d’ici, à bandes d’argent ; de sa couronne part, en superfétation d’ornement, une sorte de queue de paon à yeux bleus et blancs ; quelques blancs sont emportés à la pièce, et ces trous sont remplis par des têtes de chérubins.+
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-Crèche deux escaliers tout pareils, en marbre d’une couleur rosâtre, dix marches à monter de l’entrée jusqu’à la Crèche, six du niveau du sol de l’église au seuil de la Crèche même ; l’escalier est en demi-cercle. — Porte romane avec un léger mouvement ogival cependant, deux petites colonnes en marbre blanc de chaque côté ; au-dessus de la porte, côté droit, une Vierge avec le bambino byzantin relevé d’or. Rien n’est d’une suavité plus mystique et d’une splendeur plus douce que l’entrée de la Crèche par le côté gauche, l’œil se perd dans l’illuminement des lampes qui brillent au milieu des ténèbres, on en voit devant soi une longue enfilade à droite et à gauche et au fond.+
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-Cinq lampes sont allumées à l’endroit même de la Nativité, protégées par une grille ; les lampes empêchent de voir (par leur lumière) une Nativité, qui fait fond, encadrée d’argent. L’endroit de l’Adoration des mages est en demi-lune, éclairé de 16 lampes, sous une sorte d’avancée en forme d’autel. Par terre, le lieu même où Jésus fut posé était marqué par une grande étoile dont on a enlevé l’or. Quelques-unes de ces lampes brûlent dans des verres verts, elles sont surmontées d’œufs d’autruches au-dessus de l’endroit où les cordes s’attachent ; entre-croisement des cordes au plafond. Tout est tendu (ou recouvert) d’une petite indienne. Je suis resté là, j’avais du mal à m’en arracher, c’est beau, c’est vrai, ça chante une joie mystique ; quelques lampes étaient éteintes ! sur les cinq de l’Adoration des mages, une l’était !+
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-Déjeuner chez Issa, parent de celui de Kesneh. — Acheté des objets de piété. — À une demi-heure de Bethléem, jardins de Salomon (villa de Orthas). Effet charmant de cette petite oasis (qui se répand au Sud), au milieu de ces gorges grises poudrées de pierres ; la Crau est un enfantillage à côté. Vasques de Salomon, 3 ; dans la seconde i y a un peu d’eau, et la troisième est pleine à moitié. Recouverts à l’intérieur d’un enduit en ciment, carrés au fond, trois étages le long des murs ; pour descendre, escaliers le long des murs. On pense aux filles d’Israël descendant là pour puiser de l’eau dans de grandes urnes, c’est de l’architecture à la Martins.+
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-Village de (sans nom), dans une ancienne forteresse turque, toujours prétendue bâtie par Salomon. Il n’y a presque rien dedans qu’un grand bique de ruiné. — Nous ne revenons pas par Bethléem. — Issa nous quitte et prend un chemin à droite. — À gauche, verdure des oliviers, qui remplissent une gorge et remontent des deux côtés, à mi-côte. Rencontre de Bédouins sur des chameaux, en chemises blanches, dépoitraillés, presque nus, se laissant dandiner sur leurs bêtes. — Un nègre, le dernier de la bande. — Autre rencontre au haut d’une montée, troupeau de jeunes dromadaires sans licol et sans charge, allant à la file ; pour descendre ils se sont éparpillés. Le bleu du ciel cru passait entre leurs jambes raides aux mouvements lents. Derrière, sur le dernier, une femme tenant une toute petite fille avec son petit bonnet couvert de pièces d’argent. — Je suis descendu tout seul dans le Gethsémani, je suis remonté et nous sommes rentrés par la porte de Jaffa,+
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-Saint-Sépulcre (2e visite). — À l’entrée, pierre d’onction, en marbre rosâtre veiné, dans une espèce de cadre idem, aux coins duquel sont quatre boules en cuivre ; à la tête et aux pieds, six candélabres au-dessus pendent à une chaîne de fer huit lanternes découpées, enluminées de bleu et de vert et qui de loin ont l’air de lanternes chinoises ; en face, quand on entre, au delà de la pierre d’onction, tapisseries sur la muraille, représentant les principaux miracles de Jésus-Christ.+
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-Le Saint-Sépulcre même coupole plâtrée, soutenue par dix-huit piliers carrés, ornés de tableaux pitoyables. Le dôme tombe en ruines. Au milieu, sous le dôme, petite chapelle quadrilatérale, au bout de laquelle, extérieurement, se trouve l’autel copte. Pour entrer dans le Saint-Sépulcre, on défait ses souliers, l’usage musulman prévaut. Notre janissaire turc chasse à grands coups de bâton les mendiants (intolérables du reste). — Aveugle auquel il donne un coup de poing c’est un grand jeune homme à veste rouge qui m’a l’air de s’ennuyer atrocement. — Entre deux piliers du dôme j’aperçois la cuisine des gardiens du Saint-Sépulcre (lesquels on voit sur un divan à l’entrée), on lave des assiettes, au fond j’aperçois du feu, on marmitonne, on fait le café. Dans le couvent des Latins (capucins de la Terre-Sainte) nous avons retrouvé notre janissaire prenant sa petite tasse de café avec les bons Pères.+
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-Il y a deux pièces, la première soutenue par douze colonnettes, engagées dans les murailles, en marbre blanc. À côte de la porte, ouverture d’un étroit escalier qui monte sur la plate-forme de l’édifice. Cette pièce est éclairée par 15 lampes, 5 aux Arméniens, 5 aux Grecs, 5 aux Latins. Au milieu, contenu dans une console carrée en marbre blanc, un cube de pierre c’est ce qui reste de celle qui bouchait l’entrée du véritable sépulcre. — La seconde pièce sent une odeur de première communion ; il y a tant de lampes pressées les unes près des autres que ça a l’air du plafond de la boutique d’un lampiste, 13 aux Arméniens, 13aux Grecs, 13 aux Latins, 4 aux Coptes. Parmi les cierges qui entourent la salle il n’y en a que 4 qui brûlent. Économie !+
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-Au fond, taillé dans le mur, en bas-relief, un Christ, peinturluré et flanqué d’une Résurrection et d’une Ascension, d’un goût rococo XVIIIe siècle déplorable. Des fleurs roses sont dans de petits vases en porcelaine, de couleur groseille de province. — La pierre du Sépulcre en marbre blanc ; quelques taches d’huile, une grande fente au milieu. — Au fond, une petite armoire où se mettent les queues de rat que l’on allume contre le rebord de la muraille, nous en avons allumé comme les autres. Le prêtre grec a pris une rose, l’a jetée sur la dalle, y a versé de l’eau de rose, l’a bénite et me l’a donnée ; ç’a été un des moments les plus amers de ma vie, c’eût été si doux pour un fidèle ! Combien de pauvres âmes auraient souhaité être à ma place comme tout cela était perdu pour moi ! que j’en sentais donc bien l’inanité, l’inutilité, le grotesque et le parfum ! — Une femme d’environ 50 ans, maigre, laide, pâle, est venue et frappait sa poitrine sèche de ses mains maigres.+
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-En face, église grecque retable 7 arches. — Je n’ai jamais vu de cierges si gros, ce sont des arbres. — Au-dessus de la principale arcade du retable, élevée et en dehors du niveau du retable, une sorte de chaire en forme de balcon, d’où, aux jours de fête, le patriarche donne la bénédiction. Du bas de ce balcon en tambour s’envolent 5 colombes (Saint-Esprit) qui tiennent au bout d’un fil, à leur bec, des boules bleues ; cela me rappelle les langues de Babylone dont parle Philostrate dans la Vie d’Apollonius. Au milieu de l’église grecque, dans une espèce d’urne ronde, boule de marbre blanc rayé d’une bande noire, qui marque la place où l’ange est apparu aux saintes Femmes.+
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-On monte au Calvaire par un escalier de dix-neuf marches. Il est séparé en deux. Une moitié appartient aux Grecs, la plus luxueuse ; la seconde aux Latins. Partout lampes, marbres de couleur mais surtout et chez tous, mauvais goût révoltant.+
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-Galerie supérieure tout le long du pourtour du dôme, séparée en deux une aux Arméniens, l’autre aux Latins ; c’est contre le mur de celle-ci que se trouve le portrait de Louis-Philippe.+
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-L’église arménienne est en bas, il faut descendre plusieurs marches en dessous de l’église grecque (il faut prendre à droite, en entrant dans le Saint-Sépulcre, entre l’escalier du Calvaire et l’église grecque).+
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-Le pacha a les clefs du Saint-Sépulcre, sans cela les sectes s’y massacreraient. Au point de vue de la paix, il est heureux que les Turcs aient les clefs du Saint-Sépulcre ; cela pourtant choque si énormément que ça en fait rire. — Le meurtre d’un Juif sur la place du Saint-Sépulcre se rachète par 60 paras. — Pendant que nous visitions le Saint-Sépulcre, j’ai entendu 4 heures sonner aux différentes horloges des églises.+
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-Mardi 13 août.+
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-Jeudi 15, jour de l’Assomption, nous sommes sortis par la porte de Saint-Etienne, sur la face extérieure de laquelle se voient quatre lions, classiques, retroussés, féroces, bons lions tels qu’il s’en trouve dans les « histoires du monde » du XVIe siècle. Des soldats lavaient leur linge dans leurs cuvettes de bois ; un d’eux a appelé le jeune Iousouf qui était avec nous. — Place dans le rocher où fut lapidé saint Etienne. — Le jardin des Oliviers est fermé, voilà la seconde fois que nous ne pouvons le voir.+
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-Eglise du tombeau de Marie, à gauche. À la porte, un Abyssinien en turban bleu, que nous avons déjà vu dans le Saint-Sépulcre ; c est d’un effet très beau. — On descend beaucoup de marches. — Obscurité, quelques lampes çà et là, peu sont allumées, on empoisonne l’encens. — La chapelle est en retour à droite, mais je suis saturé de saintetés. — Nous retrouvons notre petite mendiante blonde, que nous avons déjà vue sur la place du Saint-Sépulcre. — Une espèce de sheik nous fait descendre dans une grotte où, selon lui et les autres, Jésus a sué la sueur de sang. Quelle rage de tout préciser ! ils voudraient tenir Dieu dans leurs mains !+
