En partant pour la Crimée - Le requin et le nègre, JMD août 1855 - GrandTerrier

En partant pour la Crimée - Le requin et le nègre, JMD août 1855

Un article de GrandTerrier.

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(Intégrale, Déguignet, manuscrits, p. 5.77)

Une nuit, je fus réveillé en sursaut dans mon trou, et si je ne m'étais retenu aux cordages, j’aurais piqué une tête dans la mer, par un choc effroyable de notre navire. Je me dressai debout, en me tenant accroché aux échelles et je vis devant nous et presque en travers la masse noire du vapeur dans le derrière duquel le devant de notre navire était engagé. Tout le monde était debout sur le pont et les Anglais, criaient des « galdem ![1]» d'un navire à l'autre. Qu'est-ce qui était donc arrivé ? je ne parvenais pas à le savoir. J'entendais cependant des soldats qui disaient que tout était crevé et que nous allions couler. Je restais toujours accroché à mes cordages, les yeux fixés sur le vapeur dont la cheminée sifflait comme le tonnerre. Cependant au bout de quelque temps, je vis les grandes roues commencer à tourner, puis il se dégagea du nôtre et bientôt les câbles furent tendus et l'on se remit doucement en route. Alors on apprit qu'un matelot de notre navire, un nègre, s'était jeté à la mer et l'homme de garde qui l'avait vu se précipiter avait crié selon l'usage : « Un homme à la mer », le cri avait été entendu du vapeur qui stoppa immédiatement, mais le nôtre qui marchait toujours avec ses voiles déployées tomba bientôt sur lui et ce ne fut que grâce à l'homme du gouvernail qui sut tourner vivement notre proue un peu de côté qu'une catastrophe épouvantable fut évitée. Sans lui notre campagne allait se terminer là et nos punitions, comme l'avait dit notre colonel du 37e, auraient été bien lavées dans l'eau bleue de la Méditerranée. Pourtant, du nègre, personne ne s'en était plus occupé : il devait être en ce moment dans le ventre de quelque requin dont il y avait un grand nombre dans ces parages, si toutefois le requin aimait la chair noire.

Notes :

  1. Galdem : probablement Goddam, de « God be damned » (« Que Dieu soit damné »), que l’on peut traduire par sapristi. [Ref.↑]