Jean-Marie Duguines au bureau de recrutement militaire de Quimper le 25 août 1854

5. rengagement (25 août 1854)

Nous étions arrivés à la moisson. En ce moment, on parlait beaucoup de la guerre [1]. Je n'avais pas encore la taille d'un soldat, mais je pensais que dans ce moment on ne regarderait pas si près. Je brûlais d'envie, non pas d'être soldat, mais de quitter le pays pour m'instruire, et je n'avais pas d'autre moyen de le quitter qu'en me faisant soldat.

La moisson fut terminée de bonne heure cette année-là ; pour le quinze août nous avions fini ; je pouvais quitter maintenant sans crainte ; on ne pouvait pas me dire que je m'en allais par peur des durs travaux de la moisson. Le lendemain de la fête du Quinze-Août, qui était la fête de l'Empereur, mais est aussi la grande fête de Quimper, je descendis en ville sans rien dire, et j'allai trouver un ancien soldat du vieil empire, un nommé Robic [2] que l'on trouvait toujours sur la place Saint-Corentin, toujours disposé à boire, mais aussi prêt à rendre service au premier qui lui en demandait. Je lui demandai où il fallait m'adresser pour voir si j'étais bon pour le service.

« Ah, tu veux t'engager? me dit Robic.
- Oui, si on veut me prendre.
- Si, si, je suis sûr qu'on te prendra en ce moment, tu vas voir ; tout à l'heure je vais te conduire au recrutement. »

Après avoir payé la goutte au vieux soldat du vieil empire, il me conduisit au bureau [3]. Je n'étais pas trop fier; malgré les efforts que je faisais pour me donner un air guerrier, je restais toujours timide, presque tremblant, résultat déplorable des habitudes contractées dans la mendicité et dans la basse domesticité. Heureuse¬ment, on ne me fit pas attendre longtemps, car à peine Robic avait-il dit quelques mots, qu'on me saisit par le bras pour me mener sous la toise; je savais bien que je n'avais pas la taille, et je pensais qu'on allait me refuser du premier coup. Mais non, au contraire, on me dit que je ferais un très bon soldat. Je ne savais pas encore quel soldat je serais, mais pour sûr j'étais bien content qu'on me trouvât bon pour le ser¬vice, au moment même où je voyais tant d'autres partir en pleurant, et d'autres qui allaient jusqu'à se mutiler pour se rendre impropres au service. Je n'eus plus qu'à aller chercher mon extrait de naissance, que j'apportai au bureau le soir même ; on me dit que le lendemain à dix heures, je trouverais ma feuille de route. On ne cher¬chait pas tant de formalités en ce moment-là, on ne m'avait même pas déshabillé. Puisque je trouverais ma feuille de route le lendemain, et que je serais sans doute tenu à me mettre en route de suite, j'allai ce soir-là voir mes parents pour la der¬nière fois, car hélas, je ne devais plus les revoir, du moins mon père ni ma mère'".

Le lendemain matin, j'étais encore de bonne heure sur la place Saint-Corentin, où Robic m'attendait, car il avait soif. Maintenant, il s'agissait d'aller dire au maire que j'étais soldat, et qu'il me fallait partir de suite. Pendant ce temps, Robic allait se charger de trouver quelqu'un pour acheter mes effets. Sachant que le maire ne me croirait pas quand je lui dirais que je venais de m'engager, je voulus avoir ma feuille pour la lui montrer. Comme on me l'avait dit, à dix heures, ma feuille de route était prête. ]'étais incorporé au 37e de ligne alors à Lorient, où je n'avais plus que trois jours pour me rendre [4]

Actes d'engagements volontaires de la marie de Quimper

L'an mil huit cent cinquante quatre, le 23 août à dix heures du matin s'est présenté devant nous Etienne Corentin Leusart, Adjoint au Maire de la commune de Quimper, chef-lieu de canton, arrondissement de Quimper, département du Finistère, le Sieur Jean Marie Deguines.