1927 - Demande d'indemnité d'éviction du meunier de Moguéric au papetier d'Odet - GrandTerrier

1927 - Demande d'indemnité d'éviction du meunier de Moguéric au papetier d'Odet

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Le moulin de Moguéric s'est arrêté, le bief et la roue ont été détruits, les bâtiments agricoles ont été réhabilités en logements d'appoint, et Louis Rospape a quitté les lieux pour s'installer au grand moulin du Troheir en Kerfeuteun. Le moulin de Moguéric s'est arrêté, le bief et la roue ont été détruits, les bâtiments agricoles ont été réhabilités en logements d'appoint, et Louis Rospape a quitté les lieux pour s'installer au grand moulin du Troheir en Kerfeuteun.
-Louis, marié à Marie Huiban en 1908, aura trois enfants : Marie, épouse Gouiffès ; Yves, époux d'une demoiselle Seznec ; Anne, épouse de Jean Le Braz, qui reprendra la succession du moulin de Troheir pour en faire une boulangerie industrielle. Le neveu Dan ar Braz (fils de Corentin, le frère de Jean), artiste et grand guitariste, a peut-être pensé aux ancêtres meuniers quand il a, avec Clarisse Lavanant, fait une reprise de la chanson enfantine galloise « <i>Can y Melinydd</i> » (Le Chant du Meunier) en français :+Louis, marié à Marie Huiban en 1908, aura trois enfants : Marie, épouse Gouiffès ; Yves, époux d'une demoiselle Seznec ; Anne, épouse de Jean Le Braz, qui reprendra la succession du moulin de Troheir pour en faire une boulangerie industrielle. L'artiste et grand guitariste Dan ar Braz, neveu de Jean et fils de Corentin <ref>Le père de Dan ar Braz était carrossier de métier, exerçait route de Locronan, à la suite du grand père Le Bras qui était forgeron à l'origine et natif de Quéméneven.</ref>, a peut-être pensé à la famille de sa tante quand il a, avec Clarisse Lavanant, fait une reprise de la chanson enfantine galloise « <i>Can y Melinydd</i> » (Le Chant du Meunier) en français :
<tt>Dans le silence des pierres <tt>Dans le silence des pierres

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Statut de l'article :
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§ E.D.F.
Le meunier de Meil-Mogueric, Louis Rospape, réclame une indemnité compensatrice suite à l'arrêt de son bail par René Bolloré, l'entrepreneur papetier d'Odet.

« Et c'est depuis ce jour, Qu'on raconte alentour, Qu'automne hiver, printemps été, Le moulin est rompu. Dans le silence des pierres, Vient résonner un air, Comme les vents aiment tourbillonner Sous le chant du meunier » (Dan ar Braz et Clarisse Lavanant, Comptines celtiques et d'ailleurs, 2009)

Autres lectures : « Les Rospape, boucher, épouses de forgerons, et meuniers de père en fils » ¤ « Quatre moulins à farine et un moulin à papier du côté d'Odet » ¤ « 1919 - Déversoir et bassins de décantations de la papeterie d'Odet » ¤ « Toponymie d'Odet et de Meilh-Odet » ¤ « Cartographie d'Odet » ¤ 

1 Présentation

Louis Rospape, qu'on appelait localement « Louch », fils du meunier du moulin du Temple en Edern, était depuis les années 1910 meunier du moulin de Mogéric, situé à Briec sur la rive droite de l'Odet, attenant au manoir Bolloré et à l'usine de fabrication de papier d'Odet.

L'idée répandue était que, dans les années 1930, l'industriel papetier René Bolloré fit gracieusement don à Louis Rospape du moulin de Troheir en Kerfeunteun, en échange de celui de Mouguéric qui devait s'arrêter. Un jugement de décembre 1927 par la cour d'appel de Rennes rétablit une vérité bien différente.