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-Nous avons fumé un chicheh et pris une tasse de café sous un arbre, entre le tombeau de la Vierge et le jardin des Oliviers. Non loin de nous, dans un enclos, deux capucins se livraient au même passe-temps (de plus, de l’eau-de-vie), en compagnie de deux très belles personnes dont on voyait à nu les seins blancs. Comme ça amuserait M. de Béranger, et quelles railleries il décocherait là-dessus ! Décocherait-il « les traits de la satire » ! Joseph a acheté là des espèces de gâteaux secs, minces feuilles de pâtisserie, blondes, faites avec de l’huile de sésame.+
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-En descendant la vallée de Josaphat, à gauche, trois tombeaux premier, d’Absalon, espèce de temple carré surmonté d’une rotonde terminée par une manière de cône rentré. Sur chaque coin, un pilier carré dans lequel est engagée une colonne sur chaque face, deux colonnes à chapiteau ionien, frise plate avec de petits carrés d’un goût lourd ; ensemble fort mauvais. Le second tombeau (de Mathias), pris à même le roc et entouré par lui, de même style, sauf les chapiteaux des colonnes. Au-dessous, dans le roc, deux fenêtres ou trous carrés à même (on entre là dedans par le troisième tombeau et on trouve plusieurs autres petites grottes). Le chemin passe devant, au milieu des tombes israélites, couvertes d’hébreu, ainsi que les murs du troisième tombeau (d’Ezéchias), celui surtout qui est tourné vers l’Ouest, faisant face aux remparts. Colonnes de même style que celles du premier tombeau, le toit est un seul bloc de pierre taillé en pyramide. À côté de ce dernier tombeau, se trouve, en descendant la vallée, un quatrième monument, sorte de petit temple, hypogée enfoui sous terre et dont paraissent encore les chapiteaux informes de deux colonnes ; des pierres bouchent, exprès, car elles sont rangées en mur, l’intérieur, et l’entrée a été envahie par un monticule de terre.+
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-La fontaine de Siloë est plus bas, en face le village de ce nom, bâti sur la montagne. Il y a là quelques oliviers, et vingt pas plus loin commencent des jardins légumiers. — Un marmot rampait sur les pierres ; un âne regardait dans le fond d’une auge vide. — Des hommes montaient l’escalier de la fontaine, portant sur leur dos leurs outres gonflées. J’ai empêché le little baby de tomber, et je l’ai remis sur l’espèce de plate-forme où il était. — On descend plusieurs marches ; une voûte, un second escalier ; au-dessus, rochers noirâtres ; au fond et comme dans un antre, de l’eau tranquille : c’est la fontaine. — Bruit que faisaient les hommes en remplissant leurs outres avec leur main.+
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-La maison de Caïphe, du côté Sud de la ville, en haut, propre, blanche, voûtée, arcades. De la cour jusqu’au toit, un prodigieux cep de vigne qui monte c’est le plus grand et le plus énorme que j’aie vu. Sur la terrasse de la maison il y a du raisin, Stéphano en a cueilli ; il n’était pas encore tout à fait mûr, grosses grappes, violet, blanc.+
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-Vendredi 16. — EXPÉDITION DU JOURDAIN ET DE LA MER MORTE. — À mesure que l’on s’éloigne de Jérusalem, la route devient moins pierreuse ; elle ne fait, jusqu’à Jéricho, que monter et descendre. Sheik Mohammed, blond, turban blanc, bottes rouges, et deux autres hommes du village de Siloë nous font escorte ; nous rencontrons beaucoup de Bédouins avec leurs chameaux, qui vont vendre du blé à Jérusalem, c’est jour de bazar. Affreux drôles à mine peu rassurante, chaussés de toute espèce de façons, depuis les grosses bottes rouges jusqu’à la simple semelle rattachée avec des cordes ; autour du corps une grosse et large ceinture de cuir ; cofiehs. Tous ou presque tous ont des fusils longs, à nombreuses capucines de cuir. N’importe quoi, mis sur le dos d’un Bédouin, devient bédouin, c’est ce qui explique que c’est toujours la même couleur, quoique composée d’éléments différents. Quelques-uns sont tête nue ; leurs femmes ont des yeux énormes, couleur de café brûlé, lèvres peintes en bleu.+
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-Au fond d’une gorge en entonnoir nous apercevons deux constructions une sorte d’arcade, et à côté, trois ou quatre autres en ruine ; c’est le puits de la Samaritaine. Nous haltons là quelques instants ; il y avait des ânes, des chameaux et des Bédouins au repos, tous pêle-mêle. Le soleil tapait dessus et la montagne tout autour. Un chameau va au haut de la montée, en face de moi ; il montait lentement. Vu en raccourci, je ne voyais que son train de derrière, l’air passait entre ses jambes allant pas à pas, se découpant sur le bleu ; il avait l’air de monter dans le ciel.+
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-La terre a succédé aux pierres, puis c’est le calcaire ; je ne sais comment la lumière s’arrangeait, mais, frappant sur les parois blanchâtres de la route, ça faisait du rose, de grandes nappes indistinctes, plus vives à la base, et qui allaient s’apâlissant à mesure qu’elles montaient sur la roche. Il y a eu un moment où tout m’a semblé palpiter dans une atmosphère rose. Le chemin tournait, le soleil frappait sur nous, j’entendais derrière moi les galopades de nos sheiks qui faisaient des fantasias. Ils ont passé à mes côtés, je me suis lancé comme eux. De temps à autre, entre les gorges, apparaît dans un déchirement de la montagne la nappe outre-mer de la mer Morte ; à de certaines places, la terre grisâtre, tachetée régulièrement par des bouquets herbes roussies, ressemble à quelque grande peau de léopard mouchetée d’or ; ailleurs, entre le fond roux des herbes (ce n’est pas de l’herbe qui pousse, mais de la paille), taches grises de la terre qui se voit par intervalles.+
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-Avant de débusquer sur la plaine de Jéricho, la route se resserre étrangement, couloir sinueux entre deux murailles gigantesques ; nous rampons sur le flanc de celle de droite.+
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-Tout au fond de cette vallée de Habi-Moussa se traîne une petite ligne de verdure à la place où coule l’hiver le torrent, à sec maintenant ; ça fait l’effet d’une petite couleuvre verte rampant au pied des grands rochers. Du haut de la montagne de Habi-Moussa grande plaine, sans limites à droite ni à gauche, avec la verdure des arbres piquants, qui surprend et ravit ; au second plan, la nappe plate et bleue de la mer Morte ; au fond, les montagnes passant, suivant que la lumière marche, par toutes les teintes possibles de ce que je ne peux appeler autrement que bleu ; à gauche, le mont de la Quarantaine, avec quelques ruines dessus. Nous descendons dans la plaine et, après avoir, pendant une demi-heure, serpenté à travers des bouquets d’arbres épineux, nous arrivons sur les bords d’un petit ruisseau d’eau claire ; nous nous déharnachons, déjeunons et faisons la sieste.+
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-AÏN-SULTAN. — L’eau est rapide, remplie de petits poissons qui entraînent nos tranches de pastèques. — Nous arrivons à Richia vers 4 heures, forteresse turque, bâtisse carrée, en pierres, au milieu du village composé peut-être d’une quarantaine de maisons ou de huttes. Dans la cour, gourbis où sont attachés les chevaux. — Une jument grise avec son petit poulain, né il y a deux jours ; à peine s’il se peut soutenir sur ses jambes, il se cogne les jarrets et marche sur ses paturons.+
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-À droite en entrant, il y a une vasque d’eau où sont assis et fument plusieurs Turcs. À l’étage supérieur de la forteresse, entouré de créneaux faits de boue et de pierre et dont les découpures, d’en bas, sont d’un charmant effet, surtout lorsque quelques soldats s’y dessinent dessus, deux gourbis de branchages. On nous met des tapis sous l’un d’eux, nous fumons la pipe et prenons le café. — En bas, dans une chambre, femme qui fait du pain sur une plaque de fer, le pain est ainsi cuit de suite ; fumée qui nous fait, ainsi qu’elle, pleurer. C’est du pain sans levain (le pain de voyage des Hébreux). — Avant de dîner nous sortons dans le bois environnant, le jour baisse, les montagnes d’en face ont des bosses et des creux, ce qui fait des rondelles d’ombre et des points de lumière ; ailleurs elles ont des coupes métalliques et comme des facettes régulièrement taillées en long ; plus loin, c’est un incendie rose, violet, terre de Sienne ; le ciel est blanc, c’est ce qu’il y a de plus pâle dans toute la vue. — Nous cueillons de fa menthe à de grosses touffes qui embaument.+
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-Jeune femme, les joues un peu bouffies, vêtue en bleu, les cheveux tressés autour du visage. — J’ai du mal à dîner, à cause d’une légion de petits chats qui nous assaillent, Joseph et Sassetti sont obligés de faire la garde avec des bâtons pour les écarter. Les chacals piaulent d’une façon aigre, ils sont à dix pas de la forteresse ; quelques chiens y répondent. La lune se lève dans le Sud, du côté de la mer Morte ; dans la direction de Jérusalem, une étoile casse-brille, elle disparaît bientôt. Nous sommes accoudés sur le créneau, peu à peu tout s’apaise, les soldats (bigarrure) causent moins haut, nous nous couchons.+
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-Le lendemain samedi, au milieu d’une escorte qui piaffe et fait fantasia, nous partons pour le Jourdain, à cinq heures et demie. Pendant une heure nous allons à travers des bouquets d’arbres épineux, comme la veille. — Sanglier cru éléphant ou hippopotame par Maxime. — Hanna, attaqué de la fièvre, rentre à Jéricho.+
