Blog 26.08.2017 - GrandTerrier

Blog 26.08.2017

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[modifier] Enquête sur le breton en 1902

Billet du 26.08.2017 - « L’évêque diligente une enquête dans les trois cent dix paroisses du diocèse. Les recteurs bretonnants font souvent preuve de mauvaise volonté pour remplir ce questionnaire jugé inquisitorial. », Pierrick Chuto, "IIIe République et Taolennoù".

Il s'agit d'une enquête de l’évêque de Quimper sur la pratique de la langue dans ses paroisses, dans un contexte où l'église et les congrégations sont la cible d'Emile Combes, ministre de l'Intérieur et des Cultes, lequel se bat également contre les langues régionales. Les différentes pièces sont conservées aux Archives Diocésaines de Quimper sous la cote 4F17 et ont fait l'objet d'un dossier sur le site Internet du diocèse : http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/.

La circulaire Combes du 29 septembre 1902 présente aux prêtres bretons, le choix entre faire le catéchisme en français quand un minimum d'enfants le comprennent, ou alors se faire notifier la suspension de leur traitement. Pour les paroisses autour de Quimper Pierrick Chuto ajoute : «  À Penhars, sur les trente enfants âgés de neuf à dix ans qui sont inscrits au catéchisme paroissial, trois seulement sont capables d’apprendre le catéchisme en français. À Plomelin et Pluguffan, aucun enfant n’en est capable, alors qu’à Ergué-Gabéric, un seul (né à Paris) le peut. »

Le questionnaire de Monseigneur Dubillard d'octobre contient 6 questions : 1° Enfants en première communion (Ergué-Gabéric : 63, âgés de 10 ans) ; 2° Combien comprennent facilement le français ? (E.-G. : "un, né à Paris") ; 3° Combien ne comprennent que le breton ? (E.-G. : 180 enfants au total de plus de 9 ans) ; 4° Combien comprendraient un catéchisme en français ? (E.-G. : "5 ou 6") ; 5° Y-a-t il plusieurs types de catéchisme (E.-G. : "un seul catéchisme, Breton") , 6° Instructions paroissiales, c'est-à-dire les sermons et prédications, en français ou en breton ? (E.-G. : "en Breton seulement").

Le recteur Jean Hascoêt qui est connu pour ses positions de défense de l'église et des congrégations religieuses contre les actions des gouvernements de la République, est ici un peu provoquant dans sa réponse : comment peut-on penser qu'un jeune natif d'Ergué-Gabéric puisse maitriser la langue française ? A l'extrême rigueur s'il est né à Paris cela est envisageable. Et donc, à Ergué-Gabéric, en 1902, la communication, au niveau de la paroisse et des séances de catéchisme, se fait exclusivement en Breton, mot que le recteur orthographie avec une majuscule.

Le compte-rendu de l’enquête dans la Semaine Religieuse est un peu plus nuancé, que ce soit au niveau des 310 paroisses, ou celui du nombre des enfants et paroissiens : dans 95% des paroisses le catéchisme est majoritairement en breton et les instructions paroissiales sont à 63%, et si l"on rapporte aux nombre d'enfants ou paroissiens les chiffre sont respectivement de 70% et 62%.

La conclusion de l’Évêché est un appel à revoir la loi Combes sur l'obligation du catéchisme en français  : « La langue bretonne s'impose nécessairement, et vouloir la proscrire ce serait équivalemment interdire l'instruction religieuse dans ce beau et chrétien diocèse ».

 

L'archiviste Jean-Louis Le Floc'h et Fanch Broudic ont étudié les documents de l'enquête et ses suites politiques. Le premier : « L'été 1902, dont on sortait, avait été "chaud". C'étaient les expulsions des Soeurs ... Cette fois c'étaient les prêtres qui se trouvaient directement visés. On a estimé qu'il s'agissait là d'une mesure contre le clergé et les fidèles bas-bretons qui avaient été très actifs au cours des manifestations de l'été. ».

Fanch Broudic, dans son article « L’interdiction du breton en 1902 : une étape vers la Séparation », relève l'importance de la langue régionale : « Il s’avère que ce conflit entre l’Église et l’État à propos de « l’usage abusif de la langue bretonne dans la prédication et le catéchisme » est une source de première importance pour apprécier la situation linguistique de la Basse-Bretagne à la fin du 19e siècle et au début du 20e ... La correspondance adressée par les prêtres du Finistère à leur évêque nous apprend-elle tout d’abord que dans les communes rurales, les sermons sont exclusivement dispensés en breton. »

Le 9 janvier 1903, Emile Combes prononce 31 suppressions de traitement de prêtres finistériens, avec comme motif « usage abusif de la langue bretonne ». Étonnamment Jean Hascoët échappe à cette sanction, sans doute parce qu'il était établi que la population rurale gabéricoise ne comprenait vraiment pas le français, et que ses réponses au questionnaire épiscopal étaient très allusives, sans contestation frontale, au second degré uniquement : « un, né à Paris ».


Image:Right.gif En savoir plus : « 1902 - Enquête diocésaine sur l'usage du breton à Ergué-Gabéric »


Rappel  : La première conférence d'Annick Le Douget, ancienne greffière aux tribunaux de Quimper et spécialiste de l'histoire de la justice et de la criminalité en Bretagne, aura lieu dans le cadre du Café littéraire à Pouldreuzic, mardi prochain 29 août à 18 heures 30, pour présenter son nouveau livre « Guérisseurs et sorciers bretons au banc des accusés, Finistère, 1800-1950 » (cf. détail dans le billet du 12.08.2017).