Tout d'abord Louis Rospape n'est pas propriétaire du Meil-Moguéric : « (par) acte du 3 septembre 1917, transcrit le 17 septembre de la même année, il (Bolloré) a acquis des époux Rannou, bailleurs de Rospape, la propriété ... appelée le Moulin de Moguéric ». C'est donc en tant que locataire du propriétaire Bolloré qu'il exercera ensuite son métier jusqu'en 1927, et enfin, lorsque René Bolloré lui signifie son congé d'Odet, il doit signer un nouveau bail auprès du propriétaire du moulin de Troheir.

Il n'y a donc pas eu de cadeau, ni de transaction d'échange. Bien au contraire le meunier s'estime lésé et réclame même une indemnité d'éviction, conformément à la loi du 30 juin 1926 lorsque « l'acquisition a eu lieu dans le but d'agrandir les locaux où s'exerce le commerce ou de fonder une succursale ». Et il obtient un jugement favorable de la part du tribunal civil départemental de Quimper le 18 mars 1927.

Par contre le 12 décembre 1927 la cour d'appel de Rennes donne raison à René Bolloré en invoquant une série d'arguments qui nous semblent un peu spécieux :

  • La proximité de l'usine n'est pas suffisante, bien que manifeste : « les premiers juges, pour admettre le principe de l'indemnité font découler cette preuve de la situation du Moulin de Moguéric, ainsi que des fins industrielles auxquelles Bolloré le destine »
  • L'arrêt du moulin a permis de régler un problème de débit d'eau pour les bassins de décantation : « il (Bolloré) a, par ce moyen, tenté d'assurer l'épuration des eaux résiduaires de son industrie restituées ensuite à la rivière, sans avoir à se préoccuper du droit du meunier à l'usage de la totalité des eaux de l'Odet pendant la période d'été.  »
  • Dès qu'il s'agit de droit d'eau, ce qui est ici obligatoirement le cas pour le moulin et l'usine, on n'entrerait pas dans le cadre de la loi : « l'expression « Locaux à usage industriel » employée par l'article 5 de la dite loi, quelque large qu'elle soit, ne peut comprendre un droit aux eaux d'une rivière, ni les aménagements effectués pour assurer l'exercice de ce droit ».
 
La roue du moulin était sur le côté droit de la petite bâtisse, alimentée par un bief le long de la rivière de l'Odet
La roue du moulin était sur le côté droit de la petite bâtisse, alimentée par un bief le long de la rivière de l'Odet

Le moulin de Moguéric s'est arrêté, le bief et la roue ont été détruits, les bâtiments agricoles ont été réhabilités en logements d'appoint, et Louis Rospape a quitté les lieux pour s'installer au grand moulin du Troheir en Kerfeuteun.

Louis, marié à Marie Huiban en 1908, aura trois enfants : Marie, épouse Gouiffès ; Yves, époux d'une demoiselle Seznec ; Anne, épouse de Jean Le Braz, qui reprendra la succession du moulin de Troheir pour en faire une boulangerie industrielle. L'artiste et grand guitariste Dan ar Braz, neveu de Jean et fils de Corentin [1], a peut-être pensé à la famille de sa tante quand il a, avec Clarisse Lavanant, fait une reprise de la chanson enfantine galloise « Can y Melinydd » (Le Chant du Meunier) en français :

Dans le silence des pierres
Vient résonner un air
Comme les vents aiment tourbillonner
Sous le chant du meunier

Refrain : Moulin à vent moulin à eau (bis)
Tournez plus fort tournez plus haut

L'hiver dans ces lieux
Discret et mystérieux
Entre la farine et les grains
Chérissait son moulin

§ Le Chant du Meunier, texte complet

2 Transcriptions

Louage. - Propriété Commerciale. - Refus du propriétaire. - Droit de reprise sans indemnité pour reconstruction. - Agrandissement des locaux où s'exerce le commerce. - Indemnité d'éviction. - Charge de la preuve de l'agrandissement. - Acquisition plus de cinq années avant la fin de bail. - Interprétation des mots « Locaux où s'exerce le commerce ». - Faculté d'exercice du droit aux eaux d'une rivière.