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-Le JOURDAIN. — Eau grisaille, couleur lentille, saules qui retombent en touffes. Nous sommes arrêtés à un coude de la rivière ; à notre gauche, tout près de nous, un grand arbre penché. Je bois de l’eau à la berge, sur les cailloux, à côté d’un mulet qui buvait comme moi, pendant qu’Abou-Issa, avec sa mine pacifique, le tenait par le licol. Les Arabes de ces pays appellent les Bédouins de l’autre côté du fleuve : nemré (tigres). Le Jourdain à cet endroit a peut-être la largeur de la Toucque à Pont-l’Evêque. La verdure continue encore quelque temps, puis tout à coup s’arrête et l’on entre dans une immense plaine blanche. À droite on a le bourrelet blanc de la première chaîne des montagnes qui sont du côté de Jérusalem.+
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-MER MORTE. — La mer Morte, par son immobilité et sa couleur, rappelle tout de suite un lac. Il n’y a rien sur ses bords immédiats ; cependant, un peu de temps avant d’arriver à elle, à droite, quelque verdure. Ses bords sont couverts de troncs d’arbres desséchés et de morceaux de bois, épaves apportées sans doute par le Jourdain. L’eau me paraît avoir la température d’un bain ordinaire elle est très claire, contre mon attente. Sassetti qui en goûte, se brûle la langue ; ayant soif, je n’ai pas tenté l’expérience. Nous faisons passer nos chevaux dans l’eau pour aller sur un petit îlot de cailloux, distant de la rive d’environ 60 pas. À ma gauche, je compte quatre montagnes ou quatre grandes divisions de la montagne ; la seconde est la plus foncée de toutes, elle est presque brune, puis ça va en se dégradant de ton sensiblement, et la quatrième se perd dans la brume de l’horizon. La couleur de la montagne de droite (celle qu’il faut passer pour aller à Saint-Saba) a du blanc en bas, c’est la première chaîne de collines. Mais dans sa généralité c’est du gris par-dessus lequel il y a du violet recouvert d’une transparence de rose.+
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-À trois quarts d’heure de la mer Morte environ, on commence à gravir la montagne. À partir d’ici pour aller à Saint-Saba on ne fait que tourner, descendre, remonter ; ce sont des demi-lunes, des cirques, des murs géants, et quand on se retourne l’immense horizon de tout à l’heure et qui grandit à mesure que l’on s’élève.+
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-Nous allons sur la corniche d’un mur ; à nos pieds, un précipice ; au fond, une grande ligne blanche avec des arbres sur ses bords comme une route, c’est le torrent desséché. — Perdrix qui trottinent sur le sable sec. — Après cette première chaîne, une seconde, une crête comme le dos d’un poisson échoué là, ou comme le dessus de la nef d’une église ; un plateau, une troisième chaîne se présente, ça recommence. La terre est piquée de touffes rousses pâles de ces grosses perruques épineuses que l’on voit partout ; des places léopardées, comme la veille ; toute l’herbe qu’il y a est de la paille desséchée, droite et dure, poussée à la hauteur d’un pouce environ. Le ciel bleu sec et dur, de temps à autre une bouffée de vent frais ; il fait bien moins chaud que le matin, du Jourdain à la mer Morte. Une citerne creusée dans le roc à droite, l’eau est verte, elle a mauvais goût ; Abou-Issa en puise avec une corde. — Pierres pour découvrir la montagne d’EI-Habi-Moura, sur laquelle est une mosquée ; elles sont rangées de façon presque à faire croire que ce sont des tombes.+
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-SAINT-SABA. — Avant d’arriver à Saint-Saba, une grande rampe qui mène jusqu’au couvent. La vallée, ou plutôt le précipice, est encore plus beau que celui d’El-Habi-Moura, en ce que c’est plus haut, plus taillé et que ça a plus de tournure et de façon. Des pigeons volent d’un côté à l’autre, partant des anfractuosités où ils logent.+
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-Le couvent bâti sur les rochers et à même eux, de tous les côtés, en haut, en bas, il y a des précipices dans l’intérieur ; c’est là, comme position, le vrai couvent de Palestine. On monte notre lettre dans un panier. — Grand divan où nous logeons sur des tapis, une lampe de cuivre au plafond. — Le moine qui nous sert, bonhomme à barbe blanche, voûté.+
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-Dans l’église, tableaux de même style que dans toutes les églises grecques, c’est un art à part. Sur la porte d’entrée, tableau représentant le Jugement dernier l’enfer est dans la gueule d’un monstre ; les bienheureux, en foule tassée, la tête entourée du disque de gloire, entrent à la Jérusalem céleste ; les tombes s’ouvrent, Jonas sur sa bête, deux Turcs au pied d’un prophète, etc. ; c’est très amusant. Dans un autre tableau, les saints sont représentés comme des santons, ou plutôt comme des brahmanes, longs, maigres, avec des barbes prodigieuses qui leur tombent jusqu’aux pieds. Trait fréquent dans les tableaux religieux grecs Jean-Baptiste toujours avec des ailes, l’air dur, féroce même ; la Vierge avec Jésus. — Jésus, les bras ouverts, l’embrasse comme un petit enfant. Plusieurs tableaux, dons faits par la Russie.+
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-On nous montre le tombeau de Saint-Saba, à travers une grille ; plusieurs crânes, qui sont ceux des moines massacrés par les Bédouins ; on nous montre même l’horloge. — Dans le jardin, pigeon factice. — Le couvent nourrit deux renards ; chaque soir on leur jette deux pains, chaque soir ils viennent là attendre, le pain tombe, ils le saisissent et l’emportent. — La nuit, je ne dors pas. Clair de lune sur les montagnes et sur le couvent, tintement régulier de l’horloge. La cloche sonne, chants des prêtres dans l’église. Je fume sur une chaise en regardant la nuit, les pieds appuyés sur le petit parapet de la muraille.+
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-Nous partons à 7 heures, après une tasse de café, un petit verre et une grappe de raisin qui nous avaient réveillés ex abrupto. Nous descendons la rampe de Saint-Saba et nous prenons le chemin de Jérusalem. Ennuyé d’aller au pas derrière le cheval de sheik Mohammed, j’enlève ma bête au galop et je me maintiens devant tout le monde à la distance d’une centaine de pas, pendant peut-être dix minutes. J’allais au pas, quand j’entends tout à coup un coup de feu et des aboiements de chien : « C’est Max qui a sans doute tiré un toutou », me dis-je, connaissant ses théories à ce sujet. J’arrête mon cheval et je le retourne. Alors je vois un fumignon monter à cent pas derrière moi (devant moi maintenant), mais comme il me semblait partir d’un point plus élevé que la route, je ne doutais pas que ce ne fût quelque Bédouin qui chassait ou un de nos hommes qui faisait de la fantasia. Pendant que j’étais calmement livré à cette double conjecture (l’idée d’un danger ne m’était pas approchée), je vis Max, Joseph et nos deux sheiks déboucher tranquillement, au pas, et sans parler haut, ce qui me confirma dans mes prévisions pacifiques. « S’il y avait eu un chien de tué, me dis-je, on vociférerait, j’entendrais le monde s’expliquer haut. » Max me rejoint et me conte l’affaire, peu satisfait que je ne fusse pas accouru dès que j’ai eu entendu le bruit du pistolet. Il avait peut-être raison, en principe du moins ; mais là, ma meilleure excuse est que je n’y avais pas songé du tout, ne me doutant de rien, et d’ailleurs dès que j’ai eu retourné mon cheval, je les vis venir, et dès lors je les attendis. Nous marchions côte à côte quand une balle passe entre nous deux, près de Max ; j’entends un coup de fusil (et l’idée ne me vient pas encore du danger). Max se retourne, il aperçoit un homme qui nous mire en joue et me crie alors avec une figure expressive : « C’est sur nous qu’on tire, f… le camp, n… de D… file ! file ! » Je le vois s’enlever à fond de train, baissant la tête sur celle de son cheval et saisissant son sabre de la main gauche ; je passe près de Joseph à qui je crie : « Au galop ! au galop ! » Je vois tout son havresac débouliner, son fusil et les pipes tomber, et lui-même faire le mouvement d’arrêter son cheval pour ramasser tout cela (ce qui est complètement faux ; j’ai mal vu, il n’y a eu que mon chibouk de perdu, et encore il était sur la selle d’un sheik). J’entends un second coup de feu, Max me crie quelque chose que je n’entends pas, je le vois fuir comme le vent. Alors je commence à comprendre, saisissant mon sabre de la main gauche, et les rênes de la droite, je me lance dans une course effrénée, sautant tout. C’était d’un charme qui me tenait tout entier, ma seule inquiétude était de tomber de cheval, là pour moi était le danger ; mais j’étais de bronze, je le serrais, je l’enlevais, je le portais au bout du poing ; quelque fois je rattrapais mes guides, qui avaient glissé dans ma main, avec mes dents, tout en jouissant intérieurement de ce chic cuirassier-empire. D’ailleurs les détours de la montagne, se renouvelant sans cesse, devaient nous cacher aux coups de feu. Mais là aussi (ce fut la seule réflexion inquiétante qui me vint) était le danger ; ils pouvaient, par des chemins à eux connus, gagner une pointe et nous prendre de flanc. Deux fois Max s’est arrêté, j’ai entendu les sheiks crier : Gawon ! Gawon ! Nous sommes repartis, j’ai arrêté mon cheval une troisième fois par pitié pour lui, mais voyant que Max ne s’arrêtait pas, je suis reparti et je l’ai rejoint. Ça a peut-être duré dix minutes, je ne sais combien nous avons fait de chemin, environ une lieue ? À un carrefour, nous nous sommes arrêtés ; Joseph, que je croyais bien loin derrière nous, était tout près. Embarras d’une minute pour prendre la bonne route. Nous ne nous trompons pas du reste, les sheiks nous rejoignent, nous nous apercevons qu’il y a une sacoche de perdue, celle dans laquelle sont nos firmans ; on nous l’a rapportée ce matin.+
