L'art poétique selon Jean-Marie Déguignet dans son panégyrique à ses écrits
Un article de GrandTerrier.
Le cahier manuscrit n° 20 de Jean-Marie Déguignet, publié en 2001 dans l'édition intégrale de ses mémoires « Histoire de ma vie » et en 1999 dans l'édition partielle « Rimes et révoltes », contient un magnifique poème de 54 strophes présenté par l'auteur comme un « Petit panégyrique [1] à mes écrits ».
Ce poème a par ailleurs été inséré dans l'Anthologie de la Poésie française de Christian Tanguy et fait également l'ouverture de la nouvelle édition anglaise des mémoires du paysan bas-breton. Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « TANGUY Christian - Florilège, anthologie de la Poésie française » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Memoirs of a Breton Peasant » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Rimes et Révoltes » ¤ « BABONNEAU Christophe et BETBEDER Stéphane - Mémoires d'un paysan bas-breton Tome 1 » ¤ « Les sagesses antiques de Jean-Marie Déguignet et de Michel Onfray » ¤ |
1 Présentation
Dans ce cahier n° 20 de ses mémoires, Jean-Marie Déguignet introduit son poème sur un mode presque humoristique : « Maintenant je vais adresser un petit panégyrique Et il nous délivre pas moins de 54 quatrains ou strophes de 4 vers, avec une métrique de vers alexandrins C’est à vous, mes écrits, qu’aujourd’hui je m’adresse,
Les 6 premières strophes font le parallèle de destin entre ses écrits et sa propre vie : vont-ils être dévorés par les rats et pourrir comme des grimoires ? À partir de la 7e strophe, les « franches vérités » de ses écrits sont opposées aux messages mensongers, stupides, inutiles des Évangiles : Tandis que des écrits comme les Évangiles,
Aux strophes 11 et 12 il cite in-extenso entre guillemets Nicolas Boileau, l'auteur de « L'Art poétique », dans son Épitre n. 9 sur le thème du beau et du vrai. Mais Déguignet ajoute « Tu parles bien mon vieux » et met en exergue sa fausseté lorsque Boileau fit l'éloge du grand Louis le quatorzième. « Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable ;
Dans les strophes 18 et suivantes, il se sert de ses « loyaux écrits » qui lui permettent, dit-il, de voyager au temps des premières civilisations anciennes : « Par ces enfants chéris issus de ma mémoire Je parcours le ciel, la terre et l'histoire ». Après l'évocation des dieux mythiques, son voyage se termine par une description du Paradis qui se termine en strophe 41 : « Ce bouge inventé par le bandit Jésus ». Les strophes suivantes sont une sorte d’apothéose didactique sur le sens de la vie : « Voilà comment je vis d'une seconde vie Grâce à mes écrits, à ma philosophie. ». |
Sa philosophie repose essentiellement sur la critique de la métempsychose Ceux-là ont confondu l'âme et la matière.
Outre le fait d'être retenu comme œuvre majeure dans une Anthologie de la Poésie française (« Florilège » de Christian Tanguy), les premières strophes de ce poème plein d'énergie incantatoire est aussi traduit en anglais par Linda Asher To you, my writings, do I address these words today,
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2 Les 54 strophes
C’est à vous, mes écrits, qu’aujourd’hui je m’adresse,
Mais que deviendrez-vous hélas après ma mort
À faire des cornets chez l’épicier voisin
Si vous êtes mangés par les souris, les rats
Ou rester pourrir comme ces vieux grimoires
Ainsi que sont toujours les écrits les plus francs,
Tandis que des écrits comme les Évangiles,
Ainsi que ces écrits tout aussi mensongers
Vous seriez mal à l’aise parmi ces faussetés
Restez donc ignorés dans cette paix profonde
Et n'être pas traqués par les gens à soutanes
Oui, « le vrai seul est beau, seul il est aimable
Tu parles bien mon vieux, c'est ainsi que tu fis
De ton roi de sérail, ignoble Salomon Tu fis même, farceur, en vers dithyrambiques,
Partout et en tout temps l'horrible fausseté
Mais j'allais m'égarer dans les écrits d'autrui
Dans ces écrits loyaux qui tombent de ma plume
Souvent en leur source, je bois, je m'enivre
Sans sortir de mon trou et sans aucun effort
Des bords desquels jadis tant de peuples divers
Qui apportent partout par le fer, la rapine
Sauvages, sanguinaires et sans foi et sans lois
Et forcer les peuples, par le fer et le feu,
Je vois le brave Hector Plus grands que les premiers à jouer en ce monde ;
Je vois encore ce grec nommé Alexandre |
Cet enragé guerrier, né roi d'une province
Et traînant après lui les horreurs de la guerre
Mais heureusement aussi pour l'espèce humaine
Je vais encore plus loin, le temps préhistorique
Car je le vois naître et sortir de Phébus Allant et revenant dans un mouvement rapide
Des prêtres, des fripons, des nationalistes,
Mais mon esprit encore par ses forces, ses veilles,
Et cet esprit qu'ici on dirait taciturne
Est toujours gai, riant et heureux de vivre
Dans tous ces beaux mondes les hommes sont heureux.
Partout dans ces mondes une grande: justice
On y voit que des hommes, des amis, et des frères
Ce bouge inventé par le bandit Jésus
Voilà comment je vis d'une seconde vie
Dans une seule nuit mon esprit agité.
