1882 - Condamnation d'un jeune tailleur délinquant d'Ergué-Gabéric au bagne - GrandTerrier

1882 - Condamnation d'un jeune tailleur délinquant d'Ergué-Gabéric au bagne

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Catégorie : Archives    
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§ E.D.F.

Sommaire

« Le Meur Joseph est coupable d'avoir, (...) soustrait frauduleusement de l'argent et des aliments (...) avec les circonstances aggravantes »

1 Introduction

La découverte de ce document daté du 16 octobre 1882 fut le fruit du hasard [1]. Il s’agit du document de jugement avec condamnation aux travaux forcés au bagne des Iles du salut de Joseph Le Meur, jeune homme ayant commis des larcins à Briec et Quimper.

Les Iles du Salut, au large de Kourou en Guyane française, furent l'un des bagnes les plus durs au monde et étaient formées de trois îles : l'île Royale accueillait l'administration ainsi que l'hôpital ; l'île Saint-Joseph servait pour les « fortes têtes » et l'île du Diable pour les espions, les détenus politiques ou de droit commun. Des prisonniers illustres y ont été emprisonnés et en sont revenus : Alfred Dreyfus à l'île du Diable, Guillaume Seznec à l'île St-Joseph. Joseph Le Meur n'eut pas cette chance car il y décéda trois ans après son arrivée. De 1854 à 1947, 70.000 prisonniers passeront par les geôles des Iles du salut où les conditions de détention étaient bien plus dures que celles des bagnes voisins de Cayenne ou de Saint-Laurent-du-Maroni.

 

Les parents de Joseph Le Meur étaient installés dans le quartier d'Odet, son père étant originaire d'Elliant et sa mère de Briec. Joseph, l'aîné, est né à Pennanec'h, et ses trois frère et sœurs sont nés au moulin d'Odet ou au Kreisker en Briec (près d'Odet). Sur l'acte de jugement Joseph Le Meur, âgé de19 ans, est déclaré « sans profession », et dans son acte de décès comme « ayant exercé la profession de tailleur d'habits ».

Les faits incriminés, à savoir le vol d'argent et de nourriture, semblent bien disproportionnés par rapport à la peine de huit années de travaux forcés, assorties également d'une obligation de se soumettre pendant dix ans à la « haute police » [2]. Mais il ne purgea que 3 ans au bagne des Iles du salut, à l'issue desquels il décéda, et fut sans doute jeté aux requins comme en témoigne ci-après Guillaume Seznec.

2 Funérailles de bagnard

Dans le livre « Seznec : le bagne » publié par son petit-fils, Guillaume Seznec témoigne sur les conditions en 1928 (40 ans après la condamnation de Joseph Le Meur), dans lesquelles les cadavres des bagnards étaient livrés aux requins :

« Presque tous les jours, vers les cinq heures, avait lieu l'immersion des corps. La cloche de la chapelle carillonnait alors, annonçant pour les requins un repas de fête. On raconte qu'à la fin des années cinquante ‑ soit plus de dix ans après que le dernier corps ne leur fut jeté en pâture ‑ lorsque l'on agitait la cloche de la chapelle, vers les cinq heures du soir, les squales rappliquaient encore daredare...

La cloche de la chapelle rappelle Guillaume au présent ; ce soir, elle lance de longs appels. Quelqu'un crie : « Regardez !  » Guillaume se tourne dans la direction que pointe le doigt. Une douzaine d'ailerons fendent les vagues. Un cercle. Danse tranquille et frénétique à la fois. À chaque coup de cloche répond un coup de queue, dans un ensemble parfait.

Les hommes présents assistent fascinés à cette danse de mort, stupéfiante, féroce, implacable. Une baleinière glisse sur la mer. Au fond de l'embarcation, un cercueil noir. Quatre rameurs luttent contre les courants. Tout à coup, le bateau s'immobilise. Deux des rameurs soulèvent un des petits côtés de la bière et la font basculer à la verticale.

Un long ballot ficelé auquel est attachée une pierre glisse dans l'océan. Des ondes puissantes fendent les vagues, les ailerons, avec la rapidité de l'éclair, convergent vers le centre du cercle ourlé de blanc. Soudain, l'eau se colore de rouge, comme l'écume, comme la vague rouge aussi. Guillaume a enlevé son chapeau, quelques-uns l'imitent. Ceux qui l'ont gardé sur leur tête sont trop absorbés par le spectacle ou trop indifférents.