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-Rentrée à Jérusalem par Siloë et la porte Saint-Etienne.+
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-Visite au consul (avec sheik Mohammed) à qui nous contons l’affaire. — Sieste. — Dîner chez lui. — Le soir, sonate de Beethoven qui me rappelle ma pauvre sœur, le père Malenson et ce petit salon où je vois miss Jane apporter un verre d’eau sucrée. Un sanglot m’a empli le cœur, et cette musique si mal jouée m’a navré de tristesse et de plaisir ; ça a duré toute la nuit, où j’ai eu un cauchemar y relatif.+
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-Lundi, 19 août, 3 heures.+
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-La journée du lendemain occupée à écrire des lettres.+
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-Mercredi 21. — Visité, avec Stephano, le couvent de Saint-Jean. — Sortis par la porte de Damas, chemin pierreux, 1 heure un quart pour aller.+
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-SAINT-JEAN, au fond d’une petite gorge. On traverse un village où il y a de gros oliviers. — Gens de la campagne dessous. — Une branche d’olivier à reflet d’argent se lève au vent dans le soleil et tremble. — Chapelle du couvent avec un Zacharie au fond, flanquée de deux petits autels recouverts d’un baldaquin en damas rouge. — Place où saint Jean-Baptiste est né à gauche du chœur, grotte convertie en chapelle ; petits bas-reliefs tout alentour, représentant les différentes scènes de la vie de saint Jean. — Sacristie dont on revernissait les armoires. — Un petit crucifix espagnol très tragique. — Dans le divan où nous sommes reçus, devant moi une carte d’Espagne et de Portugal. Nous revenons silencieusement.+
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-Jardin près de Jérusalem, planté par un Grec, le secrétaire du patriarche, au profit de la communauté, au beau milieu des rochers. — Rentrée à 5 heures et demie.+
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-Vers midi, dans une rue voisine de notre hôtel, femme chrétienne, un peu âgée, noire, laide, sale, beaux yeux, nez droit, vilaines dents ; à gauche chambre, matelas noir. Sheik Mustapha et Joseph dans la cour ; la servante vieillotte, blanche, très souriant (avec des petites pièces d’argent autour du front.) C’était une petite porte à gauche en descendant. Une femme en guenilles attendant dans la rue et nous introduisant. — Silence, soleil, sentiment de rues désertes et d’humidité à l’ombre, soleil sur les terrasses, choses de ménage dans des coins ; un chat sur un mur, levant a queue.+
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-Vendredi 23. — Partis de Jérusalem. — Scène Sassetti. — Adieux à Max Botta, Barbier de Mesnard, Amédée. — Stéphany nous conduit pendant une heure jusqu’à ce que nous ayons rejoint le bagage. Jérusalem, à mesure qu’on la quitte, s’enfonce dans la verdure des oliviers qui sont du côté du tombeau des Rois, et du côté Nord les lignes droites de ses murs s’abaissent et saillissent à travers les espaces du feuillage. Je croyais la revoir encore et lui dire adieu en me tournant vers elle ; une petite colline me l’a cachée tout à fait, quand je me suis retourné, elle avait complètement disparu. En commençant les terrains sont un peu moins pierreux, la terre a une sorte de couleur roux pâle brun, assez semblable à celle du tabac d’ici.+
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-Halte à El-Bir, dans une sorte de vaste khan ou forteresse. Joseph nous dit que ça a été bâti par les pèlerins ; quelques pierres çà et là tombent de la voûte, les voyageurs qui viennent là bouchent les trous. De temps à autre nous rencontrons quelque petit troupeau de chèvres noires. — Stérilité complète, ce n’est que pierres, cailloux, rochers, quelques-uns ont la couleur de la pierre ponce, jusqu’à la fontaine Ain el-Karamieh (œil des voleurs). Ravin avant d’y arriver et qui descend avec de grandes roches ; sur la droite, quelques-unes ont la forme vague de chapiteaux énormes ébauchés. Des enfants chantaient à mi- côte sur la montagne, cachés par les oliviers ; un homme se reposait à la fontaine, tenant son petit cheval par la bride. Deux ou trois chameaux ont passé pendant que nous étions là à souffler un peu à l’ombre et à fumer une pipe ; un d’eux, la lèvre tombante et orné sur les deux côtés de la tête de deux grosses houppes pendantes, ressemblait à une vieille femme au nez busqué, coiffée à l’anglaise. Au bout de 2 heures, après avoir descendu une descente rocailleuse et difficile, nous arrivons dans le vallon, où nous sommes campés. En face de nous un mamelon, deux à gauche, un à droite, un derrière nous ; nous sommes au bas du mouvement de terrain, la route passe devant nous, j’entends la voix de trois femmes qui passent en ce moment ; la nuit tombe. — Sassetti fait les lits. — Grelot d’un mulet. — La fontaine est à notre droite ; au bas de la descente, Khan Leban.+
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-Nous nous levons au clair de la lune, grelottant du froid qu’il a fait toute la nuit ; à 4 heures et demie nous sommes en marche, le chemin est meilleur qu’hier. Nous allons sur le versant de droite de la montagne, que nous tournons pour entrer dans la vallée de Sichem. Vers 8 heures du matin, en passant devant Howara qui est à notre gauche, tout le monde fait son petit repas. Devant nous une large vallée entourée de montagnes de tous côtés, avec quelques carrés cultivés ou de verdure, çà et là au milieu d’elle ; elle est rayée par une route qui va à Tibériade. Nous tournons à gauche et nous entrons dans la vallée de Naplou. Vers ce coude de notre route, passent deux femmes portant des fardeaux ; une à grands yeux noirs, tarbouch rouge enfoncé sur le front, avec une piastre d’argent au milieu, figure énergique et vive, me salue de « combakrer ».+
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-NAPLOU, tout en pierre, dômes et murs à lignes droites. Sur la gauche, avant d’y arriver, on traverse un bois d oliviers. Grands et ombreux jardins, de l’eau qui coule, petits chemins de verdure, avec des ronces qui retombent des branches ; des m. sur la berge des ruisseaux. Nous sommes campés dans un jardin, sous un mûrier gros comme un chêne raisonnable. Il y avait tantôt des femmes non voilées qui y prenaient le frais, Joseph a établi sa cuisine auprès ; un homme du jardin, gardien ou jardinier, a pris une grosse couleuvre noire.+
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-À Naplou, mêmes constructions qu’à Jérusalem, bazars plus beaux. Nous traversons la ville dans toute sa longueur et revenons de même, après nous être arrêtés à un café. La mosquée a pour porte principale le portail d’une église du temps des croisades, dernier roman, chapiteaux à feuilles d’acanthe ; le dessus du portail, nervures successives superposées, arcadiques, le tout d’un style très intact. Des peaux, devant quelques boutiques, sont à sécher par terre, on marche dessus. Un Copte à turban noir nous montre quelques pierres insignifiantes. — Enormité des bouillottes à eau dans un ou deux cafés. — Habar en laine blanche ou laine de soie. — Quelques hommes portent le tarbouch ainsi autour de la tête un petit turban, le tarbouch est tiré en arrière (étant retenu à la tête par ce turban de manière que le fond retombe de côté à un pouce ou deux de l’épaule.+
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-Nous quittons Naplou le matin. Verdure et maison à notre gauche, exécrable chemin jusqu’à Laabed. Avant d’y arriver, quand on domine le vallon, c’est comme un océan de pierres. S’il n’y avait çà et là un peu de terre entre elles, tout serait pierreux. Oliviers, champs clos par des murs de pierres sèches, ça rappelle quelques aspects du bas de la montagne du Carmel, et plutôt celle d’Abou-Gousch.+
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-SASSUR, forteresse, à gauche, sur une hauteur, au milieu d’une grande plaine.+
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-RABATIJH. — Village blanc, sec, poudreux ; nos moucres ne savent pas quel chemin prendre dans le village. Les habitants ont fort mauvaise mine, les enfants nous insultent : « chien de chrétien, que Dieu vous brûle, vous tue, etc. ». Nous passons lestement, non sans avoir remarqué que trois hommes ont pris leurs fusils et marchent devant nous. Un bois d’oliviers, le terrain monte. Avant le premier village, lentisques où sont appendues des guenilles, nous y mettons des crins de nos chevaux. Quelques buissons ; là, nous perdons nos trois gaillards de vue. « Préparez vos armes ». Nous tournons dans des défilés. — Précaution de nos moucres qui ont prouvé que c’était un meilleur chemin que de passer sur la hauteur. — Fontaine avec un troupeau de chèvres ; quelques chiens aboient.+
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-DJENJN. — Campés comme la veille sous un mûrier. Mosquée au milieu de la verdure, large paysage tout alentour. — Les campagnes d’Israël — Le gouverneur, gros blondin, assis sur une natte à sa porte, chef militaire à barbe noire, nez crochu, yeux bons et vifs, frottés d’eau de rose ; veston rouge à raie noire. — Courte promenade dans Djenin où il n’y a rien à voir qu’un chien qui dévore une charogne de cheval enflé, il le commençait par l’anus. Deux ou trois boutiques, Joseph achète du raisin dans mon foulard bleu. — Le cousin du gouverneur nous suit pour avoir du sulfate de quinine. — Moulin, eau claire qui coule ; une-femme puisant de l’eau ceinture, voile de couleur qui couvre seulement la bouche, beau bras et belle main, un peu dans le style Mignard, nez tout droit, yeux noirs baissés vers l’eau. — Tohu-bohu de consultations dans notre campement. Ce pays est dévoré de fièvres, et de brigands. — Nuit moins froide que la précédente.+
