L'histoire de la cité de Keranna par Henri Le Gars - GrandTerrier

L'histoire de la cité de Keranna par Henri Le Gars

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Catégorie : Mémoires+ Reportages 
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Article d'Henri Le Gars, un des tout premiers habitants de la cité de Keranna, qui en reconstitue le quotidien et l'ambiance



Cet entretien a été publié dans le cahier n° 7 de l'association Arkae :


Articles connexes : « Keranna » ¤  « La chapelle de Ker-Anna » ¤  « GUÉGUEN Jean - Odet, de 1900 à nos jours » ¤  « La généalogie de la cité de Keranna par Henri Le Gars » ¤ « Une cité d'ingénieurs et ouvriers du 20e siècle à Keranna-Odet » ¤ « Ecoles privées Saint-Joseph et Sainte-Marie de Lestonan » ¤  « Chronique de Ménez-Groaz par Laurent Huitric en 1998 » ¤ « ROZEC Jean-Louis - Trec'h ar garantez » ¤  « Yvon Huitric et les 80 ans de l'école St-Joseph de Lestonan » ¤  « Présentation de la fête du 5 juin 2010 à l'école privée du Lestonan » ¤ 

Sommaire

1 Description de la cité

« On ne peut retracer l'historique de Lestonan sans y associer la Cité de Ker-Anna, distante de moins de 250 mètres, et qui contribuait à la vie de ce hameau. Je voudrais évoquer ici les vingt premières années de cette Cité, de 1919 à 1939, début de la seconde guerre mondiale.

La Cité était bâtie au milieu d'un champ longeant la voie communale n° 3 qui relie Ergué-Gabéric à Briec-de-l'Odet. Le périmètre de ce champ, constitué de talus, se devine encore aujourd'hui, malgré l'arasement presque complet de ceux-ci. Sa construction a commencé, à près de 800 mètres des Papeteries, dans le courant de l'année 1917, donc pendant la Grande Guerre. Elle a été terminée en 1919, pour être habitée la même année.

Elle se composait de 18 logements, en forme d'U : 6 dans chaque aile. La moitié de ces logements était occupée par une seule famille, l'autre moitié par deux familles.

Le recensement de 1931 donne environ 95 à 100 personnes y résidant, ce qui, pour les commerces de Lestonan, était une manne non négligeable. »

 

2 Le travail

« Chaque famille avait au moins une ou deux personnes travaillant à la Papeterie, suivant des horaires différents :

  • Personnel de jour : 7 h 30 / 11h 30 et 13 h / 17h.
  • Femmes du bobinage, en deux factions : 5 h / 13 h et 13 h / 21 h.
  • Hommes de de faction : 5 h / 13 h ; 13 h / 21 h et 21 h / 5h.
et cela six jours par semaine, soit 48 heures.

La fabrication s'arrêtait le samedi soir à 21 h, et reprenait le dimanche soir à la même heure. Après adoption de la loi des 40 heures en 1936 pour les "factionnaires", une quatrième faction fut créée ; pour les autres, les non-factionnaires, le samedi devint une journée libre.

À l'époque, dans certaines familles, seul le mari travaillait à l'extérieur et l'épouse s'occupait du foyer et de ses enfants. Il est bon de préciser que tous les déplacements domicile - lieu de travail se faisaient à pied, pour certains quatre fois par jour. On venait déjeuner à la maison.

 

On peut rappeler également que la Sécurité Sociale (à l'époque "Assurances Sociales") venait de voir le jour en juillet 1930. Aussi pour les plus anciens, qui étaient arrivés à l'âge de la retraite et qui n'avaient pas cotisé, il n'y avait rien du tout. La Direction de l'usine avait décidé de garder ces hommes aux "Services extérieurs", c'est-à-dire à l'entretien des bois, de l'allée du canal, à la construction de murs dont celui du Stade de Ker-Anna, en contrebas du parking de la chapelle actuelle. Ils fournissaient un travail à temps plein, pour lequel ils étaient rémunérés. Puis après leur cessation définitive du travail, une petite enveloppe leur était encore remise mensuellement lors de la paie des ouvriers. »

3 La vie en cité

« La vie de la cité de Ker-Anna se concentrait autour d'un puits unique et central qui donnait une eau d'excellente qualité, très fraiche en été, puisée à 18 mètres de profondeur, jamais tarie et que l'on ne peut que regretter aujourd'hui.

