En parlant un peu de papier, Le Pèlerin 1963 - GrandTerrier

En parlant un peu de papier, Le Pèlerin 1963

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Catégorie : Journaux
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§ E.D.F.

Un article rédigé par une romancière catholique pour une entreprise dirigée par un homme de culture maritime ....

Autres lectures : « Gwenn-Aël Bolloré (1925-2001), écrivain-poète et PDG » ¤ « ESPERN André - Gwenaël Bolloré, l'homme crabe » ¤ « L'entreprise Bolloré, Réalités Noël 1949 » ¤ « ORSENNA Erik - Sur la route du papier » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

Cet article paru en 1963 dans la revue « Le Pèlerin du 20e siècle » [1], sous la plume de la romancière Yvonne Chauffin [2], décrit les origines de l'entreprise Bolloré et ses défis économiques et technologiques.

La journaliste, en visite à Odet, décrit les lieux de production, et interviewe Gwenn-Aël Bolloré, « l'un des trois fils Bolloré qui président aux destinées des papeteries ».

 

Ce dernier, amoureux de la mer, ne manque pas d'utiliser des expressions et images maritimes : « L'essentiel n'est-il pas de savoir répondre à l'appel du large et " d'écouter d'où vient le vent ", comme on dit dans la marine ? ... Il ne s'agit pas, pour les Bolloré, de se laisser pousser à bâbord et à tribord, mais de bien mesurer leurs encablures et de virer là où il faut ».

[modifier] 2 Transcription page 1

Sur les bords de l'Odet : record mondial

En parlant un peu de papier ...

De la fusée Véronique à la collection de la Pléiade en passant par les cigarettes et les sachets de thé.

Si vous les aimez bien roulées ... N’exagérons rien. Il ne s'agit que de papier à cigarettes et le plaisir du fumeur commence par ce geste machinal des doigts ... Dans le monde, une cigarette sur six est roulée dans du papier Bolloré. Ce qui représente par an, 140 milliards de cigarettes. Toutefois, cette énorme production ne se place, dans les usines Bolloré, qu'après celle du « papier condensateur », papier d'une finesse extrême qui joue le rôle d'isolant en électricité. Viennent ensuite les « supports » de carbone qui couvrent 80% du marché intérieur. On peut donc dire que huit dactylos sur dix les utilisent. À ce brillant palmarès s'ajoute la première place en Europe pour la fabrication des sachets de thé et, enfin, le grand honneur de fournir le « papier bible » pour la collection de « la Pléiade ».

En 1962, les papeteries Bolloré ont remporté l'Oscar de l'exportation ...

Les eaux sont si pures ...

L'histoire de ces papeteries commence sous Louis-Philippe [3]. Un médecin breton, René Bolloré, sert dans la « Royale ». Bourlinguant dans le Pacifique, il réfléchit aux sollicitations de ses oncles qui lui offrent de prendre la tête de leur « manufacture de papier à cylindre ». À toutes les escales des mers de Chine, il s'était intéressé à la fabrication des papiers délicats dont ce pays garde le secret.

Sur l'Odet, à deux lieues en amont de Quimper, les oncles du médecin avaient transformé en manufacture, un vieux moulin à papier comme il en existait alors de si nombreux en Bretagne. Ils avaient choisi Ergué-Gabéric parce que les eaux de l'Odet y coulaient, merveilleusement pures. Le moulin se trouvait à égale distance de Brest et de Lorient. À la traditionnelle collecte des « pillaouers » (chiffonniers bretons) s'ajouterait donc un apport important de vieilles guêtres, de débris de voiles et d'uniformes que la marine cèderait à bon compte. Ces raisons sont devenues aujourd'hui symboliques. La qualité de l'épuration permet d'utiliser même des eaux troubles, et les moulins d'Odet n'ont plus besoin de grands ports militaires pour s'ouvrir sur le large. Mais tout symbole a sa valeur.

Une industrie ne peut triompher de la concurrence, qu'en offrant sur le marché, soit les prix les plus bas, soit la qualité la plus haute. C'est à ce choix difficile que se sont résolus les Bolloré : « Par tradition », m'a dit l'un d'eux.

 

En 1938, leurs papeteries étaient les plus grandes productrices de papier à cigarette du monde. La Seconde Guerre mondiale leur fit perdre la totalité de leurs débouchés axés sur les États-Unis.

À la Libération, un double problème se posa : reconquérir une bonne place dans la production traditionnelle, ou bien, alors, créer de nouveaux papiers.

Les papeteries Bolloré résolurent à la fois l'un et l'autre.

Elles se spécialisèrent dans la fabrication du papier mince. Ces papiers, dont le poids peut descendre jusqu'à quatre grammes au mètre carré, arrivent aussi à ne pas dépasser l'épaisseur de quatre millièmes de millimètre. Ceci constitue évidemment un record mondial.

Les papeteries Bolloré produisent environ quatre mille tonnes de papiers minces par an. En supposant, non plus la légèreté record mais le très honnête poids moyen de dix grammes au mètre carré, un pareil tonnage pourrait couvrir 40 000 hectares ! ... Selon leurs caractéristiques physiques ou chimiques, ces papiers minces deviennent papiers à cigarette, support de carbone, papier bible ou enfin papier condensateur.

Les papiers minces dans l'industrie électrique

Depuis un demi-siècle déjà, on avait remarqué que plusieurs couches de papier placées entre deux feuilles d'aluminium possédaient, après un traitement approprié, des qualités isolantes très remarquables. Ils avaient, en outre, l'avantage d'être peu onéreux. Aussi, l'emploi des condensateurs utilisant des papiers comme isolants s'est-il généralisé. Aujourd'hui, les papiers isolants entrent dans la fabrication des appareils électriques et électroniques. Ils servent à l'installation des récepteurs de radio et de TV, des appareils ménagers, des réglettes de tubes fluorescents, à l'électricité automobile, aux flashes électroniques, etc.