1re Chambre. - 12 Décembre 1927. Bolloré contre Rospape.

SOMMAIRE :

Si en vertu de l'article 5 de la loi du 30 juin 1926, le propriétaire peut, en principe, se refuser au renouvellement sans indemnité pour reconstruire et affecter au commerce ou à l'industrie le nouvel immeuble, il doit cependant l'indemnité d'éviction, lorsque l'acquisition a eu lieu dans le but d'agrandir les locaux où s'exerce le commerce ou de fonder une succursale, et la charge de la preuve incombe au locataire quand l'acquisition a eu lieu plus de 5 ans avant la fin du bail.

En conséquence, ne peut donner droit à l'indemnité d'éviction faite plus de 5 ans avant la fin du bail suivie de l'exercice du droit de reprise pour reconstruire alors - d'une part que le résultat d'ores et déjà certain de la reprise est de donner au propriétaire plus de facultés dans l'exercice d'un droit aux eaux d'une rivière, cas ne rentrant pas dans l'expression « Locaux où s'exerce le commerce », employé par la loi - et que, d'autre part, le propriétaire déclare vouloir reconstruire pour installer une exploitation industrielle ou agricole nouvelle, mais différente, le locataire évincé ne pouvant prouver l'inexactitude de cette intention.

ARRÊT :

Considérant que Bolloré a régulièrement interjeté appel d'un jugement du Tribunal civil départemental du Finistère, section de Quimper, du 18 mars 1927 ;

Considérant que Bolloré prétend exercer son droit de reprise des immeubles loués à Rospape, sans indemnité, en vue de leur reconstruction pour une affectation à la fois industrielle et agricole, que Rospape, au contraire, réclame l'indemnité prévue à l'article 4 de la loi du 30 juin 1926 ;

Considérant que Bolloré, dont le contrat d'achat remonte à plus de cinq ans, ne peut se voir opposer par son adversaire, dont la jouissance a pris fin à la suite de prorogation le 29 septembre 1926, la présomption créée par le paragraphe 3 de l'article 5 de la dite loi, mais que Rospape a le droit d'établir qu'à l'époque de l'acte cette acquisition a été faite pour agrandir les locaux où s'exerce son industrie ; que cette preuve peut être administrée par tous moyens ;

Considérant que les premiers juges, pour admettre le principe de l'indemnité font découler cette preuve de la situation du Moulin de Moguéric, ainsi que des fins industrielles auxquelles Bolloré le destine ;

Considérant que Bolloré était, depuis longtemps, propriétaire d'un important établissement industriel dit « Papeteries de l'Odet », comprenant une agglomération non seulement de bâtiments à usage industriel et commercial, mais d'habitations et logements pour le personnel, cours, jardins et bois, situés commune d'Ergué-Gabéric, sur la rive gauche de l'Odet, bois et jardin d'agrément sur la rive droite ;

Considérant que, par acte du 3 septembre 1917, transcrit le 17 septembre de la même année, il a acquis des époux Rannou, bailleurs de Rospape, la propriété située commune de Briec et, par extension, commune d'Ergué-Gabéric, rive droite de l'Odet, en aval des Papeteries Bolloré, appelée le Moulin de Moguéric, comprenant un moulin à eau avec bâtiments d'habitation et d'exploitation agricole, terres labourables, landes et prairies, ainsi que le droit exclusif à la jouissance et à l'exploitation de la rivière l'Odet longeant les terrains vendus ;

 

Considérant qu'en faisant cette acquisition, objet de son droit actuel de reprise, Bolloré augmentait la surface de son domaine et faisait, en outre disparaître les inconvénients résultant pour lui, tant au point de vue industriel qu'au point de vue de son agrément personnel, du voisinage du Moulin et de ses occupants.

Considérant également que Bolloré, qui avait été l'objet de réclamations de la part de l'Administration des Eaux et Forêts, a pu postérieurement à cet achat, disposer librement des eaux s'écoulant des bassins de décantations qu'il a fait établir ; qu'il a, par ce moyen, tenté d'assurer l'épuration des eaux résiduaires de son industrie restituées ensuite à la rivière, sans avoir à se préoccuper du droit du meunier à l'usage de la totalité des eaux de l'Odet pendant la période d'été.