L'eau courante est arrivée fin mars 1964. La corvée d'eau se faisait donc avec des brocs ou des seaux galvanisés. Le plastique était encore matière ignorée.

L'éclairage des logements se faisait avec des lampes à pétrole, ce pétrole qu'on appelait "Luciline", qui était vendu en bidons métalliques de 5 litres dans les commerces.

Il fallait donc veiller à s'approvisionner à temps pour ne pas se retrouver dans le noir, surtout l'hiver, et d'autant plus qu'à cette époque l'heure en vigueur était l'heure solaire, soit une heure de moins que celle actuellement en vigueur à la même période. La "Fée Électricité" n'est apparue qu'en 1933.

Cette vie, il fallait bien sûr, l'entretenir, et pour ce faire, les commerces de "Min'a groez" disposaient de tout ce dont on avait besoin : une boulangerie, deux boucheries-charcuteries, une crêperie, un café-tabac-journaux. Ces achats étaient en général faits au jour le jour, car il n'y avait ni frigos, ni congélateurs. Cinq autres cafés existaient encore, nous proposant de l'épicerie. L'apport de la centaine de personnes de la Cité était pour eux une source non négligeable de revenus. Les achats étaient faits par la mère de famille.

Les logements de la Cité avaient des couleurs différentes : cinq en rouge, cinq en bleu, trois en rose et deux en jaune. Côté puits, chacun disposait d'un jardinet à fleurs, et, à l'arrière, d'un petit potager. Tous ces jardins étaient séparés par une balustrade en bois aux couleurs de la maison.

 

En limite, près des talus bordant le champ d'origine, se trouvaient les cabanons dépendant de chaque logement et peints aux mêmes couleurs, servant à ranger les outils de jardinage, le bois de chauffage, le charbon, etc. ... À l'arrière de ces cabanons, un local bien distinct servait de W.C. Celui-ci était constitué d'un siège sous lequel il y avait une grande baille qu'il fallait vider dans un trou à fumier, derrières les cabanons. Pour la nuit, il fallait prévoir un seau hygiénique.

À l'emplacement de la chapelle et de son parking, donc de chaque côté de l'allée des tilleuls qui descend vers le terrain des sports, se trouvaient les "jardins ouvriers". Chaque résident avait un petit lopin à cultiver en plus de celui attenant à son habitation. Ce qui permettait d'avoir les légumes que l'on voulait.

Ni eau courante, ni machines à laver le linge, l'époque en était encore loin. Toute la lessive se faisait donc au lavoir, qui était alors couvert, et qui existe encore près du terrain de football. Les femmes lavaient leur linge, agenouillées dans des caisses spécialement adaptées pour éviter les éclaboussures d'eau. Deux foyers de deux places chacun permettaient à quatre lessiveuses en même temps de faire bouillir leur linge, chacun fournissant son bois pour le chauffage. Un plus petit bassin servait au rinçage du linge, et les places les plus près de ce bassin étaient très recherchées.

Certaines familles avaient une laveuse attitrée ; pour les autres, en général, c'était la mère de famille qui se chargeait de cette corvée. Celle qui voulait une eau propre pour laver son linge avait d'abord la corvée de vider le bassin et de le nettoyer avec le balai et la brosse.