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-Levés à 3 heures, partis à 4. — Immense et magnifique plaine connue sous le nom de campagnes d’Israël. Quelques champs de sésame, carrés, verts, qui se détachent sur le fond blond des herbes roussies par l’été ; ombrelles chinoises des chardons. Il y a aussi, çà et là, un peu de coton et de mais. Le soleil se lève à droite ; ses rayons, avant qu’il ne paraisse sur les montagnes, font des gloires ; un nuage enroulé en écharpe longue, or dans la partie qui recouvre le soleil, puis tout à coup bleu et allant s’apâlissant vers Djenin. — Abou-Ali nous cueille des fleurs de jusquiame. — Trois soldats turcs d’escorte, l’un avec une lance de 12 à 15 pieds au moins de long, en bambou, ornée de deux grosses houppes au haut de la hampe. — Algarade, ils courent à fond de train, le pistolet au poing ; long détour du soldat de gauche pour les envelopper. — Le matin, prise d’un lièvre. Au bout de la plaine est la petite montagne derrière laquelle se trouve Nazareth ; à droite, le mont Thabor, détaché complètement à l’œil des autres montagnes, et ayant la forme d’une demi-sphère un peu convexe. De la montagne, quand on se retourne en arrière, la plaine, d’ensemble, est d’un brun très pâle, chocolat clair, avec des tons blonds par place. Une fumée montait, restes d’un feu allumé la nuit ? Nous passons devant huit à dix tentes de pasteurs, qui font là brouter leurs chèvres nous ne voyons personne que deux ou trois chiens jaunes. Au pied de la montagne notre escorte nous quitte ; d’en haut, on voit tout à coup Nazareth à gauche.+
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-NAZARETH. — La première chose qu’on en voit, c’est le minaret de la mosquée entourée de cyprès. Tout le terrain est tigré de pierres blanches, c’est d’un effet de surprise charmant. Au bas de la côte, la route tourne à droite ; une autre descendant vient s’y embrancher à gauche. Les nopals sont couverts de poussière, le soleil brille, tout éclate de lumière. — Maisons blanches de Nazareth. — Nous avons vu moins de lézards qu’hier, où il y en avait un à chaque arbre. — Couvent de l’Annonciation, barbe du capucin qui nous reçoit. — Le capitaine hollandais et sa femme et sa petite-fille, enfant blonde, à yeux bleus, en papillotes. Visite à l’agent français ; son fils trouvé dans une boutique ; le voyage d’ici à Damas paraît dangereux et difficile ; on s’arrange pour des escortes, etc.+
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-Visite à l’église grecque, en dehors de la ville, pleine d’Arabes qui l’encombrent ; c’est demain la fête de la Vierge selon les Grecs. On empoisonne dans l’église ; tas de chibouks à la porte.+
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-Eglise latine tapisseries d’Arras ; grotte où l’Ange est venu annoncer à la Sainte Vierge ; une colonne coupée. On nous montre une armoire qui est la fenêtre par où l’ange est descendu. — Grottes derrière l’autel oratoire et cuisine de la Sainte Vierge. — Maison de Joseph autre grotte, où l’on étouffe de chaleur humide et qui n’a qu’un petit coin de mur de construction romaine. — Autre endroit où l’on voit une énorme table en pierre, ou plutôt un rocher plat, sur laquelle Jésus, avant et après sa résurrection, a plusieurs fois mangé avec ses apôtres.+
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-Femmes à la fontaine, criant et se disputant ; elles sont fort belles ici, et de haut style, avec le bas de leur robe à deux fentes volant au vent ; cruches sur la tête, mises sur le flanc. Plusieurs sont blondes. — Groupe de femmes au coin d’une rue, comme nous sortons du couvent pour aller chez l’agent ; une grande, viandée, blonde, à nez busqué un peu. La ceinture qu’elles ont autour du corps comme les hommes leur fait ressortir les hanches. Intérieur de l’agent consulaire de France les portraits d’Amélie, Clara, Hortense, etc. ; une bataille de l’Empereur, image coloriée ; une scène de la Tour de Nesle.+
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-De Nazareth à Cana, même paysage.+
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-CANA, au milieu d’un vallon entouré de montagnes de tous côtés. Le village est assis sur une pente. — Nopals. — Nous passons derrière l’église grecque que je refuse de voir. Je songe au tableau de Véronèse.+
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-Après Cana la route est plus praticable. Grande plaine, assez verte, qui monte par le bout, avant de toucher à la colline qui domine Tibériade ; à droite, une plaine avec une montagne (la montagne ? ), ça fait cirque. À l’extrémité à droite, un grand feu ; la fumée montait droite et ronde exactement comme une colonne. On tourne une colline du haut de laquelle on voit la mer de Galilée, petite nappe bleue ; je suis étonné de la trouver si petite, entre des montagnes assez basses, grises, tachetées de pierres. — Les murs démantelés par le tremblement de terre arrivé en 1828. — Nous descendons à un hôtel tenu par un Juif.+
- +
-Temps de khamsin ; après-midi passé sur mon divan à suer et à souffrir du ventre et de l’estomac. — Le soir, après le dîner, promenade dans le pays ; je ne vois que Juifs, soit en bonnet fourré ou avec le large chapeau noir. Smaël-Aga, le chef de notre escorte, nous mène au bord de l’eau. — Ton rose pâle par-dessus la couleur grise des montagnes. — Un veau qui boit, troupeau de vaches dans les rues ; à gauche, la mosquée et un palmier. — Sur le sommet de la montagne, Zafeth. — Smaïl nous introduit dans une cour où il y a beaucoup de Juifs assis (la synagogue ? ).+
- +
-Dans la salle basse où se tiennent nos gardes et où Joseph et Sassetti dînent, petit enfant tout nu qui dort dans un branle. Les biques sont habitées par un chien jaune et une bouillotte ; quand on vient, il vous cède la place d’un air ennuyé, puis revient s’y mettre. Je me fonds en sueur ; Aréthuse coulait moins que moi.+
- +
-TABARIEH. — Mardi 27 août, 7 heures 5 du soir. — Il a fait comme hier un temps de khamsin étouffant, nous avons passé la journée à suer sur notre divan et à dormir. Vers 4 heures nous sommes sortis à cheval, pour aller voir les bains situés à une petite demi-lieue sur la même rive du lac. Nous prenons la route entre la montagne et la mer, le terrain est plein de pierres volcaniques et de colonnes renversées par terre ; partout, restes de murs. Jujubiers, un laurier-rose et quelques menthes. — Les bains d’Ibrahim-Pacha piscine soutenue par des colonnettes ; deux femmes fort laides et un vieux Juif en sortent comme nous y entrons. L’eau me semble à la température de 36 degrés, la source même est plus chaude. Les vieux bains sont un peu plus loin. — Maxime prend un caméléon qui a des taches brun chocolat sous nos doigts. — Nous revenons par le bord de l’eau ; les montagnes du Hauran, grises avec un glacis rose par-dessus. Nous essayons de rentrer par les fortifications démantelées, ce qui nous est impossible. La dernière tour côté Sud est détachée du reste comme un décor ; on voit par derrière un palmier qui se détache dessus. — Nous rentrons par une porte à l’entrée de laquelle un homme en veste rouge est assis. En passant par les rues de la ville, nous voyons quelques femmes juives du Nord, avec leurs cheveux blonds, et leur coiffure frisonne.+
- +
-Jeudi 29. — Partis de Tabarieh à 3 heures un quart du matin, avec le clair de lune qui dessine l’ombre de mon cheval à ma gauche, nous longeons le lac au pied des montagnes, dans la direction du Nord, vers Zafeth que nous voyons en face de nous sur le haut des montagnes. En bas, à droite, entre la pente et l’eau, quelques arbrisseaux, bauge à sangliers. Nos Arabes s’amusent à tirer des perdrix à balle, on en tue une. Quelques poules d’eau glissent sur la surface bleue de la mer de Tibériade, qui commence à devenir plus foncée au jour levant. La montagne de gauche s’écarte un peu, elle est taillée à pic en cet endroit ; c’est l’entrée d’un vallon qui va vers l’Ouest, dans laquelle Smaël-Aga nous dit qu’il y a beaucoup de grottes et une forteresse taillée à même la montagne. Il y a ici un peu de verdure, les bouquets d’azaroliers reparaissent comme à la mer Morte.+
- +
-Quelques huttes ou gourbis, un cours d’eau, Génézareth, quelques maisons à droite du sentier cela dure quelque temps. On a à sa gauche un vallon étroit, dans une direction parallèle à celle de la route et dont les pans chocolat sont taillés à pic par assises ; puis, par une pente douce, on s’élève doucement. De grandes herbes blanc doré, ou filasse blonde, desséchées, couvrent le sol ; à droite, un troupeau de dromadaires qui broute dedans, éparpillé et levant le nez quand nous passons. Second cours d’eau ; lauriers-roses deux bouquets superbes, un de chaque côté du sentier. Ici on commence véritablement à monter, peu à peu toutes les autres montagnes de derrière vous s’élèvent, le paysage suit votre mouvement, si bien que lorsqu’on se retourne, le lac, qui est bien plus bas que vous, semble être à votre niveau. Graduellement, les montagnes brun roux, vagues, allongées les unes derrière les autres, saillissent en s’allongeant. Halte à l’ombre d’une falaise à assises et à couleur de rouille, une source coule là. Nous repartons, tout s’agrandit, se développe, le bout du lac de Tibériade se perd dans la brume, on voit le dôme oblong du Thabor qui paraît plus grand que les autres montagnes.+
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-ZAFETH. — La forteresse de Zafeth, en haut du pays, assise sur le versant. Rues si étroites que notre bagage ne peut passer ; foule pour nous voir, surtout des Juifs avec leurs affreuses coiffures. Nous descendons chez un d’eux agent consulaire français, qui nous installe dans une petite salle voûtée, éclairée par une lampe suspendue, en verre, à triple chaînon. Le soir, consultation à une grande femme juive, avec son bonnet rouge, qui nous amène son pauvre petit enfant tout pâle et dolent de fièvre. — Notre hôte fumait son chibouk sur le divan de Max, avec ses deux jeunes garçons à ma gauche.+
- +
-Montagnes rousses au premier plan, léopardées de cailloux noirs ; par places cela fait des plaques de tigré. Les descriptions d’horizon précédentes sont toutes résumées dans la vue que l’on a de Zafeth (Bétulie).+
