1839 - Acquittement d'Hervé Kerluen, un des plus beaux hommes de Basse-Bretagne - GrandTerrier

1839 - Acquittement d'Hervé Kerluen, un des plus beaux hommes de Basse-Bretagne

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Version du 9 novembre ~ miz du 2014 à 17:52

Catégorie : Archives    
Site : GrandTerrier

Statut de l'article :
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§ E.D.F.
Un domestique illettré et bretonnant, aux prises avec la justice française pour des histoires de vol, et sauvé par son physique remarquable et sa beauté angélique.

Grâce à un interprète de la langue bretonne, les circonstances de l'affaire communale sont largement détaillées dans le compte-rendu d'assises, ceci avec des similarités avec un autre procès célèbre, celui d'Yves Pennec relaté par l'écrivain Stendhal.

Autres lectures : « LE DOUGET Annick - Violence au village » ¤ « STENDHAL - Mémoires d'un touriste » ¤ « BERNARD Norbert - Les voix d'Yves Pennec » ¤ « 1832 - L'affaire Jean Le Jaouanc, agresseur de Marie-Anne Le Corre » ¤ « 1838 - Procès d'Yves Le Pennec, jeune domestique voleur, sorcier et dépensier » ¤ « 1844 - Placards réglementaires pour les cabarets gabéricois » ¤ 

1 Présentation

Annick Le Douget, lors pendant la préparation de sa thèse de doctorat soutenue en 2012 à l'université de Bretagne Occidentale, publiée sous le nom évocateur de « Violence au village », avait repéré cette pièce : « BB 20/103, 3e trim 39, Aff Hervé Kerluen, domestique laboureur d’Ergué Gabéric, 21 ans, vol domestique de grains, acquitté grâce à sa beauté, malgré une culpabilité évidente selon le juge ».

En effet Théophile Le Meur, président juge de Quimper, note dans son compte-rendu d'assises (conservé aux Archives Nationales) : « Tous ont été touchés de la jeunesse, du physique remarquable de Kerluen, qui est l'un des plus beaux hommes de la basse bretagne, et il a été acquitté à sept voix contre cinq, d'après ce que j'ai appris plus tard, malgré sa culpabilité évidente, à mes yeux du moins. »

Les circonstances du délit : un jeune domestique est surpris par son maître à subtiliser des gains de seigle, qu'il met dans un sac qu'il compte vendre le lendemain à Quimper.

Sa ligne de défense : Hervé Kerluen voulait profiter du fruit de cette vente pour se rembourser d'un prêt que le domestique aurait consenti à son patron pour qu'il puisse s'enivrer au cabaret le jour du baptême du fils de la ferme, « un peu, mais pas de manière à perdre la raison.  », le tout en toute discrétion vis-à-vis de la patronne. Dans les débats il est aussi question d'autres vols récents pour lesquels le domestique avait été soupçonné.

Comme cela était coutumier en Basse-Bretagne au 19e et même au siècle suivant, le jeune homme (et sans doute d'autres témoins) est interrogé par un traducteur auxiliaire de justice, car il ne savait «  ni lire ni écrire ... ; ne parlant que le breton ».

Cette affaire constitue une photo des relations sociales qui se nouaient entre les domestiques et leurs employeurs cultivateurs, le pouvoir d'autorité n'étant pas unilatéral, le domestique pouvait être amené à prêter de l'argent à son patron, et exercer une pression sur lui. Les autres composantes sociologiques sont le matriarcat (les hommes avaient peur des femmes, leur cachant leurs petites affaires), l'alcoolisme (les cabarets étaient dans la commune d'Ergué-Gabéric), et la religion (le baptême d'un tout nouveau né rassemblait tout le monde au bourg).