Le linge mouillé, remonté du lavoir dans sa lessiveuse, était mis à sécher sur les fils tendus dans les jardins près des maisons. »

4 Marchands ambulants

« Au point de vue nourriture, deux fois par semaine, le mardi et le vendredi matin, une marchande de poissons (Madame Le Meur) venait de Douarnenez avec une grande camionette bâchée. Elle faisait en sort d'être avant l'embauche de 7 h 30 près de l'entrée de la Papeterie pour permettre aux ouvrières intéressées de s'approvisionner. Ensuite, en remontant, arrêt devant les escaliers d'accès à la Cité, et coup de klaxon pour appeler les clientes.

Tous les vendredis après-midi, avec son triporteur, passait aussi le "marchand de café" ainsi qu'on l'appelait. C'étaient "les Cafés Debray". En dehors de son café, il avait bien sûr toute l'épicerie courante. Il sortait les produits de son triporteur sur une grande toile verte qu'il nouait aux quatre coins, et l'accrochait à son épaule pour passer de maison en maison.En arrivant, il posait son sac à terre, l'ouvrait, et la ménagère pouvait choisir ce qui lui convenait. C'est ce qui s'appelle "livraison à domicile". Le triporteur devenant peut-être lourd à traîner, il vint avec une voiture à cheval, capotée pour protéger la marchandise en cas de pluie. Ce qui lui permettait également de se rendre non plus à pied, mais avec sa voiture, jusqu'aux fermes de Kerho et Quillihouarn, qu'il desservait aussi à partir de la Cité. Il termina avec une auto d'occasion, une Renault.

Un jour arriva un concurrent, au même procédé de vente : "le Planteur de Caïffa", mais assez vite il abandonna.

Parmi les marchands ambulants, il y avait aussi les italiens (Salvatore De Rosa par exemple), napolitains pour la plupart, pratiquement tous vêtus de la même façon : casquette marine, pull col roulé de même teinte que le pantalon. Ils passaient de maison en maison, proposant du tissu au mètre pour confection de costumes ou autres. Venaient aussi les marchands dits "de la montagne" (Loqueffret et ses environs) avec de la toile de lin pour draps ; ils se nommaient Saliou, Baraër, etc... ; le mètre bois enfilé au cœur du ballot servait à le transporter sur l'épaule.

 

Parfois on voyait aussi des marchands de tapis, des maghrébins, ou des chinois avec des soieries, des bohémiennes proposant savonnettes ou autres articles, réclamant des habits pour leur progéniture. À cette époque, elles voyageaient à bord de roulottes tirées par des chevaux. À Ergué-Gabéric, le stationnement autorisé pour les Gitans était situé à Croas-Spern, à l'emplacement actuel du parking du stade.

On ne peut oublier Marjann Bernard, d'Ergué-Armel, qui venait assez fréquemment avec sa voiture à bras ramasser les vieux chiffons, qui selon le poids indiqué par son peson, donnait droit à un article de vaisselle plus ou moins dépareillé : plat, assiette, bol, etc. Elle ramassait aussi les peaux de lapin (presque toutes les familles avaient un clapier et élevaient des lapins et des poules). Ces peux de lapin, elle les revendait à une fabrique de chaussons de paille, pour rembourrer l'intérieur et le dessus. Ces chaussons, qui tenaient les pieds au chaud l'hiver, avaient une semelle et un talon en liège.

Les couturières pouvaient "trouver leur beurre" à la voiturette de la "Boutique à vingt sous", "La Boutique à pevar real" (le "real" valant cinq sous), qu'annonçait le marchand en faisant le tour de la Cité. C'était un homme grand, dont les verres de lunettes étaient de vraies loupes, avec de longs doigts très effilés toujours occupés à ranger boutons, fils, aiguilles, dés à coudre, etc., tout ce qui servait à la couture, sur le présentoir de sa petite voiture.

À l'époque, ils venaient à pied de Quimper en poussant leurs voitures à bras et idem pour le retour ».