Laissant sur son grabat son vieux et pauvre corps
Notre esprit, dit-on, est la moitié du corps
Parmi les merveilles de la grande Uranus
Qui éclaire son corps et rayonne en tous lieux
Fluide invisible mais perçant et subtil
Tous les psychologues et les théologiens
Une âme séparée, indépendante du corps
Et qui ne meurt jamais, se porte toujours bien.
Lucrèce Ceux-là ont confondu l'âme et la matière.
Il est naturel, nous le savons fort bien
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3 Annotations
- Panégyrique, s.m. et adj. : éloge panégyrique ou simplement panégyrique, du latin emprunté au grec panêguris, « assemblée de tout le peuple », discours public à la louange d'un personnage illustre, d'une nation, ou d'une chose et, dans l'occident chrétien, un sermon faisant l'éloge d'un saint. Le terme a pris aujourd'hui le sens plus général de louange ou d’apologie, et s’utilise parfois dans le sens péjoratif d’éloge emphatique ou exagéré (Wikipedia). [Terme] [Lexique] [Ref.↑ 1,0 1,1]
- Alexandrin, s.m. et adj.. : en métrique française classique, vers formé de deux hémistiches (ou sous-vers) de six syllabes chacun, les deux hémistiches s'articulant à la césure. Son nom est dérivé du Roman d'Alexandre2, sans qu'on puisse savoir si c'est en référence au nom de son héros, Alexandre le Grand, ou bien d'Alexandre de Bernay, son auteur. (Wikipedia). [Terme] [Lexique] [Ref.↑]
- Métempsychose ou métempsycose, s.f. : passage, transvasement d'une âme dans un autre corps, qu'elle va animer. Le métempsycosisme est la croyance selon laquelle une même âme peut animer successivement plusieurs corps soit d'humains soit d'animaux, ainsi que de végétaux. Source : Wikipedia. [Terme] [Lexique] [Ref.↑ 3,0 3,1]
- Linda Asher : spécialiste anglophone de la littérature française, traductrice d'auteurs prestigieux comme Milan Kundera, Georges Simenon, Victor Hugo, Jean-Pierre Vernant, Restif de la Bretonne, Jean-Marie Déguignet et bien d'autres. Elle a reçu en 2004 le prix Franco-Américain de la traduction pour son travail sur « La maladie de Sachs » de Martin Winckler et est Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres. [Ref.↑]
- Despréaux : surnom de Nicolas Boileau (1636-1711) auteur de l'Art poétique [Ref.↑]
- Nicolas Boileau, Epîtres, volume 2, IX. Au marquis de Seignelay. Rien n’est beau que le vrai : « Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable ; Il doit régner partout, et même dans la fable. De toute fiction l’adroite fausseté Ne tend qu’à faire aux yeux briller la vérité. » [Ref.↑]
- Grand Louis : Louis XIV. [Ref.↑]
- Auguste : empereur romain, petit-neveu de Jules César. [Ref.↑]
- Virgile : poète latin (70-19 av. J.-C.), auteur des Géorgiques et des Bucoliques. [Ref.↑ 9,0 9,1]
- Jupiter : roi des dieux chez les Romains. [Ref.↑]
- Mars : dieu romain de la guerre et de l'agriculture. [Ref.↑]
- Apollon : dieu romain de la beauté. [Ref.↑]
- Dragonnade et Edit de Nantes : Louis XIV révoqua l'Edit de Nantes et pour forcer la conversion des derniers protestants les obligea à héberger ses troupes de dragons, d'où le terme de dragonnades. [Ref.↑]
- Nil, Euphrate et Gange étaient réputés être les fleuves du Paradis. Ils s'agit en tout cas de fleuves sacrés. [Ref.↑]
- La première transcription proposait « Mistides » avec un point d'interrogation. Il est plus probable qu'il faille lire Méotides, du fait des nombreux peuples migrateurs qui s'établirent dans cette région de l'Ukraine. [Ref.↑]
- Goth et Ostrogoth : Les Goths venaient de l'actuelle Scandinavie, les Ostrogoths sont une branche de ses derniers, dont le noms signifie : "les Goths de l'Ouest". Vandales : peuple d'Asie qui traversa toute l'Europe et s'installa en Andalousie. Gépides : peuple germain exterminé par les Lombards au VIe siècle. [Ref.↑]
- Pergame : ancienne ville d'Asie Mineure, siège d'un royaume. [Ref.↑]
- Dardanos : fondateur légendaire de Troie. [Ref.↑]
- Ilion : l'un des noms de Troie. [Ref.↑]
- Hector : chef troyen. [Ref.↑]
- Enée : prince troyen, héros d'Enéide, où il est conté qu'il quitta Troie en flamme portant son père sur ses épaules. [Ref.↑]
- Vénus : déesse romaine de l'amour. [Ref.↑]
- Alexandre : roi de Macédoine (336-323 av. J.-C.), surnommé Le Grand, pour avoir conquis l'empire perse. [Ref.↑]
- Phébus : le soleil chez les Romains. [Ref.↑]
- Lucrèce : poète latin (98-55 av. J.-C.). [Ref.↑]
- Pythagore : philosophe et mathématicien grec (VIe siècle av. J.-C.). [Ref.↑]
Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Date de création : Février 2018 Dernière modification : 29.03.2018 Avancement : |