1838 - Procès d'Yves Le Pennec, jeune domestique voleur, sorcier et dépensier - GrandTerrier

1838 - Procès d'Yves Le Pennec, jeune domestique voleur, sorcier et dépensier

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* Déchéance alcoolique et jeux de cartes * Déchéance alcoolique et jeux de cartes
-L'accusé est décrit ainsi : « <i>Yves Le Pennec, quoique très jeune, avait des habitudes de jeu et d'oisiveté ; quelquefois même il s'abandonnait aux excès du vin</i> ». Toute ces activités avaient lieu dans les cabarets qui étaient nombreux sur le territoire communal (une quinzaine en 1844).+L'accusé est décrit ainsi : « <i>Yves Le Pennec, quoique très jeune, avait des habitudes de jeu et d'oisiveté ; quelquefois même il s'abandonnait aux excès du vin</i> ». Toute ces activités avaient lieu dans les cabarets qui étaient nombreux sur le territoire communal (une quinzaine en 1844). L'expression "quoique très jeune" illustre bien le fait que la fréquentation des cabarets n'était pas l'apanage des jeunes, bien au contraire.
-Lors des interrogatoires de l'audience du 19 janvier, Corentin Kergourlay s'exprime : « <i>Il jouait beaucoup la nuit, je l'ai vu perdre jusqu'à six francs, c'est moi qui les lui ai gagnés.</i> (On rit.) <i>C'est un sorcier, il a un secret pour trouver de l'argent.</i> »+Lors des interrogatoires de l'audience du 19 janvier, Corentin Kergourlay (agriculteur à Rubernard) s'exprime sur les pertes et gains aux jeux de cartes : « <i>Il jouait beaucoup la nuit, je l'ai vu perdre jusqu'à six francs, c'est moi qui les lui ai gagnés.</i> (On rit.) <i>C'est un sorcier, il a un secret pour trouver de l'argent.</i> »
* Le poids social de la parole du maire * Le poids social de la parole du maire

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Catégorie : Archives    
Site : GrandTerrier

Statut de l'article :
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§ E.D.F.
Stendhal dans ses mémoires de touriste a évoqué le procès Yves Le Pennec, et démarre sa narration par  : « Il y a beaucoup de sorciers en Bretagne ... ».

Mais, à la lecture du compte-rendu du présidence de cour d'assises de Quimper, la réalité est bien plus prosaïque : certes l'accusé prétend avoir entendu des voix, mais il semble que les témoignages de ses concitoyens, dont le le maire [1] , a plus impressionné le jury.

Autres lectures : « LE DOUGET Annick - Violence au village » ¤ « STENDHAL - Mémoires d'un touriste » ¤ « BERNARD Norbert - Les voix d'Yves Pennec » ¤ « 1832 - L'affaire Jean Le Jaouanc, agresseur de Marie-Anne Le Corre » ¤ « 1839 - Acquittement d'Hervé Kerluen, un des plus beaux hommes de Basse-Bretagne » ¤ « 1844 - Placards réglementaires pour les cabarets gabéricois » ¤ 

1 Présentation

C'est Jean-Pierre Le Minihy [2], président des séances de janvier 1838 en la cour d'assises de Quimper, qui fit le compte-rendu de cette affaire, document conservé en série BB/20 des Archives nationales et constituant un complément des cotes 4U1/23 et 4U2/53 des Archives Départementales (lesquelles ont été présentées par Norbert Bernard dans son livre « Les voix d'Yves Pennec » ¤ ).

Contrairement à l'article publié dans la Gazette des Tribunaux, et à la lecture qu'en a fait Stendhal, le compte-rendu du juge ne présente pas un héros « enfant de l'Armorique à l'épaisse chevelure » d'une part, et les invocations de sorcelleries ne sont pas prises au sérieux d'autre part. Les faits révélés par le procès montrent plutôt des scènes d'une société rurale :

  • Déchéance alcoolique et jeux de cartes

L'accusé est décrit ainsi : « Yves Le Pennec, quoique très jeune, avait des habitudes de jeu et d'oisiveté ; quelquefois même il s'abandonnait aux excès du vin ». Toute ces activités avaient lieu dans les cabarets qui étaient nombreux sur le territoire communal (une quinzaine en 1844). L'expression "quoique très jeune" illustre bien le fait que la fréquentation des cabarets n'était pas l'apanage des jeunes, bien au contraire.