5 Déplacements, mendiants et médecins

« On constate donc que l'on pouvait trouver ce qu'il faut pour se nourir, sans avoir à se déplacer comme aujourd'hui. Pour des achats autres que la nourriture : habillement, consultation médicale, oculiste, coiffeur, etc. il fallait se rendre à Quimper. Un service régulier de car était à la disposition des usagers. Ce service était assuré par Matthias Mévellec, de Stang-Ven, que l'on appelait "le commissionnaire". Il était chargé de faire des courses pour les Papeteries, dont il était salarié, ainsi que sa femme.

Le plus ancien de ses cars était un "Latil" [1] dans lequel on pénétrait par l'arrière, et le plus récent , que j'ai vu arriver pour la première fois à Odet, était un "Saurer" [2]. Ces deux cars étaient garés dans un hangar appartenant aux Papeteries et situé en bordure de route, face au poste transformateur actuel de la nouvelle usine.

Le service était Odet-Quimper, donc départ et terminus devant l'entrée des Papeteries. À Quimper, où l'on circulait librement à l'époque, le dépôt était au café Bidet, rue du Frout (actuellement n° 6 de la rue). Il va sans dire que chaque usager payait sa place.

Pour les habitant de Ker-Anna, le départ et l'arrêt avaient lieu face aux escaliers d'accès à la Cité.

À cette époque, c'était aussi assez courant de voir des mendiants venir quêter. Parmi eux, celui que les enfants préféraient, c'était Jean-Marie Dall", l'aveugle, originaire de Coray. Dès que l'on entendait les premières notes de sa flûte, on accourait, pour qui serait son guide dans la Cité. Devant la porte de chaque maison, il jouait un morceau, et dès qu'il avait obtenu une petite pièce de monnaie, on passait à la maison suivante. C'était un brave homme très gentil.

Il y avait aussi un ancien "mutin de la Mer Noire", appelé Yves Grunchec, traînant son sac et des pantalons de rechange sur le dos. À Ker-Anna, il avait ses maisons, où il était sûr d'avoir un petit casse-croûte et un coup à boire. On le voyait parfois, dans un coin isolé, s'épouiller au soleil. Il était plutôt répugnant.

On voyait aussi une dame portant un grand chapeau - on l'appelait "Madame Tambour" - venir tendre la main, ainsi qu'un homme assez grand, appelé "Yann ar Rest", plutôt méchant et dont les enfants avaient assez peur.

 

La Cité de Ker-Anna était entourées de talus, avons-bous dit. Pour y pénétrer, il y avait d'abord les escaliers donnant sur la route menant aux Papeteries, et que seuls pourraient emprunter les piétons. Une barrière cadenassée, avec un portillon pour les piétons, se trouvait à l'entrée actuelle, près de Pen-ar-Garn. Une seconde barrière identique étaient située à l'autre bout de la rue actuelle de Pen-ar-Garn, face aux premières maisons H.L.M. (aile Est de la Cité). Les clés des cadenas de ces barrières se trouvaient chez le vieux garde-chasse Léonus, résidant dans la dernière maison de l'aile nord. Les différents livreurs qui se présentaient devaient donc retirer les clés pour pouvoir rentrer.

En ce temps-là, tout était étroitement surveillé par le père Hascoët, contremaître. Pas question de toucher aux arbres, tilleuls et marroniers. La taille des tilleuls se faisaient par le jardinier Moguin et ses employés. Il trouvait là les rames indispensables à ses petits pois et haricots.

Les barrières finirent par disparaître.

Les dix première années, de 1919 à 1929, on ne voyait pas souvent les mèdecins à la Cité. Je me souviens du Docteur Malloizel de Quimper se déplaçant avec sa voiture à cheval. Je me souviens des décès de méningite entre 1930 et 1939 de deux enfants, des décès de trois autres personnes de 16 à 36 ans suite à la tuberculose, très répandue à l'époque, et d'autres décès entre 60 et 70 ans. On mourait beaucoup plus jeune qu'aujourd'hui.