La dureté et la solidité de ce papier mince lui donnent des propriétés électriques qui surprennent les non-inités. En service normal, le papier condensateur est soumis à une tension alternative de 150 000 volts par centimètre d'épaisseur et il faut atteindre 2 millions de volts pour obtenir l eclaquage en courant continu.

La tendance actuelle de réduire de plus en plus les dimensions des condensateurs conduit les fabricants à mettre au point des papiers de plus en plus minces. Cette technique est extrêmement délicate. Ne peuvent s'y livrer que des chimistes et des ingénieurs hautement qualifiés, disposant d'appareils de contrôle très complexes et très précis.

[modifier] 3 Transcription page 2

Le papier isolant, pour remplir son office, doit être pur et solide. Ces qualités s'obtiennent d'abord par les matières premières qui entrent dans sa composition. Ce sont les fibres des conifères venus du Grand Nord. Pour croitre, ces bois, en luttant contre les difficiles conditions atmosphériques, ont acquis la solidité et la résistance du granit. Ils sont employés avec de l'eau qui ne contient pas plus d'un millième de milligramme d'impureté par litre. Deux mille litres d'eau entrent dans la composition d'un kilogramme de papier.

Le quart de la résistance de l'acier

Une bande de ces papiers minces, suspendue, devrait atteindre 12 km de long, pour se rompre sous son propre poids. sa résistance est de 12 kgm, soit le quart de celle d'un acier moyen. Ces chiffres parlent si l'on pense qu'une feuille de papier mince a l'épaisseur d'un dixième d'une feuille de papier-journal ; certaines feuilles descendent au vingtième.

On mesure les différentes caractéristiques de cette matière si délicate d'une façon précise. Son poids, son épaisseur, sa résistance mécanique, sa blancheur, sa combustibilité, son opacité, sa rigidité électrique, ses pertes dilectriques sont établis mécanographiquement sur une carte perforée remise pour chaque livraison à l'acheteur.

Le secret d'une réussite

Après avoir visité les usines dans une moiteur d'étuve, je m'entretiens avec l'un des « trois fils Bolloré » qui président aux destinées des papeteries. Leur famille remonte loin dans l'histoire bretonne. Autour de moi, dans le grand salon du manoir d'Odet, tout est référence à la mer. Précieuses collections de maquettes, depuis la jonque chinoise, jusqu'au navire de haut bord, du drakkar viking, jusqu'au bateau à roues.

 

Par les fenêtres à petits carreaux, je distingue l'abside d'une chapelle couverte de lierre. La pluie torrentielle noie sur le sable des allées, des bourrasques de feuilles mortes. Plus loin, l'Odet coule entre les arches d'un petit pont. Je me sens au creux d'une grande aventure. Celle qui a consisté à faire du vieux moulin à papier breton l'une des plus grandes industries mondiales.

« Pour accomplir le périple qui conduit des condensateurs de la fusée Véronique à la collection de " La Pléiade ", en passant par le papier à cigarette et les sachets de thé, un certain goût du risque était nécessaire ... Celui-ci n'est recevable que s'il s'appuie sur la mise en œuvre de tous les facteurs de succès. Qualité du personnel, laboratoires de recherches, perfection des machines. Mais l'essentiel n'est-il pas de savoir répondre à l'appel du large et " d'écouter d'où vient le vent ", comme on dit dans la marine ? Les dirigeants veulent s'adapter à l'évolution de la demande. Le client difficile devient leur meilleur collaborateur. Il ne s'agit pas, pour les Bolloré, de se laisser pousser à bâbord et à tribord, mais de bien mesurer leurs encablures et de virer là où il faut ».

Un exemple entre tous : une campagne contre le papier à cigarette se déclenche en Angleterre. Les papeteries en dégagent les éléments valables. Les laboratoires mettent au point un nouveau papier poreux. Il brûle à une température qui réduit le taux du goudron, et la fumée qu'on avale est moins nocive.

Étudier le bien-fondé de la critique et considérer toute réclamation comme un apport, c'est la manière Bolloré de faire un bon en avant et de mettre « cap au large ».

Yvonne Chauffin [2]

[modifier] 4 Coupures de presse

 

[modifier] 5 Annotations

  1. Le Pèlerin, aujourd'hui simplement appelé Pèlerin, est un hebdomadaire créé le 12 juillet 1873 et édité par le groupe de presse français Maison de la bonne presse, devenue depuis Bayard Presse. [Ref.↑]
  2. Yvonne Chauffin, née en 1905 à Lille, morte en 1995 à Caudan, est une romancière française qui a vécu dans le Finistère. Catholique, elle a été critique au Pèlerin. Œuvres : Les Rambourt, (Grand prix catholique de littérature en 1956) ; La Brûlure, roman, 1956 ; La Cellule, roman ; Les Amours difficiles, roman, 1976 ; L'Église est liberté : le cardinal Koenig, essai ; Marion du Faouët, biographie ; Le Carrelage, 1961 ; Le Tribunal du merveilleux, 1976 (avec Marc Oraison) ; Marqués sur l'épaule, 1952. [Ref.↑ 2,0 2,1]
  3. Le docteur Bolloré prit la direction des papeteries en 1862, soit 14 ans après le règne de Louis-Philippe, et c'est sous Louis XVIII qu'elle fut fondée en 1822 par le jeune entrepreneur Nicolas Le Marié. [Ref.↑]


Thème de l'article : Revue de presse

Date de création : Août 2012    Dernière modification : 17.03.2021    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]