Lors des interrogatoires de l'audience du 19 janvier, Corentin Kergourlay (agriculteur à Rubernard) s'exprime sur les pertes et gains aux jeux de cartes : « Il jouait beaucoup la nuit, je l'ai vu perdre jusqu'à six francs, c'est moi qui les lui ai gagnés. (On rit.) C'est un sorcier, il a un secret pour trouver de l'argent. »

  • Le poids social de la parole du maire

Le juge relève l'impact du témoignage du maire sur la décision d'acquittement : « Le maire de la commune est celui de tous les témoins qui lui a été le plus favorable. Il a déclaré que Le Pennec ne passait point pour un mauvais sujet ; que depuis plusieurs années il dépensait beaucoup d'argent sans qu'aucun vol eût été commis dans le pays » ; « Dans son incertitude sur le véritable auteur du délit dont il avait été victime, ce dernier témoignage m'a paru produire beaucoup d'impression sur le jury. ».

Dans le compte-rendu de la Gazette des Tribunaux, on a même un maire décidé, avec l'attitude d'un homme qui fait acte de courage (était-ce par crainte ?) : « Pennec passe dans ma commune pour un devin et pour un sorcier ; mais je ne crois pas cela, moi ; ce n'est plus le siècle des sorciers. »

  • Les voix et les légendes bretonnes
  • Le vêtement signe extérieur de richesse
 
"L'autel druidique", Olivier Perrin, dans "Gallerie Bretonne" d'Alexandre Bouët
"L'autel druidique", Olivier Perrin, dans "Gallerie Bretonne" d'Alexandre Bouët
  • La valeur de l'argent dument gagné.

Quant à la somme du trésor qu'il prétend avoir trouvé, à savoir « 300 francs en pièces de 6 livres et de cinq francs », sa décomposition est intéressante et nous renseigne sur les pièces en circulation en 1839. En effet, normalement il n'existait plus que des francs en circulation depuis la Révolution, et les pièces de 5 francs étaient devenues courante.

Par contre il est également question ici de pièces dites « écu de 6 livres » qui en fait avait en 1838 une valeur d'échange de 5 francs et 80 centimes. Selon Norbert Bernard avance cette hypothèse : « La mention de ce type de pièce, ainsi que de leur change, confortent l'idée d'un trésor qui aurait donc pu être enterré avant ou pendant la Révolution ».

2 Transcriptions

Entête

Division des affaires criminelles et des grâces. 1er bureau

Expédié le 21 mars 1838

À M. Le Minihy

Conseiller en la Cour royale, président de cour d'assises, à Rennes.

J'ai reçu, Monsieur, le compte que vous m'avez adressé du résultat des assises sous votre présidence, dans le département du finistère pendant le 1er trimestre 1838.

J'ai lu avec intérêt les détails que vous me donnez ...

Page 1

Le samedi 20 janvier, après le jugement de l'affaire précédente dont les débats avaient rempli deux séances, les nommés Yves Le Pennec, âgé de 19 ans, aide-cultivateur, demeurant commune d'Ergué-Gabéric, accusé d'avoir commis un vol d'argent pendant la nuit dans une maison habitée, et Hyppolite Jacques Zimmermann, âgé de 39 ans, patron au cabotage, demeurant à l'Ile-Tudy, accusé d'avoir volontairement mis le feu à un navire habité qui ne lui appartenait pas, ont comparu devant la cour d'assises.