Entre 1930 et 1939, les rares docteurs à venir en visite le faisaient en auto depuis Quimper, et à moto depuis Briec (Docteurs Favennec et Kergoat) ; la route de Moncouarn était alors une voie charretière.

Monsieur Bolloré avait aussi fait venir une sage-femme, Madame Blanchard, qui, avec son mari et ses enfants, habitait la Cité. À cette époque, c'est elle qui pratiquait presque tous les accouchements.

Ceux-ci se faisaient presque tous à domicile. Les fermiers venaient avec leur char à banc la prendre à Ker-Anna, pour se rendre chez eux, les chemins n'étant pas toujours praticables. Un peu avant la guerre de 39, elle possédait sa voiture automobile pour se déplacer ».

6 L'école

« Les aînés des enfants en 1919 - très peu nombreux en âge scolaire - n'avaient d'autre solution que de fréquenter l'école publique de Lestonan pour débuter leur scolarité. En 1927, les religieuses de la Congrégation des Filles du Saint-Esprit ouvrirent une garderie pour les tout jeunes enfants dans la première maison de l'aile Nord (côté route), en attendant l'ouverture, l'année suivante, de l'École Sainte-Marie à Lestonan, qui fut suivie, un an après, en 1929, de celle de l'École Saint-Joseph confiée aux frères de Ploërmel.

Ces deux nouvelles écoles étaient bâties par Mr René Bolloré pour les enfants de son personnel, dont bien sûr ceux habitant la Cité. C'était pratiquement une obligation pour les parents de mettre leurs enfants dans l'une ou dans l'autre, suivant le sexe, la mixité étant encore très éloignée.

Comme dit précédemment, le courant électrique faisant défaut à l'ouverture de ces deux écoles, il y avait sous le préau de l'école Saint-Joseph un local renfermant un groupe électrogène chargeur de batteries qui fournissaient ainsi le courant aux deux écoles. Cela dura jusqu'en 1933, à l'arrivée de la "fée Électricité".

L'enseignement, d'une façon générale, allait de la maternelle au Certificat d'Études Primaires : trois classes comprenant chacune deux divisions, ces classes étant appelées alors 1ère, 2ème et 3ème classes, la 1ère étant celle préparant au Certificat d'Études, et la 3ème celle où on commençait à lire. Une photo de 1933 représentant la 2ème classe nous permet de voir son maître, Monsieur Le Pape avec 47 élèves.

 

Après l'obtention du Certificat d'Études, beaucoup quittaient l'école pour entrer en apprentissage ou rester à la ferme si les parents étaient cultivateurs. certains continuaient une année supplémentaire sur place pour obtenir le Certificat Supérieur. D'autres, peu nombreux, rentraient au collège (Le Likès, le Petit Séminaire de Pont-Croix, Sainte-Anne, le Lycée) comme pensionnaires. Le service de car scolaire était totalement inconnu.

À signaler que les heures de classe étaient pratiquement les mêmes qu'aujourd'hui, qu'il y avait cinq jours pleins d'études par semaine et que le jour de repos était le jeudi.

Après les vacances de Pâques, donc au troisième trimestre scolaire, pour les élèves préparant le Certificat d'Études il y avait une heure supplémentaire de cours après les heures de classe normales.

De mon temps, je ne crois pas avoir connu d'échecs aux examens, la totalité des candidats étant admis, ce qui veut dire que tous savaient lire à l'époque. »

7 Les loisirs et fêtes

« Pendant les 20 années qui nous intéressent de 1919 à 1939, les moyens de locomotion n'existaient peu. On ne pouvait se déplacer comme aujourd'hui. On était donc confiné sur place.

Dans la Cité même, pour se distraire, il y avait un jeu de boules de chaque côté du puits. Ces boules étaient entreposées dans le cabanon d'un responsable, où elles se trouvaient à la disposition de qui voulait jouer.