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-Je passe une exécrable nuit, pleine de puces, de punaises, et démangeaisons de toutes sortes. N’y tenant plus, je prends la pelisse de Max et je me hasarde à traverser la chambrée juive et à aller dormir à l’air. Toute la famille est vautrée par terre, pêle-mêle, sur des matelas, le père ronfle, la mère pisse, l’enfant crie, ça sent la chassie et la vesse nocturne. Je vais tâcher de dormir sur la terrasse à côté de Joseph et de Sassetti, couchés sur une natte, Sassetti roulé dans son manteau, et Joseph roulé dans sa couverture de feutre. Il fait si froid et la peau me brûle tellement que je ne peux prendre du repos ; le matin seulement, vers 9 heures, j’ai roupillé un peu sur mon divan infecte. À 11 heures nous nous préparons pour partir. Notre hôte nous parle des dangers de la route on a assassiné celui-ci à tel endroit, volé celui-là à tel autre ; il y a quelques jours on a tué un Turc, on lui a coupé la tête et les mains, etc. Nos gardes sont à la mosquée ; tous ces gens sont fort dévots en voyage, et avant de partir ils se mettent la conscience en règle quelqu’un de nous va peut-être rester en route, voilà ce que chacun se dit à soi-même, sans le répéter trop haut. — Bref, nous partons après toutes les recommandations possibles aux moucres, qui ont ôté les sonnettes et grelots de leurs mulets.+
- +
-La route, pierreuse, commence à monter sous des oliviers ; un de nos hommes, gaillard facétieux, auquel il manque les incisives de devant et monté sur une petite rosse baie, se met à chanter, puis nous descendons et nous arrivons dans une plaine, C’est là qu’Abou-Issa et Abou-Ali reçurent de l’escorte une si belle trempe pour les avoir insultés ce qui me fit dire, le soir à dîner, non pas une gelée de garde, mais une dégelée de gardes. Il y eut un mot de Joseph, sublime : « Ce sont des Turcs, qu’ils se tuent entre eux, s’ils le veulent, ça ne nous regarde pas ». Les herbes sont brûlées par le feu, manière d’engraisser la terre ; ça donne au sol une teinte noire.+
- +
-Vers 5 heures nous arrivons à Djiss-Benat-el-Yakub, nous campons là. Nous avons le pont à notre gauche ; devant nous la rivière, qui coule entre les herbes et les roseaux ; au delà du pont, la grande nappe bleue de Bahr-el-Hule. Avant d’arriver à notre campement, nous avons remarqué, sur des buttes qui sont au bord du lac, quelques cabanes de Bédouins. Max croit qu’on nous observe, la nuit vient.+
- +
-De l’autre côté du pont, une caravane de dromadaires et de marchandises, le tout couché par terre et les hommes, debout dans leur habar et chibouk à la main, circulant au milieu.+
- +
-À Safed, nous avons pris un bonhomme qui a demandé la permission de se joindre à nous ; c’est un vieux à barbe blanche, voûté et usé par le temps, il a vu bien des hivers, un énorme turban, armé jusqu’aux dents ; négociant en chevaux, il ramène avec lui une pauvre rosse blanche qui met en gaîté nos chevaux entiers. Il a été en Autriche, en Perse c’est un vieux qui a beaucoup d’expérience : « Ah ! il est un brave », dit Joseph. Il mange tout seul sur son tapis, arrange son cheval, fait sa prière. Je n’ai jamais rien vu de plus expressif que son œil lorsqu’il parlait à Joseph des précautions à prendre pour la nuit ; il était à ce moment tourné vers Bahr-el-Hule et de profil ; quel œil !+
- +
-À peine avons-nous pris l’œuf dur du voyage, qu’Ismaël-Aga parle de partir, quoiqu’il soit convenu que l’on se mettra en marche à 10 heures ; on objecte les mulets et les chevaux, bref, à 8 heures, on se f… en selle. Nous avons, pendant le dîner, beaucoup ri à l’idée de nous f….. des coups de fusil à tort et à travers, pendant la nuit, et surtout à celle de canarder le bagage, de décapiter Abou-Ali, d’éreinter le bisarche.+
- +
-Il est nuit complète, je n’y vois goutte ; le bagage est devant nous précédé par deux (quelquefois trois) hommes d’escorte, Joseph et Sassetti sont derrière nous, puis le vieux négociant, qui tend dans les ténèbres son œil de lynx ; les trois autres gardes sont derrière tout le monde ou sur les flancs. Nous passons le pont, nous montons au milieu des pierres l’envie de dormir m’empoigne pendant un quart d’heure environ, ce n’est guère le moment cependant ; je me dirige en suivant la croupe blanche du cheval de Maxime ; le bouffon de la bande chante à tue-tête, sur un ton dolent et aigre, il jette sa voix ; les pieds des chevaux trébuchent sur les pierres. Puis nous montons par une pente douce. Vers 10 heures, le ciel blanchit en face de nous, la lune bientôt se lève. Nous sommes dans une campagne plantée de caroubiers, ils sont énormes et gros comme des pommiers de temps à autre il y a de grandes places où l’on voit plus clair ; je me souviens, à ma gauche, de quelque chose qui avait l’air d’un grand vallon qui descendait (de jour cette route doit être superbe). La lune est très claire, on y voit bien, nous marchons bon pas, le chemin est devenu moins mauvais. Vers minuit, nous mangeons un morceau. Caroubiers. Nous sommes sur un plateau, nous passons près d’un douaire, les chiens hurlent, il faut se taire. De temps à autre on fume une pipe (Smaël-Aga m’apporte la sienne, un petit chibouk noir, à nœuds, recouvert d’une calotte de cuivre), on admire la tournure d’un arbre au clair de lune. J’ai énormément joui du voyage cette nuit-là. La nuit est froide, vers le matin je suis obligé de descendre plusieurs fois à pied pour me réchauffer. Sassetti tombe de sommeil, il voit de grands escaliers. Le jour parait nous sommes au milieu des caroubiers et des azaroliers, bouquets de verdure inégalement plantés, c’est charmant. Nous descendons vers la plaine, le soleil paraît tout à coup, il m’enflamme la figure ; les joues me rôtissent ; je remonte à cheval. Nous sommes environ au milieu de la route, nous avons encore sept heures de marche. Le vieux négociant se rapproche de Joseph et lui inspire des craintes que nos hommes ne trouvent pas ridicules : « Nous avons deux heures sérieuses à passer ».+
- +
-Deux femmes de Bédouins, que nous rencontrons parmi les arbres, elles ont l’air d’avoir peur de nous ; le vieux négociant leur demande de quelle tribu elles sont elles sont du côté gauche. C’est de droite, des monticules, vers le pays de Hauran, que le danger est à craindre ; tous nos gardes passent de ce côté et marchent en rang sur fa même ligne ; chacun a son fusil sur la cuisse j’ai mis des balles dans ma poche pour les atteindre plus vite en cas de guerre.+
- +
-Nous marchons pendant sept heures jusqu’à 10 heures du matin, dans cette immense plaine, ayant à notre gauche des montagnes qui ont de la neige à leurs sommets ; à droite, le mouvement du terrain, qui remonte, nous cache les horizons qui s’étendent vers le pays de Hauran.+
- +
-Deux heures avant d’arriver à Sasa, on trouve les restes d’un ancien chemin. — Ici, il y a un encombrement de pierres à se rompre le cou, l’ancienne voie paraît et disparaît, de grands blocs de rochers plats, naturellement arrangés, la continuent, les pierres redoublent.+
- +
-SASA est au fond de l’horizon, dans la verdure ; nous y arrivons vers 10 heures, après être entré dans une rage superbe contre Joseph, à cause de la façon inepte dont il mène son cheval. Nous campons en dehors du pays, sous un arbre, entourés d’eau une petite caravane halte à côté de nous, on débite les morceaux d’un chameau.+
- +
-À 4 heures du soir, nous nous réveillons, je me décrasse dans le ruisseau qui coule derrière moi, auprès duquel est couché le vieux. Bientôt la nuit vient, nos gardes font leur prière, nous dînons et nous nous couchons sur nos lits. Je commençais à dormir, quand Joseph s’écria : « Entendez-vous ? ils se battent ! ». Je me réveille en sursaut, il venait d’entendre plusieurs coups de fusil dans la direction des montagnes de l’Est. À minuit, nous sommes partis, nous nous étions levés à 10 heures et demie. — Les chiens aboient, la lune rouge se lève, son croissant est couché sur le flanc, elle est moins belle et moins odalisque qu’hier, où elle avait des tournures d’une langueur ineffable. À sa clarté nous passons plusieurs rivières, le chemin est bon, nous filons vite.+
- +
-Au bout de deux heures, Khan-el-Sheik, espèce de grande forteresse ou caravansérail, sur la droite de a route. Nous ne sommes arrêtés que par les nombreux cours d’eau qui se présentent, on s’attend, on se réunit, on repart. Les étoiles pâlissent, le jour se lève, nous sommes tous répandus sur le large chemin. Poésie de Cervantes, te voilà donc ! À gauche, les montagnes ont des teintes gris perle foncé, avec de la nacre au sommet c’est de la neige. Nous rencontrons quelques chameaux, on sent les approches d’une grande ville, tout le monde est gai, le bouffon chatouille son cheval pour le faire ruer et mordre ; ils blaguent Abou-Issa dans son patois beyroutien. La campagne est large, grasse, cultivée. Nous rencontrons une petite caravane de chameaux qui portent des peaux, nous traversons un grand village, nous attendons le bagage sous des arbres. Au bout de trois quarts d’heure, nous touchons à la longue ligne basse de verdure et de maisons que nous voyons depuis quelque temps, et nous entrons dans un interminable faubourg où nos chevaux glissent sur le pavé. Tas de blé par terre, fileurs de coton, teinturiers, mosquées, fontaines, des arbres qui pendent en grappes et tiennent leur flot de verdure suspendu sur la multiplicité de couleurs qui s’agitent sous eux, quelques beaux corps de garde turcs, un grand cimetière que traverse la route, avec des petites branches vertes fichées au pied de chaque tombe (le dessus des tombes est généralement convexe en forme de cylindre). Nous entrons dans la ville, nous tournons plusieurs rues étroites, l’encombrement augmente au point que nos chevaux ne peuvent avancer. Enfin nous arrivons à Damas19, à l’hôtel, où nous retrouvons MM. Striber, Husson et Muller.+
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Version du 22 mai ~ mae 2018 à 07:58