 
« Jeune Breton » de Penguilly, dans Le Breton d'Alfred de Courcy, 1842
« Jeune Breton » de Penguilly, dans Le Breton d'Alfred de Courcy, 1842

Et enfin on a un maire cultivateur [1] qui ne prit pas vraiment parti entre ses administrés, allant jusqu'à exprimer ses doutes sur la culpabilité d'un électeur potentiel.

Et le jury d'assise prononça son acquittement à sept voix contre cinq, à la grande surprise du juge et malgré une culpabilité très probable, et certainement par les effets de la beauté angélique du domestique qui ne pouvait pas, du coup, être coupable.

Le juge réagit en délivrant une allocution moralisatrice aux membres du jury, leur rappelant qu'ils étaient pour protéger la société, et qu'il ne pas être trop laxiste. Hormis celui-là, aucun autre acquittement ne fut prononcé lors des audiences suivantes.

2 Transcriptions

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4. Tribunal de Quimper. interprête

2e affaire. N° 4 Hervé Kerluen, domestique laboureur.

âgé de 21 ans, fils légitime, célibataire, ne sachant ni lire ni écrire, né à Ergué-Gabéric arrondissement de Quimper, demeurant même commune, pas de poursuites antérieures, mais soupçon pour 3 autres vols ; ne parlant que le breton.

accusé d'avoir commis la nuit, dans une maison habitez une tentative de vol de grains au préjudice de Jean Le Jeune, chez lequel il servait alors en qualité de domestique ; laquelle tentative a été manifestée par un commencement d'exécution, et n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur.

Dans cette affaire, 5 témoins ont été entendus dans l'information écrite ; trois seulement à la requête du procureur du Roi ont été entendus à l'audience et 2 investis du pouvoir discrétionnaire.

Le faits suivants sont résultés des témoignages : le 10 mars dernier, Jean Le Jeune, cultivateur à Kerellou, commune d'Ergué-Gabéric, était allé avec son domestique Kerluen au bourg d'Ergué pour y faire baptiser son enfant nouveau né ; il paraît que Kerluen prêta 5 francs à son maitre et que ce dernier s'enivra, un peu, mais pas de manière à perdre la raison.

Lorsqu'ils furent de retour à la maison, Le Jeune s'endormit près du foyer et sommeillait depuis quelques temps lorsqu'il fut réveillé par son jeune fils Maurice, enfant de 10 à 11 ans, qui lui dit que l'on entendait du bruit dans

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l'appartement voisin ; Le Jeune prit la chandelle qui brulait dans le foyer, se rendit dans une pièce contigüe, et vit son domestique Kerluen les pieds nus, et sortant d'un grand coffre destiné à ramasser du seigle et qui pouvait contenir 40 boisseaux [2] de grain.

Il remarque dans ce coffre le chapeau de Kerluen et un sac étranger à la maison, lequel sac avait été entièrement rempli par Kerluen.

Le Jeune fit de vifs reproches à son domestique, qui parut déconcerté, ne répondit rien et sortit immédiatement pour aller causer avec un individu qui se trouvait dans la cour et est resté inconnu jusqu'ici.

Le lendemain Le Jeune fit de nouveaux reproches à son domestique Kerluen qui lui dit pour s'excuser qu'il avait l'intention de porter le sac de grain à Quimper, de l'y vendre à l'insu de la femme de son maitre et de remettre le prix à ce dernier parce qu'il savait qu'il manquait souvent d'argent.

Le Jeune dut répondre qu'il ne pouvait lui convenir de vendre du grain à l'insu de sa femme et que l'exemple qu'il donnait ne pouvait être admissible.

 

Suite de page 2

Les débats ont appris que Kerluen avait, sinon dérobé, du moins retenu la clef de l'armoire de son maitre ; que des soupçons s'élevaient contre lui à l'occasion de deux vols commis à l'aide de fausses clefs au préjudice des sieurs Lozac'h et Querré, et d'une autre tentative de vol également avec fausses clefs au préfudice d'un Fr. Hamon.