Le dimanche après-midi, les deux jeux faisaient leur plein d'animation d'amateurs disposant de leurs journée de repos. Tout ceci ne se passaient évidemment pas dans le silence et indisposait les factionnaires qui voulaient se reposer et faire un somme avant de prendre leur faction à 19 heures pour remettre en route l'usine le dimanche soir. Ces deux jeux furent supprimés, et un autre fut créé en dehors de la Cité, près des garages.

Début septembre 1931 eut lieu l'inauguration du nouveau Patronage, en contrebas de la Cité. Le Patronage était auparavant à l'Hôtel. Ce jour-là eut lieu un grand rassemblement de tous les "Patros" du Finistère, qui défilèrent musique en tête, et ensuite exécutèrent leurs mouvements de gymnastique devant la tribune officielle dressée sur le petit terre-plein dominant le Stade. Il y avait foule pour applaudir tous ces athlètes.

Le nouveau terrain de football, inauguré en même temps, attirait les fervents de ce sport durant la période des matchs et permettait de passer de bons après-midi de dimanche. Les matchs se jouant en "aller" et "retour", certains dimanches étaient "creux", les deux équipes jouant à l'extérieur. Le car de Mathias Mévellec assurait les déplacements des joueurs.

En été, c'était la gymnastique qui primait. Une salle spéciale lui était réservée dans le "Patro", à l'entrée, avec barre fixe, barres parallèles, anneaux, poids et haltères.

Les plus jeunes, en tenue de gymnastes, se retrouvaient sur le terrain de sport pour des mouvements d'ensemble avec bâtons sous la direction du moniteur Henri Gourmelen, ancien des Pompiers de Paris.

La première grande kermesse eut lieu sur ce terrain en 1932, avec les divers stands tout autour : stands tenus pour la plupart par des personnes de Ker-Anna.

En 1932 également eut lieu, dans la grande salle de spectacles du "Patro", un banquet offert par Mr René Bolloré aux ouvriers de l'usine à l'occasion du mariage de son fils René-Guillaume [3]. Le banquet était préparé et servi par les soins de Jean-Pierre Quéré, de Lestonan.

Le 14 juin 1936, une autre kermesse organisée par le Patronage eut lieu avec défilé de chars. Elle mobilisa encore une grande partie des habitants, dont les enfants, de la Cité et de Lestonan.

 

Les premiers postes de T.S.F. commencent à faire leur apparition dans quelques maisons. Au "Patro", on en a installé un dans la salle de projection de cinéma. Au moment du « Tour de France », on se retrouve avec le responsable du "Patro" pour essayer d'entendre les commentaires de Georges Briquet, le speaker officiel. Il faut tendre l'oreille, surtout aux passages des cols de montagne. les postes sont encoreloin d'être "au top", point de vue écoute, quand on voit ce qu'on obtient aujourd'hui avec un petit poste réveil.

Au Patronage, le samedi et le dimanche, en soirée, il y avait une séance de cinéma muet.

Le jeudi après-midi, les enfants se retrouvaient au terrain pour des matches de football, et après le match, le responsable nous passait la bobine d'un film comique, généralement du Charlie Chaplin, dit "Charlot", qui accompagnait le film de fin de semaine. Peu après, on vit arriver le cinéma "parlant".

1936 : premiers "congés payés". Premières voitures d'occasion qui apparaissent : deux "Citroën" d'abord, puis deux voitures neuves suivront : une "Rosengart" et une "Juvaquatre Renault". En 1939, la Cité disposait de quatre voitures, qui allaient être immobilisées au garage durant toute la guerre. Côté Est, on rasa une partie de talus pour construire d'abord trois garages, puis un quatrième.

Ces quinze jours de congés payés permirent à certains de se reposer, à d'autres de s'occuper chez eux à divers travaux. Le temps de la "grande transhumance" n'était pas encore né, et on avait peu de moyens.