Considérant enfin que son acquisition lui a procuré la possibilité d'accroître, quand il le voudra, la force hydraulique de son installation par la suppression du barrage commandant le bief du Moulin et l'élévation de la chute d'eau au barrage aval qui en sera la conséquence ;

Considérant que Rospape tire de ces circonstances la conclusion que le but poursuivi par Bolloré était le développement de son industrie et de ses annexes ; mais, considérant, d'une part, que cela fut-il même démontré, on trouverait difficilement dans les faits de la cause, la preuve de l'extension des locaux de l'usine dans les termes de la loi du 30 juin 1926, réglant les rapports entre locataires et bailleurs d'immeubles ou de locaux à usage commercial ou industriel ; que l'expression « Locaux à usage industriel » employée par l'article 5 de la dite loi, quelque large qu'elle soit, ne peut comprendre un droit aux eaux d'une rivière, ni les aménagements effectués pour assurer l'exercice de ce droit, alors surtout qu'ils consistent uniquement jusqu'ici en canaux d'évacuation et en bassins de décantation organisés sur des terrains dépendant de l'ancienne propriété de Bolloré ;

Considérant, d'autre part, que Bolloré exprime l'intention de faire démolir le moulin de Moguéric pour y reconstruire des bâtiments à usage industriel ou agricole, complètement distincts de la fabrication du papier ; que cette explication est tout aussi admissible que l'hypothèse de l'extension de son usine sue des terrains éloignés de plus de cent mètres de cette dernière, sur la rive opposée de la rivière ; que les considérations retenues par les premiers juges sont donc insuffisantes pour constituer la preuve certaine de la volonté de Bollorén à l'époque de son acquisition, de profiter de celle-ci pour agrandir les locaux industriels de la Papeterie de l'Odet ;

Que, sans avoir égard comme inutile à la demande d'expertise supplémentaire formulée par Rospape, le jugement doit être réformé ; Par ces motifs :

La Cour,
Réformant le jugement dont est appel ;
Dit et juge que Rospape n'a pas apporté la preuve dont il avait la charge que Bolloré avait acquis le 3 septembre 1917, le Moulin de Moguéric et ses dépendances pour agrandir les locaux de son industrie ou fonder une succursale ;
Dit que Bolloré est fondé à reprendre les locaux loués à Rospape sans indemnité ;
Rejette, en conséquence, la demande d'indemnité formée par ce dernier ;
Rejette toutes autres conclusions des parties ;
Condamne Rospape en tous les dépens de première instance et d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à perception de l'amende de fol appel [2] ;
Ainsi jugé, etc ...

MM. Cordier, 1er président ; Guillot, avocat général.
Mes Alizon et Le Bail (du Barreau de Quimper), avocats


3 Originaux

Titre : Recueil des arrêts de la cour d'appel de Rennes et des jugements rendus par les tribunaux de première instance, civils et de commerce, les justices de paix et les conseils de prud'hommes du ressort.

Publication : Revue mensuelle publiée par MM. Charlier, Cuault, Dubois.

Auteur : Cour d'appel (Rennes).

Éditeur : Imprimerie de H. Riou-Reuzé (Rennes)

Date d'édition : 1928

Numérisation : Gallica, BnF (08.2016)

4 Annotations

  1. Le père de Dan ar Braz était carrossier de métier, exerçait route de Locronan, à la suite du grand père Le Bras qui était forgeron à l'origine et natif de Quéméneven. [Ref.↑]
  2. Fol appel, g.n.m. : terme désignant l'appel contre la décision rendue par une juridiction, qui est interjeté sans cause, ni moyens valables et qui peut être sanctionné par une amende (Lexique juridique et fiscal de Bruno Bédaride). [Terme] [Lexique] [Ref.↑]