On a souvent écrit que Jean-Marie Déguignet avait perdu la foi en faisant un pèlerinage à Jérusalem en 1856. Mais ce n'est pas vraiment le cas, car son athéisme avait été nourri par ses lectures et observations préalables.

On trouvera ici les deux versions écrites de ses récits, ceux publiées en 1905 dans la Revue de Paris et l'édition intégrale de la 2e série de cahiers en 2001, qu'on comparera avec les notes de voyages d'un autre écrivain, Gustave Flaubert en 1850.

A cette époque-là, on pourrait citer aussi d'autres voyageurs, écrivains célèbres, qui ont décrit leur découverte de la terre sainte : Hermann Melville en 1856 avec son poème "Clarel: A Poem and Pilgrimage in the Holy Land", Mark Twain en 1867 et son "The Innocents Abroad, or The New Pilgrims' Progress".

Autres lectures : « DÉGUIGNET Jean-Marie - Jésus, fils aîné de Marie-Joachim » ¤ « Cahier de notes sur la "Vie de Jésus" d'Ernest Renan » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ 

St-Sépulcre de Jérusalem, A. Salzmann 1856
St-Sépulcre de Jérusalem, A. Salzmann 1856

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2 Citations

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Chapitre XI de la Revue de Paris 1904-05

Transcription d'Ewan ar Born sur Wikisource à partir de la version Gallica.

§ Jérusalem, cette cité si célèbre où se sont accomplis les mystères ...

JÉRUSALEM

Moins d’une demi-heure après le débarquement à Jaffa, nous trottions sur la route de Jérusalem, cahotés dans cette voiture d’un genre tout particulier. De route, je ne sais pas s’il y en avait : je n’en voyais guère ; nous étions du reste aveuglés par la poussière et les rayons du soleil. J’entrevoyais cependant des champs et des jardins bien cultivés, des arbres dont le nom nous était inconnu ; l’Arménien nous donna le nom des espèces qui étaient les plus nombreuses : c’étaient des oliviers et des cactus géants. Les oliviers me rappelaient certains joncs verts de mon pays.

Nous pouvions aller à Jérusalem d’une seule traite ; mais notre Arménien préféra passer la nuit dans une espèce de bourgade appelée Ramleh, chez un ami qu’il connaissait pour un excellent hospitalier. Il y avait là un grand couvent de moines franciscains, qui logeaient les pèlerins et même les tou­ristes, moyennant finances, bien entendu. J’aurais bien voulu aller voir ce couvent et ces moines, parmi lesquels il y avait, disait notre hôte, beaucoup de Français ; mais nous étions trop fatigués, dix fois plus que si nous avions fait la route à pied et sac au dos. Nous fûmes du reste fort bien reçus chez l’ami de notre ami, qui était un musulman : on sait que la première vertu des enfants du Prophète, c’est l’hospitalité.