Dans ce registre de loisirs, il faut aussi signaler les pièces de théâtres jouées sur la scène du Patronage depuis sa création en 1931, par une troupe d'acteurs locaux [4]. Des séances étaient souvent données avant le commencement des messes de Minuit à la Noël. Le rideau de la scène représentaient la chapelle située à l'intérieur de l'usine, ainsi que le calvaire érigé dans le parc, près du manoir.

Tous les ans, au mois de juin, le 24 (à la Saint-Jean) et le 29 (à la Saints Pierre et Paul), sur la route non encore goudronnée et en l'absence de toute circulation, on allumait un grand feu face aux escaliers d'accès à la Cité. Les artificiers en herbe pouvaient se procurer des pétards chez Vonne Coustans, ainsi que "crapauds", "soleils", etc. pour quelques sous. Une fois le feu presque éteint, les cendres étaient mises en vente au plus offrands. Le goudronnage de la routr en 1937 ou 1938 mit dans l'obligation de déplacer la place du feu à l'intérieur de la Cité, vers l'entrée côté Pen-ar-Garn.

De chaque côté des ailes Nord et Sud, des sapins avaient été placés. Ceux plantés Sud, devenus immenses, donnaient de l'ombre aux habitants. Leur abattage débuta pendant l'occupation, ce qui permit de récupérer du bois comme combustible dans ce contexte de restrictions.

8 Le devenir de la cité

« En 1975, le banquier Edmond de Rothschild reprenait les Papeteries et plaçait à la tête son homme, Henri Bernet. Pour éviter une crise de trésorerie, une de ses premières actions fut de vendre des biens tels que maisons ouvrières et fermes à Odet et Cascadec.

À partir de 1977, les maisons de Ker-Anna furent donc vendues (ailes Nord et Sud) à leurs résidents ou autres personnes intéressées. L'aile Est fut vendue en totalité à la municipalité qui, à son tour, la céda aux H.L.M. de Landerneau. Les H.L.M. firent tous les travaux nécessaires pour la restauration de ces logements : remplacement de toutes les portes et fenêtres avec P.V.C., double vitrage, isolation intérieure, chauffage au gaz, W.C. intérieur, salles d'eau, etc. En ce qui concerne les ailes Nord et Sud, chaque propriétaire a aménagé son logement à son gré.

Quelques mois plus tard, il y eut une cession du Patronage, du terrain de sport et de l'allée des Tilleuls à la municipalité, le "Patro" quant à lui étant devenu la Salle des Fêtes de Ker-Anna.

 

Et les écoles libres étaient cédées à l'Association Diocésaine de Quimper [5]. »


9 Annotations

  1. Latil est une entreprise française qui a conçu et construit différents véhicules (automobiles, camionnettes, camions, tracteurs, autocars ainsi que des châssis agricoles, forestiers et coloniaux) entre 1897 et 1955. La société Latil a été créée par Georges Latil, ingénieur marseillais, né en 1878 et décédé en 1961, qui a exploité l'idée de son véhicule avec la société « Avant-Train-Latil ». [Ref.↑]
  2. En 1888, la fonderie Saurer fabrique en Suisse ses premiers moteurs à essence, destinés à l'industrie comme génératrices, mais aussi pour la production agricole. En 1896, la société produit sa première automobile, mais Saurer délaisse ce créneau au début du XXe siècle, pour ne construire que des autobus et des camions. [Ref.↑]
  3. Voir photo « 1932 - Groupe d'Odet à la noce de René-Guillaume Bolloré ». [Ref.↑]
  4. Cf. témoignage sur les pièces de théâtre au Patronage, article Laouic Saliou (1909,1990), sculpteur autodidacte. [Ref.↑]
  5. Plus exactement, les deux écoles ont d'abord été regroupées sous le nom « École Privée Saint Joseph et Sainte Marie », et celle-ci a été cédée à une Association Financière de l'Enseignement Privée. [Ref.↑]