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Des "conchennou" anti-gauchistes

Billet du 20.06.2020 - La colère d'un conseiller municipal conservateur qui s'insurge contre l'autorité préfectorale républicaine qui voudrait imposer la conduite pédestre des chevaux sur les routes pour éviter des accidents de circulation. Délibérations municipales et journaux locaux finistériens.

Jean Mahé, né en 1872, neveu de l'ancien maire d'Ergué (également Jean Mahé), est cultivateur à Mezanlez. En septembre 1906 il est nommé conseiller de l'équipe du maire conservateur Louis Le Roux de Kerellou, et reste conseiller jusqu'en 1917, bien que mobilisé.

Au conseil municipal du 4 août 1907, élu secrétaire pour la délibération du jour, Jean Mahé fait écrire dans la délibération du jour : « Le maire entretient le conseil des multiples inconvénients que présente pour les cultivateurs la mise en application de l'arrêté préfectoral en date du 26 juin 1907 préconisant que tout individu conduisant un cheval en main, attelé ou non, devra se placer à gauche de l'animal ».

Et il demande au préfet François Joseph Ramonet de surseoir car « le susdit arrêté est difficilement applicable à la campagne et qu'il est de nature à produire de nombreux accidents, tant dans les petits chemins creux et encaissés ».

Il faut dire qu'en juillet Jean Mahé a publié une lettre ouverte au préfet dans laquelle il se moque du nouveau pouvoir républicain : « Je sais bien, l'exemple venant du haut, que le char de l'État a des tendances à marcher toujours plus à gauche et que la droite est un sujet d'aversion aiguë ». Et en conclure par cette provocation : « Parmi les habitudes, il est sage de conserver les bonnes, et celle de mener à droite en fait partie. »

Et pour appuyer son argumentation, il fait parler les plus âgés, paysans et chevaux : « J'entendais, l'autre jour, les plaintes d'un vétéran des champs, de 65 ans, dont le cheval s'en allait lentement, alourdi par le poids de 25 années de travail : "Comment veux-tu, mon pauvre ami, que je conduise à gauche, je n'ai toujours connu que ma droite" ... Tout ça c'est des changements qui ne disent rien, ce sont des conchennou (*). »

Et il imagine un accident avec un guide à gauche : « Une automobile apparaît brusquement au tournant d'une de nos routes si pittoresques, avec sa trépidation et le mugissement de sa trompe, le cheval s'effraie, fait un écart et le conducteur à gauche, projeté sous les roues du terrible teuf-teuf ... se remue, s'agite comme un ver coupé. Adieu cheval et charrette !  ».

 
(Dessin de Laurent Quevilly, 1998)

Une autre réaction dans le même hebdo catholique rebondit sur les propos de Jean Mahé et propose de façon humoristique une réécriture de l'arrêté contesté : « Art. 1er. - Les chevaux qui ne pourraient être conduits à gauche et par la tête, pourront l'être par la queue ».

Et les jours suivants les autres journaux rendront compte de l'émotion soulevée dans la population paysanne de tout le département et des débats houleux aux séances du Conseil général.

En fin d'année, le texte de l'arrêté est révisé par le nouveau préfet Eugène Allard : « Considérant que l'arrêt sus-visé a soulevé de nombreuses protestations, motivée par une habitude invétérée de se tenir à droite des attelages, et qu'il y a lieu de tenir compte de ces protestations en ce qui concerne les chevaux attelés, tenus en main ». L'article 1er est donc modifié en conséquence, la technocratie républicaine a du reculer devant la contestation locale.


En savoir plus : « 1907 - Un conseiller contre l'arrêté préfectoral sur la conduite à gauche des chevaux », « Arrêté préfectoral sur le guide des chevaux à gauche, journaux locaux 1907 »

(*) Koñchennoù, sf. pl. : bretonnisme, « histoires, bavardages, balivernes ». Konchenner, c'est commérer.