 

La mer, peu à peu, reprend sa couleur turquoise, l'écume sa blancheur. Les ailerons se sont volatilisés. Un homme est mort. Sa sépulture, le ventre des requins.
Royale, pas de cimetière pour les forçats.
Le bagnard a été donné honteusement à manger aux bêtes comme on jette des ordures aux pourceaux. Le bagne, qui enlève aux hommes leur dignité, vole aussi celle de leur mort.
 »


Peinture de Francis Lagrange

3 Transcriptions

Octobre 1882 - Cour d'Assises de Quimper

Cour d'Assises de Quimper

16 octobre 1882

Comparant devant la Cour : Le Meur Joseph Marie, sans profession, né et domicilié à Ergué-Gabéric, le 28 janvier 1863, fils de Laurent et de Marie Catherine Rivoal, célibataire, déjà condamné,

Accusé de vol qualifié et de tentative de vol qualifié.
Vu l'acte d'accusation rédigé le 13 septembre 1882,
Vu la délibératiuon du jury de laquelle il resulte que Le Meur Joseph est coupable :

1° d'avoir, dans un commerce de Briec, du 15 au 16 juillet 1882 soustrait frauduleusement au détriment de la famille Corniou avec les circonstances aggravantes, de nuit, dans une maison habitée, à l'aide d'escalade dans un édifice ;

2° d'avoir, à Quimper, du 23 au 24 juillet 1882, soustrait frauduleusement de l'argent et des aliments au préjudice du sieur Le Roy, avec les circonstances aggravantes (idem) ;

3° d'avoir, à Briec, du 26 au 27 juillet 1882, commis une tentative de soustraction frauduleuse au préjudice du sieur Darcillon ...

4° d'avoir, du 25 au 27 juillet 1882, soustrait frauduleusement de l'argent au préjudice des époux Croissant, à Briec, avec les circonstances aggravantes (idem) ;

La Cour condamne
Le Meur Joseph à la peine de huit années de travaux forcés et par coups aux frais,
Dit qu'après avoir subi sa peine, Le Meur Joseph demeurera dix années sous la surveillance de la haute justice.


 

Janvier 1863 - Acte de naissance

L'an mil huit cent soixante trois, le vingt huit janvier à onze heures du matin, devant nous, maire et officier de l'état civil de la commune d'Ergué-Gabéric, canton de Quimper, département du finistère, est comparu Laurent Le Meur, âgé de trente-cinq ans, cultivateur au lieu de Pennanech en cette commune, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né ce matin audit lieu à trois heures, de lui déclarant et de Marie Catherine Rivoal, son épouse, cultivatrice, âgée de vingt-cinq ans, et auquel on a donné le prénom de Joseph Marie. Ces déclaration et présentation ont été faites en présence de Jean Yaouanc, âgé de trente-trois ans, et Alain Pétillon, âgé de quarante deux ans, cultivateurs en cette commune ; lesquels avec le père ont déclaré ne savoir signer après lecture.

Le Roux, maire.

Juillet 1885 - Acte de décès

L'an mil huit cent quatre vingt cinq le vingt sept novembre, à huit heures du matin, nous maire et officier public ce l'état civil de la commune d'Ergué-Gabéric, canton de Quimper, département du finistère, avons procédé à la transcription de l'acte de décès dont la teneur suit, qui nous a été transmis par Monsieur Jean Baptiste Ferdinand Oscar Déniel, officier de l'administration aux Iles du salut (Guyane française) et, qui nous est parvenue aujourd'hui à huit heures du matin l'an mil huit cent quatre vingt cinq :

le trente juillet à quatre heures du soir, par devant nous Jean Baptiste Ferdinand Oscar Déniel, officier d'administration aux Iles du salut (Guyane française) remplissant au dit lieu les fonctions d'officier de l'état civil en vertu de l'arrêté du gouvernement de la Guyane française en date du vingt six avril mil huit cent cinquante deux, sont comparus Harmois Emilion Elysée Antoine, âgé de quarante deux ans, (...) et Nouvély Joseph Jean Louis, âgé de quarante six ans, distributeur, ni parents, ni alliés du défunt, tous deux domiciliés aux Iles du salut (Guyane française), les (...) déclare que le sieur Le Meur Joseph Marie, âgé de vingt deux ans, ayant exercé la profession de tailleur d'habits, domicilié aux Iles du salut (Guyane française), né à Ergué-Gabéric, arrondissement de Quimper, département du finistère, fils de Laurent et de Marie Catherine Rivoak, célibataire, seuls renseignements que nous avons pu recueillir, est décédé le trente juillet mil huit cent quatre vingt cinq à trois heures du soir aux Iles du salut (Guyane française), lequel décès nous nous sommes assurés et en avons dressé par triplicata le présent acte, que les témoins sont signé avec nous après lecture faite, et de cette transcription nous avons dressé le présent acte que nous avons signé. Signé Deniel.

H. Le Roux, maire

4 Documents

5 Annotations

  1. Document découvert par Jean Le Reste d'Ergué-Gabéric : registre des arrêts de la cour d'assises du Finistère du 19e siècle, Archives départementales du Finistère, 4 U 1. [Ref.↑]
  2. Haute police : ensemble des moyens employés et des dispositions prises ou à prendre, notamment le renseignement et la surveillance, dans l'intérêt de l'État et de la sécurité des citoyens. [Ref.↑]


Thème de l'article : Etude et transcriptions d'actes anciens

Date de création : Décembre 2010    Dernière modification : 22.04.2011    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]