Dans la nuit du 19 au 19 juin dernier un malfaiteur s'introduisit dans l'habitation des époux Le Berre, demeurant au village de Troland, commune d'Ergué-Gabéric, prit la clef d'une armoire dans la poche de la maîtresse de la maison, et y vola une somme de 453 francs. On suspecta d'abord des voisins d'avoir commis cette soustraction, mais une fouille infructueuse

Page 2

ayant été faite en leurs domiciles, tous mes souçons se fixèrent sur Yves Le Pennec, parce que le vol dont il s'agit supposait une parfaite connaissance des lieux et que l'accusé avait servi quelques temps auparavant chez Le Berre, qu'il avait eû avec celui-ci une contestation pour ses gages, et qu'il était sorti de chez lui en le menaçant.

 

Suite de page 2

Yves Le Pennec, quoique très jeune, avait des habitudes de jeu et d'oisiveté ; quelquefois même il s'abandonnait aux excès du vin. Il avait servi trois maîtres qui l'avaient successivement renvoyé pour cause de fainéantise, et les salaires qu'il en avait reçu étaient très modiques ; cependant depuis le vol, il faisait des dépenses assez considérables, dans les cabarets, il avait perdu 30 francs au jeu, et avait acheté des vêtements pour une somme de 150 francs. L'accusé, lors de son arrestation, nia la soustraction qui lui était attribuée et pour justifier l'origine de l'argent qu'il avait dépensé il déclara qu'environ trois ans auparavant il avait entendu pendant trois nuits consécutives une voix qui après l'avoir interpellé par son nom, lui disait d'aller prendre une somme de 300 francs qui était cachée dans un trou sous une pierre placée en haut et à l'extrémité du mur méridional de la grange d'un nomme Jean Gourmelen à Bohars. Il ajouta que d'abord il avait éprouvé beaucoup de crainte, mais que s'étant enhardi et (il) s'était emparé du trésor. Malgré l'absurdité de cette fable aussi grossière que ridicule, on procéda aussitôt à une vérification en présence de l'accusé pour en démontrer l'imposture de ses assertions ; et il fut reconnu que la pierre désignée par Le Pennec lui-même était scellée dans le mur et qu'il ne s'y trouvait point de trou ; le maire plaça un mouchoir dans le vuide et il fut impossible de remettre cette pierre de niveau avec le mur ; il devenait donc évident que l'accusé n'avait pu trouver une somme de 300 francs en pièces de 6 livres et de cinq francs, suivant son dire, dans cet emplacement. Devant la Cour d'assises il a néanmoins persisté dans sa première déclaration.

Le jury a répondu négativement aux questions qui lui étaient posées, et l'acquittement d'Yves Le Pennec a du être prononcé. Plusieurs témoins déposaient que longtems avant le vol, l'accusé avait de l'argent à sa disposition ; qu'il avait changé et que dès cette époque il disait avoir trouvé un trésor dans le trou d'un mur, mais le maire de la commune est celui de tous les témoins qui lui a été le plus favorable. Il a déclaré que Le Pennec ne passait point pour un mauvais sujet ; que depuis plusieurs années il dépensait beaucoup d'argent sans qu'aucun vol eût été commis dans le pays, et que le plaignant accusait tout le monde de l'avoir dépouillé. Dans son incertitude sur le véritable auteur du délit dont il avait été victime, ce dernier témoignage m'a paru produire beaucoup d'impression sur le jury.


3 Originaux

Lieu de conservation : Archives Nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine.

Série : BB/20, comptes d'assises

Cotes : BB/20/98, 1e trimestre 1838

 

Droit d'image : Protégé.

Usage : Accès privé et restreint aux abonnés inscrits

Accès : Connexion obligatoire sur un compte nominatif d'adhérent GrandTerrier.


4 Annotations

  1. René Laurent, agriculteur à Squividan, fut maire de la commune de 1824 à 1846. [Ref.↑]
  2. Saturnin Jean-Pierre Le Minihy, Conseiller du Roi en la Cour Royale de Rennes, est assisté des juges Crop er Hunault, et de Jean-Louis Le Feuvre, premier substitut du procureur du roi, qui avait été chargé de l'enquête. [Ref.↑]


Thème de l'article : Document d'archives sur le passé d'Ergué-Gabéric.

Date de création : Novembre 2014    Dernière modification : 11.11.2014    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]