Dans son interrogatoire, et à l'audience Kerluen a soutenu que s'il avait rempli un sac de grain c'était par les ordres de son maitre

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qui voulait vendre le lendemain ce grain à l'insu de sa femme, pour lui payer à lui Kerluen les 5 f qu'il lui avait prêté dans la journée du 10 mars, au bourg d'Ergué-Gabéric.

À l'appui de sa version, il a invoqué le témoignage du maire de la commune, entendu sur la demande de l'accusé et en vertu du pouvoir discrétionnaire lequel maire avait déclaré avoir entendu Le Jeune parler à son domestique de grain qu'il voulait vendre le lendemain à Quimper.

Bien que ma déclaration du maire ne confirmât point positivement la version de Kerluen, qui état démentie par tous les faits de la [...]./ Cependant cela a jetté du doute dans l'esprit de quelques jurés timides ; d'autres ont été influencés par le défaut de préjudice. Tous ont été touchés de la jeunesse, du physique remarquable de Kerluen, qui est l'un des plus beaux hommes de la basse bretagne, et il a été acquitté à sept voix contre cinq, d'après ce que j'ai appris plus tard, malgré sa culpabilité évidente, à mes yeux du moins.

Après l'acquittement mal fondé, j'ai pensé qu'il était nécessaire de prendre des précautions pour empêcher les jurés de continuer à s'égarer dans une mauvaise voie : au commencement de l'affaire suivante, qui, comme vous le verrez, a été jugée à huis-clos, j'ai cru devoir adresser une allocution d'une demie heure aux jurés sur l'importance de leurs fonctions ; sur le devoir qu'ils avaient à remplir envers la société, dont ils étaient les défenseurs &n. &n. J'ai pris

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toutes fois les plus grandes précautions pour ne blesser ni leur amour propre, ni leur indépendance etc . Je crois avoir atteint mon but ; car, après l'audience ils m'ont tous remercié de l'instruction que je venais de leur faire sur leurs fonctions.

Toujours est-il que depuis cette époque ils ont marché à merveille, ils n'ont point commis d'erreur grave, et il n'y a point eu d'acquittement sur les faits princiâux dans le reste de la session.


3 Originaux

Lieu de conservation : Archives Nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine.

Série : BB/20, comptes d'assises

Cotes : BB/20/103, 3e trimestre 1839

 

Droit d'image : Protégé.

Usage : Accès privé et restreint aux abonnés inscrits

Accès : Connexion obligatoire sur un compte nominatif d'adhérent GrandTerrier.


4 Annotations

  1. René Laurent, agriculteur à Squividan, fut maire de la commune de 1824 à 1846. [Ref.↑]
  2. Boisseau, s.m. : mesure de capacité pour les matières sèches, les grains surtout. Sa contenance varie beaucoup suivant les produits et les localités et aussi suivant que la mesure est rase ou comble [¤source : AD Finistère, glossaire des cahiers de doléances]. La précision « Mesure du Roi » indique la volonté d'uniformiser les disparités, avant que le poids en mesure décimale ne soit adopté à la Révolution. Avant uniformisation, chaque ville ou village avait ses poids et ses mesures particuliers. Dans certains cantons, et plus particulièrement en Bretagne on était obligé d'avoir jusqu'à six mesures différentes dans son grenier pour procéder aux pesées. Par exemple le boisseau ras pour le froment contenait 11,2 litres à Morlaix et 107,1 litres à Landevennec [¤source : Wikipedia]. La mesure de Quimper était établie comme suit : 67 litres pour le froment et le seigle, 82 pour l'avoine et 79 pour le blé noir [¤source : Document GT de 1808] ou alors 67 litres pour le froment, 82 pour le seigle, et 80 pour l'avoine [¤source : Document GT de 1807]. [Terme] [Lexique] [Ref.↑]


Thème de l'article : Document d'archives sur le passé d'Ergué-Gabéric.

Date de création : Novembre 2014    Dernière modification : 9.11.2014    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]