Nous couchâmes par terre sur des nattes, avec des couvertures blanches pour nous envelopper. Le lendemain, nous nous mîmes en route de très bonne heure, avant tous les autres voyageurs, pour avoir moins de poussière. À quelque distance de Ramleh, le pays avait complètement changé, on ne voyait plus de champs cultivés, plus de jardins, plus d’arbres, ni même aucune espèce de verdure ; de tous côtés, des montagnes brûlées. Le ciel avait aussi à peu près la même couleur que la terre. Cela ressemblait bien au pays du prophète : l’abomination de la désolation.

§ Nous étions dans la Judée, le pays de Juda ...


Pages 202-209 de l'Intégrale (début)

Histoire de ma vie. L'intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton. An Here, 2001.

§ Un jour, ce brave Arménie, qui était aussi un chrétien ...

Le voyage à Jérusalem (Avril 1856)

Ce pèlerinage de Jérusalem est obligatoire pour tous les Russes orthodoxes, comme celui de la Mecque pour les vrais croyants. Nous étions habillés à l'européenne, et nous n'avions un peu l'air de deux gentlemen faisant notre tour du monde.

Le navire était bondé de pèlerins de toutes les parties de la Russie, gens qui n'avaient pas l'air bien riche. Ils étaient mal habillés, malpropres avec des cheveux longs et crasseux. Si les hommes eussent porté des chapeaux à larges bords, je les aurais pris pour des Bretons des montagnes d'Arez ! Nous débarquâmes à Beyrouth, et un peu au-delà, à Jaffa, nous trouvâmes une voiture, ou plutôt une charrette qui nous attendait. Là du reste, les pèlerins pouvaient choisir les moyens de transport à leur convenance. Il y avait des ânes, des mulets, des chevaux et des espèces de carrioles pouvant s'atteler des deux bouts. La nôtre avait été commandée et préparée d'avance. Celle-là n'était pas à louer. Aussi, nous n'y montâmes que nous trois. L'Arménien voulait aller en avant, car la route serait bien encombrée, et on serait aveuglés par la poussière.

À Jaffa, on montre encore aux fidèles croyants ou crédules, la maison de Simon le corroyeur [2], dans laquelle le fameux Pierre eut cette vision d'une immense nappe descendant du ciel remplie de toutes sortes de gibiers rôtis. Nous pouvions aller d'une seule traite de Jaffa à Jérusalem, mais notre bon guide voulut nous arrêter au Rameleh [3] où s'arrêtent du reste presque tous les pèlerins pour passer la nuit, car, en ce temps-là, la route de Jérusalem n'était pas encore trop sûre. On voyait roder par là des bandes de vilains types avec des pistolets et des poignards dans leurs ceintures de cuir, et qui ressemblaient fort au fils aîné de Marie, Joachim et ses compagnons bandits. Il y avait bien des gendarmes turcs, zapotiés [4], établis par poste de distance en distance pour garder les routes, mais ces curieux gendarmes faisaient autant peur aux voyageurs que les bandits qu'ils étaient chargés de surveiller.

§ Le Ramaleh n'est qu'un pauvre village ...

 

Pages 209-213 de l'Intégrale (Suite)

Histoire de ma vie. L'intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton. An Here, 2001.

Ce jour-là, quand nous eûmes déjeuné, le patron nous dit que maintenant, puisque nous connaissions à peu près la ville, nous étions libres d'aller tous les deux où cela nous ferait plaisir. Mais je ne savais trop quel plaisir que nous aurions d'entendre les gamins crier leurs bibelots saints et frauduleux dans toutes les langues, de voir les moujiks russes, dont c'était alors la grande fête de Pâques, se traîner à genoux depuis la prétendue maison de Pilate jusqu'au Saint-Sépulcre en pleurant, embrassant la terre, les pierres, les coins de maisons. Nous allions cependant, suivant ces pauvres abrutis, dont on ne savait si on devait en rire ou en avoir pitié.

Nous arrivâmes ainsi devant le Saint-Sépulcre, dont je me mis à contempler la grande coupole d'or, parce que mon jeune précepteur de Kamiech m'avait dit que cette coupole avait été enlevée une certaine nuit. Mais comme on ne trouvait pas le coupable, les chrétiens de Jérusalem avaient mis le fait sur le compte des Turcs, et crièrent au vol, au viol, à l'insulte, à la profanation. Le tzar Nicolas prit prétexte de cela pour attaquer les Turcs, espérant les chasser de Constantinople et en même temps de Jérusalem, et rendre enfin cette ville aux chrétiens, puis le dieu de ceux-ci, quoiqu'il ait, dit-on, tout puissance, ne veut pas la leur donner, préférant que son tombeau fût gardé par les enfants du Prophète. Et c'est pour ça, sans doute, que sa Mère était venue donner un coup de main aux Turcs dans la personne de Pélissier, pour écraser ces maudits chrétiens orthodoxes et des aryens, qui voulaient prendre un pays qui a de tout temps appartenu à la race sémitique, à elle octroyé à perpétuité par le dieu de Sem et d'Abraham.

Nous vîmes en effet une garde turque à la porte même de ce grand tempe chrétien. Et ils étaient là comme la garde que j'avais vue à Lyon, à la porte de Castellane. Mais ces soldats turcs n'étaient pas là précisément pour garder la personne de Jésus, ou son prétendu tombeau, mais plutôt pour mettre ordre entre les prêtres des différents cultes chrétiens qui exploitent ce tombeau à qui mieux-mieux.

§ Ainsi, il y a vingt-et-un autels dans ce temple ...


Chapitre "Palestine" des Notes de Flaubert

Transcription sur Wikisource à partir de l'édition compléte L. Conard de 1910.

PALESTINE.

§ De Beyrouth à Jérusalem ...

On monte encore pendant une grande heure. Arrivée sur le plateau ; tous les terrains des montagnes ont une couleur de poudre de bois, rouge foncé, ou mieux de mortier. À chaque instant je m’attends à voir Jérusalem et je ne la vois pas. — La route (on distingue la trace d’un ancien chemin) est exécrable, il n’y a pas moyen de trotter. — Enclos de pierres sèches dans ce terrain de pierres. Enfin, au coin d’un mur, cour dans laquelle sont des oliviers ; j’aperçois un santon, c’est tout. — Je vais encore quelque temps ; des Arabes que je rencontre me font signe de me dépêcher et me crient : el Kods, el Kods ! (prononcé il m’a semblé codesse) : 27 femmes vêtues de blouses bleues, qui m’ont l’air de revenir du bazar ; au bout de trois minutes, Jérusalem.

Comme c’est propre ! les murs sont tous conservés. — Je pense à Jésus-Christ entrant et sortant pour monter au bois des Oliviers ; je l’y vois par la porte qui est devant moi, les montagnes d’Ebron derrière la ville, à ma droite, dans une transparence vaporeuse ; tout le reste est sec, dur, gris : a lumière me semble celle d’un jour d’hiver, tant elle est crue et blanche. C’est pourtant très chaud de ton, je ne sais comment cela se fait. — Max me rejoint avec le bagage, il fumait une cigarette. Piscine de Sainte-Hélène, grand carré à notre droite.

Nous touchons presque aux murs ; la voilà donc ! nous disons-nous en dedans de nous-mêmes. — M. Stephano, avec son fusil sur l’épaule, nous propose son hôtel. — Nous entrons par la porte de Jaffa et je lâche dessous un pet en franchissant le seuil, très involontairement ; j’ai même au fond été fâché de ce voltairianisme de mon anus. Nous longeons les murs du couvent grec ; ces petites rues en pente sont propres et désertes. — Hôtel. — Visite à Botta. — Couchés de bonne heure.

§ Vendredi 9, promenade dans la ville ...

3 Annotations

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  1. Déguignet effectue son voyage organisé par l'Arménien en compagnie d'un camarade affecté comme lui au dépôt d'Ahoutpacha en Crimée : « J'y avais trouvé un bon camarade, beaucoup plus ancien que moi, bon enfant, toujours content mais sans instruction. C'était aussi un pauvre paysan comme moi. ». [Ref.↑]
  2. Bible, Acte des Apôtres, IX. 43, X. 1 et X. 76. [Ref.↑]
  3. Ville de Ramlah. [Ref.↑]
  4. Zaptié : corps de troupe de l'empire turc. [Ref.↑]
  5. Le consol Napoléon séjourna à Ramlah entre le 1er et le 3 mars 1799. [Ref.↑]
  6. Antinoüs (mort en 122) : favori de l'empereur romain Hadrien, il est le type même de la beauté plastique. [Ref.↑]


Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Mai 2018    Dernière modification : 22.05.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]