Blog 24.03.2018 - GrandTerrier

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[modifier] Voyage d'un carme à Kerfors en 1674

Billet du 24.03.2018 - Il faudra plus qu'un billet pour rendre compte de l'oeuvre poétique et « satyrique », des voyages et indignités du frère Alexandre de Saint Charles Borromée, un ouvrage dans la Pléiade sera peut-être nécessaire, avec les annotations présentant les éléments de contexte historique.

Jusqu'à présent nous connaissions cette relation de voyage grâce à l'historien Arthur de La Borderie qui fit publier en 1884 deux courts extraits dans l'Anthologie des poètes bretons du 17e siècle d'Olivier de Gourcuff, sous le chapitre « Voiage du Père Alexandre de Rennes à Brest, et son retour ».

Nous avons transcrit intégralement l'original de cette pièce, conservé dans le fonds des Carmes des Archives départementales de Rennes, à savoir 1538 vers de 8 pieds sur 27 pages d'un cahier cousu de 27 pages calligraphiées d'une très belle écriture.

L'auteur est un frère carme, Alexandre de Saint Charles Borromée de son nom de religion, étudiant en théologie au couvent des carmes de Ploermel en 1669. Après quelques remontrances de la part de ses supérieurs, il est au couvent de Dol en 1672 et à Rennes en 1673. À la fin décembre 1673 il part de Rennes pour quelques mois en voyage en basse-Bretagne jusqu'à Brest.

Il part en voyage car sa position de frère des Carmes est très discutée par les autorités de son ordre, du fait d'indiscipline, falsification de signature de révérend, port d'épée et de pistole, déplacement non autorisé, vers et chansons « satyriques ». En mai 1672 sa lettre de défense est signé « Très humble et plus soumis religieux, Carme indigne ». Mais cette résignation ne suffira car d'autres accusations seront postées contre lui avant son départ, notamment une accusation de geste déplacé sur une carmélite.

Il quitte Rennes le 20 décembre 1673 exactement, et parcourt à pied, cheval et bateau, s'arrêtant dans des monastères ou des gîtes offerts par des hôtes généreux tout au long de ces étapes : Mordelles, Plélan-le-Grand, Beignon, Ploermel,Vannes, Auray, Port-Louis, Hennebont, Quimperlé, Quimper, Pont-l'Abbé, Quimper, Langolen (Trohanet), Quimper, Locronan, Lanvaux, Brest, Le Releck-Kerhuon (Lossulien, Keréon), Landerneau, Daoulas, Lopérec (Keranhoat), Irvillac (Trounevezec), Hanvec (Kerviler), Quimper, Ergué-Gabéric (Kerfors), Langolen (Trohanet), Ergué-Gabéric (Kerfors, Kerdévot), Quimper, Edern (La Boissière), Briec (Kerobezan, Sainte-Cécile), Laz (Trévarez), Gourin (Tronjoly), Motreff (Brunolo), retour Rennes vraisemblablement courant juin 1674.

La datation est rendue possible par les nombreux événements rapportées qui ponctuent ses rencontres, notamment l'enterrement du chanoine Vincent de Kerouartz à Daoulas le dimanche des rameaux, et la difficile introduction du nouveau recteur Marc Tanguy à Edern.

  Le double passage par Ergué-Gabéric est marqué par une relation presque fraternelle avec Jean de La Marche, seigneur de Kerfors qu'il rencontre lors de l'aller vers Brest, et chez qui il séjourne à son retour au moment du pardon de Kerdévot une semaine après Pâques.

Les vers à la gloire du seigneur de Kerfors (page 8) : « J'y vy, ah ! l'illustre que c'est Jan de La Marche, arrest, arrest, Quoique j'en parle dans la suitte Il ne faud pas que je le quitte À ce moment sans l'embrasser, Je t'embrasse sans me lasser Mille et mille fois mon La Marche Tu auras bien part en ma parche, Mes vers rendront ton nom connu Lorsque le temps sera venu ».

Le pardon de Kerdévot (page 22) : « De ce lieu nous nous transportons Pour voir ce grand amas de monde Qui dans ce lieu ce jour abonde ; Un nombre de processions Font icy leurs incessions ; Je me souviens de trois ou quattre, Que je nommeray pour m'ébattre : Ellian, et Landrevarzec, Les deux Ergué, surtout Briec, Qui vient enseignes déployées ».

Ce qui frappe dans le récit du frère Alexandre tout au long de sa villégiature, c'est la part importante accordée aux ripailles et libations : « Si je voulois faire rappord De la vie qu'à Kerfors on meine Tout le long de cette sepmaine D'un an je ne serois au bout On mange, boit, joüe, somme tout ».

Globalement le poète n'est pas avare de compliments sur ses hôtes gentilshommes, prêtres, abbés ou militaires, mais ce n'est pas toujours le cas, on le sent très libre dans ses appréciations, parfois mêmes œcuméniques comme au fort Louis près de Lorient : « Ce capitaine valeureux, Me fournit son lit, et sa table, Jamais huguenot plus aimable ».

Cette liberté de ton fait que le document versifié apporte indiscu-tablement un éclairage inédit et non encore exploité sur la Bretagne du 17e siècle.

* * *

En savoir plus : « ST CHARLES BORROMÉE Alexandre (de), Le voiage de Rennes à Brest et son retour », « GOURCUFF Olivier (de) - Anthologie des poètes bretons du 17e siècle »